mardi 20 août 2024

LE SOUDAN, LA GUERRE A N’EN PLUS FINIR ?

 


Le Soudan et son image

Des origines à l’indépendance de 1956 page 3 Une naissance dans la guerre civile et la guerre froide (1956) page 4 Le Soudan ferme la parenthèse soviétique de 1967, page 6

rejoint le camp américain (1971) et instaure l’islamisme (1977)

1983-2005, la guerre civile entre le Nord arabe et le Sud africain noir page 6 1989, le coup d’Etat islamiste d’El Béchir page 8 1990, la concurrence entre impérialistes remplace la guerre froide : page 9

les USA lorgnent sur le Sud et son pétrole, la France vise à remplacer les USA au Nord

2005, les USA jouent la paix, pour mieux préparer la séparation du Sud page 11 2003-2004, La guerre du Darfour page 12

Le Sud du Soudan, en rupture de longue date page 14 2011, le Soudan du Sud, l’indépendance et encore une guerre page 15 2018-2019, la révolution page 16

2019-2021, la contre-révolution page 19

2023, la guerre des généraux page 21

Carte du Soudan (avant la séparation du Soudan du Sud en 2011) page 5 Carte des concessions pétrolières en 2017 page 10

Carte du Soudan du Sud page 15


LE SOUDAN ET SON IMAGE

Cela fait des dizaines d'années qu'ici, dans les pays riches, on nous parle du Soudan, avec chaque fois les mêmes images : la famine, la guerre ou la guerre civile, la désolation, les appels au secours de populations qui doivent fuir. En 2003, il y a eu la guerre au Darfour. En 2011, le Soudan du Sud s’est séparé, créant un nouveau pays. En 2023, c’est encore la guerre qui attire l’attention de l’Occident sur le Soudan.


Pour ce qui est des informations ou, plus exactement pour ce qui est des explications, il n'y en a quasiment pas. Rien au Journal télévisé, ou de manière tellement émiettée, que c'est incompréhensible. On n'y comprend que ce qu'on croit déjà savoir. C'est-à-dire qu'on est en Afrique, continent sujet aux conflits ethniques, et que l'Occident doit régulièrement s'occuper d'y intervenir pour mettre des limites à des pratiques de sauvages.


La réalité n'a rien à voir avec ces fadaises, cet écran de fumée, acceptable pour ceux qui ne se posent pas de questions, ou pire, ceux que cette version arrange pour se donner bonne conscience, et ne pas savoir que la France, les pays riches, sont impliqués au Soudan, comme dans bien des endroits dans ce monde.


***


Loin de l'image de désert désolant qu'on en reçoit en France, le Soudan, pour peu que l'on s'intéresse à son histoire, à ses habitants, est une région passionnante.


En 2019, il a connu une vague révolutionnaire qui a réussi à mettre à la porte un dictateur islamiste qui avait instauré la charia depuis trente ans. Au 20ème siècle, il avait connu un moment le parti communiste le plus important du monde arabe. Au 19ème siècle, il avait été le lieu de rencontre des deux grands colonisateurs, la France et l'Angleterre, alors qu'elles se lançaient dans une course à la colonisation de l'Afrique. Et si l'on remonte plus avant encore, il a été une des régions essentielles où, bien avant les Européens, les Arabes ont colonisé, islamisé les populations africaines, leur imposant la mise en esclavage.


Le Soudan était le plus grand pays d'Afrique, avec 2,5 millions de km2, jusqu’à la séparation du Soudan du Sud, en 2011, où il a alors perdu 600 000 km2. La guerre ou la guerre civile, le Soudan la connaît dès 1955, avant même l'indépendance, alors qu’il est sous domination coloniale anglaise.


Le Soudan d’avant la séparation est composé à moitié de Noirs (52%). 70% de la population est musulmane, et donc une partie des Noirs sont musulmans. Les autres sont essentiellement animistes 25%, ou encore chrétiens 5%. Mais cela n'a pas beaucoup de sens de parler ainsi du Soudan, car ce pays, grand à peu près comme l'Europe occidentale, vit depuis l’indépendance de manière séparée, pire, en guerre, entre le Soudan officiel et les régions rebelles.

LE SOUDAN DES ORIGINES A L’INDEPENDANCE DE 1956

Dans l'Antiquité, le Soudan devait être une région prospère. En tout cas, on y trouve de nombreuses traces d'empires. La région se prête probablement à l'élevage, à l'agriculture, à des travaux d'irrigation le long du Nil qui le traverse du Sud au Nord. Cette région est aussi un lieu de commerce et d'échange important. Originellement située dans la Nubie, elle a connu le royaume de Kerma (2500 à 1500 avant JC) ou le royaume de Méroé (4è siècle avant JC au 4è siècle de l’ère actuelle).


