jeudi 1 août 2024

BANGLADESCH:Des crimes déguisés en accident- 24 avril 2013

 

Cela se passe à Savar, dans la banlieue de la capitale Dhaka Un immeuble de 8 étages – Rana Plaza – abrite une banque au rez-de-chaussée et 5 usines textiles où travaillent 3 200 travailleurs (c’est une estimation car la corruption généralisée fait que tout est sous-évalué), des femmes pour la plupart. La construction de l’immeuble n’a été autorisé que pour 5 étages, mais de telles infractions couvertes par la corruption sont fréquentes, de même que les malfaçons. Le mardi 23 avril, des fissures sont constatées dans les murs du bâtiment et les travailleurs en sont évacués : le propriétaire convoqué déclare que c’est sans danger. Le lendemain matin, mercredi 24, la banque reste fermée mais les patrons des ateliers de confection contraignent les travailleurs à regagner leur poste. Quelques heures après, l’immeuble s’écroule totalement : on retirera des décombres plus de 1 200 corps et plus de 1 000 blessés plus ou moins sérieusement.

 Le fait que l’immeuble se soit ainsi effondré comme un château de cartes et les photos du tas de gravats qui sont les seuls décombres confirment que l’immeuble de béton a été construit pratiquement sans armature métallique. L’effondrement a pu être dû aux trépidations des machines à coudre, et il a été si soudain qu’aucun des travailleurs n’a eu le temps de gagner une sortie. La dimension meurtrière de la catastrophe entraîne une médiatisation mondiale, une stigmatisation des donneurs d’ordre (multinationales de la confection et de la distribution), et une réaction violente de tous les travailleurs du secteur textile du pays. Un coin du voile est levé sur les conditions d’exploitation de ces travailleurs, ce qui n’était guère connu auparavant. Mais plus que sur l’ensemble de ces conditions, l’accent est mis surtout sur l’insécurité, qui n’est pas due tant aux matériaux utilisés (teintures, solvants…) qu’aux locaux utilisés : sorties bloquées pendant le travail pour éviter les sorties et/ou les vols, pas d’automatismes anti-incendies, extincteurs en nombre réduit ou hors d’usage, aucun contrôle ou contrôles arrangés par la corruption. Depuis 2005, plus de 700 travailleurs ont été brûlés vifs dans des incendies. Un des derniers en date, le 24 novembre 2011, a tué 112 travailleurs et en a blessé 150 autres, le patron ayant retardé l’évacuation malgré l’alerte incendie. Le 8 mai dernier, un autre incendie a fait 8 morts, la plupart ont été asphyxiés par les vapeurs toxiques des tissus enflammés. Dans les heures qui ont suivi l’effondrement de l’immeuble, les travailleurs de toutes les usines (essentiellement textiles, de la zone industrielle concentrée autour de Dhaka) se sont mis en grève, grèves qui, comme cela s’est souvent produit dans le passé, se sont répandues, bloquant les axes routiers, provoquant des affrontements avec les flics de l’unité spéciale anti-émeutes le RAB, incendiant voitures, camions et usines. Cela dura près d’une semaine bien que le gouvernement, pour prévenir des troubles plus conséquents, ait ordonné la fermeture des entreprises de la zone. Parallèlement, le gouvernement tente de calmer le jeu mais cela ne peut aller bien loin car plus du tiers des membres du Parlement et du gouvernement sont eux-mêmes patrons, ou liés de près à cette industrie textile. Pour satisfaire en apparence le mouvement de révolte, des poursuites sont engagées contre quelques têtes responsables directes de la catastrophe : le propriétaire de l’immeuble est arrêté alors qu’il tentait de gagner l’étranger, ainsi que 6 patrons ou responsables des entreprises textiles concernées ; gageons qu’ils retrouveront leur liberté lorsque cette tempête sera calmée. Le syndicat patronal du textile, le Bgmea, décide que les salaires seront payés de toute façon et offre une indemnisation d’un mois de salaire – 30 euros – pour compenser le préjudice physique et/ou moral. Le gouvernement décide de fermer immédiatement pour des raisons de sécurité 16 usines… sur 5 400 du secteur, et poursuit des enquêtes de sécurité dans les autres (vu ce que donnaient ces enquêtes précédemment, on peut se douter de ce qu’elle seront). Les multinationales de la confection et/ou de la distribution déversent dans les médias leurs bonnes intentions et leurs protestations d’ignorance des conditions d’exploitation de la force de travail, produisant cette manne de produits au meilleur coût et leur permettant d’engranger la plus grande partie de la plus-value. Les protestations, comme auparavant, resteront lettre morte, et il n’est pas inutile d’analyser comment, dans ce domaine du textile comme dans d’autres, sur un plan mondial, se déroule le processus de production au moindre coût en éludant l’ensemble des contraintes éventuelles étatiques dans le domaine social et/ou environnemental. Les donneurs d’ordre – acheteurs initiaux – sont les multinationales (dans le textile, les "marques" comme Adidas, Benneton , H&M, Gap, etc.), ou les chaînes de distribution (Wal’mart, Carrefour, C&A, etc…). Ces firmes lancent un appel d’offre pour un produit défini à des conditions précises, et donnent le