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samedi 1 février 2025

CHINE : LES TRAVAILLEURS MIGRANTS ( Bruno Astarian)

 


Les notes qui suivent se limitent à donner quelques éléments et observations sur la situation d’une partie des travailleurs migrants en Chine. Rappelons que ces travailleurs ne représentent qu’une fraction du prolétariat chinois, mais celle qui est la plus impliquée dans l’insertion internationale du capitalisme chinois et probablement la plus exploitée.

1) Données générales sur les migrants

On appelle travailleurs migrants les prolétaires issus de l’exode rural. Le plus souvent, ces ruraux ne disposent pas d’un permis de résidence (hukou) urbain. Malgré plusieurs débuts de réforme, souvent limités localement, le système maoïste des permis de résidence reste essentiellement en vigueur. De façon générale, les hukous ruraux représentent 57% de la population (2005), contre 43% pour les hukous urbains. Les tentatives de libéralisation du système du hukou sont plus avancées dans les petites villes que dans les grandes, et dans ces dernières sont le plus souvent limitées aux banlieues. Les conditions de base pour accorder un hukou urbain à un rural sont toujours l’obligation d’avoir un emploi stable et un domicile fixe. Le limite de cette libéralisation est pour une bonne part celle du budget de l’aide sociale des villes, car le hukou urbain est assorti de droits, de même que le hukou rural s’accompagne d’un droit à louer une terre agricole (l’octroi d’un hukou urbain fait parfois partie des compensations offertes aux paysans chassés de leurs terres par l’extension des villes).

Dans leur grande masse, les travailleurs migrants n’ont qu’un hukou rural. Ils doivent donc être considérés comme des sans papiers de l’intérieur, et sont à ce titre exploitables comme les immigrés dans d’autres pays. On estime leur nombre à 150-200 millions. Selon une étude récente (Xinhua 16/6/07), il y aurait 120 millions de migrants dans les grandes villes, et 80 millions dans les petites. Pour donner un ordre de grandeur de l’importance de cette masse, l’OIT1 a établi des chiffres qui permettent de conclure qu’en 2002 il y avait en tout 350-434 millions de prolétaires (urbains et ruraux) en Chine, pour une population active totale de 754 millions.

Contrairement à ce qu’on croit souvent, l’exode rural ne se fait pas exclusivement vers la côte. Entre 1985 et 2000, les zones rurales du pays ont vu le départ (provisoire et définitif) de 114 millions de gens. 54 millions sont allés dans les villes des provinces intérieures, et 60 millions vers les villes des provinces côtières.2 La répartition des migrants par grands secteurs est la suivante : plus de la moitié vont dans le bâtiment et l’industrie, et le reste dans l’hotellerie, la restauration, les services. Seuls 20% du total vont dans les sweatshops de la côte, ce qui représente quand même 25-30 millions de travailleurs3 (la population active totale de la France est de 27 millions). Les chiffres suivants sont anciens, mais ce sont les seuls que j’ai trouvés : en 1993, 22% des migrants se retrouvaient dans l’industrie, 33% dans le bâtiment, 10% dans les transports, 31% dans le commerce et la restauration, et 4% dans l’agriculture.

2) Conditions de travail des migrants

Le Chinese Labour Bulletin a publié en 2006 les résultats d’une enquête sur la situation des ouvrières migrantes à Dongguan (dans le Delta de la Rivière des Perles, près de Canton)4. On y trouve les informations suivantes :

Durée hebdomadaire du travail : Le rapport estime que les ouvrières font de façon régulière une semaine de 84 à 98 heures, 7 jours sur 7. Il n’y a qu’un jour de repos par mois. Cela suppose évidemment un grand nombre d’heures supplémentaires, largement au-dessus de ce qui est légal.

Modalités de calcul des salaires pour allonger le temps de travail : les modalités de calcul des salaires sont conçues pour contraindre à l’allongement maximum du temps de travail. Lorsque les salaires sont payés à la pièce, le tarif est si bas que le travailleur doit prolonger sa journée jusqu’aux extrêmes limites pour gagner un salaire minimal. Si, par chance, il a un travail relativement facile qui lui permet de faire un bon rendement, on lui baisse le tarif de la pièce. Lorsque le salaire est au temps, le salaire de base est si faible (40-60% du minimum vital) pour 40 heures qu’il faut faire un maximum d’heures supplémentaires. Celles-ci ne sont d’ailleurs pas toute payées au tarif des heures supplémentaires, le patron considérant qu’une partie sont des heures volontaires. L’arbitraire est ici de mise, comme dans tant d’autres domaines de la gestion du personnel. Une autre façon de contraindre les salariés à faire beaucoup d’heures supplémentaires est de leur fixer des quotas de production qui sont irréalisables. Pour obtenir la paye promise, on les ‘autorise’ ensuite à faire des ‘prolongations’, qui ne sont bien sûr pas payées en heures supplémentaires.

Règlement intérieur pour baisser les salaires : domaine typique de l’arbitraire patronal, le système des amendes permet de réduire systématiquement le salaire en fin de mois. Le rapport du CLB donne des exemples comme : interdiction de se lever, de regarder autour de soi, d’aller aux toilettes en dehors des pauses, de rentrer tard au dortoir, de laisser tomber un bout de tissu par terre, de croiser les jambes, de s’étirer, de refuser les heures supplémentaires, etc… Chaque infraction donne lieu à une amende, de sorte qu’à la fin du mois, les retenues peuvent atteindre l’équivalent de plus de 10 jours de travail. Autre occasion de retenue : le règlement interdit de prendre (sans solde, bien entendu) plus de 4-6 jours de congés dans le mois. Au cas où le salarié en prendrait plus, on lui retient 13 yuan par jour supplémentaire.

Frais de séjour : certaines entreprises logent ‘gratuitement’ leurs salariées. Mais d’autres font payer le logement et la nourriture, ce qui donne lieu à de nouvelles retenues. Les frais mensuels sont les suivants (pour des salaires 800-900 y par mois en 2004) : Nourriture 60-135 y/mois, logement 10-80 y/mois, frais de gestion 10-15 y/mois ; soit un total de 80-230 y/mois. Cela peut sembler relativement bon marché, surtout dans le bas de la fourchette. Cependant, les services fournis sont notoirement mauvais. La qualité de la nourriture (produits pourris, odeur nauséabonde), l’insalubrité des locaux d’habitation, sont tels qu’il y a eu des grèves et que les ouvrières essaient de se loger ailleurs dès qu’elles le peuvent, malgré le niveau élevé des loyers. Dans la pratique, c’est réservé aux femmes mariées.

