vendredi 29 août 2025

Israël/Palestine/Iran et ailleurs : ennemis de la patrie ! Toujours pour la trahison de la patrie !

 

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Source en allemand : https://panopticon.noblogs.org/post/2025/07/29/israel-palaestina-iran-und-sonstwo-feinde-des-vaterlands-immer-fuer-den-verrat-am-vaterland/

« Les dictatures dissimulent toujours le caractère économique de la violence et les démocraties toujours le caractère violent de l’économie. »
Bertolt Brecht

Dans la société capitaliste, où non seulement tous les êtres humains sont en concurrence entre eux, mais également tous les États-nations, nous vivons tous dans un état de guerre permanent. Au niveau militaire, il y a deux formes : soit on est en plein dedans, soit on est dans un état de préparation. Pourquoi (presque) tous les États-nations1 habillent-ils, nourrissent-ils, entraînent-ils, arment-ils, une armée permanente ? La plupart des faux critiques de l’ordre dominant ont fini par penser que ces armées n’étaient qu’un simple ornement à des fins décoratives et qu’elles ne protégeaient pas et n’imposaient pas par les armes les intérêts et la souveraineté de chaque État-nation. Il y a aussi la guerre économique pour la simple survie, dans laquelle d’innombrables prolétaires meurent chaque jour.

La domination du capitalisme est mondiale ; dans la concurrence capitaliste, il n’y a que la victoire ou la défaite ; la guerre, qu’elle soit menée par les armes ou par d’autres moyens, a lieu dans le monde entier. Elle nous concerne et nous touche tous. La guerre n’est pas, comme le disait Clausewitz, « (…) une simple continuation de la politique par d’autres moyens », mais son expression la plus conséquente ; elle n’est pas une anomalie, mais un pilier important de son être (ontologie). C’est pourquoi, comme Clausewitz le disait lui-même, la guerre est « (…) un acte de violence, et il n’y a pas de limites dans l’usage de la violence ». Le gouvernement de l’État moderne n’est rien d’autre qu’un instrument qui gère les affaires de la classe bourgeoise. L’État est l’organisation politique de l’exploitation économique, et pour survivre (préserver et imposer sa souveraineté), il utilisera tous les moyens à sa disposition (lois, monopole de la violence, répression, guerre à l’intérieur du pays comme à l’étranger, etc.). L’État (capitaliste) n’est donc pas neutre, c’est un instrument utilisé par une classe pour en dominer [exploiter] une autre dans une société divisée en classes, et qui tente constamment de le faire par le biais d’idéologies. Dans la société de classes, il y a un conflit irréconciliable, mais l’État tente de les réconcilier par le biais d’idéologies (démocratie, nationalisme, droits de l’homme, etc.), ce qu’il ne parvient pas à faire très souvent.

Plus une guerre dure, plus nous comptons de cadavres ; plus la destruction est grande, plus le désespoir est énorme ; plus les souffrances (physiques et mentales) sont atroces, plus notre avenir est improbable… Deux conceptions antagonistes, diamétralement opposées et même ennemies se répandent, mais l’une est fausse et l’autre est juste.

Soit la haine envers le camp accusé d’être responsable de cette guerre s’intensifie2, soit la nature et la logique du système dans lequel nous sommes contraints de vivre, le capitalisme, et la raison pour laquelle il faut le détruire immédiatement, sont comprises et percées à jour.

La première position est la plus courante, mais c’est la seconde qui a conduit les êtres humains dans l’histoire à retourner leurs armes contre la classe dirigeante et qui a suscité les plus grandes craintes chez cette dernière. Il serait néanmoins fantastique et mystique de penser que les êtres humains deviennent immédiatement ou nécessairement révolutionnaires, mais ils perdent leur élan nationaliste – en particulier pour leur propre État-nation – et c’est une condition préalable et le fondement de la révolution sociale. Ce n’est pas notre propre État-nation qui sert nos intérêts (santé, nourriture, protection de la vie, etc.), mais nous qui servons les intérêts de tel ou tel État-nation.

Mais cela ne se produit pas seulement pour des raisons de conscience, parce que les années précédentes on aurait lu sagement Malatesta et Bonanno, Mattick et Balius, etc., et mené des actions ; ce sont aussi les conditions imposées par le capitalisme qui nous obligent, qu’on le veuille ou non, à devoir lutter contre celui-ci. Nous ne sommes rien d’autre qu’une fonction (création de valeur ajoutée) dans ce système. L’influence des groupes anarchistes et communistes3 peut être et est importante dans la mesure où ils agissent comme une partie inséparable du prolétariat. Si ce n’est pas le cas, ce ne sont que des paroles en l’air !

Nous le voyons dans les conflits actuels et passés, la première position/attitude conduit à dénoncer tous ceux qui luttent contre les guerres du capital comme des traîtres à la patrie – ce qui se passe à Gaza (on a déjà parlé de cinquième colonne, d’agents financés par le Mossad, ceux qui critiquent le Hamas commettent une trahison, etc.), comme en Israël (antisémites, judéophobes), ou en Iran (sionistes, impérialistes), mais aussi dans la guerre en Ukraine, où les uns sont qualifiés soit d’impérialistes russes, soit d’impérialistes de l’OTAN. N’oublions pas la militarisation en marche dans tous les pays de l’OTAN, le service militaire, etc. Tous ceux qui critiquent et dénoncent cela sont aussi des traîtres (car cela ne sert que la Russie). Des traîtres partout. L’accusation de trahison est identique à tous les moments et suit qualitativement la même logique.

C’est pourquoi, il est d’autant plus important d’accorder de l’attention à la deuxième position/attitude sur place et/ou à distance et de la diffuser.

Dans la situation actuelle, comme dans le passé, la gauche (radicale) du capital soutient le récit d’une fraction dominante au lieu de soutenir les intérêts du prolétariat (les opprimés, ceux qui doivent manger de la merde tous les jours). Certes, les manifestations et les actions contre la guerre, les sabotages, les réseaux de déserteurs, les actions contre l’enrôlement (forcé), etc. ne sont un secret pour personne, mais cela n’intéresse pas le récit susmentionné. Pour la gauche (radicale) du capital, qui se soumet et s’aligne sur une fraction dominante dans chaque conflit, il n’y a que des traîtres et, comme cela ne convient pas à son récit, l’existence et l’action de tout déserteur, comme l’existence d’actions et de sabotages contre la guerre, sont soit passées sous silence, soit attribuées à l’ennemi. L’idéologie dominante s’articule parfaitement à travers la gauche (radicale) du capital, dont elle est le porte-parole et la garde prétorienne.

« Patrie, patrie, terre des pères ! Quelle sanglante dérision pour l’homme privé de sa terre, de sa maison, de son éducation, privé d’hygiène, privé d’instruction, réduit à son salaire et contraint encore d’être le défenseur et le bourreau de ses oppresseurs ! »
Anselmo Lorenzo, Critère libertaire

A long terme, les alternatives de la garde prétorienne de l’État-nation – c’est-à-dire la gauche (radicale) du capital – sont les suivantes : gestion de la misère et non pas libération de l’humanité du joug de l’esclavage salarié (voir l’Algérie, l’Angola, le Mozambique, l’Afrique du Sud, Cuba, le Venezuela, l’URSS, le Pays basque, la Palestine, le Kurdistan, le Vietnam, et encore une très longue liste de pays qui ont obtenu – ou pas encore – leur « indépendance » au cours des 80 dernières années).

Contrairement à ce que proclame la gauche (radicale) du capital, ce sont les traîtres, les déserteurs et les actions contre la guerre que nous devons soutenir, aussi peu nombreux, ou aussi nombreux qu’ils puissent être. Chaque individu, chaque groupe qui se rebelle et lutte contre la domination du capital est une expression de la tendance à la négation du capitalisme. Comme l’absentéisme, l’oisiveté, la flânerie, etc. dans le travail salarié. Ceux qui font cela ne sont pas pour autant pour le communisme/l’anarchisme, mais font quand même ce qu’il faut. Il est important d’élargir ces luttes et de faire prendre conscience de cette pratique. Des anarchistes comme Malatesta allaient dans les casernes de l’armée pour faire de l’agitation parmi les soldats, pour poser précisément ces questions. Malatesta a bien sûr été immédiatement expulsé.

Que ce soit des habitants de Gaza qui manifestent dans les rues en scandant des slogans contre le Hamas et Israël, ou des habitants d’Israël qui manifestent dans les rues en scandant des slogans contre Israël, les ayatollahs et le Hamas, ou encore des habitants d’Ukraine qui interviennent contre l’enrôlement forcé dans la rue (qui s’apparente en réalité à des enlèvements), ou des sabotages contre des centres de recrutement en Russie, sans parler des révoltes et des affrontements qui ont régulièrement eu lieu en Iran au cours des dernières décennies, nous ne devons pas oublier le courage dont font preuve toutes ces personnes ; en tant que parias, elles sont plus détestées que l’ennemi, car elles sont le véritable ennemi. Si, en tant qu’anarchistes, nous luttons vraiment et réellement contre tous les États-nations, ALORS NOUS SOMMES TOUJOURS ceux qui commettent des TRAHISONS. Car nous luttons pour la vie et non pour la mort comme le font le capitalisme et l’État.

Car les déserteurs pendant la guerre ont décidé qu’il n’était pas correct de devoir choisir sous les ordres de qui ils voulaient être massacrés, qu’il n’était pas correct de devoir choisir sous les ordres de qui ils voulaient être exploités, peu importe au nom de quelle religion, de quelle forme de gouvernement du capital, peu importe dans quelle langue.

Que ce soit à Gaza, en Cisjordanie, en Israël, en Irak, en Turquie, au Liban, en Iran, etc., de nombreuses manifestations ont eu lieu ces dernières décennies (pas toutes avec la même intensité bien sûr) contre la classe dirigeante qui gouverne ces pays. Rappelons que la première Intifada était aussi dirigée contre la classe dirigeante palestinienne (OLP), que les pratiques insurrectionnelles sont très répandues parmi les prolétaires dans presque tous les pays cités.

Nous ne le répéterons jamais assez, la résistance que les prolétaires opposent en Iran, en Palestine, en Israël, en Ukraine, en Russie, etc. n’est pas seulement inspirante, elle doit être défendue partout.

Le problème, comme toujours, c’est que ces luttes ne s’unissent pas et ne mènent pas à une révolution sociale mondiale, seule manière d’abattre le capitalisme à l’échelle mondiale (plus jamais de socialisme dans un seul pays !).

Nous avons lu que « le communisme a toujours été le mouvement de ceux qui ne sont rien et qui doivent être tout, des aliénés qui ne peuvent se libérer qu’en libérant toute la société » ; si cela est vrai, cela doit également être l’expression de nos groupes révolutionnaires, cercles, initiatives, etc., qui agissent et combattent en tant que « mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses ».

Ni la gauche anti-impérialiste ni la gauche (radicale) antideutsch du capital ne peuvent et ne pourront – surtout dans le cas de la Palestine/Israël, mais pas seulement – avoir une réponse révolutionnaire ni une position sur les conflits du capital ; entre autres parce que, premièrement, elles ne veulent pas détruire le capitalisme, les États-nations, et parce que leur objectif explicite est de répondre/conjuguer la question sous la forme dominante (consolidation, formation d’États-nations ; gestion de l’accumulation et de la plus-value, pas son abolition), parce que leur réponse ne peut être que nationaliste et étatiste, soit l’État d’Israël, soit l’État de Palestine ; ce qui signifie en fin de compte que la seule solution pour eux est le capitalisme et ses formes de gestion (de la misère). À cet égard, nous trouvons deux fractions différentes du capital qui se font concurrence, ce qui les place sur un pied d’égalité en termes de contenu pleinement nationaliste et étatiste, bien que ce ne soit pas le même État-nation que chacune de ces fractions soutiennent.

