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OU
SE TROUVE LA NOUVELLE CALEDONIE ?
Dans le Pacifique, dans
l’hémisphère sud, entre l’Australie et la nouvelle Zélande.
C’est une des nombreuses iles de l’Océanie. Elle est proche des
iles Fidji bien connues pour son équipe de rugby. Elle fait 18 575
km2
(un peu plus grand que l’ile de France) mais il y a 1,4 millions
km2
de zone économique exclusive autour. L’ile principale fait 400 km
de long sur 64 km de large. C’est une région de la terre où de
petites iles sont perdues au milieu de l’océan pacifique. Elle se
trouve à 16 560 km de Paris.
QUI
SONT LES PREMIERS HABITANTS DE LA NOUVELLE CALEDONIE ?
Des populations qui sont
parties de Chine du Sud vers Taïwan il y a 5000 ans environ. Puis
ils ont émigré vers les Philippines, la Nouvelle Guinée,
l’archipel Bismarck où ils inventent une forme de céramique (le
lapita) qui permet de suivre leur progression vers l’Est. Ils
arrivent en Nouvelle Calédonie il y a 3000 ans environ.
Ils
voyageaient sur de grandes pirogues et savaient s’orienter dans cet
immense océan grâce à leur connaissance des étoiles, des vents et
des courants marins. L’observation des oiseaux marins, des nuages
et de la houle leur permettait de repérer des terres perdues au
milieu d’une immensité marine. Dans certaines iles, les hommes ont
tracé des cartes nautiques.
Les hommes qui se sont
installés en Nouvelle Calédonie ont apporté dans leurs pirogues
des plantes comestibles originaires d’Asie : ignames, taros, cannes
à sucre, arbres à pain, cocotiers et quantité d’autres végétaux
utiles.
Ils se répandent tout le
long du littoral puis remontent dans les vallées et se sont
organisées en petites communautés.
La
base de leur alimentation est l’igname et le taro qui est planté
au bord des rivières ou à flanc de collines sur des terres
irriguées par des canalisations artificielles. Du sommet des
montagnes aux plaines, des terrasses étaient aménagées pour la
culture du taro.
Le
jardinier mélanésien aime augmenter sa collection de tubercules
qu’il échange avec ses parents, ses voisins.
D’ailleurs à l’heure
actuelle, quand on se rencontre, on fait la coutume ce qui consiste à
échanger des biens identiques en quantité équivalente, en
ponctuant dons et contre dons de discours.
COMMENT
EST ORGANISEE LEUR SOCIETE ?
La base de cette
organisation était le clan. Un clan, c'est tout d'abord un nom
transmis de génération en génération. Le nom du clan est une
« substance » que tous les individus portent en eux, et non une
simple identification.
Le clan est constituéd'un
ensemble de parents, répartis sur cinq générations, rangés en
classes de grands-pères, pères, frères, fils et petits-fils et
structurés en lignages. Il est mythiquement issu d'un Ancêtre
dont on raconte encore les aventures et parfois actualisédans un
descendant. Il se scinde en autant de lignées d'hommes qu'il
existait de frères àl'origine. Par exemple, si l'Ancêtre a eu
onze garçons, il y a onze lignages dans le clan. Ceci est
représentés sous forme d’un tronc qui est l'Ancêtre d'origine,
les grosses branches qui en sortent et se divisent àl'extrême
figurent les lignages.
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Les lignages y sont
hiérarchisés suivant un ordre dit « naturel », celui de
l'apparition des frères de l'Ancêtre : les descendants de
l'aı̂nédonneront le lignage aı̂né, ceux du second, le second
lignage, etc. ; chacun de ces lignages porte un nom différent.
A chacun des lignages est
impartie une fonction tout àfait spécifique. Le lignage
aı̂néfournit les Chefs, le « suivant », les gardiens de la
porte, le troisième sera le lignage de la guerre, l'autre celui de
l'eau, de la sculpture, de l'igname, etc. Un clan était ainsi
structuréen un certain nombre de lignages, et donc de « savoirs »
et de « pouvoir - faire», unis par une solidaritéindispensable
àla survie de l'ensemble.
Parmi tous ces lignages
ayant chacun sa spécificité, le premier a une importance
particulière. Selon le principe même de cette organisation, il
fournit le « Chef », « l'Aı̂nédes Aı̂nés ». Son pouvoir
lui est déléguépar les Ancêtres qui l'ont précédéet
qu'il représente, tout comme il figure concrètement le clan dont
il est la Face, le Responsable et la Parole. La sacralitéde sa
personne entraı̂nait autrefois des comportements et des tabous
stricts.
Il
coordonnait et dirigeait la vie du groupe, décidait du moment de
chasser, de pêcher, d'ouvrir le cycle des cultures, de
désacraliser les prémices, de faire la guerre. Sa parole avait
force de loi, mais il exerçait le pouvoir de décision avec l'aide
des têtes de lignages. Son pouvoir de justice pouvait aller
jusqu'àdécider la mise àmort d'un cadet (opposition àson
autorité, insoumission grave).
Peu de privilèges étaient
attachés àsa fonction àpart celui, très fréquent, de
polygamie, peut-être par nécessitéd'alliances avec des «
régions » ou des « clans » voisins, et celui de la culture de
ses champs faite par les gens des autres lignages.
Mais rien à voir avec notre
façon de concevoir la royauté où le pouvoir se transmet de père
en fils. L’instabilité est la règle dans une société ouverte
vers l’extérieur et les déplacements. Son pouvoir pouvait être
remis en cause. Il était parfois remplacépar des immigrants
puissants ou des envahisseurs qui, victorieux, plaçaient dans la
région conquise le Chef de leur choix. Parfois sa lignée, sans
s'éteindre, se voyait remplacé par celle de bâtards ou
d'adoptés.
Tout ceci est du passé.
Lors de la colonisation, l’administration française a changé le
rôle des chefs. Ils ont été placés dans une hiérarchie
militaire, directement sous l'autoritédes gendarmes. On leur a
donné une « police » qui pouvait emprisonner ou faire emprisonner.
Ils ont servi à recruter des Kanaks pour travailler, et à faire
payer les impôts. Actuellement le chef est un quasi-fonctionnaire et
touche une allocation mensuelle.
