samedi 28 septembre 2024

Alliances économiques et/ou militaires : Où va le monde capitaliste-janvier 2021

 


Il faut d’abord bien voir que l’Asie est devenue le centre de gravité mondial de la croissance, des échanges maritimes (donc des échanges tout court), et donc, d’une certaine manière du capitalisme. Et en Asie, un pays vient bouleverser lourdement l’ordre mondial tel qu’il était à peu près équilibré, c’est la Chine. En PIB


  • parité de pouvoir d’achat (une des façons de compter la puissance des pays capitalistes), la Chine est devenue depuis le milieu des années 2010 la première puissance mondiale damant le pion qu’avaient les USA depuis la Seconde Guerre mondiale. Et il est prévu qu’elle dépasse le PIB des Etats-Unis en 2028.

Face à la Chine, les USA ont réagi à la fois sur le plan économique, mais aussi sur le plan militaire. Les médias ont assez largement fait état des mesures économiques, notamment sous la présidence de Trump, envers la Chine. Peu de choses a été dit au grand public en ce qui concerne l’aspect militaire.

Les Etats-Unis ont d’abord commencé à essayer de mettre en place un arc des plus grands pays qui entourent la Chine, en participant à la constitution du QUAD (Quadrilateral Security Dialogue, en français Dialogue quadrilatéral pour la sécurité). L’initiative a été lancée par le Japon en 2007. Le Quad se veut un arc de « démocratie » face au totalitarisme de la Chine. Ce Quad est une série d’alliances militaires, avec exercices communs. Il englobe, outre donc les USA, trois pays pro-américains, le Japon, l’Inde, l’Australie.

L’idée était au départ de rallier tous les autres pays de la région, mais il semble que cela ait pris du retard. Par contre, plus récemment, deux pays européens, l’Allemagne et la France, ont rallié le Quad. Dans le cas de la France, le prétexte et l’argument consiste à dire qu’elle est un voisin de cette région, car elle possède ce qu’on appelle une ZEE, zone économique exclusive, qui sont des eaux assez larges entourant les îlots que possède le pays dans l’Océan Indien et l’Océan Pacifique. Grâce à ses territoires d’outremer, la France possède au total la deuxième ZEE du monde.

Le Vietnam, l’Indonésie, sont actuellement candidats pour rejoindre le Quad. Des accords peuvent être souscrits entre partenaires membres du Quad. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, le Japon et l’Australie viennent de signer un accord d’accès réciproque (RAA), qui leur permet des utilisations réciproques de leurs installations militaires. Ensemble, tous ces pays dénoncent ce qu’ils appellent l’expansionnisme chinois, la Chine revendiquant certains îlots au large de ses côtes. Pékin a également ouvert une base militaire à Djibouti, et la Chine a mis la gomme pour se doter d’une marine de guerre qui est actuellement de 350 bateaux, face aux 300 de la flotte de guerre américaine.

Sur le plan économique, la Chine a réussi à faire un véritable pied de nez aux deux autres grandes puissances mondiales : les USA et l’Europe. Du temps de la guerre froide, avait été mise en place, en 1967, une grande alliance regroupant une dizaine de pays, pour faire barrage à l’expansion des pays dits communistes ; c’est l’ASEAN, alliance des nations de l’Asie du Sud-Est. Il regroupait donc l’Indonésie, le Vietnam, le Cambodge, le Laos, la Birmanie, la Thaïlande, Singapour, les Philippines, la Malaisie, Brunei. Cette Asean a pris l’initiative récemment de mettre en place un accord régional économique : le RECP (Regional Comprehensive Economic Partnership, en français Partenariat régional économique global).

Or ce RECP vient de se conclure, en novembre 2020, par un accord qui regroupe, en plus des dix pays de l’Asean, cinq autres : le Japon, l’Australie, la Corée du Sud, la Nouvelle Zélande et… la Chine. En effet, alors que le RECP, qui avait été entamé en 2012, avait du mal à se mettre en place, la Chine a poussé à la conclusion de cet accord, en réponse aux sanctions économiques américaines décidées par Trump. Il est

évident qu’avec la puissance qui est la sienne, la Chine peut faire de cette alliance quelque chose qui la sert, à l’inverse donc de l’idée de départ. D’ailleurs, l’Inde, qui a toujours souscrit au soutien des USA, a quitté la table de négociations en novembre 2019, lorsqu’elle a réalisé que la Chine y aurait une place d’importance, et elle n’en fait donc pas partie. ON note à ce propos que l’Inde et la Chine sont en conflit frontalier au niveau de l’Himalaya, conflit qui s’est soldé par une vingtaine de morts en juin 2020.

Le RECP concerne 2,2 milliards de personnes, un tiers donc de la population mondiale, et un tiers également de la production mondiale. 90% des barrières douanières seraient réduites et une seule norme régirait toute l’Asie-Pacifique, remplaçant les diverses mesures qui prévalaient.

