vendredi 6 septembre 2024

Bipolarisation géoéconomique et lutte de classe mondiale

 


Pour un marxiste, une analyse de la lutte des classes ne peut s’élaborer qu’à l’échelle mondiale. Or, force est de constater l’existence d’un retard de compréhension au sein de la
Gauche Communiste :


1- Sur la prise en compte des capacités du capitalisme à se développer et à générer une nouvelle bipolarisation géoéconomique du monde, en particulier avec le déplacement de son centre de gravité vers l’Asie.


2- Sur la prise en compte des implications de cette nouvelle configuration : (a) sur le plan impérialiste avec une nouvelle bipolarisation géopolitique autour de Washington et Pékin et (b) sur le plan de la lutte des classes avec une appréciation de ses forces et faiblesses dans cette région qui, désormais, concentre les trois cinquièmes du prolétariat manufacturier.

Ce retard découle d’un conservatisme dogmatique dans une Gauche Communiste qui reste globalement accrochée au constat tracé par la troisième internationale : celui de l’entrée du mode de production dans sa supposée phase de décadence avec l’éclatement de la première Guerre Mondiale. Ce conservatisme dogmatique tranche avec le courage politique de Marx et Engels qui, bien qu’ayant énoncé l’avènement de l’obsolescence du capitalisme à quatre reprises durant leur existence (1), ont néanmoins eu le courage politique de reconnaître s’être trompés à la fin de leurs vies (2). C’est ce que les groupes se revendiquant (de près ou de loin) de la Gauche Communiste n’ont pas encore réussi à faire, à l’exception du Cercle de discussion de Paris (3) et du groupe Robin Goodfellow (4).

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(1) Voir notre article sur La succession des modes de production, une validation du matérialisme historique aux pages 11 et 12 du n°6 de notre revue.

(2) « L’histoire nous a donné tort, à nous comme à tous ceux qui pensaient de façon analogue. Elle a montré clairement que l’état du développement économique sur le continent était alors bien loin encore d’être mûr pour l’élimination de la production capitaliste ; elle l’a prouvé par la révolution économique qui, depuis 1848, a gagné tout le continent...

[...] cela prouve une fois pour toutes combien il était impossible en 1848 de faire la conquête de la transforma-tion sociale par un simple coup de main » Engels, préface de 1895 à l’ouvrage de Marx sur Les luttes de classes en France, Éditions La Pléiade – Politique I : 1129.

(3) En particulier aux pages 31 à 52 de leur excellente brochure Que ne pas faire ? Partie intitulée : Dynamique du capitalisme au XXe siècle et décadence.

(4) Ce groupe s’en explique largement ici : 1976-2016, regard sur les 40 ans écoulés.


Cependant, même si ces deux derniers groupes ont clairement rompu avec le diagnostic de décadence du capitalisme énoncé par la 3e internationale, ils n’en n’ont pas tiré les implications concernant ses évolutions géoéconomiques et géopolitiques. Le premier parce qu’il n’a pas poursuivi son travail séminal et le second parce qu’il plaque mécaniquement les analyses de Marx et Engels aux 20e et 21e siècles.

Ce conservatisme très prégnant tient à de multiples raisons, mais l’une d’elles est terriblement dommageable car elle relève d’une mécompréhension de la méthode du matérialisme historique : « Le communisme n'est pas une doctrine, mais un mouvement. Il ne part pas des principes mais des faits. Les communistes ont pour présupposition non telle ou telle philosophie, mais toute l'histoire passée et spécialement ses résultats effectifs actuels dans les pays civilisés » car « M. Heinzen [les groupes de la Gauche Communiste] s'imagine que le communisme est une certaine doctrine qui partirait d'un principe théorique déterminé – le noyau [la doctrine de la décadence en 1914] – dont on tirerait d'ultérieures conséquences. M. Heinzen [les groupes de la Gauche Communiste] se trompe fort. » Engels-1847, Les communistes et Karl Heinzen.