Beaucoup de Chefs se sont
politisés, sont devenus soit leaders politiques, soit soutiens
actifs du mouvement indépendantiste, jouant parfois de leur
autoritépour contraindre. Leur rôle ancien de médiateur et de
faiseur de paix s'est estompé.
La surface clanique est
partagé entre lignages de façon àdonner àchacun des espaces de
culture, d'exploitation du milieu mais elle n’est pas organisée
comme chez nous sur une surface définie autour d’un village. Elle
s’étend sur un vaste territoire, ayant la forme des doigts d’une
main : terre pour les quelques cases groupées en village de gens
parents, pour les plantations d'ignames (collines au levant
principalement) qui sont itinérantes (assolement), pour les
tarodières de montagne, morceau de rivière pour les taros, l'eau,
les crevettes, les anguilles, la boisson, la cuisine, morceau de
forêt ou de col pour la chasse aux roussettes, etc. Des terrains
non distribués servent àexploiter la paille (pour les toitures),
les fûts (mâts et pirogues), les plantes sauvages comestibles et
médicinales, etc. Il reste de la terre disponible pour attribuer
àun lignage qui aurait de nombreux enfants. Cette terre de lignage
est elle-même partagé en terre des familles stricto sensu, et
cette dernière en terre des hommes et terre des femmes. On constate
ainsi l'existence de biens communs, mais avec une jouissance
individuelle, la transmission se faisant avec des règles très
précises à l’intérieur de la famille ou du clan.
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Le clan est un élément
d'un système plus vaste : le « pays » ou région, qui a pris
forme et contenu au cours d'une histoire longue et souvent
mouvementé. Le pays comprend des terres et des gens. Ni
confédération de clans, ni même pré-Ertat, avec un pouvoir
centralisé, plutôt ensemble pluri-segmentaire, le « pays » se
caractérise par plusieurs éléments qui créent la
solidarité des parties.
Au sein de ce pays, les
clans sont hiérarchisés et parlent la même langue qui constitue
l’identité de la personne : « Si je perds ma langue, je perds ma
terre, mes enfants seront sur les chemins, les Français prendront
tout », raconte avec angoisse une vieille Mélanésienne. A
l’intérieur de ce pays, il y a une alliance matrimoniale dont le
principe repose sur un engagement solennel de deux clans de
s'entre-donner des femmes. Illimité dans le temps, elle cré entre
tous les clans d'une région un réseau complexe de parentés et
de dettes de femmes transmissibles de génération en génération.
La vie sociale kanak est
organisée autour d’échanges lors de grands rassemblements appelés
pilou-pilou. Par le jeu des dons et des contre-dons, quantité de
biens changent de mains, sans argent. Ces fêtes sont l’occasion de
danser, de chanter en chœurs, de réciter des poèmes ou des contes,
des récits mythiques. Ces échanges cérémoniels sont le poumon de
la société kanak. Cet échange est conservé à l’heure actuelle,
sous forme de dons et de contre-dons ce qui s’appelle faire la
coutume.
On
sait peu de choses sur les relations entre les sexes en
Nouvelle-Calédonie d’autrefois. Mais dans les activités rituelles
et dans les discours, le haut, le grand sont reliés au masculin et
le bas, le petit le sont au féminin. Une métaphore souvent employée
est celle du pin et du cocotier : «
Dans la vallée, il y a le
pin
et le cocotier. Lequel est le chef ? C’est le pin. Le cocotier,
c’est le serviteur. » D’ailleurs il est à noter que
les femmes kanak de Nouvelle-Calédonie affichent une position bien
plus nuancée que celle des
hommes
envers la « coutume », et paraissent moins attachées au passé
qu’eux, ne l’idéalisant que peu ou pas du tout. Aussi utilisent
-elles pour s’affirmer face aux hommes les possibilités jusque-là
inédites offertes par le système occidental, qu’il s’agisse de
l’entrée dans l’économie de marché ou du recours à la loi
française. De plus, vivre à Nouméa – et encore davantage y
travailler – permet une alternative à celles que leurs choix de
vie sexuelle et affective ont éloignées ou exclues de la « tribu »
et qui sont en décalage avec les règles traditionnelles d’alliance
(rupture de leur fait d’un mariage coutumier, union avec un
non-Kanak, célibat).
CANNNIBALISME
Il
est certain que les Kanaks comme beaucoup de peuples d’Océanie
sont des cannibales. Au début du 19ème
siècle, les occidentaux ont fabriqué une image très négative de
ces mœurs, ce qui a permis de justifier la conquête, la domination
et les massacres de populations par des pays bien civilisés, eux…
Ce cannibalisme est essentiellement guerrier.
Voici le témoignage d’un
missionnaire, Monsieur Montrouzier, correspondant de la société
d'anthropologie en 1869.
D'abord il faut parler des
guerres, quoique ce ne soient pas les guerres seules qui fournissent
des victimes à nos malheureux cannibales. Il y en a de deux sortes
: celles de tribu à tribu, celles de village à village dans la
même tribu.
La Nouvelle-Calédonie est
partagée en deux grandes confédérations : les Ot et les Wawap. Les
guerres entre ces deux confédérations sont toujours des guerres à
mort ; ceux qui tombent sur le champ de bataille sont mangés par le
vainqueur, si ce dernier peut s'emparer des cadavres, et le triomphe
n'est complet qu'autant qu'on emporte le corps de l'ennemi qu'on a
tué.
Les guerres entre villages
ne sont que de grandes disputes ; on échange quelques pierres,
quelques coups de lance ou de casse-tête.
A
part les guerres, les Néo-Calédoniens ont d'autres moyens de se
procurer des victimes destinées au four. Le plus usité consiste à
mettre en avant l'accusation de sorcellerie. On se procure encore de
la chair humaine dans les fêtes en tuant un ou plusieurs convives
eux-mêmes ; cela s'appelle faire le gun.
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Voici
comment on opère : Le chef place ses affidés à côté de ceux dont
il convoite la dépouille. Au milieu de la danse, un autre affîdé
jette dans la mêlée une pierre, une lance, n'importe quoi. Tous
ceux qui sont dans le secret et qui attendent le moment, s'écrient :
« Attaque ! trahison ! » et tous ont l'air de croire à un complot.
On s'arme, on se bat, et quand la victime désignée est tombée, un
vieux élève la voix, demande des explications, et l'on trouve qu'on
s'est laissé emporter par une panique.