La gauche (radicale) du capital (c’est-à-dire tous ceux qui ne détruisent pas l’État-nation et le capital, mais qui les gèrent différemment – parfois même sans prononcer les termes d’État ou de nation) n’a pas conscience qu’il existe au sein de la société des contradictions et des conflits antagonistes qui, indépendamment de toute autre influence, engendrent des tendances révolutionnaires qui luttent contre l’État-nation et le capital ; cela dépasse manifestement l’imagination, la compréhension des rapports sociaux imposés par le capital de cette même gauche (radicale) du capital. Quel est le projet défendu ici ? Créer de nouveaux États pour les abolir ensuite ? Cela ressemble à un renforcement de l’État pour ensuite l’abolir. N’avons-nous pas déjà entendu cela de la bouche d’un cadavre momifié qui végète encore dans son mausolée ?

La gauche (radicale) du capital est la garde prétorienne de l’État, mais aussi de sa très efficace idéologie appelée nationalisme. Là où la société de classe est supposée ne plus exister, il n’y a plus que des peuples opprimés, des intérêts unifiés, de bonnes petites nations (opprimées) et de bons petits peuples (tout autant opprimés) contre de méchants grands peuples (impérialistes) et de grandes nations (oppressives). La lutte pour la survie de ces petits États-nations, qui ne luttent que pour une place parmi les puissances économiques dominantes, est alors appelée (sans vergogne) « internationalisme ». La gauche (radicale) du capital ne peut que se tourner vers le nationalisme, car son projet est celui de l’État-nation (Algérie, Angola, Mozambique, Afrique du Sud, Cuba, Venezuela, URSS, Pays basque, Palestine, Kurdistan, Vietnam…). Si l’URSS s’est effondrée depuis longtemps dans la lutte concurrentielle capitaliste, ses slogans et ses idéologies ne sont pas morts. Dans la problématique formulée ici, toutes les tendances de la gauche (radicale) du capital (des groupes staliniens aux groupes anarchistes – sic !) se donnent effectivement la main.

La position chauvine et raciste qui consiste à légitimer et à justifier le pays sur la base d’un « nous étions ici avant » est tout aussi idiote et réactionnaire. Est-ce que cela relativise les expulsions de millions de prolétaires des lieux où ils sont nés ? Non, car cela se passe aussi tous les jours sous forme de licenciements, sous forme d’expulsions de logements, mais cela ne semble intéresser personne, alors que cela se passe aussi tous les jours, dans le monde entier et surtout pour une seule classe, le prolétariat.

« Aucun peuple n’a reçu sa place sur la terre en fonction de droits de propriété légitimes d’une instance supraterrestre, mais chaque peuple a pris sa place par la force à un moment ou à un autre de l’histoire ; non seulement pour des raisons pratiques – parce qu’il n’existe pas d’instance supraterrestre de répartition équitable –, mais bien plus encore parce qu’il ne peut y avoir, au sens emphatique, de droit exclusif pour les Allemands, les Français, les Israéliens de posséder exclusivement un quelconque coin de terre, et parce qu’il est injuste que des personnes ne puissent pas vivre sur un quelconque coin de terre simplement parce qu’elles sont turques, vietnamiennes, juives ou palestiniennes. Le droit à l’autonomie nationale et à la souveraineté de l’État n’est qu’un autre nom pour l’injustice qui consiste à harceler, à expulser, à déporter des gens sous prétexte qu’ils n’ont pas le bon passeport ou le bon acte de naissance, et cette injustice n’est pas une falsification de l’idée d’État-nation, mais son essence même, certes parfois tempérée par la tolérance de gens lucides. »
Wolfgang Pohrt, Linksradikalismus und nationaler Befreiungskampf [Radicalisme de gauche et lutte de libération nationale] (1982)4

Certains pourraient rétorquer que ce qui est mis en avant ici, c’est le noyau expansionniste, colonial et impérialiste de l’État israélien, car Israël n’a cessé de grandir depuis sa création, en expulsant des dizaines de milliers de prolétaires. Mais ce qui se manifeste ici, c’est en réalité deux choses : l’État (en l’occurrence Israël) s’agrandit parce qu’il le peut – ce que tous les autres pays (dans les deux sens du terme – en tant qu’État et Nation) veulent également – et une question absolument fondamentale se pose à nouveau ici : comment tous les États du monde ont-ils été créés ? Est-ce que cela s’est passé différemment ? Pourquoi l’Arménie et l’Azerbaïdjan se battent-ils à nouveau ? Si l’une des raisons de l’invasion de l’Ukraine par la Russie est répétée chaque jour, c’est que depuis la chute de l’URSS (qui a entraîné la perte d’énormes territoires, populations, ressources, etc.), la Russie veut retrouver son ancienne « grandeur ». Les médias, en tant que vecteur de la pensée dominante, veulent ainsi nous faire avaler le récit selon lequel la Russie serait très méchante, tout comme la gauche (radicale) du capital qui passe à côté de la réalité. Tous les États du monde sont en concurrence les uns avec les autres et sont donc automatiquement impérialistes. Réduire cela à quelques-uns montre que l’on ne comprend pas l’être (au sens ontologique) de l’État et du capitalisme et que, par conséquent, aucune réponse qui ne soit ni réformiste ni contre-révolutionnaire ne peut être exprimée.

« Or il n’y a pas de nation « plus impérialiste » parce qu’il est dans l’essence de chaque nationalisme de rêver de se transformer en empire. L’impérialisme n’est jamais une question de pays. Toute nation est impérialiste par définition. Les gauchistes profitent d’une situation où l’un des concurrents capitalistes est en mauvaise posture pour faire tomber les imbéciles dans le panneau de la guerre contre la nation « la plus agressive ». Les fractions gauchistes constituent ainsi le parfait complément des nationalismes « de droite » ; le piège se referme et les travailleurs sont envoyés au massacre. »
[GCI-ICG] Théorie de la décadence, décadence de la théorie. Le pire produit de l’impérialisme : l’anti-impérialisme

Une chose doit également être claire : la guerre actuelle n’a commencé ni le 7 octobre 2023, ni avec la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza en 20075, et si l’on veut remonter plus loin dans le temps, avec la chute de l’Empire ottoman lorsque ce territoire est devenu un territoire sous mandat britannique. Ceux qui croient qu’« avant c’était mieux », ce qui est faux d’une manière ou d’une autre, se servent de la logique et de la cohérence des idéologies dominantes que nous appelons, comme chacun sait, le nationalisme. Depuis la chute de ces vestiges d’empires anciens qui rivalisaient pour se faire une place sous le soleil du capital, cette concurrence qu’ils ont perdue sans broncher, et alors que plus rien ne s’opposait à l’expansion capitaliste, ces pays nouvellement créés se sont développés en marge, mais jamais en dehors du capitalisme et de ses impératifs. La construction de l’État moderne (qui est toujours national) est l’union artificielle d’une société divisée en classes. Cela vaut partout, et ni la Palestine ni Israël ne font exception.

Une fois de plus, il est important de dire que nous ne luttons pas pour la paix ; dans l’histoire de l’humanité, il n’y a jamais eu de groupe, d’organisation, de parti, d’organisation criminelle ou autre qui n’ait pas pris la paix comme étendard. Mais comme le disait déjà l’anarchiste Galleani, il y a plus de cent ans : « nous n’avons jamais su ce qu’était la paix ». La paix ne peut exister que dans une communauté humaine qui a aboli l’État-nation et le capitalisme.

« Si nous ne mettons pas le feu aux usines et aux prisons aujourd’hui, ils nous y enfermeront à nouveau demain. »
Blouson noir

Nous avons à la fois traduit et publié nous-mêmes des textes qui traitent précisément de cette question. Sans avoir recours aux postulats orwelliens, ce que nous faisons néanmoins, il faut sans cesse répéter, sans se lasser, que dans le capitalisme la définition d’Orwell reste d’actualité : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force (…) ». La paix n’est qu’un nouveau cessez-le-feu, mais jamais la fin de la guerre. N’importe laquelle, n’importe où…

C’est à la fois si facile et si difficile pour beaucoup d’en parler ouvertement, justement parce qu’il y a toujours dans l’air la possibilité de se ridiculiser en disant quelque chose de faux. Mais qu’y a-t-il de mal à s’attaquer à l’un des moteurs du capitalisme ? Qu’y a-t-il de mal à lutter contre le capitalisme et ses appareils administratifs (États-nations, partis, monopole de la violence, Droit, démocratie-fascisme, argent, marchandise, valeur, nationalisme, etc.), qui sont à l’origine du massacre quotidien de milliers de prolétaires dans le monde ? Les guerres ne sont pas des anomalies du capitalisme, mais une composante élémentaire de celui-ci. Et pourtant, on en parle de tous côtés et on prétend qu’il s’agit en réalité de la paix. Des régions et des villes entières sont rasées partout dans le monde pour pouvoir vivre en paix. Ce n’est ni paradoxal ni absurde, c’est juste la logique de la paix (sociale) du capitalisme qui est scellée par des montagnes de cadavres. Sans parler du fait que pendant les périodes de paix (sociale), la violence continue d’exister. Partout et sous toutes ses formes. L’essence du capital ne comprend que le plomb et le sang, la mort et le désespoir. La paix (sociale) de quelques-uns est la guerre quotidienne pour le prolétariat.

On nous martèle constamment – par les idéologies dominantes (démocratie, nationalisme, religion, gauche (radicale) et droite (radicale) du capital), par les institutions dominantes (école, famille, esclavage salarié, service militaire, église, gauche et droite du capital) – que les intérêts de notre classe dirigeante et exploitante coïncident avec les nôtres. Que les intérêts du gouvernement, des patrons seraient les mêmes que les nôtres. Travaille plus et pour moins, réponds à l’appel des drapeaux – sinon, tu peux mourir de faim dans le premier cas et on viendra te chercher dans le second – et meurs dans les deux cas. Aucun État ne protège sa population, ne sert et ne satisfait les intérêts et les besoins des êtres humains qui y vivent ; bien au contraire, la réalité est complètement inversée, car tous, essentiellement le prolétariat, servent les intérêts de l’État (en tant que gestionnaire de l’esclavage salarié) comme force de travail et comme chair à canon en temps de guerre. Personne ne doit se faire de faux espoirs : même si nous ne voulons pas aller à la guerre, l’État viendra nous chercher.

Depuis plus de 150 ans, les anarchistes affirment que l’État doit être détruit, mais la plupart d’entre eux ont encore du mal à expliquer ce qu’est réellement l’État, n’ayant tiré aucune leçon de la Première Guerre mondiale (parlementarisme, social-démocratie, socialisme), ni de la Révolution russe (avant-garde, pas de positions claires, territorialisme), ni de la révolution de 1936 (alliances avec des forces réactionnaires, frontisme/campisme, antifascisme). Depuis toujours, malgré la constitution matérielle de la négation de l’État, les anarchistes ont toujours opté pour le « moindre mal ».

Même si la progression rapide de certains cercles « anarchistes » vers un salmigondis de stalinisme, d’anti-impérialisme et de nationalisme (c’est-à-dire la gauche (radicale) du capital) ne peut être ignorée, qu’ils préfèrent parler de peuple plutôt que de classe, de nations opprimées plutôt que d’abolition des nations, qu’ils préfèrent agiter des drapeaux nationaux (l’éternel appel aux drapeaux) plutôt que de les allumer et de faire des danses de joie autour du feu, etc. et qu’ils rendent ainsi certains nerveux dans « leurs propres » rangs, ce n’est pas notre cas !

Nous sommes même très reconnaissants que ces groupes réactionnaires montrent enfin leur vrai visage, mais il y a quand même beaucoup de compagnons et de compagnes qui sont très dépassés par la situation actuelle. Ils ont du mal à qualifier les guerres de conflits entre fractions/puissances capitalistes et considèrent le génocide contre la population de Gaza comme un point central, notamment parce que la guerre à Gaza serait asymétrique. Même aux échecs, la partie n’est pas symétrique, pas plus que les guerres ne l’ont jamais été, elles sont menées soit à partir d’une position (militaire) de supériorité, soit comme un acte de désespoir, mais pour toujours (essayer) d’avoir le dessus à la fin. Tout le reste signifierait que les guerres pourraient être « justes » si la situation de départ était équilibrée, ce qui est évidemment absurde.