Plus près de nous, des royaumes chrétiens monophysites s'y établissent. Ces chrétiens sont considérés comme des hérétiques par l'Eglise officielle, car ils considèrent que Dieu, c'est Jésus-Christ. Ces royaumes vont bloquer pendant longtemps l'expansion fulgurante de l'Islam, qui apparaît au 7ème siècle comme une religion guerrière et conquérante, qui colonise par contre très vite l'Egypte et l'Afrique du Nord.


Au 13ème siècle, les Mamelouks musulmans parviennent enfin à occuper le nord de l'actuel Soudan. Mais cette occupation n'est pas durable. Pendant des siècles, le Nord Soudan sera ainsi le lieu d'avancées et de reculs de la colonisation islamique. Cette région a donc connu, durant des siècles, le problème de la volonté musulmane d'occuper, de dominer, de coloniser et d'islamiser.


Le Soudan ne sera islamisé que très récemment, en 1821. Ce sont les Egyptiens qui viennent là, cherchant à recruter de force des soldats noirs pour coloniser la Syrie, et des esclaves pour leurs travaux hydrauliques sur le Nil. Les Arabes égyptiens fondent la capitale Khartoum, à l'occidentale. Le Sud Soudan ne sera atteint qu'en 1827. Une région résiste particulièrement, c'est le Darfour, tout l'Ouest du Soudan, qui ne sera contrôlé qu'en 1874.


Dès 1882, l'Egypte passe sous le contrôle de la Grande-Bretagne. En 1883, l'imam al Mahdi dirige un soulèvement contre les Egyptiens et les Anglais. Ce soulèvement trouve des forces à l'Ouest, au Darfour. Les Egyptiens sont chassés de Khartoum.

Les Anglais ont un grand plan de colonisation pour l'Afrique : se tailler un empire qui va du Nord au Sud du continent, et construire et contrôler un chemin de fer du Caire au Cap. Le Soudan est sur cet axe. Or, au même moment, les Français ont un plan analogue, mais d'Est en Ouest. Les deux empires se rencontrent ainsi… au Soudan, à Fachoda en 1898. Ce sont les Français qui reculent.


En 1899, les Anglais reviennent donc au Soudan, alliés aux Egyptiens, et établissent de force un condominium anglo-égyptien. Les Anglais sont donc ceux par qui l'islamisation du Soudan aura été enfin obtenue, après des siècles d'échec des diverses conquêtes Arabes. Les Anglais instaurent au Soudan l'indirect rule, un système analogue au système raciste qui sera mis en place en Afrique du Sud. Les Arabes y jouent le rôle du dominé privilégié, face aux Noirs. L'administration britannique reprend et consolide donc les vieilles lignes de domination.

En 1924, l'autorité sur le Soudan devient entièrement britannique. Les Anglais font le choix de soutenir le mahdisme, le parti de l'imam El Mahdi. Ils s'appuient sur son fils, Sayyed Abderahman, accordent des terres et des faveurs à sa famille et ses soutiens, et en font une caste de grands propriétaires et de négociants en bétail. Ce parti va s'opposer à une autre confrérie musulmane, la Khatmiya, qui implantée à l'Est, est liée aux marchands et reste assez

favorable à une unité avec l'Egypte. Mais Londres se méfie de cette unité, et préfère cultiver le goût de l'indépendance nationaliste avec la Mahdiya.

Quant au Sud Soudan, il est livré à la violence de fonctionnaires coloniaux qui y jouent les roitelets. Londres se moque de ce qui peut se passer au Sud, hésitant même à rattacher à son empire ces terres lointaines et sans rôle stratégique apparent.


En 1955, préparant une indépendance qui est dans l'air du temps aux quatre coins du monde, les Britanniques annoncent que leurs officiers seront remplacés par des officiers arabes. L'Equatoria Corps, une unité militaire composée de soldats noirs, se mutine contre le commandement arabe, à l'annonce de cette nouvelle. C'est le début de la guerre au Soudan.

Le Sud, en fait, c'est bien plus que le Sud géographique, et cela englobe, si on regarde les régions touchées par la rébellion, tout le centre du pays. Toute cette région est la moins peuplée, avec environ 7 millions d'habitants. Alors que le Nord est à majorité arabe, ce Sud est à majorité africaine noire.


Les Britanniques accordent l'indépendance du Soudan en 1956, une indépendance, ici comme ailleurs, qui se fait dans l'explosion du pays. Immédiatement, le pouvoir est accaparé par les deux partis musulmans des confréries Mahdiya (Umma) et Khatmiya (Parti démocratique unioniste). Tous les partis sudistes sont écartés. Et ce sont les deux partis musulmans du Nord au gouvernement qui vont faire appel à l'armée pour régler le problème du Sud. Et pour commencer, ils reviennent sur leur promesse faite aux provinces du Sud de mettre en place un pouvoir fédéral.