Enfin un chef qui veut
régaler ses amis, paraître avec éclat à une fête ou faire un bon
repas, tue parfois ses propres sujets.
Mais le comble de
l'ignorance des mœurs calédoniennes, c'est de dire gravement que la
victime qui se présente volontairement est engraissée. Rien n'est
plus opposé aux usages, de nos naturels. Ils tuent, dépècent et
dévorent, mais ils ignorent les raffinements de la cruauté. Je n'ai
jamais rien vu chez eux qui prouvât qu'ils aimassent à faire
souffrir, et quant à la prévoyance, elle leur est inconnue.
Engraisser une victime ! Quelle idée pour qui les connaît !
La chair humaine est pour
nos sauvages un mets délicat ; il est donc naturel que le chef soit
le premier servi et après lui les notables. Comme on n'en a pas tous
les jours ni en quantité suffisante, on n'en donne pas aux femmes ni
aux enfants, qui dans les pays infidèles sont comptés pour rien.
Mais voilà tout. Quand, par exception, la chasse est assez abondante
pour satisfaire à tous les appétits, femmes et enfants ont leur
part. Dans une occasion, cinq blancs ayant été massacrés et la
tribu étant peu nombreuse, un enfant mangea de ce mets délectable
au point d'en être malade. »
PREMIERS
CONTACTS
Le capitaine James Cook
aperçoit une nouvelle terre le 4 septembre 1774. Il l’appelle New
Caledonia. James Cook débarque sur une plage de sable où il est
reçu avec une grande courtoisie, « avec cette surprise naturelle
des gens qui voient des hommes et des choses aussi nouvelles pour eux
que nous pouvions l’être. » Il fait des présents à tous ceux
qu’un indigène lui présente : « des vieillards, des hommes qui
semblaient être des notables ». Il offre à un chef local des
objets inconnus des Kanaks : des semences, un couple de chiens et un
couple de porcs. Puis Cook longe la côte et découvre l’ile des
Pins.
Dans les années suivantes,
des navires de guerre français et anglais commencent à explorer
cette région du Pacifique. Certains viennent pour faire des études
scientifiques, d’autres pour étudier les potentialités
économiques, d’autres pour prendre possession de nouveaux
territoires. Et d’autres pour évangéliser les populations.
C’est aussi le temps des
aventuriers, des chasseurs de baleine qui fréquentent les eaux
calédoniennes dès 1820 et des « santaliers » qui remarquent que
sur les iles pousse du bois de santal, utilisé en pharmacie et pour
faire des masques de beauté. Les marins payent, avec des perles,
puis des couteaux et de vieux fusils, les Kanak qui leur coupent du
bois. Plus les contacts sont nombreux, plus les occasions de conflits
se multiplient.
S’installent aussi des
naufragés, des déserteurs, des mutins. On les appelle des
beachcombers. Ce sont aussi des Afro-Américains qui fuient
l’esclavage, ou des habitants des iles du Pacifique.
De ces contacts naissent
beaucoup de petits métis… Mais aussi beaucoup de morts, les
Européens apportant avec eux des maladies contre lesquels les Kanak
ne sont pas immunisés (tuberculose, grippe, rougeole, variole,
syphilis, etc..) . Les contacts entre les Kanak et les Européens
sont responsables du décès de 40 à 80 % de la population Kanak.
Voici
un conte Kanak recueilli par Louise Michel auprès de Kanaks qu’elle
a rencontrés :
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Quelle puissance t’a
donc arraché à ta case pour être venu d’aussi loin ?
Car tu viens du plus loin
qu’habitent les hommes, sous le froid soleil qui les rend pâles.
Si tu étais parti des
îles que nous connaissons, à peine les ailes de ta pirogue seraient
froissées tandis qu’elles sont usées par le vent, comme s’il y
avait soufflé dix fois l’igname.
Homme blanc, que nous
diras-tu pour être venu d’aussi loin ?
Dans ton pays, on mange
tous les jours, car un jeûne d’un matin paraissait t’incommoder
; que nous donneras-tu de tant de richesses ?
L’homme blanc ne raconte
rien ; il ne donne rien. L’homme blanc s’établit dans le pays
avec ses compagnons ; ils y semèrent les graines dont la race pâle
se nourrit et les gardèrent pour eux ! On les avait reçus en frères
mais ils ne le furent pas.
Depuis que les hommes
blancs sont venus, on ne compte plus le nombre de fois qu’on a
récolté l’igname ; on n’en fait plus la fête, on ne compte
plus rien.
Les jours passent comme
les gouttes d’eau du grand lac ; pourquoi le mesurerait-on, puisque
les pirogues ailées de l’homme blanc garderont toujours le rivage.
Ils ont pris Counié à la
ceinture pâle ; ils ont pris N’ji chevelure de brousse ; ils ont
tout pris.
Plus jamais l’homme des
îles ne sera joyeux ; plus jamais il ne dansera sur la rive le pilou
des mers.
C’est ainsi qu’il
disait, le vieillard de Counié, mais les jeunes gens se mirent à
rire, ils dansèrent avec les filles blanches et leur donnèrent les
colliers de jade de leurs mères ; ils échangèrent avec les hommes
des grandes pirogues les haches de pierre de leurs pères pour les
kougas (fusils) des Blancs.Et toutes les ignames ils formèrent sur
la rive le pilou des mers. »
Extrait
de: Anarchistes - Louise Michel. « Légendes et chansons de gestes
canaques. »
LE
TEMPS DES MISSIONNAIRES
Des
missionnaires britanniques protestants réussissent à s’installer
dans les iles Loyauté dans les années 1850 tandis que des
missionnaires maristes catholiques se dirigent vers la Grande Terre.
Les missionnaires sont souvent mis en difficulté au point d’appeler
les canonnières à la rescousse.
Mais ils arriveront à
christianiser les Kanak, les écoles religieuses étant les seules
ouvertes aux Kanak jusqu’en … ????
LA
PRISE DE POSSESSION PAR LA FRANCE ET LES VAGUES DE PEUPLEMENT
La
prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par le contre-amiral
Febvrier-Despointes au nom de l’empereur Napoléon III a lieu le 24
septembre 1853 près de Balade, à l’extrême nord du territoire,
en présence de missionnaires et d’une centaine de Kanak baptisés.