On insiste sur le fait que les Palestiniens sont assassinés, mais ceux qui se font massacrer tous les jours ne sont rien d’autre que des prolétaires ; la classe dirigeante, la bourgeoisie, tous ceux qui l’ont pu, ont fui Gaza il y a longtemps ; qui est donc vraiment prisonnier là-bas ? Les Palestiniens ou le prolétariat ?

Il en va de même lorsque l’on tire sur des êtres humains à Ceuta ou Melilla, ou sur des bateaux en Méditerranée, dans le Sahara, à toutes les frontières possibles, dans les ghettos et dans mille autres endroits pour lesquels on ne s’intéresse pas davantage. On dit sans cesse que les gens ne s’intéressent plus à la mort des Palestiniens, mais ce qui n’intéresse vraiment personne dans le monde, c’est l’assassinat quotidien d’innombrables prolétaires.

La gauche (radicale) du capital n’est capable de tout voir qu’à travers le prisme des identités ; donc pour elle, le fait que des gens soient tués ou qu’ils meurent de faim ne dépend que de leur identité religieuse et nationale (que personne ne choisit, qui ont été créées par les idéologies dominantes et peuvent donc être abolies) et non en raison des conditions capitalistes où la majorité de l’humanité survit dans la misère.

L’analogie d’une prison à ciel ouvert, en référence à Gaza, peut être vraie, mais on peut voir ici aussi que les pensées ne sont pas menées à leur terme. Qui est majoritairement en prison ? Les innocents ou les prolétaires ? Sans compter que la société capitaliste est en soi une prison à ciel ouvert, avec tous ses instruments de discipline, de contrôle, de répression, de surveillance et d’aliénation.

Enfin, il ne s’agit pas d’un appel, mais d’un rappel, à savoir que partout dans le monde, il y a toujours eu, et il y a toujours, des personnes qui résistent à leur situation misérable. Il est donc inquiétant de voir que, bien que cette résistance soit réelle et effective, certains préfèrent se rallier au récit dominant, qu’ils font passer pour émancipateur et libérateur, plutôt que de soutenir ceux qui se font massacrer, à savoir le prolétariat. La guerre sociale et de classe ne se déroule pas entre des pays, mais entre les classes, jusqu’à ce que nous ayons enfin aboli cette situation. La ligne de démarcation, c’est-à-dire la confrontation et le conflit théoriques et pratiques, ne se situe pas entre ceux qui veulent le fascisme ou la démocratie, la question n’est pas Palestine ou Israël, ni entre la gauche (radicale) et la droite (radicale) du capital, la ligne de démarcation / la confrontation / le conflit se situe entre ceux qui veulent abolir l’État-nation et le capitalisme et ceux qui les maintiennent. En d’autres termes, entre la révolution sociale et la contre-révolution, entre une communauté libre [Gemeinwesen] par et pour tous les êtres humains et toutes les espèces de cette planète, et l’asservissement de tous les êtres humains par l’esclavage salarié et la destruction de toutes les espèces de cette planète. En d’autres termes, il s’agit de définir, en théorie et en pratique, ce qui distingue la révolution sociale de la contre-révolution, de distinguer « ce qui apparaît » de « ce qui est ». Il n’y a que deux côtés à la barricade de la guerre sociale qui ouvre la voie.

« Le plus haut effort d’héroïsme dont la vieille société soit encore capable est une guerre nationale ; et il est maintenant prouvé qu’elle est une pure mystification des gouvernements, destinée à retarder la lutte des classes, et on se débarrasse de cette mystification, aussitôt que cette lutte de classes éclate en guerre civile. La domination de classe ne peut plus se cacher sous un uniforme national, les gouvernements nationaux ne font qu’un contre le prolétariat ! »
Karl Marx, La guerre civile en France

Pour une société sans classes dans le monde entier !

Pour la destruction de tous les États-nations et du capitalisme !

Le communisme ne peut être qu’anarchiste !

L’anarchisme (en tant que courant du prolétariat) ne peut être qu’insurrectionnel !

Contre toutes les avant-gardes [autoproclamées], contre tous les partis [politiques], contre tous les syndicats !

Vive la trahison de la patrie !

Parias de tous les pays, unissons-nous, nous avons un monde à gagner, nous le construirons sur les cendres de l’ancien !

Traduction française : Les Amis de la Guerre de Classe / Die Freunde des Klassenkriegs

/ GdC / Les quelques mots entre crochets ont été ajoutés par nous à la version originale.

1 Il y a cependant très peu de pays qui n’ont pas d’armée permanente, comme Andorre, Samoa et quelques autres.

2 Dans les guerres, il n’y a pas un camp qui attaque et un autre qui se défend, mais deux fractions dominantes qui ne souhaitent que leur destruction mutuelle. « Du point de vue des intérêts de la classe ouvrière, il n’y a pas de guerres ‘justes’ ou ‘défensives’. De telles distinctions sont un leurre qui masque le conflit entre les capitaux nationaux et les blocs impérialistes pour le contrôle des marchés de capitaux et des matières premières, des zones d’influence et de la main-d’œuvre bon marché. Chaque camp impliqué dans une guerre présente son rôle comme ‘défensif’ et ‘juste’. Une victoire de l’État le plus faible le rend plus fort et le cercle vicieux recommence, comme l’histoire l’a montré. La défaite d’un pouvoir étatique plus fort implique nécessairement le renforcement de l’État-nation adverse et la mobilisation de la population autour de lui. Toute résistance de classe doit être écrasée pour imposer la paix sociale et l’unité nationale. »

3 Il va de soi qu’il ne s’agit pas ici de groupes/avant-gardes/partis léninistes.

4 Nous avons trouvé cette déclaration de Wolfgang Pohrt très pertinente sur ce sujet, sinon nous n’avons pas particulièrement d’atomes crochus avec lui.

5 Avant cela, c’était l’OLP qui régnait. Le Hamas n’a pas seulement repris toutes les institutions dominantes, il a aussi géré les rapports capitalistes, tout comme l’OLP avant lui. Ou bien n’y a-t-il pas, comme partout ailleurs, du travail salarié, des rapports de propriété (y compris des moyens de production), du droit bourgeois, etc. Même s’il n’y a pas d’industrie lourde dans la bande de Gaza, sauf peut-être pour la construction de tunnels et de missiles, il ne faut pas oublier une chose : dans le capitalisme, on ne produit pas des marchandises parce qu’elles ont une utilité sociale ou qu’elles sont utiles – c’est toujours secondaire –, mais parce qu’elles génèrent des profits, et cela se passe comme partout ailleurs ; donc, même si beaucoup le nient, il existe là aussi une société de classes dans laquelle il y a des positions antagonistes.


mardi 26 août 2025

Herman Gorter-Reponse à Lénine extrait

 

III. Le parlementarisme

II reste encore à défendre la Gauche contre vous dans la question du Parlementarisme [1]. La ligne de gauche, aussi dans cette question, repose sur les mêmes raisons générales et théoriques que dans la question syndicale : isolement du prolétariat, puissance énorme de l’ennemi, nécessité pour la masse de s’élever à la hauteur de sa tâche de ne se fier, avant tout, qu’à elle-même, etc. Je n’ai pas besoin d’exposer à nouveau toutes ces raisons.

Mais il y en a ici encore quelques-unes de plus que dans la question syndicale.

Tout d’abord : les ouvriers, et, en général, les masses travailleuses d’Europe de l’ouest sont tout à fait sous la dépendance idéologique de la culture bourgeoise, des idées bourgeoises et, par conséquent, du système représentatif et du parlementarisme bourgeois, de la démocratie bourgeoise. A un degré beaucoup plus élevé que les ouvriers de l’Europe orientale.

Chez nous l’idéologie bourgeoise s’est emparée de toute la vie sociale, et, par conséquent, aussi politique, elle a pénétré plus profondément dans la tête et dans le cœur des ouvriers. C’est là-dedans qu’ils ont été élevés, qu’ils ont grandi, depuis des siècles déjà. Ils sont saturés des idées bourgeoises.

Le camarade Pannekoek décrit très proprement cette situation dans la revue "Communisme" de Vienne.

"L’expérience allemande nous place en face du grand problème de la révolution dans l’Europe de l’ouest. Dans ces pays le mode de production bourgeois et la culture séculaire hautement développée qui lui est liée, ont marqué profondément sur la manière de sentir et de penser des masses populaires. Par cela même leur caractère intime et spirituel est tout à fait autre que dans les pays orientaux qui n’ont jamais connu cette domination bourgeoise. Et c’est là que réside, avant tout, la différence du cours révolutionnaire dans l’est et dans l’ouest de l’Europe. En Angleterre, France. Hollande, Scandinavie, Italie, Allemagne, fleurissait, dès le moyen-âge, une forte bourgeoisie, sur la base d’une production petit-bourgeoise et capitaliste primitive. Et lorsque le féodalisme fut renversé il se développa également à la campagne une classe forte et indépendante de paysans, qui fut aussi la maîtresse de sa propre petite économie. Sur cette base s’est épanoui la vie spirituelle bourgeoise, en une solide culture nationale. Il en fut ainsi au premier chef dans tes états côtiers tels que l’Angleterre, la France, qlui marchèrent en tête du développement capitaliste. Par l’assujettissement de toute l’économie à sa direction, par le rattachement même des fermes les plus éloignées à la sphère de son économie mondiale, le capitalisme, au cours du XIX° siècle, a élevé le niveau de cette culture nationale, l’a raffinée, et par ses moyens spirituels de propagande - la presse, l’école et l’église - il a forgé sur ce modèle le cerveau populaire, qu’il s’agisse des masses prolétarisées qu’il a attirées à la ville ou de celles qu’il a laissées à la campagne.

"Ces considérations sont valables non seulement pour les pays d’origine du capitalisme mais aussi, toutefois sous une forme un peu différente, pour l’Australie et l’Amérique, où les européens ont fondé de nouveaux Etats, de même que pour les pays d’Europe centrale, tels que l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, où le nouveau développement capitaliste a pu se greffer sur l’ancienne économie retardataire et sur la culture petite-bourgeoise. Le capitalisme trouva, en pénétrant dans les pays de l’Europe de l’est, un tout autre matériel et de toutes autres traditions. En Russie, en Pologne, en Hongrie et dans les pays à l’est de l’Elbe, plus de classe bourgeoise forte pour dominer traditionnellement la vie spirituelle. La situation agraire, grande propriété foncière, féodalisme patriarcal, communisme du village, donnaient le ton à l’idéologie".

Dans ce passage, le camarade Pannekoek, mis en face du problème idéologique, a frappé au bon endroit. Beaucoup mieux que nous ne l’avons jamais fait de notre côté il a fait ressortir sur le terrain idéologique la différence entre l’Europe orientale et occidentale et il a donné, à ce point de vue, la clef d’une tactique révolutionnaire pour l’Europe de l’ouest.

Si l’on établit la liaison entre cela et la cause matérielle de la puissance ennemie, autrement dit avec le capital financier, alors toute la tactique devient claire.

Mais on peut dire davantage encore au sujet du problème idéologique. La liberté bourgeoise, la puissance du parlement ont été, en Europe de l’ouest une conquête des générations antérieures, des ancêtres, dans leur lutte libératrice, conquête utilisée par les possédants, mais réalisée par le peuple. Le souvenir de ces luttes est encore une tradition profondément enracinée dans le sang du peuple. Une révolution est, en effet, le souvenir le plus profond d’un peuple. La pensée qu’être représenté au parlement est une victoire, est inconsciemment comme une force immense, et tranquille. Cela est surtout le cas dans les plus vieux pays de bourgeoisie où ont eu lieu des luttes longues et répétées pour la liberté ; en Angleterre, en Hollande et en France. Et aussi, mais dans une moindre mesure, en Allemagne, en Belgique et dans les pays Scandinaves. Un habitant de l’est, ne peut probablement pas s’imaginer de quelle force peut être cette influence

En plus, les ouvriers ont lutté ici, souvent pendant beaucoup d’années, pour le suffrage universel, et ils l’ont acquis dans la lutte ; soit directement soit indirectement. Cette victoire eût, en son temps, ses résultats. La pensée et le sentiment sont généraux, suivant lesquels c’est réaliser un progrès et une victoire, que d’avoir des représentants dans le parlement bourgeois et de leur commettre ses propres intérêts. Il ne faut pas sous-estimer non plus la force de cette idéologie.