3) Evolution des salaires

En ce qui concerne l’évolution des salaires, le rapport du CLB observe que, en termes réels sur la période 1994-2004, « le revenu des travailleurs migrants ne leur a permis que de se maintenir au plus bas niveau de vie ». Cependant, le rapport observe également que, en raison d’une pénurie de main d’œuvre apparue dans la région à partir de fin 2003, les choses sont peut-être en train de changer. Mais elles le font lentement, car la loi de l’offre et de la demande (ici, de travail) est contrecarrée par le comportement illégal des patrons, qui cherchent à limiter la mobilité du travail de plusieurs façons. Face à la forte résistance que leur opposent les patrons pour des augmentations de salaires ou des améliorations des conditions de vie et de travail, les travailleurs réagissent par la recherche d’un autre travail dans une autre usine. Mais les patrons contre-attaquent :

  • En ne payant les salaires qu’avec un retard considérable. Tout travailleur qui veut vraiment démissionner doit admettre de perdre les salaires en retard.

  • Lorsque les salaires sont à jour, en retenant forfaitairement 15 jours de salaire si le travailleur démissionne en cours de mois.

  • Même la pratique courante de loger les travailleurs dans l’enceinte de l’usine est un frein efficace à la mobilité : si le travailleur démissionne en espérant toucher les arriérés de salaire plus tard, encore faut-il qu’il puisse se loger dans la région. La cherté des loyers l’en dissuade rapidement.

Voilà pourquoi, selon le CLB, le niveau des salaires ne réagit que lentement au rapport de l’offre et de la demande sur le marché du travail.

Mais il augmente malgré tout, car les « forces du marché » s’imposent envers et contre tout. Les travailleurs ont trouvé des façons de quitter l’entreprise avec leur salaire :

  • En se faisant vider pour mauvais travail ou mauvais comportement. (Les ouvriers allemands de la période nationale-socialiste ne faisaient pas autre chose lorsque le gouvernement chercha à bloquer leur mobilité.)

  • En achetant le blanc seing de leur contremaître (c’est à ce niveau qu’est donnée la véritable autorisation de démissionner) par des cadeaux.

D’après des statistiques publiées par le Quotidien du Peuple (15/06/07) les salaires mensuels des migrants ont évolués comme suit :



Yuan/mois

% variation

2003

781


2004

803

+ 2,8%

2005

855

+ 6,5%

2006

953

+ 11,5%


Les chiffres montrent une nette accélération de la hausse en fin de période. Dans le même contexte, une nouvelle façon de faire travailler les migrants est apparue récemment dans la région de Canton. Sur la base des pénuries de main d’œuvre apparues dans la région, certains travailleurs ont réinventé l’intérim. Ce sont des travailleurs qui connaissent déjà bien le travail à la chaîne, qui peuvent travailler sur tous les postes et ont un taux de qualité élevé. Au lieu de garder un emploi permanent dans une entreprise, ils louent leur service sur une base temporaire quand l’entreprise connaît une situation d’urgence. Par exemple, dans une usine de confection, le salaire normal pour un travail de repassage est de 30-45 yuan par jour avec nourriture et dortoir. Le salaire des travailleurs employés en cas d’urgence est de 80-120 yuan pour le même emploi. De plus, le salaire est versé chaque jour, ce qui limite les impayés. Ce système s’est bientôt institutionnalisé sous la forme d’équipes toutes constituées qui viennent dans les usines au moment des coups de bourre. Elles sont dirigées par un chef d’équipe, qui est habituellement un travailleur plus âgé, qui connaît bien le métier et a de nombreux contacts dans les usines d’une région. Les enquêteurs5 citent le cas d’un chef d’équipe qui dispose de 100 travailleurs à qui il garantit 15 jours de travail par mois. Il prend 10% de leur salaire. Malgré le surcoût, les patrons sont intéressés par ces travailleurs parce qu’ils permettent d’éviter les frais liés aux retards de livraison, et parce qu’ils assurent une quantité et une qualité de travail élevées par rapport au personnel permanent. Autrement dit, parce qu’ils travaillent encore plus intensément pendant le temps qu’ils sont dans l’usine, à un niveau d’exploitation que les patrons ne peuvent pas obtenir des permanents. Mais ces mêmes patrons déclarent aux enquêteurs que le salaire de ces travailleurs est trop élevé pour qu’ils puissent les employer plus qu’exceptionnellement.

4) La question de la plus-value absolue

Les éléments ci-dessus indiquent nettement une grande importance de l’extraction de la plus-value sur le mode absolu : longueur de la journée de travail et baisse du travail nécessaire par réduction absolue du salaire (et non par baisse de la valeur des subsistances).

La recherche d’un renforcement de l’exploitation du prolétariat mondial sur le mode de la plus-value absolue est l’une des principales raisons que le capital occidental et japonais a de se délocaliser, depuis 30 ou 40 ans, dans les pays à bas coût de main d’œuvre. Cela est encore plus vrai depuis l’explosion du secteur de la logistique et de sa productivité (années 90). Le capital international est allé en Chine pour la qualité particulière de sa main d’œuvre : abondance, discipline, horaires interminables, bas salaires et sous-consommation. Cette recherche du capital international correspond à ce qu’il ne pouvait pas trouver dans ses bases métropolitaines. Le renforcement de l’extraction de la plus-value sur le mode relatif y était bloqué par la difficulté à augmenter la productivité, tandis que l’injection d’une dose de plus-value absolue, y était entravée par la résistance des OS et l’inertie du compromis fordiste. Certes, une fois que les délocalisations se sont généralisées, elles ont agi en retour sur les conditions de l’exploitation dans les métropoles, où certaines formes de l’extraction de la plus value absolue reviennent en force (longueur, mais surtout densité de la journée de travail, peut-être aussi la pluri-activité).

Les modalités actuelles de l’exploitation du prolétariat chinois (surtout les migrants) indiquent une forte prédominance de la plus-value absolue. Le très faible niveau des salaires, la longueur de la journée de travail, l’arbitraire patronal des amendes, du non paiement des salaires, etc… vont dans ce sens. Car tout cela implique une très faible consommation ouvrière. Or, de façon générale, plus le panier des subsistances est restreint, moins la plus value relative peut jouer. C’est pourquoi il peut être intéressant d’examiner la consommation ouvrière en Chine. L’exercice est cependant un peu hasardeux, vus les chiffres dont on dispose.

5) Evolution de la consommation

La question qui est ici posée est de savoir dans quelle mesure la consommation des migrants permet au mécanisme de la plus-value relative de jouer dans leur exploitation par le capital.

Le rapport du CLB cite le Directeur du Bureau des Statistiques de Chine, qui dit que, en 2005, «  le salaire mensuel moyen d’un travailleur migrant est de 600-700 yuan ; un tel revenu n’est suffisant que pour quatre bols de nouilles à la sauce aux haricots frits par jour ». Ce n’est peut-être pas vrai à la lettre, mais ça indique suffisamment à quel point la consommation des migrants est faible.

Moins cette consommation est importante, moins l’effet d’une hausse de la productivité de la branche II (celle qui produit les moyens de consommation) sera sensible en terme de baisse de la valeur des subsistances, et donc de hausse de la plus-value sur le mode relatif.6 Si l’on en croit le directeur du Bureau des Statistiques, l’effet est minime (et nul pour le moment à cause du cartel). De façon générale, il faudrait avoir des détails sur la consommation des migrants. Au vu de la misère dans laquelle ils vivent, on peut admettre que leur mode de vie est caractérisé par la sous-consommation. Cela restreint d’autant l’espace où peut jouer le mécanisme de la plus-value relative. Ce qui suit illustre cette proposition générale.