«
À partir de ce jour, cette terre est 5
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française
et propriété nationale »,
proclame le représentant de la France. Et à partir de ce jour,
toute la société kanak est bouleversée.
Au
19ème
siècle (de 1864 à 1897) la Nouvelle-Calédonie est essentiellement
une colonie pénitentiaire. Pour la peupler de Blancs, la France y
envoie des navires chargés de forçats et de femmes condamnées ou
orphelines. En 30 ans, plus de 20 000 condamnés à de lourdes peines
sont déportés dans des centres pénitentiaires qui sont des «
camps de l’horreur ». Ils sont employés aux travaux les plus
pénibles de la colonisation : construire des routes, des ponts, des
bâtiments ou cultiver la terre des centres pénitentiaires ruraux,
terres qui ont été volées aux Kanaks. On leur promet en cas de
bonne conduite de leur donner des terres à cultiver et d’en être
propriétaires.
A partir de 1872, 4250
hommes et femmes communards sont expédiés en Nouvelle Calédonie
mais ils ne s’intéressent guère à la Nouvelle Calédonie. Ils
prennent même fait et cause pour les Français locaux contre les
Kanaks à l’exception de
Charles Malato,
un anarchiste et de Louise Michel qui écrit à Victor Hugo : « Je
songe à me retirer dans une tribu canaque ». Quand leur peine est
finie, ils repartent presque tous en France.
A partir de 1885, ce sont
aussi des petits délinquants des faubourgs des grandes villes qui y
sont envoyés. Ceci dure jusqu’en 1897, les forçats étant à
nouveau envoyés à Cayenne.
A partir de 1891, des
centaines de forçats sont employés dans les mines de nickel où les
rejoignent des Indiens de la Réunion, des habitants des Nouvelles
Hébrides, puis des Japonais, des Indochinois, des Javanais. Par
contre les Kanak sont tenus à l’écart, enfermés dans leurs
réserves tandis que les travailleurs « exotiques » comme ils sont
appelés à l’époque sont installés dans des ghettos insalubres
installés sur les mines.
LES
KANAK SONT CHASSES DE LEURS TERRES
Nous
avons vu que l’accès aux terres chez les Kanak est réglementé,
et que la propriété n’est nullement collective. Eh bien qu’à
cela ne tienne, l’administration française décide que chez les
Kanak, comme chez tous les peuples dits primitifs, c’est la tribu
qui possède les terres, tribu dirigée par un chef responsable. Il
suffira de menacer ce personnage pour déposséder de leurs terres
des milliers de Kanak. Ou bien de profiter des révoltes de Kanak
pour leur confisquer leurs terres.
En
1876, l’administration se met à délivrer des permis d’occupation
pour toute la colonie. Près de
3.000
colons s’installent « en brousse » et vont développer un élevage
extensif sur les bonnes terres kanak. Tandis que les colons vivotent,
tels des cow -boys conscients de leur supériorité de Blancs, les
Kanak se replient sur des terres plus pauvres dans les montagnes.
Sont
créées ainsi des réserves où sont parqués les Kanak
avec obligation de résidence. Ces réserves
seront
renommées
en 1998 « aires coutumières ».
Cela crée de véritables ghettos, alors que la société Kanak
précoloniale, malgré le cloisonnement du relief montagneux,
entretenait des relations complexes et importantes entre clans via
les sentiers coutumiers. Cet isolement durera jusqu'à la seconde
guerre mondiale. Il laissera en outre une société coupée en deux
entre les Européens et les Kanak, coupure qui a laissé des
séquelles jusqu'à nos jours.
De
nombreuses révoltes éclatent, la plus importante étant celle de
1878.
L’INSURRECTION
DE 1878
Avec
la sécheresse de 1877, les troupeaux de bétail se mettent à
envahir les cultures kanak. Des villages entiers se retrouvent
réduits à la disette. Les Kanak s’insurgent.
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Tout
commence dans la région de la Foa. La Tribu du chef Ataï y
cultivait des champs d’ignames. A côté, il y avait une colonie
pénitentiaire où des bagnards s’occupaient de troupeaux de
bétail. Les vaches se promenaient en liberté et venaient manger les
pousses d’ignames. Ataï est donc venu se plaindre au capitaine qui
lui a dit de bâtir des barrières pour protéger ses cultures. Ataï
a répondu :
Je
planterai des clôtures quand mes ignames iront manger vos bœufs !
» A son retour, Ataï apprend que des colons refusent de rendre à
sa famille une jeune femme du village retenue comme esclave. Il
organise une expédition au cours de laquelle la ferme est incendiée
et ses habitants tués à coups de casse-têtes. Le lendemain, des
dizaines d’autres tribus se soulèvent à leur tour. Nouméa est
encerclée. Les colons des fermes isolées se réfugient dans les
places fortes.
De
juin 1878 à juin 1879, Ataï réussit à unifier de nombreuses
tribus. Les insurgés mènent une véritable guérilla en se
déplaçant sans cesse, tenant la brousse tout en se cachant dans des
refuges secrets aménagés dans les montagnes. Ils coupent les
transmissions en détruisant les fils télégraphiques. Des dizaines
de fermes sont attaquées et près de 200 colons tués. Un
anarchiste, Charles Malato, est admiratif devant l’audace,
l’adresse et les décisions prises par les Kanak insurgés.
La
France envoie des renforts en hommes et en armes. Les militaires
incendient les villages désertés par leurs habitants. L’état de
guerre dure près de dix-huit mois et la répression est terrible
avec près de 2.000 morts kanak. Un colonel français jure qu’après
son passage, il ne restera plus un Kanak en Nouvelle-Calédonie. Il
est à noter que la majorité des déportés communards, arrivés en
1872 et porteurs des préjugés de l’époque à l’égard des
populations dites « primitives
»,
demandent des armes
leurs
gardiens pour mater les « cannibales », à l’exception de
quelques-uns autour de Louise Michel et de Charles Malato. On
raconte que Louise Michel remit son écharpe rouge de la Commune à
des émissaires d’Ataï à la veille de l’insurrection. (Des
milliers de Kanak viendront saluer le départ de Louise Michel sur
les quais de Nouméa en 1880
;
et encore aujourd’hui, sa mémoire est très présente dans la
population mélanésienne.)