Et, enfin, la classe ouvrière de l’Europe de l’ouest est tombée, par le réformisme, sous la coupe des parlementaires, qui l’ont menée à la guerre, à l’alliance avec le capitalisme. Cette influence du réformisme aussi est colossale. Pour toutes ces causes l’ouvrier est devenu l’esclave du parlement, qu’il laisse agir seul. Lui-même n’agit plus [2].

Vient la révolution. Maintenant il doit faire tout par lui-même. L’ouvrier doit lutter seul avec sa classe contre le formidable ennemi, doit mener la lutte la plus terrible qui se soit jamais vue au monde. Aucune tactique des chefs ne peut l’aider. Toutes les classes forment une barrière abrupte devant lui, et aucune n’est avec lui. Au contraire, s’il fait confiance à ses chefs ou à d’autres classes au parlement, un grand danger le menace - qu’il ne retombe dans son ancienne faiblesse en laissant agir les chefs, qu’il ne s’en remette à son parlement, qu’il ne se confine dans la fiction selon laquelle d’autres peuvent faire la révolution pour lui, ne poursuive des illusions, qu’il ne reste enfermé dans l’idéologie bourgeoise.

Cette attitude des masses vis-à-vis des chefs est encore très bien décrite par le camarade Pannekoek :

"Le parlementarisme est la forme typique de la lutte par le moyen des chefs. où les masses elles-mêmes jouent un rôle secondaire. Sa pratique consiste dans le fait que des députés, des personnalités particulières, mènent la lutte essentielle. Ils doivent, par conséquent, éveiller dans les masses l’illusion que d’autres peuvent mener la lutte pour eux. Jadis on croyait que les chefs pourraient obtenir des réformes importantes pour les ouvriers par la voie parlementaire, ou même avait cours l’illusion que les parlementaires pourraient réaliser la révolution socialiste par des mesures législatives. Aujourd’hui que le parlementarisme a un air plus modeste, on met en avant l’argument que les députés peuvent faire une grande propagande pour le communisme au parlement. Mais toujours l’importance décisive est attribuée aux chefs. Naturellement, ce sont dans cette situation les gens du métier qui dirigent la politique - au besoin sous le déguisement démocratique des discussions et résolutions de congrès. L’histoire de la social-démocratie est, sous ce rapport, une leçon d’efforts inutiles pour que tes membres du parti en déterminent eux-mêmes la ligne politique. Là où le prolétariat lutte par la voie parlementaire, tout cela est inévitable, aussi longtemps que tes masses n’ont pas créé des organes pour leur propre action, c’est à dire là où la révolution est encore à venir. Mais aussitôt que les masses entrent en. scène par elles-mêmes, pour décider et agir, les méfaits du parlementarisme surchargent la balance.

Le problème de la tactique consiste à trouver les moyens d’extirper la mentalité traditionnelle bourgeoise dominante hors de la masse des prolétaires dont elle affaiblit les forces. Tout ce qui renforce à nouveau la conception traditionnelle est nuisible. Le côté le plus solide, le plus tenace de cette mentalité est, justement, leur dépendance vis-à-vis des dirigeants, auxquels ils abandonnent la solution de toutes les questions générales, la direction de leurs intérêts de classe. Le parlementarisme a la tendance inévitable de paralyser l’activité des masses nécessaire à la révolution. Qu’on prononce de beaux discours pour réveiller l’action révolutionnaire ! L’activité révolutionnaire ne prend pas sa source dans de telles phrases, mais seulement dans la nécessité dure et difficile, lorsqu’il n’y a pas d’autre issue.

La révolution exige encore quelque chose de plus que le combat des masses qui renverse un système gouvernemental, dont nous savons qu’il ne peut pas être provoqué mais ne peut avoir son origine que dans le besoin profond des masses. La révolution exige que le prolétariat prenne en main les grandes questions de la reconstruction sociale, les décisions les plus difficiles, qu’il entre tout entier dans le mouvement créateur. Et cela est impossible si d’abord l’avant-garde, puis des masses toujours plus larges ne prennent pas les choses en main, ne se considèrent pas comme responsables ; ne se mettent pas à chercher, à faire de la propagande, à lutter, à essayer, à penser, à peser, à oser et à exécuter jusqu’au bout. Mais tout cela est difficile et pénible ; tant que la classe ouvrière est portée à croire à la possibilité d’un chemin plus facile où des autres agissent à sa place - mènent l’agitation d’une tribune élevée, prennent des décisions, donnent le signal pour l’action, font des lois - elle hésitera et demeurera passive sous le poids de la vieille mentalité et des vieilles faiblesses."

Les ouvriers de l’Europe occidentale doivent - il faut répéter cela mille fois et, s’il est nécessaire, même cent mille, un million de fois (et celui qui n’a. pas compris et tiré cela des événements depuis novembre 1918 est un aveugle, même s’il s’agit de vous, camarade) les ouvriers de l’occident doivent agir avant tout par eux-mêmes, non seulement sur le terrain syndical, mais aussi sur le terrain politique. Puisqu’ils sont seuls et qu’aucune ruse tactique des chefs ne saurait les aider. C’est d’eux-mêmes que doit sortir la plus grande force d’impulsion. Ici, pour la première fois, à un degré plus élevé qu’en Russie, l’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre des ouvriers eux-mêmes. C’est pour cela que les camarades de la "gauche" ont raison lorsqu’ils disent aux camarades allemands : ne participez pas aux élections, boycottez le parlement. Politiquement il faut que vous fassiez tout vous-mêmes. Vous ne l’emporterez pas tant que vous n’aurez pas conscience de cette vérité et que vous n’agirez pas en conformité. Vous vaincrez seulement si vous agissez ainsi pendant deux, cinq, dix ans et si vous vous y efforcez homme par homme, groupe par groupe, de ville en ville, de province en province, enfin, dans tout le pays, comme Parti, comme Union, comme Conseils d’usine, comme Masse, comme Classe enfin. Par l’exemple et la lutte toujours renouvelés, à travers les défaites, il arrivera que vous formerez bloc dans votre grande majorité et, après avoir passé par cette école, vous pourrez former une masse grande et homogène.

Mais les camarades, les gauchistes du K.A.P.D auraient commis une lourde faute s’ils avaient préconisé cette ligne rien que par les mots, par la propagande. Dans cette question politique, la lutte et l’exemple ont encore plus d’importance que dans la question syndicale.

Les camarades du K.A.P.D étaient pleinement dans leur droit et obéissaient à une nécessité historique en se séparant tout de suite du Spartacusbund, en scissionnant avec lui ou plutôt avec sa centrale - quand celle-ci ne voulut plus supporter cette propagande. En effet, le prolétariat allemand et les ouvriers de l’Europe occidentale avaient besoin, avant tout, d’un exemple. Il fallait que parmi ce peuple d’esclaves politiques, que dans ce monde d’opprimés de l’Europe occidentale surgît un groupe qui fut un exemple de lutteurs libres, sans chefs, c’est à dire sans chefs de l’ancienne sorte. Sans députés au parlement.

Et cela toujours non parce que c’est beau ou bon ainsi, ou parce que c’est héroïque et merveilleux, mais parce que le peuple travailleur allemand et occidental est seul dans cette terrible lutte, il ne peut espérer aucun secours des autres classes ou de l’intelligence des chefs. Une seule chose peut le soutenir, la volonté et la décision des masses, homme par homme, femme par femme, ensemble.

A cette tactique, fondée sur des raisons si profondes, s’oppose la participation au parlement, qui ne peut que nuire à cette juste ligne ; et le dommage est infiniment plus grand que le petit avantage de la propagande (par le moyen de la tribune parlementaire). Et à cause de cela la gauche repousse le parlementarisme.

Vous dites que le camarade Liebknecht pourrait, s’il était vivant, faire un travail merveilleux au Reichstag. C’est ce que nous nions. Il ne pourrait manœuvrer politiquement là où les partis de la grande et petite bourgeoisie forment bloc contre nous. Et il ne gagnerait ainsi pas mieux les masses qu’en dehors du parlement. Au contraire, une très grande partie de la masse se satisferait de ses discours et sa présence au parlement serait ainsi nuisible [3].

Sans doute un tel travail de la "gauche" durera des années et les gens qui désirent, pour des raisons quelconques, des succès immédiats, de plus forts chiffres d’adhésions et de suffrages, de grands partis et une Internationale puissante (en apparence) devront attendre longtemps encore. Mais ceux qui comprennent que la victoire de la révolution en Allemagne et en Europe occidentale ne sera une réalité que si un très grand nombre, que si la masse des ouvriers commence à mettre sa confiance en soi-même, seront satisfaits de cette tactique.

Camarade, connaissez-vous tout l’individualisme bourgeois de l’Angleterre, sa liberté bourgeoise, sa démocratie parlementaire, tels qu’ils se sont développés pendant six ou sept siècles ? Tels qu’ils sont : infiniment différents de la situation en Russie ? Savez-vous, combien profondément ces idées sont enracinées dans chaque individu, y compris les prolétaires, en Angleterre et dans ses colonies ? Connaissez-vous cette structure unifiée en un immense ensemble ? Son importance générale, dans la vie sociale et personnelle ? Je crois qu’aucun russe, aucun est-européen ne les connaît. Si vous les connaissiez, vous admireriez ceux d’entre les ouvriers anglais qui osent se. dresser radicalement contre cet immense édifice, contre la plus grande construction politique du capitalisme dans le monde entier.

Pour arriver à cette attitude, si elle est pleinement consciente, il ne leur faut sans doute pas un sens révolutionnaire moins développé qu’à ceux qui ont rompu les premiers avec le tzarisme ? Cette rupture avec toute la démocratie anglaise signifie déjà la révolution anglaise en germe.

Car, cette action se fait avec la décision la plus ferme comme cela doit être le cas dans cette Angleterre forte d’un passé historique gigantesque et de puissantes traditions. Parce que le prolétariat anglais représente la plus grande force (il est proportionnellement le plus fort du monde), voilà qu’il se dresse tout à coup en face de la bourgeoisie la plus forte du monde, qu’il se dresse dans toute sa force et rejette soudain toute la démocratie anglaise, bien que, dans son pays, la révolution ne soit pas encore là.

Tout cela, son avant-garde, la gauche, l’a déjà accompli, tout comme l’avant-garde allemande, le K. A. P. D. Et pourquoi l’a-t-elle fait ? Parce qu’elle sait que la classe ouvrière est isolée, qu’aucune classe de toute l’Angleterre ne l’aide et que le prolétariat par lui-même avant tout., et non par ses chefs, doit lutter et vaincre avec son avant-garde [4].

Le prolétariat anglais montre, par l’exemple de son avant-garde, comment il veut lutter : seul contre toutes les classes de l’Angleterre et de ses colonies.

Et de nouveau, comme l’avant-garde allemande : en donnant un exemple. En créant un parti communiste qui repousse le parlement il crie à toute la classe ouvrière de l’Angleterre : "Rompez avec le parlement, le symbole de la puissance capitaliste. Formez votre propre parti et vos propres organisations d’usines. Ne vous appuyez que sur vous-mêmes."

Cela devait se produire enfin en Angleterre, cette fierté et cet orgueil ouvrier nés au sein du capitalisme le plus grand. Et maintenant que cette action a commencée elle se fait toute en bloc.