Logement des migrants :

Voulant souligner l’étroitesse du marché chinois des biens de consommation, un consultant observe que chaque ménage urbain n’a pas (encore ?) son logement individuel, et qu’il reste beaucoup d’habitat collectif. Cela montre en même temps la pauvreté des salariés et l’étroitesse du marché des biens d’équipement du foyer. A ce sujet, le Chinese Labour Bulletin (17/10/06) indique que certaines villes construisent pour les migrants des logements (meublés) fortement subventionnés, mais que les migrants ne les occupent presque pas. A 30-50 y/mois par personne (120-150 y/mois pour une famille), le loyer demandé est cependant du même niveau que celui qui est demandé en dortoir (voir plus haut), mais d’autres inconvénients dissuadent les travailleurs de les occuper : transports trop chers et trop longs (la journée de travail est déjà assez longue !), absence de cuisine dans les appartements, pression de certains patrons pour habiter sur le lieu de travail ou offre de logement ‘gratuit’. Enfin, les travailleurs du bâtiment préfèrent en général habiter dans des abris sur les chantiers.

Hausse du niveau de vie et achats de biens durables :

De nombreux commentateurs soulignent que le mode de vie « à l’occidentale » se développe rapidement en Chine. On va y revenir, mais est-ce que cela s’applique aux travailleurs migrants, notamment depuis que leurs salaires augmentent ? Il faut d’abord noter qu’une part des migrants est venue dans les villes pour se faire un pécule et envoyer de l’argent au village. Cela restreint d’autant la consommation. La nécessité où sont la plupart des salariés d’épargner beaucoup pour compenser l’absence de couverture sociale et la fin de la gratuité de l’enseignement la restreint également. Si l’on consulte les statistiques de consommation, il faut ensuite tenir compte du fait qu’elles distinguent entre ménages urbains et ménages ruraux. Or les migrants, qui vivent en ville, sont comptés dans les ménages ruraux, dont ils représentent le quart. Faisons l’hypothèse que les migrants vivent à peu près au même niveau que les moins favorisés des ménages urbains. Le tableau ci-dessous donne quelques indications sur l’équipement des ménages urbains (chiffres pour 100 ménages):



1990

1995

2000

2004

2005

2005 ruraux

Moto

2

6

19 (12)

25

25 (15)

41

Auto

-

-

0,5 (0,2)

2,2

3,3 (0,3)

nc

Lave linge

78

88

90 (77)

96

96 (82)

40

Réfrigérateur

42

66

80 (62)

90

99 (65)

20


Les chiffres montrent l’augmentation de l’équipement des ménages urbains entre 1990 et 2005. Pour 2000 et 2005, le chiffre entre parenthèses correspondent aux 10% de ménages urbains les plus pauvres. Les chiffres montrent que les ménages urbains pauvres sont nettement moins équipés que la moyenne, et que leur équipement a cru moins vite que celui de la moyenne entre 2000 et 2005. Ce n’est pas une grande découverte.

Si maintenant on regarde l’équipement des ménages ruraux (dernière colonne), on voit qu’en moyenne ils sont beaucoup moins équipés que les ménages urbains (sauf pour les motos). L’information nous intéresse, puisque les migrants sont classés dans les ménages ruraux. Mais elle ne nous suffit pas, puisqu’on ne sait pas comment se situent les familles dont un membre a migré par rapport aux autres. De toute façon, si l’argent des migrants sert à favoriser la consommation des agriculteurs de leur famille, aucune baisse de prix de ces biens ne se convertira en plus-value relative.

La question de la classe moyenne

Pour ce qui est des biens de consommation, les perspectives mirobolantes du marché chinois reposent principalement sur la classe moyenne, qui est constituée par les 10% de ménages urbains les plus riches. Cela représente environ 50 millions de personnes. Comme toujours, le multiplicateur chinois est impressionnant. Mais il faut garder à l’esprit que cette masse de consommateurs n’est pas la classe ouvrière, et ne nous intéresse donc pas ici. Cette classe moyenne constitue de loin la plus grande partie des consommateurs « à l’occidentale ». Le marché de la consommation, celui qui fait rêver les capitalistes occidentaux, est en effet très concentré sur une petite partie de la population : les 10% des ménages ayant les salaires les plus élevés dépensent 75% de plus en biens durables que le décile juste en dessous, et 21 fois plus que les 10% de ménages les plus pauvres. Ces chiffres concernent de nouveau les seuls ménages urbains.7

Ces quelques données sont une indication de ce que la hausse du niveau de vie des travailleurs migrants est probablement limitée et ne peut pas se comparer au développement, pourtant limité lui aussi, de la consommation en Chine. Dans la mesure où cela est vrai et le reste malgré la hausse récente des salaires des migrants, cela signifie que la recherche de la plus-value absolue demeure la modalité principale de l’exploitation des travailleurs migrants en Chine. Et la conséquence est que la plupart des patrons employant des migrants restent totalement opposés au développement des syndicats dans l’entreprise8.

6) La question des syndicats

On dit communément que l’intérêt bien compris d’un patron est non seulement d’admettre, mais même d’encourager les syndicats, qui vont encadrer et discipliner la force de travail, intervenir comme modérateur dans les conflits. En réalité, les choses ne sont pas si simples, et l’avantage que présente un syndicat pour le patron dépend aussi de la façon dont celui-ci fait ses bénéfices. Si, comme c’est le cas en Chine ou ailleurs, la rentabilité de l’entreprise tient aux salaires minimaux, aux horaires interminables et aux multiples exactions et injustices qui permettent de réduire les premiers et d’allonger les seconds, alors ce que le patron recherche est moins la coopération active que la soumission totale des travailleurs. Dans la mesure où le rôle des syndicats est d’échanger un peu de hausse de salaires et d’amélioration des conditions de travail contre une meilleure coopération de la force de travail, les patrons à la chinoise n’ont pas d’intérêt pour une structure syndicale dans l’entreprise (hormis une pure bureaucratie-rackett comme l’ACFTU, le syndicat officiel chinois).

On observe cependant que certaines multinationales admettent, voire favorisent les syndicats dans leurs établissements chinois comme chez leurs sous-traitants. Un directeur des « programmes des droits de l’homme » de Reebok-Asie soutient ainsi l’élection de syndicats chez les sous-traitants. « Dans chacune de ces élections [cinq au total] des travailleurs chinois ont profité de l’opportunité pour jouer un rôle dans la résolution des problèmes dans l’atelier et pour faire la preuve qu’ils étaient prêts à apporter leurs problèmes aux représentants du personnel »9. D’un côté, de tels propos semblent indiquer des modalités d’exploitation de la force de travail plus avancées que la description qu’en fait le CLB (voir plus haut). Ici, on peut supposer qu’une technicité plus élevée de la production suscite différents problèmes dans l’atelier, lesquels sont plus simples à résoudre si les travailleurs sont associés à la question. D’un autre côté, on ne peut savoir dans quelle mesure les préoccupations « sociales » de Reebok ne sont pas simplement un affichage en direction des consommateurs occidentaux.