Ataï
est assassiné par des Kanak de la région de Canala « ralliés »
en septembre 1878. Certaines tribus insurgées sont déportées en
mars 1879 dans des îles aux extrémités de la Grande Terre, à
Belep au nord, à l’île des Pins au sud.
La
tête d’Ataï est envoyée en France dans un bocal de formol, en
trophée, puis étudiée par Broca, dont l’occupation favorite
était de mesurer la taille des crânes pour prouver que les hommes
blancs étaient bien supérieurs à tous les autres. Retrouvé en
2011 dans les réserves du Musée de l’homme, le crâne a été
restitué par le gouvernement français en août 2014.
La violence des répressions
a laminéles résistances kanak en dépeuplant la côte ouest du
territoire et en annihilant, chez les vaincus, tout espoir de pouvoir
un jour se débarrasser de l'occupant.
LE
CODE DE L’INDIGENAT ET LES RESERVES
Dans les années suivant la
révolte de 1878, un des soucis du gouvernement est de donner un
cadre légal à l’occupation de la Nouvelle Calédonie. Un décret
est pris le 18 juillet 1887 qui systématise les différentes mesures
déjà en vigeur : ce décret s’appelle le code de l’Indigénat
Le gouverneur fixe une liste
nominative des « tribus », définit les frontières de leur
territoire et leur attribue un chef kanak dont les missions sont
précisées : maintien de l'ordre, exécution des ordres,
recensement, collecte de l'impôt de capitation qui est une sorte de
taxe foncière, exécution des corvées, scolarisation des enfants
dans les écoles indigènes de gouvernement. Le chef reçoit 10 %
des rentrées d’argent ainsi que des récompenses honorifiques.
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Les chefs indigènes sont
investis de pouvoirs judiciaires, sous l'autoritédu procureur de
Nouméa, qui leur permettent d'infliger des peines d'amende et de
prison.
Le
gouverneur peut, quant àlui, décider de l'internement des
indigènes et du séquestre de leurs biens. Le principe de la
responsabilitécollective en cas de crimes ou délits commis soit
par la totalité, soit par une partie des membres de la tribu est
maintes fois appliquépar le gouvernement colonial.
Le 23 décembre 1887 est
édicté une liste d'infractions spéciales pour les indigènes
non-citoyens français :
«
1. La désobéissance aux ordres.
Le
fait d'être trouvéhors de son arrondissement sans justifier
d'une autorisation régulière.
Le
port d'armes canaques dans les localités habitées par les
Européens.
La
pratique de la sorcellerie ou les accusations de ces mêmes
pratiques portées par les indigènes les uns contre les autres.
Le
fait d'entrer dans les cabarets ou débits de boisson.
La
nuditésur les routes ou dans les centres européens.
L'entré
chez les Européens sans leur autorisation.
Le
débroussage au moyen du feu.
Le fait de troubler l'ordre
ou le travail dans les habitations, ateliers, chantiers, fabriques
ou magasins. »
A
cette nomenclature, un arrêtédu 21 décembre 1888 ajoute :
« 10. Le fait de circuler
dans les rues de la ville et ses faubourgs après huit heures du
soir. » Complétéen 1892 par :
«
11. Le fait de troubler l'ordre dans les rues de la ville de Nouméa
et des centres de l'intérieur. »
Cette
liste comprenant onze rubriques ne cessera de s'allonger. Le régime
de l'indigénat se durcit en 1915 en intégrant le « refus de
payer l'impôt de capitation », le « refus d'exécuter les
prestations », le « défaut de présentation au service des
Affaires indigènes » en arrivant àNouméa, le refus de fournir
les renseignements demandés par les représentants de l'autorité,
les « actes irrespectueux et offensants vis-à-vis d'un
représentant de l'autorité» ou la « tenue de discours publics
dans le but d'affaiblir le respect dûàl'autoritéfrançaise ».
En 1928, la liste comprend ainsi 21 infractions spéciales.
Ce code de l’indigénat
prive de droits toute la population kanak jusqu’en 1946. Il est à
noter que ce code n’est pas spécifique à la Nouvelle Calédonie.
Il sévit dans toutes les colonies françaises.
UN
MISSIONNAIRE ET ETHNOLOGUE HORS NORME
En 1902, un missionnaire
protestant arrive à Nouméa. Il s’appelle Maurice Leenhardt. C’est
un fils de bonne famille sûr de sa supérioritéde Blanc, de
mâle et de chrétien quand il arrive. Il
est accueilli par
le
maire de Nouméa qui s’étonne : « Que venez-vous faire ici ? Dans
dix ans il n’y aura plus de Kanak ». Mais,
trois mois après son installation, au lieu de rester au centre
missionnaire, il s'achète une jument et part àla découverte de
l'ı̂le. Il est tout surpris de voir les gens qu'il croise sur les
sentiers se détourner àson passage. Il écrit àsa famille : «
On nous a montréun peuple s'élançant dans les bras d'un bon
Jésus, mais je ne trouve guère que le fier Canaque de
l'Insurrection qui, vaincu, préfère ne pas avoir d'enfants que de
les voir exploités par les Blancs » (lettre du 2 juin 1903).
Il constate de manière
concrète les effets de la colonisation. Il s'aperçoit que —
directement ou indirectement — celle-ci vise àla destruction
totale des autochtones. Les pronostics officiels annonçaient alors
que, dans dix ans, il n'y aurait plus un Kanak sur la Grande Terre de
Nouvelle-Calédonie.
9
Aussi
il met en place des structures capables de donner aux Canaques les
moyens de se défendre seuls (et cela lui vaudra beaucoup d'ennuis
tant avec le Gouvernement qu'avec la Sociétédes Missions
évangéliques de Paris) et de faire de l’alphabétisation. Il
installe aussi une école missionnaire chargée de faire un travail
d’ethnologue pour comprendre et raconter la société Kanak. Tout
en restant convaincu que la civilisation française a un rôle
civilisateur à jouer dans le Pacifique.
Bien
des indépendantistes de maintenant sont les enfants de Kanak formés
par Leenhardt.
LA
REVOLTE KANAK DE 1917
Cette révolte, bien moins
importante que celle de 1878, est liée au recrutement de Kanak dans
l’armée française pour partir combattre en Europe. Le premier
contingent de Kanak est recruté en 1916 et juste au moment où on
apprend que certains sont morts, une 2ème campagne démarre. Mais
des Kanak s’y opposent, menant une guérilla contre les recruteurs.