marché au mieux offrant, où qu’il soit, il s’agit souvent pour le textile de firmes taïwanaises, coréennes, japonaises, etc., rarement locales. Ces firmes ont des usines dans différents pays, le plus souvent dans tout le Sud-Est asiatique. Pour tenir les prix, elles peuvent, ou déplacer les usines là où la force de travail peut être exploitée dans les pires conditions (le Bangladesh est bien placé au bas de l’échelle des conditions d’exploitation), ou sous-traiter tout ou partie du travail concerné en ne conservant que la partie finale de la confection ; souvent, les contrôles ne s’appliquent que dans cette partie finale, alors que la masse des sous-traitants y échappe. Une pratique courante, pour faire face aux aléas de la production et aux réactions ouvrières, est de fermer l’usine et d’en rouvrir une autre ailleurs sous un autre nom, mais dans les mêmes conditions. Pour garantir leur réputation, les multinationales diverses citées ont dû aller au delà des prétendus audits antérieurs. Le 12 mai, les principaux donneurs d’ordre européens signent avec des fédérations syndicales internationales, sous l’égide d’ONG, un accord qui ne change rien aux conditions de travail mais par lequel les firmes signataires s’engagent dans les quarante-cinq jours à venir à mettre en place un plan pour protéger les travailleurs du textile contre les incendies, l’effondrement des bâtiments, avec la mise en œuvre de moyens "garantissant un niveau raisonnable de santé et de sécurité". Cet accord ne couvre même pas toute l’industrie textile. Les mesures concernées seront plus sévèrement appliquées sur seulement un tiers des usines et le dernier tiers avec un minimum de contraintes. De plus, 14 des plus grandes firmes américaines du textile et de la distribution ont refusé de signer cet accord. On peut penser que, finalement, au delà de cet effet d’annonce, peu de choses changeront. Les salaires restent à environ 30 euros par mois (quand ils sont payés) pour dix à quinze heures quotidiennes (extensibles sans contrepartie), six jours sur sept. Le Bangladesh a encore la réputation d’avoir les salaires les plus bas du monde : sur la base 100 en 1996, ces salaires de base ont été multipliés par 6 en Chine et seulement par 3 au Bangladesh, même après leur doublement en 2010 ; ces salaires bas expliquent que malgré les troubles politiques et sociaux qui interrompent souvent la production, les commandes continent d’affluer de la part des multinationales. Il y a bien eu ces salaires minimum bloqués depuis quatre mois, mais il faut souvent des grèves pour les faire appliquer. Sur le papier, les travailleurs peuvent former un syndicat (c’est encore affirmé dans l’accord que nous venons d’évoquer) mais dans la pratique, toute tentative est durement réprimée, tout activiste est immédiatement viré, souvent avec l’appui des autorités. En 2012, un militant syndical qui s’était plaint du harcèlement des forces de sécurité a été assassiné et son corps abandonné sur une autoroute. Ces salaires et ces conditions de travail exceptionnellement bas expliquent que malgré une insécurité totale et la récurrence des grèves, les multinationales continuent à se fournir dans ce pays. Les usines fermées à cause de grèves ou sur ordre gouvernemental rouvrent toutes après environ une semaine d’arrêt, et le travail reprend. Une question que l’on peut se poser est précisément pourquoi les travailleurs du textile acceptent de continuer à travailler dans de telles conditions d’exploitation. L’explication doit être cherchée dans les conditions particulières du pays. Géographiques d’abord : la surpopulation (1 066 habitants au km² contre 120 en France), un pays de tous les dangers avec des inondations et des cyclones qui font des milliers de victimes. Sociales : les 2/3 de la population sont d’origine paysanne et subissent le poids, notamment pour les femmes, de coutumes plus ou moins barbares. Politiques car les deux partis principaux, l’un musulman, l’autre hindouiste, épousant les séquelles de la décolonisation, se disputent le pouvoir avec violence : grèves et manifestations font des dizaines de morts (et ont des conséquences économiques, depuis janvier 2013, ces affrontements politiques ont entraîné trente-trois jours d’une quasi paralysie du pays). Tout concourt à entretenir un climat global d’insécurité dans un pays miné par la violence légale et la corruption. Les conditions extrêmes de la vie dans les campagnes et la surpopulation entraînent un exode rural vers des conditions moins dures, qui peuvent paraître comme une libération du joug des coutumes, de la religion, de l’isolement, et d’une autre forme d’insécurité plus inévitable puisque liée aux catastrophes naturelles ; tout cela concerne plus particulièrement les femmes. Depuis la mi-mai 2013, des milliers de travailleurs de douzaines d’usines de la banlieue de Dhaka continuent de manifester pour les salaires et la sécurité, suivant un schéma trop habituel : barrages routiers, violence policière. Le 27 mai, 20 000 travailleurs de la confection à Ashulia bloquent l’autoroute proche : 50 blessés.

HS

 

 

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