Malheureusement, comme Karl Heinzen, ces groupes considèrent leur clarté acquise comme une doctrine intangible en oubliant de la confronter constamment aux faits, aux évolutions du capitalisme, à « toute l'histoire passée et spécialement ses résultats effectifs actuels dans les pays civilisés », bref, ils oublient de faire évoluer leurs théories avec le « mouvement » de la société comme l’énonce Engels. Au lieu de cela, ils s’accrochent à de vieilles planches pourries en


  • s'imaginant que le communisme est une certaine doctrine qui partirait d'un principe théorique déterminé – le noyau [la doctrine de la décadence en 1914] – dont on tirerait d'ultérieures conséquences »


alors que les faits ont massivement invalidé ce diagnostic (5).

Dès lors, à constamment discourir sur la ‘décadence du capitalisme depuis 1914’, sa faillite irrémédiable et sur l’épuisement de tous les palliatifs pour le maintenir en vie … il n’est pas étonnant qu’il ait fallu plusieurs décennies aux groupes de la Gauche Communiste pour reconnaître que quelque chose bougeait en Asie, et encore, cette reconnaissance est

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(5) Nous l’avons largement développé aux pages 20-42 de notre Cahier Thématique n°3.

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effectuée du bout des lèvres et en marchand à reculons. Examinons donc ces faits comme nous l’enjoint Engels :

D’un capitalisme limité à son aire euro-américaine d’origine …

Jusqu’à la seconde Guerre Mondiale (2e GM), le développement du capitalisme est resté confiné à l’aire européenne et nord-américaine (plus Japon, Australie et Nouvelle-Zélande) au détriment du reste du monde. Ainsi, cet ‘Occident’ qui ne représentait que 30 % du PIB mondial au début du capitalisme moderne (1825), en concentre les deux tiers (66 %) au lendemain de la 2e GM (Graphe 1), et près de 80 % si on y inclut les pays asiatiques anciennement développés 6, soit une quasi-multiplication par trois de leur part relative. Dans le même temps, l’Inde et la Chine qui en détenaient la moitié en 1820 en sont réduits à 10 % en 1945, soit une division par cinq ! C’est ce que les historiens de l’économie appellent ‘la grande divergence’ instaurée par la révolution industrielle en Occident et la curée coloniale (Graphe 2).

Autrement dit, contrairement à la prévision de Marx énoncée dans le Manifeste (et inlassablement répétée de façon dogmatique par tous les groupes de la GC 7), le capitalisme ne s’est pas développé partout dans le monde. S’il a bien colonisé la planète entière, c’était pour la contrôler au seul bénéfice d’une grosse dizaine de pays euro-américains. En maints endroits, en Chine et en Inde notamment, ce monde colonial a été pillé et détruit au point de connaître une régression de leur PIB par habitant durant deux siècles (Graphe 2). Le capitalisme et ses lois impérialistes dominaient bien le monde en 1914, mais cela ne signifie pas qu’ils y ont développé les forces productives locales et, lorsqu’ils l’ont fait (ports, réseaux ferrés, villes coloniales…), ce fut très limité et avec pour objectif premier de piller les ressources coloniales. Il suffit de regarder une carte de ce monde colonisé pour se rendre compte que leurs capitales sont quasi toutes des ports et que le réseau ferroviaire y est organisé pour y drainer les richesses des mines vers les métropoles (Carte 3). Il

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  1. Japon, Australie et Nouvelle-Zélande.

  1. « Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image ».


est d’ailleurs significatif que certaines ex-colonies ont déplacé leurs capitales dans des villes nouvelles au centre de leurs pays afin de symboliquement rompre avec ce passé et de rééquilibrer leur développement vers l’intérieur (cf. Abuja au Nigéria ou Brasilia au Brésil, etc.).