Face à cette guérilla,
les autorités coloniales choisissent de privilégier l’utilisation
d’auxiliaires indigènes, plus efficaces que les troupes
régulières. Ne réussissant pas à s’attaquer aux guerriers
ennemis, elles choisissent, dans la tradition de la guerre coloniale,
de « nettoyer » les vallées où les Kanak se révoltent : c’est
à dire de détruire tous les villages et les plantations, de
déplacer les populations s’y trouvant. Les auxiliaires sont
récompensés de 25 Francs pour chaque tête de combattant et autant
pour chaque femme ou enfant prisonniers. En un mois plus de 30
rebelles Kanak sont tués.
Le 10 janvier 1918, Noël,
le chef kanak de la révolte, est abattu puis décapité par Mohamed
Ben Ahmed, un ancien bagnard libéré à qui il demandait de la
nourriture. Les derniers petits groupes furent traqués jusqu’en
mai 1918.
APRES
LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE
En
1942, 100 000 soldats américains débarquent en Nouvelle Calédonie.
Ils sont 2 fois plus nombreux que toute la population de Nouvelle
Calédonie. Et ils viennent avec un matériel ultra moderne et plein
de dollars… Et puis des officiers noirs commandent à des soldats
blancs… Un choc. D’autant plus que les Américains construisent
des routes, des aéroports. Des Calédoniens veulent que la Calédonie
devienne un Etat d’Amérique….
Le
gouvernement français réagit et en 1946, elle abolit le code de
l’indigénat et donne la citoyenneté française à tous les
habitants de l’île. Mais ce n’est qu’en 1957 que les Kanak ont
le droit de voter.
La
première forme « moderne » d’organisation politique des Kanak
voit le jour en 1946 avec la création du Parti communiste calédonien
(PCC) autour de Jeanne Tunica, européenne, rassemblant rapidement
plus de 2 000 membres. Le PCC, victime d’attentats et de la
répression, disparaît en 1948. Le contre-feu vient des Églises
tant catholique que protestante qui suscitent la création
d’associations d’indigènes à l’origine en 1953 de la création
de l’Union calédonienne (UC) rassemblant des petits Blancs et des
Mélanésiens ayant pour programme l’autonomie de la Nouvelle
Calédonie. Ce contre feu est une tentative de faire participer les
Kanak à la gestion des affaires locales.
Mais
l’Union Calédonienne remporte plusieurs élections, ce qui
inquiète les conservateurs caldoches et le gouvernement français.
C’est que pas bien loin de la Nouvelle Calédonie, Mururoa est
devenue un centre d’essais pour la bombe atomique et qu’entre
1969 et 1972, le prix du nickel flambe. Plus
10
question
d’autonomie pour le gouvernement français qui retire à l’Union
Calédonienne l’essentiel de ses pouvoirs sur la gestion de ces
mines et en prend le contrôle.
LA
GUERRE DE 1984 1988
Mais…dans
les années 1970 les quelques étudiants kanak partis étudier en
métropole rentrent au pays. « J’ai découvert là-bas que j’étais
un homme comme un autre. Quand on était ici, on vivait dans un
sentiment d’infériorité quand on sortait des tribus et ça m’a
beaucoup fait évoluer. On a vécu les évènements de 68 où il y
avait quelque chose de formidable parmi les jeunes. Ils avaient envie
de changer la société, de bousculer les choses. » dit le
responsable de la Ligue des droits de l’homme en Nouvelle
Calédonie.
De
retour au pays, ces étudiants créent un mouvement qu’ils
appellent les foulards rouges. Certains feront de la prison pour
avoir rédigé des tracts dans leur langue d’origine. « Les
foulards rouges c’était une revendication d’identité kanak. On
est fier d’être Kanak alors qu’auparavant on en avait honte. »
Et le mécontentement kanak monte. Alors le gouvernement français
réagit en implantant du Blanc dans la colonie (des Français de
métropole et des autres colonies) et des travailleurs de Tahiti, de
Wallis et Futuna pour rendre les Kanak minoritaires.
Celui
qui prend en main la revendication Kanak c’est Jean Marie Tjibaou.
Il est originaire du village de Hienghène au Nord de la Grande
Terre. Jusqu’en 1946, les seules écoles autorisées sont celles
des missionnaires chrétiens. Comme beaucoup de leaders
indépendantistes, Tjibaou poursuit sa scolarité jusqu’au
séminaire. Ordonné prêtre, il renonce en 1965 et rejoint l’Union
Calédonienne en 1973. « Si vous ne faites pas connaître la racine,
les enfants seront déracinés c’est-à-dire sans racines. Et c’est
grave car ça débouche sur des jeunes qui sont des clochards. Il
faut que les jeunes soient comme les cocos qui en tombant restent au
pied du cocotier et prennent racine et non pas comme le coco qui
flotte dans le lagon et qui ne repoussera jamais ». C’est pour
retrouver ses racines qu’il organise le festival Mélanésia 2000
en 1975. « Nous sommes des hommes qui ont une culture et cette
culture il faut la montrer. »
De la
revendication culturelle, Tjibaou passe à la revendication
politique. En 1977, il devient vice-président de l’UC dont il
oriente le combat vers l’indépendance. Avec Machoro et Yewene
Yewene.
Les
populations européennes installées ici depuis des années se
sentent menacées dans leurs intérêts. La même année, les
caldoches se fédèrent autour de Jacques Lafleur qui crée le RPCR,
allié au parti gaulliste de la métropole.
L’arrivée
au pouvoir de Mitterrand en 1981 suscite des espoirs chez les Kanaks
et des craintes chez les Caldoches. Les indépendantistes font monter
la pression sur le terrain. A Nouméa les manifestations pour et
contre l’indépendance se croisent. Le 20 septembre 1981, Pierre
Declerc, un dirigeant blanc de l’Union Calédonienne est assassiné,
car, dit Tjibaou, « il est considéré comme un traitre blanc. Alors
que Pierre se bat pour la justice et la justice n’a pas de couleur.
»
L’agitation
se répand à tout le pays. Le gouvernement socialiste prend quelques
initiatives et rédige un projet d’autonomie adopté par
l’Assemblée nationale le 31 juillet 1984. En réponse toutes les
organisations indépendantistes se regroupent dans le FNLKS : le
Front de Libération National Kanak Socialiste le 24 septembre 1984.