Ce fut une journée historique

,

camarade, lorsque au cours decette assemblée, au mois de juin fut fondé le premier parti communiste, et qu’il rompit avec toute la constitution et l’organisation de l’Etat en vigueur depuis sept siècles. J’aurais désiré que Marx et Engels y fussent. Je crois qu’ils auraient éprouvé un immense plaisir s’ils avaient pu voir ces ouvriers anglais rejeter l’Etat anglais, prototype de tous les Etats bourgeois du monde, centre et forteresse du capital mondial depuis des siècles déjà,dominateur d’un tiers de l’humanité s’ils avaient pu les voir rejeter cet Etat et son parlement.

Il y a d’autant plus de raison d’employer cette tactique en Angleterre, que le capitalisme anglais est prêt à soutenir le capitalisme dans tous les autres pays et n’hésitera certainement pas à faire venir de toutes les parties du monde des troupes de renfort contre n’importe quel prolétariat étranger et en particulier contre le sien. La lutte du prolétariat anglais est donc une lutte contre le capital mondial. Raison de plus pour que le communisme anglais donne l’exemple le plus haut et le plus clair, qu’il soutienne d’une façon exemplaire la cause du prolétariat, mondial par sa lutte et par son exemple [5].

Ainsi il devrait toujours exister un groupe qui tire toutes les conséquences de sa position dans la lutte. Les groupes de ce genre sont le sel de l’humanité.

Mais maintenant, après avoir défendu théoriquement l’antiparlementarisme, je dois envisager en détail votre défense du parlementarisme. Vous le défendez (pages 38 — 68 ; pour l’Angleterre et l’Allemagne. Mais votre argumentation s’applique seulement à la Russie (à la rigueur à quelques autres pays d’Europe de l’est) mais non pas à l’Europe occidentale. C’est sur ce point, comme je l’ai déjà dit, que vous faites erreur. A cause de cette conception fausse vous devenez d’un chef marxiste un chef opportuniste. A cause de cette conception, vous, chef marxiste radical pour la Russie et probablement quelques autres pays de l’Europe orientale, vous tombez dans l’opportunisme quand il s’agit de l’Europe occidentale. Et votre tactique pousserait tout l’ouest à sa perte, si elle était acceptée. C’est ce que je vais prouver en réfutant en détail votre argumentation.

Camarade, quand j’ai lu le développement de vos arguments, de la page 36 à la page 68, je fus poursuivi constamment par un souvenir.

Je pensais être de nouveau au congrès de l’ancien parti social-patriote hollandais et y écouter un discours de Troelstra. Quand il dépeignait aux ouvriers les grands avantages de la politique réformiste, quand il parlait des ouvriers qui n’étaient pas encore social-démocrates et que nous devions amener à nous par des compromis. Quand il parlait, des alliances que nous pouvions contracter (transitoirement, bien entendu) avec les partis de ces ouvriers, des "divisions" entre les partis bourgeois qu’il fallait utiliser. C’est à peu près ainsi, non, c’est identiquement ainsi, mot par mot, que vous nous parlez, camarade Lénine, à nous autres ouest-européens !!

J’ai dû très souvent prendre la parole pour l’opposition (pendant les années qui ont précédé 1909, date de notre exclusion),

Et je me rappelle, comme nous, les camarades marxistes étions assis tout au fond de la salle, un petit nombre, quatre ou cinq : Henriette Roland-Holst, Pannekoek et quelques autres encore. Troelstra s’exprima tout à fait comme vous - fut entraînant, persuasif. Et je me rappelle également comme au milieu du tonnerre des applaudissements, des brillantes phrases réformistes et des calomnies contre les marxistes, les ouvriers de la salle se retournèrent pour contempler ces "idiots" ces ânes et ces imbéciles enfantins, ainsi que nous qualifia Troelstra - et ainsi que vous faites, à peu de chose près. C’est ainsi que les choses se sont probablement passées au congrès de l’Internationale à Moscou, quand vous y avez parlé contre les marxistes "gauchistes" . Lui, Troelstra - tout comme vous, camarade - exposa ses pensées avec tant de persuasion, avec tant de logique dans sa méthode, que je pensais moi-même par moment qu’il avait raison.

Mais savez-vous ce que je pensais alors en l’écoutant, quand je commençais à douter de moi-même ? J’avais un moyen qui ne me trompait jamais. C’était un passage du programme du parti : Tu dois toujours agir et parler de manière à réveiller et à fortifier la conscience de classe des ouvriers. Je me demandais alors : Oui ou non, la conscience de classe des ouvriers est-elle fortifiée par ce que dit cet homme ? Et je comprenais tout de suite que ce n’était pas le cas, et que par conséquent j’avais raison.

J’ai éprouvé la même chose en lisant votre brochure. J’écoutais vos arguments opportunistes en faveur de l’alliance avec les partis non-communistes, du compromis avec les bourgeois J’étais entraîné. Tout paraissait si brillant, si clair et beau, et si logique dans votre méthode. Mais ensuite je me suis répété, comme jadis, une question que je me suis posée depuis quelques temps contre les opportunistes du communisme. C’est la suivante : ce que le camarade dit là, est-ce fait pour pousser la volonté des masses vers l’action, vers la révolution, la véritable, en Europe, occidentale, oui ou non ? Et ma tête et mon cœur ont dit en même temps non à votre brochure.

Alors j’ai su tout de suite, camarade Lénine, avec toute la certitude que peut avoir un homme, que vous avez tort.

Je pense recommander ce moyen aux camarades de la gauche. Camarades, dans les luttes difficiles contre les communistes opportunistes, luttes qui nous attendent dans tous les pays (ici en Hollande elles durent depuis trois années déjà) si vous voulez savoir si vous avez raison et pourquoi, posez-vous cette question .

Vous vous servez, dans votre lutte contre nous, camarade, de trois arguments seulement, qui toujours réapparaissent isolés ou mêlés les uns aux autres dans toute votre brochure.

Les voici :

Utilité de la propagande dans le parlement pour la conquête des ouvriers et des éléments petit-bourgeois. 

Utilité de l’action parlementaire pour l’exploitation des "divisions" entre les partis et pour le compromis avec tels ou tels d’entre eux. 

Exemple de la Russie, où cette propagande et ces compromis ont donné de si excellents résultats.

D’autres arguments, vous n’en avez pas. Je vais maintenant répondre à ceux-là, dans l’ordre. Prenons le premier argument, la propagande au parlement. Cet argument est de très peu de poids. Car les ouvriers non-communistes, c’est-à-dire les social-démocrates, les chrétiens et les partisans des autres tendances bourgeoises, n’apprennent ordinairement rien par leurs journaux de ce que peuvent être nos interventions parlementaires. Nous les touchons seulement par nos réunions, nos brochures et nos journaux.

Nous autres - je parle souvent au nom du K. A. P. D. - nous les influençons au contraire surtout par l’action (en temps de révolution - c’est de cela que nous parlons en ce moment). Dans toutes les villes et villages de quelque importance, ils nous voient à l’œuvre. Ils voient nos grèves, nos combats de rue, nos conseils. Ils entendent nos mots d’ordre. Ils nous voient marcher à l’avant-garde. Voilà la propagande la meilleure, décisive par excellence. Mais elle ne se fait pas au parlement.

Les ouvriers non communistes, les éléments petit-bourgeois et petit-paysans peuvent donc être aisément touchés, sans recourir à l’action parlementaire. Ici, je dois réfuter particulièrement un passage de la brochure sur la "Maladie Infantile", qui montre bien clairement jusqu’où l’opportunisme vous mène, camarade.

D’après vous, page 52, le fait que les ouvriers allemands passent en masse au parti Indépendant et non pas au parti communiste, est la conséquence de l’attitude négative des communistes vis-à-vis du parlement. Ainsi les masses ouvrières de Berlin, auraient été presque acquises à la révolution par la mort de nos camarades Liebknecht et Rosa Luxembourg, et par les grèves conscientes et les combats de rue des communistes. Il ne manquait plus qu’un discours du camarade Lévy au parlement ! S’il avait seulement prononcé ce discours, les ouvriers seraient passés de notre côté et non pas dans le camp équivoque des indépendants !! Non, camarade, cela n’est pas vrai, ils sont allés d’abord vers l’équivoque parce qu’ils craignaient encore la révolution, celle qui n’admet pas d’équivoque. Le passage de l’esclavage à la liberté procède avec hésitation.

Soyez prudent, camarade. Voyez où l’opportunisme vous mène déjà.

Votre premier argument est sans portée.

Et si nous considérons que la participation au parlement (pendant la révolution en Allemagne, en Angleterre et dans toute l’Europe occidentale) renforce chez les ouvriers l’idée que les chefs s’en tireront bien, et affaiblit l’idée qu’ils doivent tout faire eux-mêmes, nous voyons que cet argument, non seulement ne signifie rien de bon, mais est, au contraire, très nuisible.

Passons au second argument : l’utilité de l’action parlementaire (en période révolutionnaire) pour profiter des divisions entre les partis et passer des compromis avec tels ou tels d’entre eux.

Pour réfuter cet argument (en particulier par rapport à l’Angleterre et à l’Allemagne, mais aussi en général pour toute l’Europe de l’ouest), je dois entrer un peu plus dans le détail que pour le premier. Une telle chose m’est difficile vis-à-vis de vous, camarade Lénine ; il le faut pourtant. Toute cette question de l’opportunisme révolutionnaire (car il ne s’agit plus ici de l’opportunisme dans le réformisme mais dans la révolution) est bien pour nous, en Europe occidentale, une question de vie ou de mort. En elle-même, la réfutation est facile. Nous avons déjà cent fois répété cet argument, lorsque Troelstra, Henderson, Bernstein, Legien, Renaudel, Vandervelde, etc..., en un mot, tous les social-patriotes s’en servaient. Déjà Kautsky, quand il était encore Kautsky, l’a réfuté. C’était l’argument capital des réformistes. Et jamais nous n’aurions pensé avoir à le combattre chez vous. Pourtant nous devons le faire. Soit !

L’avantage conféré par l’utilisation parlementaire des "divisions" est insignifiant, pour autant que sont insignifiantes, depuis des années et des dizaines d’années, ces mêmes "divisions". Il n’y a plus que des divisions insignifiantes entre les partis de la grande bourgeoisie, non plus qu’entre eux et les partis de la petite bourgeoise. Il en est ainsi en Allemagne et en Angleterre. Cela ne date pas de la révolution. Il en était déjà ainsi longtemps auparavant, à l’époque du développement lent. Tous les partis, y compris ceux de la petite-bourgeoisie et de la petite paysannerie se dressent. depuis longtemps contre les ouvriers.

Entre eux-mêmes les différends sur la manière d’en user avec les ouvriers (et à cause de cela sur les autres questions) sont devenus minimes, ont même souvent disparu.

Cela est indéniable, en théorie et en pratique. Il en est ainsi en Europe occidentale, Allemagne et Angleterre.

La théorie nous apprend que le capital s’est concentré dans les banques, dans les trusts et monopoles, d’une façon formidable.

En effet, en Occident et particulièrement en Angleterre et en Allemagne, ces banques, trusts et cartels ont intégré presque tout le capital des diverses branches de l’industrie, du commerce, des transports, et même aussi en grande partie de l’agriculture. A cause de cela, toute l’industrie, petite ou grande, tout le transport, petit ou grand, tout le commerce, petit ou grand, et la majeure partie de l’agriculture - de la grande et de la petite - sont devenus tout à fait dépendants du grand capital. Ils s’incorporent à lui.

Le camarade Lénine dit que le petit commerce, le petit transport, la petite industrie et l’agriculture sont vacillants entre le capital et les ouvriers. Cela est faux. C’était le cas en Russie, et, jadis, aussi chez nous. En Europe occidentale, en Allemagne et en Angleterre, ils dépendent maintenant si complètement du grand capital qu’ils ne vacillent plus. Le petit boutiquier, le petit industriel, le petit négociant sont tout à fait soumis à la puissance des trusts, des monopoles, des banques. Ceux-ci leur fournissent des marchandises et du crédit. Même le petit paysan dépend par sa coopérative et par les hypothèques, des trusts, des monopoles et des banques.

Camarade, cette partie de ma démonstration de la ligne de gauche est la plus importante, c’est d’elle que dépend toute la tactique pour l’Europe et l’Amérique.