Graphe 1 : Répartition du PIB mondial entre différents pays et régions du monde




Graphe 2 : La grande divergence



Carte 3 : Réseau ferré en Afrique sub-saharienne







C’est au lendemain de la 2e GM que la polarisation géoéconomique du monde est maximale, surtout au profit des seuls États-Unis après l’affaiblissement de l’Europe entre 1914 et 1945 : ils doublent leur part dans le PIB mondial en passant de 18 à 36 % alors

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que l’Europe chute de 38 à 30 %. Cette domination américaine est encore plus importante dans le secteur industriel puisqu’ils en détiennent la moitié


  • eux seuls en 1945. Surpuissante économiquement et militairement, ce pays entendait bien conserver cette suprématie comme le résumait Zbigniew Brezinski : « Il est impératif qu'aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l'Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l'Amérique ».


C’est pourquoi les Américains planifient de transformer l’Europe d’après-guerre en protectorat et l’Allemagne et le Japon en pays agropastoraux pour ses multinationales agro-alimentaires !


Ainsi, dès 1941-42, Washington prévoyait d’imposer aux pays libérés un statut de protectorat régi par un AMGOT (gouvernement militaire allié des territoires occupés). Ce gouvernement militaire américain des territoires occupés devait abolir toute souveraineté, y compris le droit de battre monnaie, sur le modèle fourni par les accords Darlan-Clark de novembre 1942. Plus, un plan spécifique et beaucoup plus drastique pour l’Allemagne a été conçu dans les années 1940 par Henry Morgenthau, alors secrétaire du Trésor des États-Unis. La version de ce plan adoptée par Roosevelt et Churchill en septembre 1944 prévoyait de « transformer l'Allemagne en une nation principalement agricole et pastorale, sans industrie » Wikipedia. Roosevelt dira clairement que « L'Allemagne n'est pas occupée dans le but d'être libérée, mais en tant que nation ennemie. Elle devra être désarmée, dénazifiée et décentralisée. La fraternisation entre occupants et occupés sera fortement découragée. Les principales industries seront contrôlées ou supprimées ». Il en sera de même pour le Japon.

Tous ces plans sont appliqués dès la libération, mais avec des fortunes diverses compte-tenu des résistances qui se font jour parmi les diverses bourgeoisies nationales. En fait, c’est l’émergence de la guerre froide en Europe, la victoire de Mao Zedong en Chine et son entrée dans le bloc soviétique ainsi que la guerre de Corée, donc le carcan de l’organisation du monde en deux blocs impérialistes adverses, qui vont réorienter les plans américains pour endiguer ces avancées du bloc de l’Est en favorisant le développement en Europe, au Japon, dans les NPI – Nouveaux Pays Industrialisés : Corée du Sud, Taïwan, Hong-Kong, Singapour (Graphe 4), en Asie du SE (Graphe 5) et en Chine à partir des années 1970 (Graphe 2). Ainsi, le plan Morgenthau finit par être abandonné en septembre 1946, mais en 1951 seulement pour les démontages d'usines et les strictes limitations de la production ! Il sera remplacé par le plan Marshall qui va concourir au redressement de l’Europe, en particulier d’une Allemagne aux avant-postes de la menace soviétique.


Graphe 4 : Nouveaux Pays Industrialisés



Graphe 5 : Asie du Sud-Est



Ce confinement du capitalisme occidental couplé à la paupérisation du reste du monde est bien illustré par le graphe suivant montrant que, durant près d’un siècle et demi (1820-1950), le capitalisme n’a jamais pu élever le croît majoritaire de la population au-dessus du seuil physiologique de pauvreté absolue. Autrement dit, jusqu’à la seconde guerre mondiale, le capitalisme engendre une paupérisation absolue de la population à l’échelle mondiale et de nombreuses famines.