Mais il est probable que le débat est ouvert, entre patrons chinois, sur l’opportunité d’admettre ou non de vrais syndicats dans l’entreprise. Les patrons qui utilisent les méthodes d’exploitation reposant le plus sur la plus-value absolue s’y opposent parce qu’ils n’ont aucune contrepartie à obtenir d’une hausse éventuelle des salaires. Les autres peuvent y être favorables, y compris pour éliminer les entreprises des précédents. L’issue de ce débat au niveau politique sera une indication indirecte mais claire de l’évolution des modalités de l’exploitation du prolétariat chinois. Pour le moment, il y a toujours un blocage très net du gouvernement contre l’instauration de syndicats libres.

On a dit plus haut que le salaire des migrants avait récemment commencé à augmenter. Si elle se confirme, cette hausse pourrait marquer un changement important dans le développement du capitalisme en Chine. Car elle signifierait que la Chine perd l’un de ses principaux avantages comparatifs sur le marché mondial : une force de travail très bon marché. La faiblesse des salaires représente 40% environ de l’avantage comparatif de la Chine, le reste venant de la sous-évaluation du taux de change, de subventions à l’exportation, de la contrefaçon, du non-respect de l’environnement, etc…10. Pour compenser cette perte et rester compétitif sur le marché mondial, il faudrait que les entreprises montent en technicité et en qualité, et on pourrait alors arriver à une situation où les syndicats seraient à même de faire la preuve de leur utilité, et seraient donc finalement admis dans les entreprises. Cela n’ira pas sans des changements importants, allant de l’élimination des PME les plus archaïques à la remise en cause du PCC comme parti unique. A suivre donc.

BA

octobre 2007

Paru dans ECHANGES N° 123 Hiver 2007-2008

1 Agit K. Ghose : Employment in China, recent trends and future challenges, (OIT, Employment Strategy Paper 2005/14)

2 Ynan Shi et Françoise Hay: La Chine, forces et faiblesses d’une économie en expansion. PU Rennes, 2006, p. 230.

3 J.L. Rocca: Quand la Chine redécouvre la question sociale, Le Monde Diplomatique, mai 2007.

4 CLB : Falling through the floor, Migrant women workers quest for decent work in Dongguan, China, sept. 2006.

5 Jan Yang et Chenyan Liu : New trend for factory hiring in PRD, CSR Asia, vol.3, n°41. Il s’agit d’un bulletin des multinationales sur les thèmes de la responsabilité sociale des grandes entreprises (environnement, droits de l’homme, santé, corruption…).

6 Deux remarques incidentes avant de poursuivre : d’une part cette question se pose aussi en occident, où le retour à la plus-value absolue n’a pas été provoqué par l’étroitesse du panier des subsistances, mais par le ralentissement de la hausse de la productivité (faiblesse de la plus-value supplémentaire dégagée) et la suraccumulation de capital constant ( faiblesse de l’effet de la plus-value supplémentaire dégagée sur le taux de profit) ; d’autre part, la question se pose, en occcident comme en Chine, de savoir si les gains de productivité obtenus dans la branche II sont traduits en baisse de prix des subsistances – ce n’est justement pas le cas actuellement dans le secteur des nouilles, où le gouvernement chinois essaie de s’attaquer à un cartel dominé par une société japonaise.

7 Robert Ash : The Brakes on China Consumption. http://trustedsources.co.uk/china/long_march/trustedjudgements

8 De façon analogue à ce qui se passe au Bangladesh, cf. Echanges n°118.

9 CSR Asia, vol. 3, n°40.

10 Peter Navarro : L’avantage concurrentiel chinois, Perspectives chinoises, sept-déc. 2006, n°97.

jeudi 30 janvier 2025

LES PARIAS A L’ASSAUT DE LA FORTERESSE NORD

 

COMMUNISME1 OU BARBARIE

Echanges N°148 Eté 2014

 Chaque jour, presque chaque heure nous apporte son flot d’information sur ces guerres classiques qui n’osent pas dire leur nom entre États ou à l’intérieur d’un État qui continuent de coexister même si l’une chasse l’autre dans sa diffusion

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médiatique au gré des exactions, des atrocités, de la menace des intérêts des grandes puissances ou des interventions directes ou indirectes de celles-ci. L’Ukraine prend le devant de la scène sur Gaza qui peut supplanter l’Irak et le Kurdistan qui camoufle ce qui se passe en Syrie et met un voile sur les interventions militaires en centre Afrique, et vice et versa. Mais ce n’est pas de ces conflits « ouverts » dont nous voulons parler bien qu’ils jouent un rôle dans une autre guerre ignorée et bien plus généralisée et seulement médiatisée d’une manière parcellaire plus comme un fait divers que comme une guerre bien particulière. Ce qui est certain c’est que de plus en plus les populations fuient ces zones de combat ou en sont expulsées pour des raisons ethniques ou religieuses.

De temps à autre, ces derniers conflits sont supplantés ponctuellement par les faits d’armes de ces guérillas ethniques, religieuses, nationalistes, défensives contre une assimilation ou un projet capitaliste grandiose qui détruit leur environnement. On trouve de ces guérillas de plus ou moins grande dimension et de durée variable dans presque toute l’Afrique, le Sud Est asiatique ou en Amérique Centrale ou du Sud. Hors ces percées ponctuelles médiatiques, elles tombent souvent dans les coulisses de l’oubli. Qui se soucie aujourd’hui dans la montée chaotique des guerres  « régulières » de l’esclavage sexuel forcé des 270 lycéennes enlevées par Boko Haram ? Qui se soucie aujourd’hui de l’activité des FARC en Colombie ou des nuisances des Maras en Amérique Centrale ? Qui se soucie de la guérilla du Front moro islamique de libération (MILF) aux Philippines ? Qui se soucie du combat des Ouighours dans le Sin-Kiang chinois ? Pourtant tout comme les guerres « régulières » des guérillas alimentent par leur présence et par la répression des gouvernements « légaux » les troupes de cette guerre ignorée.

Surexploitation de la nature

Au-delà de ces guerres reconnues comme telles, même si elles ne tiennent pas la vedette médiatique du moment, d’autres facteurs que toutes ces guerres contribuent à alimenter cette armée de l’ombre : plus que ces guerres, ces facteurs illustrent une situation mondiale chaotique qu’un capitalisme envahissant contribue à créer et dont les conséquences créent d’autres problèmes insolubles tout e renforçant ce chaos. Tout tourne finalement autour d’une surexploitation de la nature pour l’ensemble de ses production qui entraîne à la fois une dépossession directe des éléments de vie de toute une population, de l’autre une dégradation générale de cette nature dont les effets contribuent indirectement à d’autres dégradations et à d’autres dépossessions..