Camarade, de quelles parties se composent ces couches inférieures qui se trouvent à proximité du prolétariat ? De boutiquiers, d’artisans, d’employés subalternes et de petits paysans.

Examinons-les donc en Europe occidentale. Venez avec ; moi, camarade, non seulement dans un grand magasin - ici la dépendance vis-à-vis du grand capital est évidente - mais dans une modeste boutique de l’Europe de l’ouest, au milieu d’un quartier de prolétaires pauvres. Regardez autour de vous. Que voyez-vous ? Toutes ou presque toutes ces marchandises, habits, aliments, outils, combustibles, etc., non seulement sont des produits de la grande industrie, mais très souvent sont distribués par des trusts. Et il n’en est pas seulement ainsi dans les villes, mais aussi à la campagne. Les petits commerçants sont, en majorité déjà, des dépositaires du grand capital. En l’espèce, du capital financier, car c’est lui qui domine les grandes fabriques, les trusts.

Regardez dans l’atelier d’un petit artisan, dans une ville ou à la campagne, peu importe. Ses matières premières, les métaux, le cuir, le bois, etc., viennent du grand capital, souvent déjà des monopoles, autrement dit par conséquent des banques. Et là où les fournisseurs de ces marchandises sont encore des petits capitalistes, ils dépendent quand même du capital financier.

Que sont les employés subalternes ? En Europe occidentale, ils sont en grande majorité les serviteurs du grand capital ou de l’Etat et des municipalités qui dépendant eux-mêmes du grand capital, donc, en fin de compte déjà aussi des banques. Le pourcentage d’employés de la couche la plus voisine du prolétariat qui est placé directement sous la dépendance du grand capital est très grand pour l’ensemble de l’Europe de l’ouest, énorme en Allemagne et en Angleterre, ainsi qu’aux Etats-Unis et dans les colonies anglaises.

Les intérêts de ces couches sont donc liés aux intérêts du grand capital, et par suite, des banques.

J’ai déjà parlé des paysans pauvres et nous avons vu qu’il ne sont pas pour le moment susceptibles d’être conquis par le communisme, cela en raison des arguments que j’ai déjà donnés et aussi du fait qu’ils sont, par leur outillage, leurs ventes et leurs hypothèques, sous la dépendance du grand capital.

Que s’en suit-il, camarade ? Que la société et l’Etat moderne ouest-européens (et américains) forment un grand tout structural jusque dans ses branches et ses rameaux les plus éloignés, et qui est dominé, mis en mouvement et réglé entièrement par le capital financier ; que la société est ici un corps organisé, organisé suivant le mode capitaliste, mais organisé quand même ; que le capital financier est le sang de ce corps, qui coule dans tous les membres et les nourrit ; que ce corps est une unité organique et que toutes ses parties doivent à cette unité leur extrême vitalité, de sorte. que toutes lui restent attachées jusqu’à la mort réelle. Toutes excepté le prolétariat qui, lui, crée le sang, la plus-value.

A cause de cette dépendance de toutes les classes par rapport au capital financier et de la puissance formidable dont il dispose, toutes les classes sont hostiles à la révolution, et le prolétariat est seul.

Et comme le capital financier est la puissance la plus souple et la plus adaptable du monde, et sait centupler encore son influence par le crédit, il maintient en faisceau la classe, la société et l’Etat capitalistes, même encore après cette terrible guerre, après la perte de milliers de milliards, et dans une situation qui nous apparaît déjà comme sa banqueroute.

Au contraire, il n’en rassemble que plus étroitement toutes les classes autour de lui ; prolétariat excepté, et organise leur lutte commune contre le prolétariat. Cette puissance, cette souplesse, ce soutien mutuel de toutes les classes, sont capables de subsister longtemps encore lorsque la révolution aura éclaté.

Certainement, le capital est terriblement affaibli. La crise vient et, avec elle, la révolution. Et je crois que la révolution sera victorieuse. Mais il existe deux causes qui maintiennent encore la solidité du capitalisme : ce sont l’esclavage spirituel des masses et le capital financier.

Notre tactique doit donc prendre pour base l’importance décisive de ces deux facteurs.

Il existe encore une cause pour laquelle le capital financier organisé réalise l’union de toutes les classes de la société en face de la révolution. C’est le grand nombre de prolétaires. Toutes les classes pensent que si elles pouvaient tirer des ouvriers (qui, en Allemagne, sont plus de vingt millions) des journées de dix, douze et quatorze heures dé travail, il serait encore possible de sortir de la crise. Sur ce terrain aussi elles forment un front unique.

Telle est la situation économique de l’Europe occidentale.

En Russie, le capital financier n’atteignait pas ce degré de puissance et, à cause de cela les classes bourgeoises et petites-bourgeoises n’étaient pas solidaires. Il existait des divisions entre elles. C’est pourquoi, là-bas, le prolétariat n’était pas seul.

Dans ces causes économiques réside la base des faits politiques. C’est ainsi qu’en Europe de l’ouest les classes inférieures dont nous avons parlé, votent en esclaves soumis pour leurs maîtres, les partis de la grande-bourgeoisie, et adhèrent à ces partis. Les petits gens n’ont, pour ainsi dire, pas de partis à eux en Allemagne ni en Angleterre, ni en général dans l’Europe occidentale.

Les choses étaient déjà très fortement avancées dans ce sens, avant la révolution et avant la guerre. Mais la guerre a accentué cette tendance dans une mesure formidable. Par le chauvinisme et l’union sacrée. Mais surtout par la gigantesque trustification de toutes les forces économiques. Et la révolution est venue par là-dessus, imprimer à ce développement une extrême intensité : resserrement de tous les partis grands-bourgeois et rattachement à leur politique de tous les éléments petit-bourgeois et petit-paysans. (La révolution russe n’a pas éclaté pour rien. On sait maintenant partout à quoi il faut s’attendre).

En résumé, grand-bourgeois, agrariens, classe moyenne, paysannerie moyenne, couches inférieures de la bourgeoisie et de la paysannerie, tout cela forme bloc contre les ouvriers en Europe occidentale, et surtout en Allemagne et Angleterre. Par la vertu du monopolisme, des banques, des trusts, de l’impérialisme, de la guerre et de la. révolution, tous se sont mis d’accord sur ce terrain [6]. Et comme la question ouvrière domine tout, ils sont, en fait d’accord sur les autres questions.

Camarade, je dois répéter ici la remarque que j’ai déjà faite à propos de la question paysanne (premier chapitre). Je sais très bien que ce n’est pas votre fait, mais celui des petits esprits dans notre parti, de n’avoir pas la force d’orienter la tactique suivant les lignes générales, de la subordonner à de petits détours particuliers, et de concentrer leur attention sur les fragments des couches en question, qui échappent encore à la domination, à l’ensorcellement du grand capital.

Je ne conteste pas qu’il existe de tels fragments, mais je dis que la vérité concrète, la tendance générale en Europe de l’ouest, consiste dans l’intégration de ces couches à la sphère du grand capital. Et c’est sur cette vérité générale que doit se fonder notre tactique !

Je ne conteste pas non plus qu’il puisse encore se produire des divisions. J’affirme seulement ceci : la tendance est, et restera encore longtemps pendant la révolution, celle de l’union sacrée, et je prétends qu’il vaut mieux, pour les ouvriers en Europe occidentale, concentrer leur attention sur ce resserrement des classes, que sur leurs divisions. Car c’est à eux qu’il appartient ici en premier lieu de faire la révolution, et non pas à leurs chefs et à leurs délégués aux parlements.

Je ne dis pas non plus, quoique les petits esprits fassent de mes paroles, qu’il y ait identité entre les intérêts réels de ces classes inférieures et ceux du grand capital. Je sais bien qu’elles sont opprimées par lui. J’affirme seulement ceci : ces classes se rattachent encore plus fortement que jadis au grand capital parce qu’elles aussi voient maintenant la révolution prolétarienne se dresser devant elles comme un danger.

Pour elles, la domination du capital signifie une certaine sécurité, la possibilité d’avancer, d’améliorer leur situation, ou du moins la foi dans cette possibilité. Aujourd’hui le chaos menace tout cela, mais la révolution signifie d’abord un chaos encore plus complet. C’est ce qui fait qu’elles se tiennent aux côtés du capital, dans sa tentative de mettre fin au chaos par tous les moyens, de relever la production, d’astreindre les ouvriers à une plus grande somme de travail et à une vie de privations patiemment supportées. Pour ces classes-là la révolution prolétarienne en Europe de l’ouest est le renversement et la destruction de tout ordre, de toute sûreté de vie, si modeste qu’elle puisse être. A cause de cela, elles sont toutes du côté du capital et y resteront longtemps encore, même au cours de la révolution.

Car je dois faire remarquer une fois de plus que je parle ici de la tactique à suivre durant le début et le cours de la révolution. Je sais que tout à la fin de la révolution, quand la victoire sera proche et le capitalisme ébranlé, les classes dont je parle viendront vers nous. Seulement, nous avons à fixer notre tactique pour le début et pour le cours principal, non pour la fin de la révolution.

Donc, d’après la théorie, tout ce qui précède devait être de la sorte. D’après la théorie, ces classes devaient se tenir unies. Cela est théoriquement certain. Pratiquement, ça l’est tout autant : voilà ce que je vais démontrer maintenant.

Depuis des années déjà, toute la bourgeoisie, tous les partis de la bourgeoisie en Europe occidentale - y compris ceux dont font partie les petits bourgeois et petits paysans - ont cessé de rien faire en faveur des ouvriers. Tous ils se sont dressés en ennemis du mouvement ouvrier, pour l’impérialisme, pour la guerre.

Depuis bien des années déjà, il n’existait plus un seul parti en Angleterre, en Allemagne, dans l’Europe occidentale, pour servir la cause ouvrière. Tous la combattent, et en toutes choses [7].

La législation du travail était abrogée, la réglementation empirait. On promulguait des lois contre la grève. On imposait des impôts toujours plus élevés.

L’impérialisme, le colonialisme, le navalisme et le militarisme étaient soutenus par tous les partis bourgeois, petits-bourgeois inclus. Les différences entre libéral et clérical, conservateur et progressiste, grand-bourgeois et petit-bourgeois disparaissaient.

Tout ce que les social-patriotes et les réformistes disaient des désaccords entre les partis, des divisions utilisables - un plat que vous, Lénine, réchauffez aujourd’hui - était déjà de la blague. C’était de la blague dans tous les pays de l’Europe occidentale. Et on l’a bien vu en juillet-août 1914.

Dès ce moment ils étaient tous d’accord. Et pratiquement, ils sont devenus encore beaucoup plus unis du fait de la révolution.

Unis contre la révolution et, de ce fait, au fond contre tous les ouvriers, car seule la révolution peut apporter une amélioration réelle à tous les ouvriers. Contre la révolution tous les partis s’accordent sans divisions. Et comme à la suite de la guerre, de la crise et de la révolution, toutes les questions sociales et politiques sont pratiquement liées avec celle de la révolution, ces classes sont finalement d’accord sur toutes les questions, et se dressent contre le prolétariat sur tous les terrains, en Europe occidentale.

En un mot, pratiquement aussi, le trust, le monopole, la grande banque, l’impérialisme, la guerre, la révolution, ont soudé toutes les classes de grands et petits bourgeois et toutes les classes paysannes d’Europe de l’ouest en un bloc anti-ouvrier [8].

C’est donc une certitude, en pratique comme en théorie. Il n’y a pas à tabler, dans la révolution en Europe occidentale et surtout en Angleterre et en Allemagne, sur l’existence de "divisions" de quelque importance entre les classes en question.