Graphe 6 : Seuil de paupérisation absolue



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En revanche, l’adoption du capitalisme d’État conventionné après 1945, les impératifs imposés par la guerre froide, puis le tournant néolibéral autour des années 1970-80 et la mondialisation qui en découle, vont radicalement changer cette configuration : de plus en plus de pays par le monde (surtout en Asie) vont se développer, les salaires réels augmenter et les famines diminuer… Toutes choses incompréhensibles pour le dogmatisme des groupes de la Gauche Communiste dont la caricature prototypique est représentée par le CCI qui assénait toutes ses certitudes absolues avec la foi d’un charbonnier :


  • La période de décadence du capitalisme se caractérise par l'impossibilité de tout


surgissement de nouvelles nations industrialisées. Les pays qui n'ont pas réussi leur


décollage’ industriel avant la 1è guerre mondiale sont, par la suite, condamnés à stagner dans le sous-développement total, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui


tiennent le haut du pavé’. Il en est ainsi, de grandes nations comme l'Inde ou la Chine dont


l'indépendance nationale’ ou même la prétendue ‘révolution’ (lire l'instauration d'un capitalisme d'État draconien) ne permettent pas la sortie du sous-développement et du dénuement » (8).


De telles assertions étaient déjà risibles à l’époque où elles étaient assénées (1980), puisque cela faisait trois décennies que la Chine sortait de sa stagnation pluriséculaire (Graphes 2 et 7), mais il a encore fallu attendre +/- 35 ans pour que les militants de la Gauche Communiste de France (dont Marc Chirik), puis le CCI lui-même, réalise qu’un des pays les plus pauvres de la planète devienne une puissance économique capable de rivaliser avec les USA et de se poser en leader d’un proto-bloc impérialiste ! Pour une organisation qui se targue régulièrement de la puissance de son analyse ‘marxiste’ et qui se vante d’être à l’avant-garde … ils battent tous les records d’aveuglements et d’ignorances consécutifs à leur dogmatisme suranné puisque cela fait durant près de 65 ans que Marc Chirik puis le CCI se sont


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(8) Et quelle en était la raison de cette « impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées » ? Elle est fournie à la suite immédiate du précédent passage : « Cette incapacité des pays sous-développés à se hisser au niveau des pays les plus avancés s'explique par les faits suivants : 1) Les marchés représentés par les secteurs extra-capitalistes des pays industrialisés sont totalement épuisés […] 3) Les marchés extra-capitalistes sont saturés au niveau mondial. Malgré les immenses besoins et le dénuement total du tiers-monde, les économies qui n'ont pu accéder à l'industrialisation capitaliste ne constituent pas un marché solvable parce que complètement ruinées. 4) La loi de l'offre et de la demande joue contre tout développement de nouveaux pays. Dans un monde ou les marchés sont saturés… ». Ces citations sont tirées d’une texte fondateur coécrit par le mentor historique (MC – Marc Chirik) et actuel (FM) du CCI : Revue Internationale n°23, 1980.


refusés de voir que la Chine sortait de sa torpeur séculaire. Cet aveuglement perdure encore aujourd’hui concernant l’Inde qui se développe spectaculairement depuis les années 1980 (Graphe 8) ainsi que les NPI (Graphe 4) et l’Asie du SE (Graphe 5) depuis les années 1950 ! Autrement dit, un aveuglement durant trois quarts de siècle pour ces deux derniers groupes de pays et de +/- 35 ans pour l’Inde !


Graphe 7 : Chine – Croissance du PIB/habitant réel



Graphe 8 : Inde – Croissance du PIB/habitant réel


Enfonçons le clou. Le CCI n’a eu de cesse de systématiquement ridiculiser le développement des pays émergents (BRICS : Brésil, Russie, Inde Chine, Afrique du Sud). Durant l’été 2012, il écrivait encore que la croissance de ces pays relevait du mythe :