« Ce que nous voulons c’est le droit à l’autodétermination et
son exercice par les Kanak seuls » déclare Eloi Machoro.
Des
élections territoriales ont lieu le 18 novembre 1984 mais elles sont
boycottées par les organisations indépendantistes. L’abstention
dépasse les 80 % chez les Kanak.
11
Le
jour du vote, Eloi Machoro, secrétaire général de l’UC, brise à
coups de hache l’urne électorale dans la mairie de Canala. Il s’en
suit l’occupation de la ville minière de Thio où le boycott a
connu un gros succès. C’est la seule municipalité de la côte qui
est encore administrée par un Européen. Le
20
novembre 7 barrages routiers et un blocus maritime isolent la commune
du reste du Territoire. Toute circulation est interdite en ville, les
véhicules de la Société Le Nickel sont réquisitionnés et ses
dépôts de carburants occupés. 200 militants et militantes du
FLNKS, conduits par Eloi Machoro, envahissent la gendarmerie. Les
Kanak manifestent leur joie, drapeau de Kanaky en tête. Nouméa
découvre ces images sur la télévision.
La
très grande majorité de la population kanak participe au mouvement.
Les militants FLNKS engagent une opération de dialogue visant à
désarmer les Européens surarmés : des dizaines d’armes sont
récupérées. Des patrouilles ainsi que des tours de garde sont mis
en place pour protéger les entreprises et les magasins.
L’autodéfense des tribus locales est organisée. En fait pas un
seul coup de feu n’est tiré contre des Européens et tout
l’appareil de production reste en l’état durant toute
l’occupation.
Le 2
décembre, Éloi Machoro et près de 400 hommes déterminés, armés
de machettes, de sabres d’abattis, de casse-tête et, pour
certains, de fusils, encerclent dès leur atterrissage 4 hélicoptères
transportant environ 90 gendarmes mobiles et contraignent ceux-ci,
sans aucune possibilité de réagir au risque d’un bain de sang de
part et d’autre, à se rendre à Thio-Village où ils rejoignent,
une fois désarmés, les autres gendarmes reclus dans leur
casernement.
Près
du pont de Thio, un 5e
hélicoptère déverse une quinzaine d’hommes du GIGN. Ceux-ci se
retrouvent rapidement bloqués par un solide barrage. Devant la
détermination et l’organisation des Kanak, le pouvoir colonial se
retrouve dans l’obligation de négocier la libération de tous ses
hommes retenus en otages et leur retour piteux sur Nouméa est mis en
place sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré.
Voilà
comment un jeune de l’époque raconte les évènements en 2014 : «
On est restés à Thio pendant
tout
le mois de septembre, d'octobre, de novembre, presque trois mois à
boucler Thio, à crever Thio, comme ça la mine de la SLN était
coupée de Nouméa, et les gens [les Caldoches] partiraient.
Après
en décembre, des gens [du FLNKS] sont venus nous dire de lever le
siège. Mais à Hienghène, ils avaient tué les frères de Tjibaou,
c'était la fusillade de Tiendanite [10 Kanak de la tribu de
Jean-Marie Tjibaou, un des principaux leaders indépendantistes,
tués le 5 décembre 1984 par des Caldoches. En pleine négociation
avec les loyalistes et l'Etat, Tjibaou ordonne malgré tout la levée
des barrages indépendantistes]. Yéyé [Yéwéné Yéwéné, proche
de Jean-Marie Tjibaou], il est venu nous voir pour lever le barrage,
mais le vieux [Machoro], il a dit non, le combat continue. Après,
avec les gens de Nakéty, on est partis vers La Foa pour couper tout
le sud du pays.
On
a fait des équipes de douze, au moins vingt équipes. Eloi, il a
trouvé des mecs de La Foa, des blancs, pour qu'on aille [se cacher]
chez eux. Mon équipe, elle était en retrait, dans les tribus de
Koindé et Ouipoin, on devait sortir au dernier moment. Les mecs de
La Foa devaient sortir en premier pour couper le pont, ils avaient de
la dynamite pour ça, pour couper la Calédonie entre le Nord et le
Sud.
Puis
les gens de Thio sont venus, mais à la sortie de Boulouparis, ils
ont tiré sur le fils Tual [Yves Tual, jeune Caldoche tué dans sa
ferme le 11 janvier 1985. L'événement déclenche une émeute
loyaliste dans la nuit à Nouméa]. C'est là que la gendarmerie a
commencé à nous rechercher, les jeunes et les vieux de Nakéty.
Ils
sont venus en hélico, et ils nous ont trouvé à Dogny [dans une
ferme à quelques kilomètres de La Foa]. Dans la nuit, ils se sont
préparés, sont montés dans la forêt, ont bouché toutes les
entrées, ils nous cernaient. Ils ont amené le contingent des
[gendarmes] mobiles. Le matin, ils ont commencé à tirer le gaz
lacrymogène. Y a un vieux commandant ou un général qui est venu,
il nous a donné les
12
sommations.
On était tous alignés autour de la propriété. Le vieux Eloi, il a
commencé à sentir qu'il allait se passer quelque chose. Le
capitaine a dit : ‘Rendez-vous, sinon on va rentrer’. Nous, on
veut pas se rendre. Le vieux Eloi pointe le commandant et il dit :
‘je tire, je vais tirer sur sa tête à lui là’. Le vieux Marcel
[Nonaro], son compagnon, lui dit ‘non non mon frère, ils vont rien
faire, ils vont pas rentrer, c'est une propriété privée’. Eloi
s'est détendu un peu.
Après,
deuxième sommation, ‘vous vous rendez ou on rentre’. Le vieux
épaule son fusil. Marcel dit non, il faut pas tirer. Nous, on était
une soixantaine, tous alignés autour de la maison, les gendarmes
mobiles, le GIGN, ils étaient partout autour, il y avait trois Puma
qui volaient. J'ai vu que trois GIGN avaient grimpé sur une petite
ligne de crête, au fond de la forêt. Il y avait plus de bruit,
rien, ils avaient arrêté les tirs de lacrymogène, et nous on était
debout, et on se demandait ce qui allait se passait.