Ici, je dois ajouter quelque chose de personnel. Pages 40 et 41, vous critiquez le bureau d’Amsterdam. Vous citez une thèse du bureau. Entre parenthèses, tout. ce que vous en dites est inexact. Mais vous dites aussi qu’avant de condamner le parlementarisme, la Commission d’Amsterdam avait le devoir de faire une analyse des rapports de classes et des partis politiques de nature A justifier cette condamnation. - Pardon camarade, cela n’était pas du devoir de la commission. Le fait sur lequel se base notre thèse à savoir que tous les partis bourgeois, dans le parlement et hors du parlement, sont depuis longtemps et restent les ennemis unanimes des ouvriers, qu’ils ne manifestent pas entre eux de divisions sur ce point, est déjà de longue date une chose prouvée et généralement admise par les marxistes, du moins en Europe de l’ouest. Nous n’avions que faire, par conséquent, d’analyser cela.

Au contraire : c’est à vous qu’incombait la tâche, à vous qui voulez des compromis et des alliances avec des partis politiques au parlement, c’est à vous qui voulez nous mener ainsi vers l’opportunisme de prouver qu’il existe des "divisions" importantes entre ces partis politiques.

Vous voulez nous mener à des compromis en Europe de l’ouest. Ce que Troelstra, Henderson, Scheidemann, Turati, etc., n’ont pas réalisé aux temps de l’évolution. vous voulez l’accomplir à l’époque de la révolution. Vous avez à prouver que cela est possible.

Vous avez à en donner non pas des preuves russes, ce qui en vérité est trop commode, mais des preuves ouest-européennes. Vous avez rempli ce devoir de la manière la plus pitoyable. Rien d’étonnant puisque vous avez presque exclusivement assimilé l’expérience de la Russie, c’est à dire d’un pays très arriéré, et non pas l’expérience moderne ouest-européenne.

Je ne trouve dans toute votre brochure, qui a précisément pour contenu cette question de tactique - mis à part les exemples russes auxquels je passerai bientôt - que deux exemples ouest-européens : le putsch de Kapp en Allemagne, et en Angleterre le gouvernement Lloyd George-Churchill avec l’opposition d’Asquith.

Très peu d’exemples et des plus pitoyables, vraiment, lorsqu’il s’agit de prouver qu’il existe véritablement des divisions entre les partis bourgeois, et en particulier parmi les partis social-démocrates.

Si jamais il était besoin de prouver qu’il n’existe pas de divisions importantes entre les partis bourgeois (ici il s’agit également des partis social-démocrates), en face des ouvriers dans la révolution, le putsch de Kapp fournirait cette preuve. Les Kappistes se gardèrent bien de châtier, de tuer ou d’emprisonner les démocrates, les centristes et les social-démocrates. Et quand ceux-ci revinrent au pouvoir, ils s’abstinrent soigneusement de châtier, de tuer ou d’emprisonner les Kappistes. Mais les deux partis rivalisèrent d’ardeur à tuer les communistes.

Le communisme alors était. encore trop faible, c’est pourquoi ils n’organisèrent pas une dictature commune. La prochaine fois, quand le communisme sera plus fort, ils organiseront une dictature commune.

C’était et c’est toujours à vous, camarade, de démontrer comment les communistes auraient dû utiliser alors les divisions ( ? ) au parlement - naturellement, de façon à ce que ce soit à l’avantage des ouvriers. C’était votre devoir d’indiquer ce que les députés communistes auraient dû dire pour montrer cette division aux ouvriers et. pour l’utiliser ; naturellement, de façon à ce que les partis bourgeois n’en soient pas fortifiés. Vous ne le pouvez pas, parce qu’il n’y a aucune division sérieuse entre ces partis dans la révolution. Or, c’est de cela que nous parlons. Et c’était votre devoir de démontrer que, s’il se produisait dans des cas particuliers de telles divisions, il était plus avantageux d’attirer l’attention des ouvriers là-dessus, que de l’attirer sur la tendance générale à l’union sacrée.

C’était et c’est toujours votre tâche, camarade, avant de nous diriger, nous autres en Europe de l’ouest, de montrer où sont ces "divisions" en Angleterre, en Europe occidentale.

Cela non plus, vous ne le pouvez pas. Vous parlez d’une "division" entre Churchill, Lloyd George et Asquith, que les ouvriers devraient utiliser. Ceci est tout à fait pitoyable. Je ne veux pas même en parler avec vous. Car chacun sait que, depuis que le prolétariat industriel a quelque puissance en Angleterre, les "divisions" de ce genre ont été et sont journellement provoquées par l’artifice des partis bourgeois et des chefs, pour tromper les ouvriers, pour les attirer d’un côté à l’autre et réciproquement, à l’infini, en les maintenant ainsi éternellement faibles et dépendants. Dans ce but, ils font entrer quelquefois même deux adversaires (?) dans le même gouvernement. Lloyd George et Churchill. Et le camarade Lénine se laisse prendre dans cette trappe presque centenaire ! II veut persuader les ouvriers anglais de baser leur tactique sur cette tromperie ! Au temps de la révolution !... Mais demain les Churchill, Asquith et Lloyd George s’uniront contre la révolution et alors vous, camarade, vous aurez trompé et affaibli le prolétariat anglais avec une illusion. Vous aviez le devoir, camarade, de démontrer, non par un langage général, magnifique et brillant - comme vous le faites dans tout votre dernier chapitre (par exemple page 2), mais exactement, concrètement, par des exemples, des faits très détaillés et très clairs, quels sont au bout du compte les conflits et les différends - non pas russes, ni insignifiants ou artificiels ... mais réels, importants, ouest-européens. Cela, vous ne le faites nulle part dans votre brochure. Aussi longtemps que vous ne nous donnerez pas ces preuves, nous ne vous croyons pas. Quand vous les donnerez, nous vous répondrons. Jusque là nous vous disons : ce sont de pures illusions, qui ne servent qu’à tromper les ouvriers et à les mener à une tactique fausse. La vérité est, camarade, que vous mettez à tort la révolution ouest-européenne et la révolution russe sur le même plan. Et en favorisant quoi ? En oubliant qu’il existe dans les Etats modernes, c’est-à-dire ouest-européens (et nord-américains), une puissance qui est au-dessus des différentes catégories de capitalistes - propriétaires fonciers, industriels et commerçants - le capital financier. Cette puissance, qui est identique à l’impérialisme, unit en un seul bloc taus les capitalistes et avec eux les petits-bourgeois et paysans.

Cependant il vous reste encore quelque chose à répondre. Vous dites : "Il y a des divisions entre les partis ouvriers et les partis bourgeois. Et de celles-ci nous pouvons profiter." Cela est exact.

Il faut d’abord avouer que ces différends entre social-démocrates et bourgeois étaient réduits à presque rien au cours de la guerre et de la révolution, qu’ils ont ordinairement disparu ! Cela dit, il est et reste possible qu’il en existe. Et peut-être qu’il s’en forme encore. Nous devons donc en parler. D’autant plus que vous invoquez ici le gouvernement anglais "purement" ouvrier Thomas-Henderson-Clynes, etc., contre Sylvia Pankhurst en Angleterre, et le gouvernement éventuel "purement socialiste" de Ebert-Scheidemann-Noske-Hilferding-Crispien-Cohn contre le parti communiste ouvrier allemand [9].

Vous dites que votre tactique, qui met en valeur devant les prolétaires ces gouvernements ouvriers et les incite à aider à leur formation, est la tactique claire et avantageuse, tandis que la nôtre, qui s’oppose à leur formation, est la tactique nuisible.

Non, camarade ! Notre position en face de l’éventualité d’un gouvernement "purement" ouvrier, et du cas où entre les partis ouvriers et bourgeois, la fissure s’élargit en fente, est, elle aussi, très claire et avantageuse pour la révolution.

Il est possible. que nous laissions subsister un tel gouvernement pendant une certaine période. Cela peut être nécessaire, constituer un progrès du mouvement. Dans ce cas, s’il ne nous est pas encore possible d’aller plus loin, nous le laisserons subsister, nous le critiquerons avec le maximum de sévérité, et nous le renverserons pour un gouvernement communiste dès que nous pourrons. Mais nous ne coopérerons pas à l’établir par l’action parlementaire et électorale, nous autres, dans l’Europe de l’ouest, et en pleine révolution.

Nous ne coopérons pas à cela parce qu’en Europe occidentale, les ouvriers sont tout seuls dans la révolution. C’est pourquoi tout, vous entendez bien, tout, dépend ici de leur volonté d’action, et de leur clarté de tête. Or votre tactique, ce compromis en faveur des Scheidemann, des Henderson des Crispien, et de tels ou tels de vos propres partisans - que ce soit un indépendant anglais, un communiste opportuniste du Spartakusbund ou un membre du British Socialist Party (parti socialiste anglais) - votre tactique dans le parlement, et en dehors du parlement, n’est bonne qu’à troubler les têtes des ouvriers en leur faisant élire quelqu’un dont ils savent d’avance qu’il est un fourbe ; au lieu que notre tactique les éclaire en leur désignant l’ennemi comme ennemi. C’est pourquoi en Europe de l’ouest, dans notre situation, nous adoptons cette tactique et nous repoussons la vôtre, même si nous devions, à cause de cela, passer dans l’illégalité, perdre une représentation au parlement et sacrifier une fois la possibilité d’y utiliser les "divisions" (au parlement ?!).

Votre conseil est encore un de ces conseils qui apportent l’obscurité et déterminent des illusions.

Mais alors, et les membres des partis social-démocrates ? des Indépendants ? du Labour Party ? de l’Independent Labour Party ? Ne faut-il pas tâcher de les gagner à nous ?

Et bien, les ouvriers et les adhérents petits-bourgeois de ces partis nous, la "gauche", nous entendons les gagner (en Europe de l’ouest) par notre propagande, nos réunions et notre presse ; et mieux encore par notre exemple, nos mots d’ordre et notre action dans les entreprises. Ceci dans le cours de la révolution. Ceux qui ne seront pas gagnés de cette manière, par notre presse, par l’action, par la révolution sont perdus d’avance, de toute façon et n’ont qu’à aller au diable.

Ces partis social-démocrates, partis indépendants, partis travaillistes et analogues d’Angleterre et d’Allemagne se composent d’ouvriers et de petits-bourgeois. Nous pouvons, le temps aidant, faire venir à nous les premiers, gagner petit à petit tous les ouvriers. Mais nous n’aurons qu’un nombre restreint de petits-bourgeois, et les petits-bourgeois, à l’inverse des petits-paysans, n’ont pas grande importance économique. Les quelques-uns qui viendront à nous, auront été conquis par notre propagande, etc... Mais le plus grand nombre - c’est sur lui surtout que s’appuient Noske et consorts - est partie intégrante du capitalisme et se serre de plus en plus autour de lui à mesure que la révolution avance.

Sommes-nous coupés des partis ouvriers, des indépendants, des social-démocrates, du Labour Party, etc., avons-nous brisé le contact avec eux parce que nous ne les soutenons pas aux élections ? Au contraire, nous cherchons à établir le contact avec ces partis aussi souvent que possible. A chaque occasion nous les appelons à l’action commune : à la grève, au boycott, à l’insurrection, aux combats de rue et surtout aux conseils ouvriers, aux organisations d’entreprise. Nous les cherchons partout. Seulement plus comme avant sur le terrain parlementaire. Cela appartient, en Europe occidentale, à une époque passée. Nous les cherchons à l’atelier, dans les organisations et dans la rue. C’est là qu’on peut, aujourd’hui les joindre, c’est là que nous gagnons à nous les ouvriers. Telle est la nouvelle pratique, qui succède à la pratique social-démocrate. C’est la pratique communiste.

Vous, camarades, vous prétendez pousser les social-démocrates, les indépendants et autres au parlement et au gouvernement, pour montrer que ce sont des fourbes. Vous voulez utiliser le parlement pour montrer qu’il n’est bon à rien.

Chacun sa manière : vous prenez les ouvriers d’une manière pleine de malice. Vous les poussez vers le nœud coulant et vous les laissez pendre. Notre manière à nous, c’est de les aider à éviter la corde. Nous le faisons parce qu’ici, cela nous est possible. Vous suivez la tactique des peuples paysans, nous celle des peuples industriels. Il n’y a là dedans ni ironie, ni moquerie. Je veux bien que cette voie ait été la bonne, chez vous. Seulement, vous ne devez pas nous imposer - soit dans les petites questions, soit dans les grandes, comme celles des syndicats et du parlementarisme - d’appliquer ce qui est bon en Russie, mais désastreux ici.