  • L’acronyme “BRICs” désigne les quatre pays dont les économies ont été les plus florissantes ces dernières années: le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Mais tel l’Eldorado, cette bonne santé relève plus du mythe que de la réalité ». Un an après, dans sa résolution sur la situation internationale de son 20e congrès, il reconnaissait du bout des lèvres que les BRICS disposaient de « …taux de croissance se maintenant bien au-dessus de ceux des États-Unis, du Japon ou de l’Europe occidentale… », mais cette performance n’était pas reconnue comme réel développement car c’était juste un vase communiquant puisque attribuée « à la "délocalisation" de pans considérables de l’appareil productif des vieux pays industriels (automobile, textiles et habillement, électronique, etc.) vers des régions où les salaires ouvriers sont incomparablement plus bas » ! Trois

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ans après, en 2016, le CCI avouait finalement l’existence d’« un développement réel des forces productives dans ce qui avait été jusqu’à maintenant des pays périphériques du capitalisme », mais pour immédiatement l’attribuer à la parenthèse d’opportunité ouverte par l’effondrement du bloc de l’Est : « …l’étape actuelle de "mondialisation" du capitalisme d’État, déjà introduite au préalable, a rendu possible, dans le contexte post 1989, un développement réel des forces productives dans ce qui avait été jusqu’à maintenant des pays périphériques du capitalisme » Revue Internationale n°157 (9).

Qu’en est-il en réalité ? C’est depuis l’entre-deux guerres que les BRICS commencent à rompre avec leur stagnation séculaire, puis ils se développent très nettement après la seconde guerre mondiale et encore plus durant la phase de mondialisation (Graphe 9). Autrement dit, si l’on s’appuie sur le narratif même du CCI, il lui a fallu près de trois décennies (de 1989 à 2016, soit 27 ans) pour reconnaître ce qu’il appelle « un développement réel des forces productives dans ce qui avait été jusqu’à maintenant des pays périphériques du capitalisme »


  • mais si l’on s’appuie sur les données réelles, cela fait depuis 65 ans (1950-2016) que les ancêtres du CCI, puis ce dernier, sont aveugles … puisque la croissance des BRICS démarre nettement après la seconde guerre mondiale ! Et encore, est-on bien sûr que le CCI en ait réellement conscience aujourd’hui ? Rien n’est moins certain puisque les schémas idéologiques de cette organisation dénomment encore les BRICS comme étant la « périphérie du capitalisme » alors que les données réelles montrent que ces pays ont dépassé l’ancien occident industrialisé ! C’est ce que nous examinons au chapitre suivant.

Graphe 9 : BRICS – Croissance du PIB/habitant réel


au capitalisme mondialisé actuel

spectaculaires qu’ils se sont tous déroulés très rapidement, beaucoup plus rapidement que les développements lors des révolutions industrielles au 19e siècle durant ladite ‘ascendance’ du capitalisme. Pour bien s’en rendre compte, examinons à nouveau les faits comme nous l’enjoint Engels en regardant ce qui s’est passé durant les trois dernières décennies … càd la supposée phase ‘terminale’ de décomposition du capitalisme selon le CCI :

1- Si l’on compare l’évolution de la part des pays développés ‘historiques’ à celle des pays émergents + en développements, calculé en parité de pouvoir d’achat (10), nous assistons à une rapide et spectaculaire inversion où les seconds rattrapent et dépassent les premiers :

Graphe 10 : Distribution du PIB mondial par zones



2- Et si l’on regarde maintenant les deux blocs économiques qui rivalisent entre eux pour se disputer l’hégémonie sur le marché mondial, un même constat se dégage : une spectaculaire inversion durant ces trois dernières décennies :

Graphe 11 : BRICS, BRICS+ et pays occidentaux

Ces développements successifs du capitalisme après la seconde Guerre Mondiale sont d’autant plus

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(9) Nous avons déconstruit cette explication farfelue aux pages 15 à 19 de notre Cahier Thématique n°3.

(10) C’est-à-dire un mode de calcul plus approprié puisqu’il s’appuie sur les pouvoirs d’achat locaux et non sur les taux de change pour convertir les PIB nationaux respectifs en monnaie commune (le dollars) afin de pouvoir les additionner et les comparer.