De leur côté, les Etats- Unis avaient commencé à vouloir mettre en place leur propre zone d’influence économique sur cette région de l’Asie, en février 2016. Le président Obama avait regroupé 11 pays qui ne sont pas tous en Asie, mais qui, en excluant volontairement la Chine, en font le principal adversaire. C’est le TPP (Trans-Pacific Partnership Agreement, en français Partenariat transpacifique). On y trouve donc les Etats-Unis, le Canada en Amérique du Nord, le Mexique, le Pérou et le Chili en Amérique latine, et en Asie 6 des pays du RECP : le Japon et l’Australie (qui sont déjà dans le RECP), Singapour, le Vietnam, la Nouvelle Zélande et Brunei. Au total, cette alliance économique a ainsi regroupé 800 millions d’habitants et s’est retrouvée être la zone économique la plus grande du monde.

Mais Trump a désengagé les USA de cet accord en 2017. Le TPP n’a cependant pas disparu, les autres pays l’ont conservé, en le renommant CTPP (Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership, en français Partenariat Trans-Pacifique global et progressiste – PTPGP)

Si la situation économique mondiale se tend, il y a fort à parier que les pays qui ont les pieds à la fois dans le CTPP et le RECP seront amenés à choisir. Si le nouveau président américain Biden fait le choix de faire revenir les USA dans le TPP ou CTPP, on peut s’attendre à ce que la Chine fasse pression sur ces pays, pour l’instant à double casquette, chinoise et américaine. Mais si Biden ne réintègre pas le TPP (ou CTPP), c’est la Chine qui risque fort d’en profiter pour prendre la place américaine laissée à l’abandon. C’est une possibilité que le président de la république populaire de Chine Xi Jinping, a ouvertement déclarée, en novembre 2020.

Enfin, l’Europe et la Chine viennent de conclure un autre accord économique, fin décembre 2020. Il ne s’agit pas là d’un accord de libre-échange, mais d’un accord sur les investissements. Il se dit beaucoup, au sujet de cet accord, que l’Europe a un peu beaucoup fermé les yeux sur le travail forcé et les Ouïgours. Belle hypocrisie, les accords économiques n’ont jamais été faits pour réaliser la démocratie, même bourgeoise.

L’accord porte sur les stockages de données, mais aussi les produits manufacturés, comme les automobiles électriques et hybrides. C’est donc du lourd ! Les Européens – les Français en particulier, vont pouvoir par exemple investir dans les hôpitaux privés de grandes villes chinoises ou dans les maisons de retraite, les Allemands dans l’automobile. Le grand changement, semble-t-il, c’est que la Chine lève l’obligation qu’elle imposait jusqu’ici, pour les capitaux étrangers, de se lier à une société chinoise pour pouvoir investir en Chine. C’était le moyen pour la Chine de connaître le contenu des brevets, la capacité de fabriquer, d’opérer des « transferts de technologie ». Mais cette restriction restera en place dans les télécoms. Une partie du marché chinois des énergies renouvelables s’ouvre (5%).

Derrière les subtilités et les complexités d’un tel accord, ce qui compte, c’est d’abord qu’il existe, et qu’il se met en place dans le contexte mondial que nous venons de voir. L’Europe montre qu’elle ne suit pas automatiquement les Etats-Unis, et que si les deux grands de l’Europe, la France et l’Allemagne, souscrivent, discrètement mais quand même, au Quad américain contre la Chine, l’Europe veut soulignerqu’elle est prête à un accord plutôt pacifique et commercial, avec cette même Chine, qu’elle n’en fait pa s un ennemi sur tous les plans.

Dans la réalité, l’Europe, ou certains pays européens, ont pris ces tous derniers temps des mesures économiques de protection contre la Chine. L’accord Union européenne / Chine est donc pour l’heure surtout un geste politique qui indique que l’Europe ne suivra pas forcément les Etats-Unis, qu’elle a sa propre politique. C’est probablement plus un geste de défiance envers les USA qu’autre chose.

Le capitalisme, c’est la guerre économique de tous contre tous. Et comme dans la guerre tout court, un des moyens de se renforcer est de chercher des alliances. Certaines de ces alliances peuvent être plus ou moins retournées le jour où l’on passe de la guerre économique à la guerre militaire. Il n’en est pas moins vrai que la frénésie actuelle pour chercher des alliances économiques ne manque pas de faire penser que la guerre militaire peut en être un aboutissement, voulu ou pas.

Et ce, d’autant que, partout dans le monde, les budgets militaires sont en hausse importante. Et que, si les Etats-Unis ont dû se laisser distancer sur le plan économique, ils n’en ont pas moins conservé le budget militaire et le réseau de bases militaires de très loin le plus énorme sur la planète.


Janvier 2021













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