Je dois enfin vous faire encore une remarque : vous dites et vous soutenez en mainte occasion que la révolution en Europe occidentale est impossible tant que les classes inférieures proches du prolétariat n’auront pas été suffisamment ébranlées, neutralisées ou gagnées. Comme j’ai démontré. maintenant qu’elles ne peuvent pas être ébranlées, neutralisées ou gagnées dans la première phase de la révolution, celle-ci serait impossible, en admettant ce que vous avancez pour exact. (Cette remarque m’a déjà été adressée de votre côté, entre autres par le camarade Zinoviev). Heureusement votre affirmation dans cette question d’une extrême importance - dans cette alternative qui décide de la révolution - ne repose sur rien. Elle prouve seulement une fois de plus que vous voyez tout avec des yeux de l’Europe de l’est. Je montrerai cela dans le dernier chapitre.

Ainsi, je crois avoir prouvé que votre deuxième argument en faveur du parlementarisme relève pour la majeure partie de la duperie opportuniste - qu’à ce point de vue aussi le parlementarisme doit être remplacé par une autre forme de lutte, dépourvue de tels inconvénients et présentant de plus grands avantages.

Car j’admets qu’en la matière votre tactique puisse avoir quelques avantages. Le gouvernement ouvrier peut apporter quelque chose de bon, et même une plus grande clarté. En régime illégal aussi, votre tactique peut être avantageuse. Nous reconnaissons cela. Mais de même que nous disions jadis aux révisionnistes et aux réformistes : "Nous mettons le développement, de la, conscience propre des ouvriers au-dessus de tout, même au-dessus de moindres avantages." Nous vous disons aujourd’hui, à vous Lénine, et à vos camarades de la droite : "Nous mettons au-dessus de tout la croissance des masses dans la volonté d’action." C’est à ce but, comme naguère à l’autre, que tout doit servir en Europe occidentale. Et nous allons bien voir qui a raison, la "gauche"... ou Lénine ! Je n’en doute pas un instant. Nous viendrons à bout de vous, et en même temps de Troelstra, Henderson, Renaudel et Legien.

J’arrive à présent à votre troisième argument : les exemples russes. Vous les citez à plusieurs reprises (pages 1 à 9, ils reviennent continuellement). Je les ai admirés jadis. J’ai toujours été avec vous, à partir de 1903. Même quand je ne connaissais pas encore vos mobiles exacts - lorsque les relations étaient coupées, comme à la paix de Brest-Litovsk, je vous défendais avec vos propres arguments. Votre tactique fut certainement remarquable en ce qui concerne la Russie, et c’est par elle que les Russes ont obtenu la victoire. Mais est-ce que cela prouve quelques chose pour l’Europe de l’ouest ? Rien, ou très peu de choses, à mon avis. Nous sommes d’accord en ce qui concerne les soviets, la dictature du prolétariat, comme moyens pour la révolution et l’édification. De même, votre tactique vis-à-vis de l’étranger a été - du moins jusqu’à présent - un exemple pour nous. Mais il en est autrement de votre tactique pour les pays ouest-européens. Et cela est tout naturel.

Comment la tactique en Europe orientale et en Occident pourrait-elle être la même ? La Russie est un pays pourvu d’une agriculture tout à fait prépondérante, d’un capitalisme industriel qui n’est qu’en partie hautement développé et reste très petit relativement à l’ensemble. Encore était-il nourri en grande partie par le capital étranger. En Europe de l’ouest, surtout, en Allemagne et en Angleterre, c’est précisément le contraire. Chez vous : vieilles formes du capital subsistant sur la base du capital usurier. Chez nous : prépondérance presque exclusive du capital financier hautement développé. Chez vous : résidus formidables des temps féodaux et pré-féodaux, vestiges même de l’époque des tribus et de la barbarie. Chez nous, surtout en Angleterre et en Allemagne : un ensemble, agriculture, commerce, transports, industrie, dirigé par le capitalisme le plus avancé. Chez vous : restes énormes du servage, paysans pauvres, classe rurale moyenne paupérisée. Chez nous : relations des paysans pauvres eux-mêmes avec la production moderne, transport, technique et échanges ; classes moyennes de la ville et de la campagne, - même les plus basses couches. - en contact direct avec les grands capitalistes.

Vous avez encore des classes avec lesquelles le prolétariat montant peut se lier. L’existence seule de ces classes est déjà une aide. Et naturellement la même chose est vraie sur le terrain des partis politiques. Chez nous, rien de tout cela.

La suite naturelle de ces différences, c’est que le compromis, la pactisation dans toutes les directions telle que vous la décrivez d’une façon si saisissante, l’utilisation des divisions jusqu’entre libéraux et agrariens, avaient leur valeur chez vous. Chez nous, ces manœuvres sont impossibles. De là la différence dans la tactique à l’est et à l’ouest. Notre tactique s’adapte à nos conditions. Elle est aussi bonne ici que la vôtre là-bas.

Je trouve vos exemples russes surtout aux pages 12, 13, 26, 37, 40, 51 et 52. Quelle que soit la signification de ces exemples pour la question syndicale russe (page 27), ils n’en ont aucune pour la même question en Europe de l’ouest, parce qu’ici le prolétariat a besoin d’armes beaucoup plus fortes. En ce qui concerne le parlementarisme, vos exemples - ou bien sont tirés d’une époque où la révolution n’était pas là (par exemple pages 16, 26, 42, 51) et ceux-ci n’ont pas d’importance pour la question que nous traitons ici - ou bien ils sont tellement différents de notre situation, étant donné que vous pouviez vous servir des partis petit-paysans et petit-bourgeois, qu’ils ne peuvent nullement trouver ici leur application (pages 12, 37, 40, 44, 51).

Il me semble, camarade, que la fausseté totale de votre jugement - que celle de votre livre, que celle de la tactique que mène l’exécutif de Moscou, en accord avec vous - résultent seulement de ce que vous ne connaissez pas suffisamment notre situation, ou, pour mieux dire, que vous ne tirez pas les conclusions justes de vos connaissances, et que vous les jugez trop du point de vue russe.

Mais il faut en conclure, et cela doit être répété ici avec toute la netteté possible - car le salut ou le malheur du prolétariat occidental, du prolétariat mondial et de la révolution mondiale en dépend - que ni vous, ni l’exécutif de Moscou n’êtes en état de mener la révolution ouest-européenne et, par conséquent la révolution mondiale, si vous persistez dans cette tactique.

Vous demandez : ne pouvez-vous donc pas même former une fraction parlementaire, vous qui voulez transformer le monde ?

Nous répondons : ce livre, votre livre, est déjà une preuve que celui qui s’attache à une pareille chose, mène aussitôt le mouvement ouvrier sur une voie fausse, qu’il le mène à sa perte.

Votre livre fait croire aux ouvriers de l’Europe occidentale des fantasmagories, des choses impossibles : il leur fait croire aux compromis avec les bourgeois dans la révolution.

Il leur présente quelque chose qui n’existe pas : les divisions des bourgeois occidentaux dans la révolution. Il leur fait croire qu’un compromis avec les social-patriotes et les éléments hésitants ( ? ) du parlement peut apporter quelque chose de bon, alors qu’il n’apporte à peu près que des désastres.

Votre livre ramène le prolétariat ouest-européen dans le marais, dont, avec la plus grande peine, sans être vraiment sorti, il commence tout de même à sortir.

Il nous ramène dans le marais où Scheidemann, Renaudel, Kautsky, Macdonald, Longuet, Vandervelde, Branting et Troelstra nous avait conduits. (Cela ne peut que faire éclater chez eux une grande joie, comme aussi chez les bourgeois qui y comprendront quelque chose). Un tel livre est pour le prolétariat communiste révolutionnaire ce que le livre de Bernstein fut pour le prolétariat pré-révolutionnaire. C’est votre premier livre qui ne soit pas bon ; mais pour l’Europe occidentale, il n’en peut exister de pire.

Nous, les camarades de la "gauche", nous avons à nous resserrer fortement, à reprendre tout par la base et à exercer la critique la plus sévère contre tous ceux qui, dans la III° Internationale, ne montrent pas le bon chemin.

Si je tire maintenant la conclusion de toutes ces explications sur le parlementarisme, elle doit se formuler ainsi : vos trois arguments pour le parlementarisme ne signifient que peu de chose ou sont totalement faux. Sur ce point comme dans la question syndicale, votre tactique est néfaste pour le prolétariat.



Notes

[1] Au début j’ai pensé que c’était là une question secondaire. L’attitude opportuniste du Spartacusbund lors du Putsch de Kapp et celle que vous adoptez dans votre brochure, même en cette matière, m’ont persuadé que c’était là une question très importante.

[2] Cette grande influence, toute cette idéologie de l’Europe de l’ouest, des Etats-Unis et des colonies anglaises n’est pas comprise dans l’Europe de l’est, dans la Turquie et aux Balkans (pour ne pas parler de l’Asie).

[3] L’exemple du camarade Liebknecht prouve justement la justesse de notre tactique. Avant la révolution, lorsque l’impérialisme était à l’apogée de sa puissance et las lois d’exception de la période de guerre étouffaient tout mouvement, il put exercer par ses protestations au parlement une grande influence, mais pendant la révolution elle n’eut plus d’effet. Aussitôt que les ouvriers auront pris leur destinée en mains propres nous devons laisser le parlementarisme.

[4] Sans doute l’Angleterre n’a pas de paysans pauvres qui pourraient soutenir le capital. Mais elle a, par contre, une classe moyenne d’autant plus grande et plus liée avec le capitalisme.

[5] II existe, en Angleterre, plus encore que dans les autres pays le danger de l’opportunisme. Ainsi il parait qu’aussi notre camarade Sylvia Pankhurst qui, tout en n’ayant pas approfondi suffisamment peut-être ses idées par l’étude, n’en fut pas moins un bon précurseur du mouvement de gauche, par tempérament, instinct et expérience, aurait changé d’avis. Elle abandonne la lutte antiparlementaire, c’est à dire un point essentiel de sa lutte contre l’opportunisme pour l’avantage immédiat de l’unité. Elle suit ainsi le chemin parcouru déjà par des milliers de dirigeants du mouvement ouvrier anglais : transfuge à l’opportunisme et, en dernier conséquence, à la bourgeoisie. Cela n’a rien d’extraordinaire - mais le fait que c’est vous, camarade Lénine, qui l’avez entraînée et convaincue, elle, la seule dirigeante conséquente, et hardie de l’Angleterre, cela est un rude coup pour la révolution russe et mondiale.

[6] La prolétarisation, il est vrai, a fait des progrès énormes du fait de la guerre. Mais tout (quasiment tout) ce qui n’est pas prolétarien, se cramponne d’autant plus fort au capitalisme, le défend s’il le faut les armes à la main, et combat le communisme.

[7] Je n’ai pas la place pour démontrer cela ici dans les détails. Je l’ai fait à fond dans une brochure intitulée : "Les bases du communisme".

[8] Nous savons très bien cela, nous autres Hollandais. Nous avons vu disparaître ces "divisions". Il n’existe plus chez nous de partis démocrates chrétiens ou autres. Bien que nous ne soyons que des Hollandais, nous pouvons juger de cela mieux qu’un Russe qui malheureusement paraît apprécier l’Europe occidentale d’après la Russie . - H. G.

[9] Il se pose encore la question de savoir si cette étape des gouvernements "purement" ouvriers doit intervenir chez nous. Ici vous vous laissez peut-être induire de nouveau en erreur par l’exemple russe (Kérensky). Dans ce qui suit, je démontrerai que lors même que cette étape se présente, comme pendant les journées de mars en Allemagne il n’y a quand même pas lieu de soutenir le gouvernement "purement" socialiste.


HISTOIRE ET CONDITION DE LA CLASSE OUVRIÈRE JAPONAISE DANS LE SECOND APRÈS-GUERRE

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