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Autrement dit, les faits nous montrent que ce n’est pas le capitalisme qui se décompose mais ladite ‘théorie’ du CCI sur la ‘décadence et la phase terminale du capitalisme’. En effet, en trois-quarts de siècle (1950-2025) et contrairement à l’époque de Marx, le capitalisme s’est réellement développé en étendue et en profondeur un peu partout dans le monde (surtout en Asie, mais pas seulement).

Le déplacement du centre de gravité du capitalisme vers l’Asie

Si l’on regarde maintenant d’un peu plus près la répartition géographique de cette croissance, l’on remarque que c’est surtout l’Asie qui en constitue le réceptacle (Graphes 12 et 13). À nouveau, nous y constatons une rapide inversion de dynamique entre l’ancien ‘Occident développé’ et l’Asie émergente au point d’assister à un déplacement du centre de gravité du capitalisme vers l’Empire du Milieu :

Graphe 12 : Part dans le PIB mondial entre l’Asie, l’Occident et le reste du monde


Ce basculement est encore plus spectaculaire si l’on se concentre sur la seule production manufacturière (Graphe 13) : il y a 25 ans seulement, le G7 en concentrait encore les deux tiers pour un petit dixième en Asie, alors qu’aujourd’hui le G7 n’en détient plus qu’un tiers contre plus de 40 % en Asie :


Graphe 13 : Part dans la production manufacturière

 


mondiale : Bleu = G7 : US, Canada, Japon, ALL, UK, France, Italie ; Orange = I6 : Chine, Inde, Corée du sud, Thaïlande, Brésil ; Noir = reste du monde


chaine s’y retrouvent (11), … et la Gauche Communiste n’en n’a pas encore pris toute la mesure, ni sur les plans économiques, ni politiques et encore moins sociaux !!!

Plaidoyer pour une appréciation mondiale de la lutte des classe

 Si, jusqu’ici, nous nous sommes efforcés de décrire les faits relatifs aux évolutions géographiques et structurels du capitalisme, c’est parce que le texte introductif au premier point à l’ordre du jour de la réunion internationale d’Arezzo (cf. p.18 ci-dessus) ne considère que les problématiques relatives à l’évolution de la lutte des classes dans les pays occidentaux et fait l’impasse sur les autres parties du monde. Ceci découle de cet enfermement de la Gauche Communiste dans les vieux schémas dogmatiques de la doctrine de la ‘décadence en 1914’ qui empêchent de voir les évolutions du capitalisme réel dans toutes ses dimensions. Ainsi, convaincu que le capitalisme est décadent depuis 1914 et qu’il aurait épuisé tous ses palliatifs et recettes de capitalisme d’État pour se maintenir en vie (keynésianisme, endettement, Quantitave Easing, etc.), l’auteur de ce texte introductif est incapable de voir que tous les développements spectaculaires que nous avons connu après la seconde guerre mondiale, depuis l’Allemagne et le Japon durant les Trente glorieuses, en passant par les Nouveaux Pays Industrialisés (Corée du Sud, Taiwan, Hong-Kong, Singapour), l’Asie du SE et la Chine pour arriver à l’Asie émergente actuelle … tous ces développement l’ont été dans le cadre d’un capitalisme d’État … et même très caricatural puisque crypto-stalinien comme en Chine, au Laos, au Vietnam et dans certains ex-pays de l’Est ! Épuisé le capitalisme d’État ?


Dès lors, apprécier l’état du rapport de force au niveau mondial passe, au minimum, par une analyse de l’état de la lutte des classes en Asie ! Et cette analyse est importante à un double titre : pour apprécier la capacité du prolétariat à faire la révolution au niveau mondial, mais aussi pour apprécier sa capacité à résister à un embrigadement guerrier, tant du côté de Pékin que de Washington. À cette fin, nous avançons, ci-dessous, quelques caractéristiques générales qui devraient intervenir dans cette appréciation. Encore trop lapidaires, elles doivent être complétées et faire l’objet d’une discussion critique.