 Concrètement, d’un côté l’extension intensive du capitalisme dans des zones où il n’avait pénétré que relativement fait que la concurrence capitaliste dans la production agricole et l’introduction de produits de large consommation réduisent les possibilités de vie des autochtones alimentant cette armée des ombres réduite à chercher ailleurs de quoi survivre.

D’un autre côté, renforçant éventuellement cette dépossession par les dégradations qu’elle entraîne, l’utilisation intensive, irrépressible et incontrôlée des combustibles fossiles (liée à d’autres facteurs moins importants mais tout autant liés à ce développement fou du capitalisme) est la cause d’un dérèglement climatique à l’échelle mondiale. Les conséquences de ce dérèglement se révèle multiforme tant par des alternances de sécheresses catastrophiques et de pluviométrie intense que par la récurrence de phénomènes ponctuels catastrophiques (ouragans, typhons, tornades etc.) ou la montée régulière irréversible des eaux marines envahissant les basses plaines côtières et renforçant le pouvoir destructeur des marées et des tempêtes. Des populations entières sont réduites à l’exode et doivent chercher d’autres territoires où survivre.

Ils sont ainsi poussés par différentes situations réduits à tout quitter, parfois transitant dans des camps de personnes déplacées, parfois se lançant individuellement sur le chemin d’un exode pour tenter d’atteindre ce qu’ils pensent être pas tant un eldorado mais au moins un endroit où la survie de vient préférable à leur misère et à leur insécurité présente. Ils sont ainsi des milliers, des millions à mener une autre forme de guerre, un assaut contre ce qu’ils pensent être des havres que sont les pays industrialisés, les bases du capital mondial, ceux –là mêmes qui sont la cause de leur migration forcée ( mais qui pourtant subissent les contrecoups de leur dérèglement qu’ils peuvent encore surmonter présentement)

Cette guerre inégale ces combattants de l’ombre la mènent mains nues, sans autre arme que leur détermination prête à toute épreuve, même les plus dangereuses en face d’un adversaire puissamment armé et protégé par des barrières supposées infranchissables. C’est une guerre sournoise, constante et si réelle mais qui se cache dans les replis d’une société dite » normale »

Les petits soldats de cette guerre qu’ils ne croient pas mener, ils la vivent dans l’exode, la misère le mépris, la discrimination et parfois la mort. Ils viennent de partout où il y a comme nous venons de la montrer où il y a une misère qui leur est imposée d’ailleurs et /ou l’insécurité et/ou un danger quelconque si menaçant qu’elle les pousse à quitter les lieux où ils ont vécu pour tenter d’entrer dans les pays où ils pensent trouver ce qu’ils n’ont pas ou plus et qui les faire partir à l’assaut de la forteresse que ces pays ont érigée pour se protéger de cette invasion persistante qui ne dit pas son nom.

 Il y a bien deux camps dont l’un ne se sait pas ennemi de l’autre qui lui le sait : on parle du Sud partant à l’assaut du Nord, mais si c’est vrai en gros, ce n’est pas toujours exact ; il pourrait s’identifier entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas.. Effectivement, cette armée des ombres monte souvent du Sud vers le Nord comme fascinés par une étoile qui les guiderait vers de paradis dont ils rêvent. Ils sont ainsi des millions, venus d’un réservoir humain inépuisable remplis précisément par ceux-là même vers lesquels ils s’acheminent, poussés par une condition précaire tout aussi inépuisable. La seule chose sur laquelle ils peuvent compter, outre leur farouche détermination, c’est la solidarité de leurs frères de misère et de combat. Ils sont prêts à accepter toutes les vexations, toutes les humiliations, la faim, la soif et les violences pour atteindre ce Nord qui tient tous les espoirs d’une autre vie.

 La forteresse Nord est bien protégée, une protection sans cesse perfectionnée. Une protection qui, à chaque instant prélève sa part de cadavres par milliers, dans le temps par centaines de milliers.

Ces protections sont « naturelles » : les mers sans fond ou bras de mer où se noient ceux qui se lancent sur des esquifs fragile ou pourris surchargés de ces volontaires de la mort programmée, les fleuves où se noient les nageurs inexpérimentés, les déserts où les attendent la soif ou la morsure des serpents. Les faits divers relatent régulièrement les victimes de ces tentatives dangereuses, mais seulement lorsque leur nombre est suffisant pour émouvoir les chaumières. Chacun connaît maintenant pour ces drames récurrents les détroits, celui de Sicile ou de Gibraltar, l’île de Lampedusa, lse Rio Grande, mais beaucoup moins ceux de l’Océan Indien ou du Pacifique qui sont trop loin pour des larmes de crocodile (qui se souvient aujourd’hui des « boat people vietnamiens et chinois ?)

Des grillages aux drones

Là où il n’y a pas de protections naturelles de la forteresse, un peu partout dans le monde, des barrières terrestres ont été édifiées avec un luxe de techniques sans cesse perfectionnée (2) avec des moyens inouïs de détection qui vont de murs réels aux hauts grillages électrifiés , des caméras aux ondes radars, des miradors aux drones . Tenter de franchir ces barrières terrestres emporte aussi son lot de victimes, électrocutées ou tuées par balle mais individuellement, ce qui n’attire guère l’attention médiatique. Pour donner une idée, pour les sceptiques sur la dimension de l’assaut contre la forteresse Nord, citons seulement le cas de la Grèce : en 2010 , 30 000 migrants ont été interceptés sur les rives de l’Evros en Thrace et on évalue à 128 000 ceux qui sont passés cette année-là dans les mailles du filet. En 2 009, il y aurait 2 millions d’immigrants illégaux en Grèce en transit vers l’Europe. Même quand ils se heurtent mains nues à ces murailles naturelles ou humaines répandues à travers le Monde, ces milliers , centaines de milliers, millions mêmes ne savent pas qu’ils mènent une guerre contre un ennemi non identifié sauf par sa peur d’être submergé par tous ces parias portés par leur nombre et leurs espoirs. Un espoir de vaincre porté par un désir de vivre plus fort que la mort. Si eux ne le savent pas qu’il mène une guerre sans merci, leur ennemi, lui, le sait.

 Il le sait si bien que pour contenir les possibles petits soldats de cette persistante invasion, les « personnes déplacées » par différents méfaits du capital, sont parqués, non plus dans les « camps de rétention trop connus sur les territoires nationaux, mais dans d’autres camps édifiés un peu partout dans le Monde sous couvert humanitaires par ceux- là même, les « grandes puissances du capital qui les ont poussés dans une telle situation.. Ils sont ainsi plus de 50 millions à pourrir littéralement derrière des barrières destinées également à les prévenir de venir grossir ceux qui sont déjà partis à l’assaut de la forteresse, une sorte d’armée de réserve difficilement contenue.