Après
20 ou 30 minutes, on a entendu ‘clac clac’, et seulement ‘pouf’,
ils avaient mis des silencieux. Un mec a crié : ‘hé, ils ont tiré
sur le vieux Eloi’. (J'ai vu le vieux papa tourner comme ça, il
s'est penché, j'ai lâché mon fusil, j'ai couru vers lui, je l'ai
attrapé, on est tombé sur le capot d'une voiture. Il a mis sa tête
ici [sa poitrine]. On était comme ça, assis là, avec le vieux
Marcel debout à côté.) Un mec de La Foa a attaché un tricot blanc
sur un fusil et il a crié ‘on se rend, on se rend, on se rend !’.
Et j'ai entendu le deuxième coup. J'ai vu le vieux Marcel quitter le
sol, il a parlé, il a dit ‘voilà ma fin’ [en langue
vernaculaire], et il est retombé. Le vieux Eloi, il a mis du temps à
mourir, parce qu'ils ont pas touché son cœur. Moi je sentais que
c'était chaud partout, c'est le sang qui coulait. J'ai dit ‘Papa
ça va ? Papa ? Papa ? Ca va ?’, j'ai crié ‘Au secours, au
secours, vous avez abattu le papa, il faut lui porter secours
maintenant, il est blessé’. On est resté là 5 ou 7 minutes, puis
le vieux, il est parti. Un mec est venu avec son revolver, il m'a dit
‘lâche-le et sors sinon je t'éclate la tête aussi’. J'ai lâché
le vieux, je l'ai posé par terre, et puis je suis parti.) »
C’était
le 12 janvier 1985
Dans
le même temps, l’ensemble du Territoire est en situation de «
pré-insurrection » : occupations de mairies, de gendarmeries,
barrages. A Nouméa, les militants assurent la protection des
indépendantistes les plus en danger, surtout les quelques Européens
connus pour leur soutien à la lutte. L’aide au ravitaillement des
tribus isolées est organisé. De l’autre côté, des escadrons de
gendarmes mobiles continuent d’affluer de métropole, portant leur
nombre à 6 000 hommes, soit un gendarme pour 10 Kanak (sans compter
les forces armées proprement dites). Toute manifestation est
interdite, l’armée s’affiche en ville, des bateaux de guerre
ravitaillent le nord de l’île.
L’état
d’urgence et le couvre-feu sont décrétés essentiellement à
destination des Kanak, car une véritable collusion s’est installée
entre les colons et les forces de l’ordre. Le bilan depuis le
boycott actif du 18 novembre est lourd pour le peuple kanak : 15
tués, des centaines de blessés, 104 prisonniers à Nouméa, 20
tribus saccagées.
De
mars 1986 à mai 1988, Chirac est premier ministre et quand Bernard
Pons devient ministre des DOM-TOM, il déclare : « Si les Kanaks
bougent, nous leur serrerons le kiki. » Le quadrillage militaire de
tous les villages kanak est organisé par le gouvernement français :
un nouveau statut pour les kanak est rédigé. Il reviendrait en
arrière sur la situation précédente et exclurait les
indépendantistes de toutes les responsabilités locales de gestion
précédemment obtenues. Le nouveau statut doit rendre effet le jour
du premier tour des élections présidentielles de 1988. En réponse
des barrages sont dressés et un groupe de militants du FNLKS occupe
la gendarmerie sur l’ile d’Ouvéa. Ils prennent des gendarmes en
otage pour faire pression. Le gouvernement français envoie des
troupes d’élite. Les dirigeants du FNLKS lâchent les militants et
le gouvernement donne l’ordre de lancer l’assaut. 19 Kanak sont
tués et 2 gendarmes. La Nouvelle Calédonie est à 2 doigts de la
guerre civile.
13
Sous
la pression de Rocard, Tjibaou et Lafleur signent le 26 juin 1988 les
accords de Matignon qui découpent le Territoire en 3 provinces, dont
2 seront gérées par les indépendantistes. La question de
l’indépendance est renvoyée à un référendum
d’autodétermination prévu pour 1998. Tjibaou explique aux
militants du FNLKS : « Nous allons avoir des provinces avec des
crédits qu’on n’a jamais eu l’occasion de gérer. »
Le 6
novembre 1988, les Français approuvent par référendum l’accord
de Matignon (63% d’abstentions).
Cette
politique n’est pas acceptée par beaucoup des militants du FNLKS
et le 4 mai 1989, Djubelly Wéa abat Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné.
A
L’HEURE ACTUELLE
A
l’heure actuelle d’après René Dosière, ancien député PS et
rapporteur de la loi sur le statut de la Nouvelle Calédonie en 1999,
« la plus belle réussite des Kanak se situe dans l’industrie du
nickel. Avec la Société du Sud pacifique qu’ils contrôlent, les
Kanak ont édifié, en partenariat avec une multinationale
canadienne, une nouvelle usine métallurgique en province Nord
dirigée par un ancien collaborateur de Tjibaou. Une autre usine a
été réalisée en Corée du Sud. Les Kanak sont devenus un acteur
essentiel et incontournable de l’industrie du nickel, dont ils
étaient exclus voilà quelques années ! Ainsi apparaît une
nouvelle génération de Mélanésiens plus intégrée dans
l’économie mondialisée. Elle comprend également des cadres
moyens et supérieurs. »
Un journal satirique local
brocarde la classe politique pour son âge et son absence de
renouvellement. Les indépendantistes se sont embourgeoisés et
éloignés du terrain. « Au fil des ans, les réformes ont créé
des postes, apporté des voitures de fonction, des rémunérations,
des voyages tous frais payés en métropole, des situations. « Des
rentiers de la lutte ».
De l’avis de nombreux
observateurs, ce qui guette l’archipel, plus que des mouvements de
revendication de l’indépendance, ce sont des émeutes contre la
vie chère.
Nouméa et sa périphérie
concentrent les 2/3 de la population et bien des habitants se
demandent comment vivre au quotidien ?
La vie chère (33% de plus
qu’en métropole, 73% pour les produits alimentaires qu’en
métropole alors que le salaire minimum est 20% de moins qu’en
France), échec scolaire, chômage, pas de RSA, des écarts de
revenus 2 fois supérieurs à ce qu’ils sont en métropole, ce qui
fait dire au président de la Ligue des droits de l’homme, un
ancien indépendantiste : « la prochaine révolution ne sera pas
nationaliste mais sociale. »
Février
2019
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