En conséquence, non seulement le cœur du capitalisme s’est déplacé en Asie, mais aussi les principaux bastions du prolétariat mondial puisque les 3/5e du prolétariat manufacturier travaillant à la

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(11) Si le prolétariat ne se limite évidemment pas à son secteur manufacturier, néanmoins, historiquement, force est de reconnaître que tous les grands mouvements sociaux, à fortiori les révolutions, ont toujours été portés par ces bastions.

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Les facteurs POSITIFS :


  • Outre d’être numériquement important et jeune, le prolétariat en Asie est aussi très concentré, sans commune mesure à ce que l’on a connu en Occident … pensons aux 450 000 salariés du site industriel de Foxconn à Shenzhen !


  • C’est aussi un prolétariat essentiellement manufacturier, travaillant à la chaine, qui n’a encore que faiblement subit le phénomène de


tertiarisation-fragmentation du prolétariat occidental 12.


  • Si l’on en croit les rares informations disponibles, c’est également un prolétariat toujours combatif (Graphes 14 & 15) n’ayant pas subi le profond reflux du prolétariat occidental depuis un demi-siècle (Graphe 16).


  • Enfin, la classe ouvrière en Asie est beaucoup plus éduquée et concentrée et vit dans une société bien plus développée que celle de la Russie en octobre 1917 (où le prolétariat était minoritaire dans une société encore largement agricole).


Les facteurs NÉGATIFS :

  • Le prolétariat en Asie a peu d’expériences historiques et se fait encore beaucoup d’illusions sur la démocratie, sur des syndicats ‘libres’, sur la poursuite de la prospérité économique…, en particulier en Chine, mais pas seulement.

Néanmoins, notre sentiment est que, malgré ces indéniables facteurs négatifs, ils n’effacent pas l’énorme potentiel révolutionnaire de ce prolétariat industriel, nombreux, concentré, éduqué et combatif. Tout comme pour le prolétariat en Russie 1917, sa jeunesse et le peu de poids d’une social-démocratie réformiste comme en Occident peuvent même en faire des atouts. Certes, cette fraction du prolétariat mondial aura besoin de l’apport des expériences de ses secteurs historiques (tout comme la révolution en Russie avait besoin de son extension à l’ouest), mais les faiblesses qui le caractérisent ne doivent pas être surestimées.


Graphe 14 : Grèves en Chine – 1978-2013

Graphe 15 Nombre de grèves en Chine – 2011-2023


Le basculement géoéconomique et impérialiste du monde autour de la bipolarisation Chine-USA confère une nouvelle responsabilité au prolétariat de ces deux grandes puissances, d’autant plus que celui en Europe a subi un profond recul de plus d’un demi-siècle (Graphe 16) 13. De plus, ce prolétariat ‘historique’ d’Europe occidentale se retrouve terriblement affaibli et dans une position moins


centrale qu’auparavant, coincé qu’il est, économiquement, socialement et politiquement, entre ces deux puissances que sont les États-Unis et la Chine. D’un autre côté, le prolétariat de ces deux super-puissances est caractérisé par deux faiblesses historiques : (1) bien que pour des raisons différentes, il baigne dans une ambiance viscéralement ‘anti-communiste’ et (2) il a historiquement peu contribué au mouvement ouvrier international.


Graphe 16 : Grèves dans 16 pays développés 14


C.Mcl, août 2024 – Cet article développe plus amplement notre contribution écrite en juin 2024 pour la réunion internationale d’Arezzo.

  1. Ce processus de tertiarisation-fragmentation est analysé en détail aux pages 9 à 11 de notre Cahier Thématique n°3.

  1. Nous avons analysé en détail ce profond recul du prolétariat ‘occidental’ aux pages 9 à 11 de notre Cahier Thématique n°3.

  1. USA, Canada, Japan, Germany, France, UK, Spain, Italy, Norway, Austria, Denmark, Belgium, Sweden, Switzerland, Australia, New Zealand.

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