En face d’eux menant cette guerre implacable est un ennemi bien plus dangereux que la police et l’armée des États et leurs protections naturelles ou pas, ces répressions connues qu’ils craignent, connaissent et peuvent tenter de déjouer les pièges et de tourner les protections. C’est un ennemi inconnu, une sorte d’Hydre de Lerne aux mille tentacules qui peut à tout moment surgir de l’ombre, tentacules faites d’humiliations, de vols, de chantages, de viols, d’esclavage temporaire, de rançons, de violences physiques, de participation obligatoire à des trafics dangereux. La liste n’en est pas exhaustive, mais tous sont perpétrés par des hommes de hasard avides de gain profitant de leur faiblesse, souvent des marginaux comme eux. Et quand une partie d’entre eux ont réussi à échapper aux obstacles « légaux »aux multiples tentacules de l’Hydre de Lerne et pensent avoir atteint la Terre Promise, de « bons citoyens » du pays où ils ont enfin pénétré peuvent les attendre sous forme de milice pour leur donner le baiser de mort

Et s’ils en réchappent, la galère du sans papier constamment aux abois, le bagne de l’usine ou l’esclavage agricole les attend. Ou un internement dans une prison ou dans un de ces innombrables camps de rétention pour l’expulsion et un retour à la case départ.

Henri Simon

note

 1« Communisme » n’a rien à voir avec le capitalisme d’Etat style soviétique ou Chinois ou les différentes moutures sociale-démocrates. Il postule une société où il n’y a pas d’exploitation de l’homme par l’homme et où chacun décidera par lui-même quelle sera son activité et comment il l’assumera. Les parias que sont les migrants de partout sont à l’extrême d’un monde communiste car dans leur destin, ils ne sont maîtres de rien, soumis d’un bout à l’autre de leur vie à toutes les contraintes d’un système auxquelles ils tentent d’échapper pour tomber dans d’autres contraintes.


lundi 30 décembre 2024

25 ans de liquidation d’acquis sociaux en France

 

Vue d’ensemble de l’offensive capitaliste contre le monde du travail.

sommaire

1 -Les prémices de la crise sociale.

2 L’évolution des conditions d’exploitation du travail

2-1-De la concurrence entre prolétaires, à la chute généralisée du coût du travail.

2-2-La course à la productivité : La loi Quinquennale sur l’emploi

2-3-La réforme des salaires et des prélèvements sociaux

2-4-La flexibilité totale : des lois Auroux aux lois Aubry

2-5-des conventions collectives de branche aux contrats individuels précaires

2-6-Réforme du code du travail (année 2006)

2-7-Employabilité et formation

2-8-la réforme des syndicats et l’intégration européenne

3 La question sociale : santé, logement, mortalité

3-1-la sécurité sociale, la prévoyance santé

3-2-La mortalité au travail un l’holocauste normal ?

3-3-La question du logement et la crise urbaine.

4-La retraite dans le monde « du passé faisons table rase »

4-1-La remise en cause de l’âge de la retraite

4-2-La spoliation des retraités : un moyen pour le capital financier de contrecarrer la baisse du taux de profit.

4-3-Comment, en France, les travailleurs et retraités résistent à la remise en cause de la retraite à 60 ans.

4-4- Sur le renouvellement de l’ AGFF

5-De la précarité généralisée

5-1-La précarité comme loi de la condition humaine

5-2-CPE, flexsécurité, Sécurité sociale professionnelle : des mesures d’accompagnement de la précarité.

5-3-Le Capitalisme n’a  comme perspective à offrir que la relance de la précarité.

5-4-Echec de la stratégie de Lisbonne

5-5- La flexsécurité à la française ratifiée le 11 janvier 2008 par les syndicats

Introduction : Le document que nous publions est une compilation de différents articles publiés dans la revue « ECHANGES ». Le document d’origine avait été fait à usage interne pour alimenter les échanges d’une réunion multinationale tenue en Hollande en 2006. Quand la référence à Echanges n° X n’est pas indiqué, il s’agit d’un complément d’information, ou d’un résumé d’ un texte trop long. Le but de ce document étant de donner une vision d’ensemble de la question sociale en France et en Europe.

  Aussi nous avons voulu reconstituer dans le temps le puzzle de la destruction /liquidation des acquis sociaux issus de la lutte de classe. Un bilan accusateur, qui annonce la fin des réformes positives et l’entrée dans un monde de précarisation généralisée, qui sera bientôt reconnu par les institutions juridiques. Ce renversement qui accompagne la restructuration du capital mondial sous le vocable de mondialisation est le signe annonciateur de combats de classes plus radicaux.

Le capitalisme, ayant déclenché une crise sociale sans précédent au niveau mondial, se prépare aussi à gérer, sous le couvert de lutte anti-terroriste le contrôle social et la répression des mouvements de classe qui naîtront de la situation économique et sociale engendrer par le maintien du capitalisme.

Plus que jamais ce n’est pas la lutte de libération de telle ou telle nationalité opprimée dont il s’agit. Ni  de se revendiquer d’un « républicanisme bourgeois suranné » ou de s’enthousiasmer pour une indépendance nationale d’une autre époque. Encore moins de se précipiter sur les urnes pour savoir quel camp bourgeois va nous exploiter.

Il ne s’agit pas non plus de se réfugier, dans un quelconque spiritualisme, pour mettre un terme à « l’Armaguedon » capitaliste.

Il s’ agit d’ émanciper le monde du capitalisme, de l’ exploitation de l’ homme par l’ homme et cette tâche revient au prolétariat du monde entier qui pour se faire n’ a nullement besoin de parti et de religion ( embryon d’ état ) mais de sa force massive irrésistible qui mettra en évidence l’ incapacité de ce monde à gérer la vie humaine, et en sera le fossoyeur.

 C’est de ce mouvement, que nous nous réclamons, mouvement qui sous nos yeux sera contraint d’abolir l’ordre des choses tout en prenant conscience de son action. Il ne s’agit pas d’interpréter le monde il s’agit de le transformer.

 1-Les prémices de la crise sociale.

 « Résumons-nous : le réformisme suppose que le capitalisme soit réformable. Tant que celui-ci conserve ce caractère, l'essence révolutionnaire de la classe ouvrière demeure à l'état latent. La classe ouvrière cessera d'avoir conscience de sa situation de classe, et elle identifiera ses aspirations à celles de la classe domi­nante. Un jour cependant, la survie du capitalisme finira par dépendre d'un « réformisme à rebours » ; le système sera contraint de recréer les conditions qui ont conduit au développement de la conscience de classe et à la perspective d'une révolution prolétarienne. Lorsque ce jour viendra, le nouveau capitalisme ressem­blera à l'ancien, et il se retrouvera de nouveau, dans des conditions changées, face à l'ancienne lutte de classe. »

( Paul.Mattick, Le nouveau capitalisme et l’ ancienne lutte de classes ( 1968) Edition Spartacus  sous le titre «  Le marxisme hier, aujourd’hui et demain).

La mondialisation capitaliste, c’est à dire le retour à la libre concurrence est la solution draconienne que les bourgeoisies multinationales  allaient mettre en action  pour lutter  contre la crise de rentabilité du capital qui commença à sévir dés 1975. Le système keynésien qui avait si bien fonctionné  durant les trente glorieuses était montré du doigt, et dans les couveuses de l’ université de Chicago et l’ institut britannique Adam Smith ainsi que Saint Andrew  une nouvelle génération d’économistes ne demandait qu’à  éclore pour bouleverser le dogme économique de Keynes.

Voilà donc que nos jeunes économistes, formatés sur les bases des travaux de Milton Friedman et de Gary Becker, vont se répandre comme la peste dans les conseils économiques de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, certains accéderont aux institutions de Bretton Woods , du FMI et de la Banque mondiale. Ils ne tarderont pas à convaincre, de nombreux gouvernements au fait qu’il faut maintenant sonner le tocsin de l’économie réglementé et de briser tous les carcans avant de finir comme le capitalisme d’état de l’ URSS.1 

La recette consistait  dans un premier temps, à  appliquer le système des « 3 D » (déréglementation, désintermédiation, décloisonnement)

Le glas de l’ économie administrée avait sonné et dans les milieux financier les ténors du monétarisme, montraient du doigt l’ affaire du crédit lyonnais revendiquant que la banque devienne mortelle. Le programme commun de la gauche (PC/PS) fut nié jusqu'à la moelle des os par la gauche elle même. Plus de 65 groupes (banques, compagnies d’assurances, entreprises industrielles), seront soumis à la  privatisation. Ce programme va toucher les nationalisations de 1982, voire de 1945.

C’est surtout à partir de 1986 que l’offensive de cette nouvelle donne du capital à l’ échelle mondiale commença ses attaques contre le monde du travail, en France  (libéralisation des prix, suppression du contrôle des changes, développement de la concurrence, lutte contre les rigidités concernant l’embauche et les dénationalisations). Dés 1987 date du début des dévalorisations financières en chaînes, la politique monétariste de l’ultra-libéralisme est remise en cause, le bilan est plus que négatif. De nouveau la question de l’Etat ; et de sa réhabilitation revient sur le tapis. En Grande-Bretagne Thatcher démissionne le 22 novembre 1990 ; c’est la fin des croisades contre le “ Welfare State ” (Etat-providence), Aux USA Bill Clinton est réélu sur un programme de relance de l’économie par des dépenses publiques, il veut “ réinventer l’Etat ” et parle d’une réforme en profondeur du système de protection sociale. Dans pratiquement tous les pays occidentaux des mouvements de réhabilitation du rôle de l’Etat auront lieu, mais la purge sociale aura été programmée par tous les Etats et la réhabilitation de l’Etat ne remettra pas en cause la poursuite de cette purge, elle va au contraire la diriger, la contrôler et l’accentuer.

En 1989, le gouvernement Rocard entend donner une nouvelle ambition à l’Etat, il parle de “ renouveau du service public ” dans la pratique il va constamment opposer les usagers au secteur public préparant ainsi le terrain des privatisations de 1993 du gouvernement Balladur ; 21 groupes visés : Renault, air France l’ Aérospaciale, en 1994 privatisation totale d’Elf-Aquitaine  et de l’UAP. . La guerre contre le monde du travail , contre ses acquis issus des luttes de classe est déclarée et les ténors du capitalisme le disent tout haut du « passé faisons table rase » . Tous les garanties sociales vont y passer et y passent encore : Retraite, santé, salaire, contrat de travail, temps de travail, convention collectives, et pour bientôt le code du travail, démontrant ainsi que le capitalisme n’a plus rien à offrir. Cette situation pousse chaque jour la bourgeoisie mondiale à resserrer son étreinte contre les classes dite dangereuses, contre un terrorisme qui ne lui arrivera jamais qu’à la cheville, elle affûte ses couteaux et essaye encore de vendre du «  sécuritaire » aux couches de la classe moyenne pendant qu’elle le peut encore. Seulement chaque jour sa marge de manœuvre se réduit, de même que se réduit tout espoir d’ un changement positif et humain dans le cadre du système capitaliste.

Lire la suite

notes

 1 « Historiquement, la concurrence signifie la dissolution des contraintes corporatives de la réglementation d’Etat, l’abolition des frontières à l’intérieur d’un pays ; sur le marché mondial, elle élimine le cloisonnement, la prohibition ou le protectionnisme. Bref historiquement elle apparaît comme négation des modes de production antérieurs à celui du capital et comme abolition des entraves et des législations qui leur sont propres. » (Grundrisse 3. Chapitre du Capital, édt 10/18 , page 257.)

sommaire

1 -Les prémices de la crise sociale.

2 L’évolution des conditions d’exploitation du travail

2-1-De la concurrence entre prolétaires, à la chute généralisée du coût du travail.

2-2-La course à la productivité : La loi Quinquennale sur l’emploi

2-3-La réforme des salaires et des prélèvements sociaux

2-4-La flexibilité totale : des lois Auroux aux lois Aubry

2-5-des conventions collectives de branche aux contrats individuels précaires

2-6-Réforme du code du travail (année 2006)

2-7-Employabilité et formation

2-8-la réforme des syndicats et l’intégration européenne

3 La question sociale : santé, logement, mortalité

3-1-la sécurité sociale, la prévoyance santé

3-2-La mortalité au travail un l’holocauste normal ?

3-3-La question du logement et la crise urbaine.

4-La retraite dans le monde « du passé faisons table rase »

4-1-La remise en cause de l’âge de la retraite

4-2-La spoliation des retraités : un moyen pour le capital financier de contrecarrer la baisse du taux de profit.

4-3-Comment, en France, les travailleurs et retraités résistent à la remise en cause de la retraite à 60 ans.

4-4- Sur le renouvellement de l’ AGFF

5-De la précarité généralisée

5-1-La précarité comme loi de la condition humaine

5-2-CPE, flexsécurité, Sécurité sociale professionnelle : des mesures d’accompagnement de la précarité.

5-3-Le Capitalisme n’a  comme perspective à offrir que la relance de la précarité.

5-4-Echec de la stratégie de Lisbonne

5-5- La flexsécurité à la française ratifiée le 11 janvier 2008 par les syndicats

Introduction : Le document que nous publions est une compilation de différents articles publiés dans la revue « ECHANGES ». Le document d’origine avait été fait à usage interne pour alimenter les échanges d’une réunion multinationale tenue en Hollande en 2006. Quand la référence à Echanges n° X n’est pas indiqué, il s’agit d’un complément d’information, ou d’un résumé d’ un texte trop long. Le but de ce document étant de donner une vision d’ensemble de la question sociale en France et en Europe.

  Aussi nous avons voulu reconstituer dans le temps le puzzle de la destruction /liquidation des acquis sociaux issus de la lutte de classe. Un bilan accusateur, qui annonce la fin des réformes positives et l’entrée dans un monde de précarisation généralisée, qui sera bientôt reconnu par les institutions juridiques. Ce renversement qui accompagne la restructuration du capital mondial sous le vocable de mondialisation est le signe annonciateur de combats de classes plus radicaux.

Le capitalisme, ayant déclenché une crise sociale sans précédent au niveau mondial, se prépare aussi à gérer, sous le couvert de lutte anti-terroriste le contrôle social et la répression des mouvements de classe qui naîtront de la situation économique et sociale engendrer par le maintien du capitalisme.

Plus que jamais ce n’est pas la lutte de libération de telle ou telle nationalité opprimée dont il s’agit. Ni  de se revendiquer d’un « républicanisme bourgeois suranné » ou de s’enthousiasmer pour une indépendance nationale d’une autre époque. Encore moins de se précipiter sur les urnes pour savoir quel camp bourgeois va nous exploiter.

Il ne s’agit pas non plus de se réfugier, dans un quelconque spiritualisme, pour mettre un terme à « l’Armaguedon » capitaliste.

Il s’ agit d’ émanciper le monde du capitalisme, de l’ exploitation de l’ homme par l’ homme et cette tâche revient au prolétariat du monde entier qui pour se faire n’ a nullement besoin de parti et de religion ( embryon d’ état ) mais de sa force massive irrésistible qui mettra en évidence l’ incapacité de ce monde à gérer la vie humaine, et en sera le fossoyeur.

 C’est de ce mouvement, que nous nous réclamons, mouvement qui sous nos yeux sera contraint d’abolir l’ordre des choses tout en prenant conscience de son action. Il ne s’agit pas d’interpréter le monde il s’agit de le transformer.

 1-Les prémices de la crise sociale.

 « Résumons-nous : le réformisme suppose que le capitalisme soit réformable. Tant que celui-ci conserve ce caractère, l'essence révolutionnaire de la classe ouvrière demeure à l'état latent. La classe ouvrière cessera d'avoir conscience de sa situation de classe, et elle identifiera ses aspirations à celles de la classe domi­nante. Un jour cependant, la survie du capitalisme finira par dépendre d'un « réformisme à rebours » ; le système sera contraint de recréer les conditions qui ont conduit au développement de la conscience de classe et à la perspective d'une révolution prolétarienne. Lorsque ce jour viendra, le nouveau capitalisme ressem­blera à l'ancien, et il se retrouvera de nouveau, dans des conditions changées, face à l'ancienne lutte de classe. »

( Paul.Mattick, Le nouveau capitalisme et l’ ancienne lutte de classes ( 1968) Edition Spartacus  sous le titre «  Le marxisme hier, aujourd’hui et demain).

La mondialisation capitaliste, c’est à dire le retour à la libre concurrence est la solution draconienne que les bourgeoisies multinationales  allaient mettre en action  pour lutter  contre la crise de rentabilité du capital qui commença à sévir dés 1975. Le système keynésien qui avait si bien fonctionné  durant les trente glorieuses était montré du doigt, et dans les couveuses de l’ université de Chicago et l’ institut britannique Adam Smith ainsi que Saint Andrew  une nouvelle génération d’économistes ne demandait qu’à  éclore pour bouleverser le dogme économique de Keynes.

Voilà donc que nos jeunes économistes, formatés sur les bases des travaux de Milton Friedman et de Gary Becker, vont se répandre comme la peste dans les conseils économiques de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, certains accéderont aux institutions de Bretton Woods , du FMI et de la Banque mondiale. Ils ne tarderont pas à convaincre, de nombreux gouvernements au fait qu’il faut maintenant sonner le tocsin de l’économie réglementé et de briser tous les carcans avant de finir comme le capitalisme d’état de l’ URSS.1 

La recette consistait  dans un premier temps, à  appliquer le système des « 3 D » (déréglementation, désintermédiation, décloisonnement)

Le glas de l’ économie administrée avait sonné et dans les milieux financier les ténors du monétarisme, montraient du doigt l’ affaire du crédit lyonnais revendiquant que la banque devienne mortelle. Le programme commun de la gauche (PC/PS) fut nié jusqu'à la moelle des os par la gauche elle même. Plus de 65 groupes (banques, compagnies d’assurances, entreprises industrielles), seront soumis à la  privatisation. Ce programme va toucher les nationalisations de 1982, voire de 1945.

C’est surtout à partir de 1986 que l’offensive de cette nouvelle donne du capital à l’ échelle mondiale commença ses attaques contre le monde du travail, en France  (libéralisation des prix, suppression du contrôle des changes, développement de la concurrence, lutte contre les rigidités concernant l’embauche et les dénationalisations). Dés 1987 date du début des dévalorisations financières en chaînes, la politique monétariste de l’ultra-libéralisme est remise en cause, le bilan est plus que négatif. De nouveau la question de l’Etat ; et de sa réhabilitation revient sur le tapis. En Grande-Bretagne Thatcher démissionne le 22 novembre 1990 ; c’est la fin des croisades contre le “ Welfare State ” (Etat-providence), Aux USA Bill Clinton est réélu sur un programme de relance de l’économie par des dépenses publiques, il veut “ réinventer l’Etat ” et parle d’une réforme en profondeur du système de protection sociale. Dans pratiquement tous les pays occidentaux des mouvements de réhabilitation du rôle de l’Etat auront lieu, mais la purge sociale aura été programmée par tous les Etats et la réhabilitation de l’Etat ne remettra pas en cause la poursuite de cette purge, elle va au contraire la diriger, la contrôler et l’accentuer.

En 1989, le gouvernement Rocard entend donner une nouvelle ambition à l’Etat, il parle de “ renouveau du service public ” dans la pratique il va constamment opposer les usagers au secteur public préparant ainsi le terrain des privatisations de 1993 du gouvernement Balladur ; 21 groupes visés : Renault, air France l’ Aérospaciale, en 1994 privatisation totale d’Elf-Aquitaine  et de l’UAP. . La guerre contre le monde du travail , contre ses acquis issus des luttes de classe est déclarée et les ténors du capitalisme le disent tout haut du « passé faisons table rase » . Tous les garanties sociales vont y passer et y passent encore : Retraite, santé, salaire, contrat de travail, temps de travail, convention collectives, et pour bientôt le code du travail, démontrant ainsi que le capitalisme n’a plus rien à offrir. Cette situation pousse chaque jour la bourgeoisie mondiale à resserrer son étreinte contre les classes dite dangereuses, contre un terrorisme qui ne lui arrivera jamais qu’à la cheville, elle affûte ses couteaux et essaye encore de vendre du «  sécuritaire » aux couches de la classe moyenne pendant qu’elle le peut encore. Seulement chaque jour sa marge de manœuvre se réduit, de même que se réduit tout espoir d’ un changement positif et humain dans le cadre du système capitaliste.

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notes

 1 « Historiquement, la concurrence signifie la dissolution des contraintes corporatives de la réglementation d’Etat, l’abolition des frontières à l’intérieur d’un pays ; sur le marché mondial, elle élimine le cloisonnement, la prohibition ou le protectionnisme. Bref historiquement elle apparaît comme négation des modes de production antérieurs à celui du capital et comme abolition des entraves et des législations qui leur sont propres. » (Grundrisse 3. Chapitre du Capital, édt 10/18 , page 257.)

HISTOIRE ET CONDITION DE LA CLASSE OUVRIÈRE JAPONAISE DANS LE SECOND APRÈS-GUERRE

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