UNE NAISSANCE DANS LA GUERRE CIVILE ET LA GUERRE FROIDE (1956)

A cette époque, l'histoire est marquée essentiellement par l'opposition entre le camp capitaliste, et celui des pays dits socialistes, autour de l'URSS, et un moment aussi autour de la Chine maoïste. En Afrique, l'Egypte de Nasser (1954-1970), le Ghana de Nkrumah (1957- 1966), et la Guinée de Sékou Touré (1958-1964), sont des tâches rouges sur la carte, proches de l'URSS, tandis que la Chine influe sur le Congo belge.


C'est donc dans ce contexte que le général Aboud est appelé au pouvoir. Il va mener au Sud une guerre féroce.

Ce sera la 1ère guerre au Soudan, une guerre du Nord contre le Sud. Elle va durer 7 ans, de 1955 à 1972.


Le programme d’aboud : des mesures discriminatoires en matière d'éducation, et l'extermination des élites religieuses et civiles du Sud. Des centaines de milliers de gens fuient vers les pays voisins. Malgré cette férocité, Aboud ne règle rien. Il finit par être lui-même chassé par une insurrection populaire à Khartoum, en 1964. Parmi ceux qui ont animé cette insurrection contre la dictature militaire, on trouve des militants communistes, et on trouve également des Frères Musulmans. C'est dans ces années 1960 que le parti communiste soudanais, ainsi que les syndicats, vont se développer.

En 1965, les partis traditionnels, Mahdiya et Khatmiya, reprennent le pouvoir, et relancent la guerre contre le Sud. A Khartoum, c'est le Parti communiste qui prend la défense du Sud. Sadeq El Mahdi décide de l'interdire. Mais le pays s'enfonce dans une crise économique, due à la poursuite de la guerre.




Carte du Soudan (avant la séparation du Soudan du Sud en 2011)


Lorsque survient la guerre des six jours en 1967, le régime choisit les pays arabes contre Israël. Or, à ce moment-là, la majorité des pays arabes est passée sous influence soviétique. En Afrique, le camp sous influence de l'URSS regroupe une zone continue immense qui part maintenant de la Guinée (Sékou Touré 1958-1964), la Haute Volta (Sangoulé Lamizana 1966-1971), le Mali (Modibo Keita 1960-1968), l'Algérie (Boumedienne 1965-1978), la Libye de Khadafi (depuis 1969), l'Egypte (Nasser 1954-1970), et va englober maintenant le Soudan (Nimeiry 1968-1985). Et il faut y ajouter le Nigéria (Kakubu Gowon

1966-1975), le Ghana du général Afrika (1966-1969), la Guinée équatoriale, le Congo de Marien Ngouabi (1968-1977), et dans l'Est africain la Tanzanie de Julius Nyerere (depuis 1964-1985) et la Somalie (Ali Shermake 1960-1971).

On pourrait voir dans cette longue série le signe d’une puissance considérable de l’URSS et de ses réseaux d’alliances dans le monde. En fait, cette facilité avec laquelle les Etats africains versent dans le camp dit « soviétique » montre d’une part que ces pays, tout juste sortis de la colonisation, sont encore le plus souvent immatures, se cherchent en cherchant un soutien international. Elle montre en même temps le peu d’exigence de l’URSS envers ces alliés de circonstance.


Le Soudan se retrouve donc dans le camp de l'URSS, qui accepte de lui apporter son aide sans condition. Les Etats-Unis tentent alors d'utiliser le parti Umma pour convaincre la hiérarchie militaire de ramener le pays dans son camp. A gauche, le Parti communiste et les nationalistes radicaux en appellent aux Officiers Libres, leur offrant un soutien s'ils prennent le pouvoir.


C'est ainsi qu'en 1969, des jeunes officiers prennent le pouvoir, avec le soutien du Parti Communiste, des syndicats et des associations paysannes. A leur tête, Nimeyri est un admirateur de Nasser. Sous un langage et un aspect très radical, il s'agit en fait d'un nationaliste qui momentanément tient la dragée haute à l'impérialisme et aux grandes puissances occidentales, en cherchant à gagner des faveurs du côté de l'URSS. Nimeyri s'engage à suivre "la voie du socialisme".

Ainsi, sous la présidence de Babiker Aoudallah, d'obédience Khatmiyya, des communistes sont associés au gouvernement. Mais cette utilisation des communistes et de l'URSS est, au fond, étrangère à ce régime. Et dès les premières difficultés, ce sont les communistes qui vont en pâtir. En 1970, des troubles ayant à nouveau lieu au Sud, le régime Nimeyri en rend responsable les communistes, et fait démissionner ses ministres du gouvernement, début 1971.



LE SOUDAN FERME LA PARENTHESE SOVIETIQUE DE 1967,

REJOINT LE CAMP AMERICAIN (1971), ET INSTAURE L’ISLAMISME (1977)


Le retour de bâton continue. En juillet 1971, le Parti communiste est accusé d'avoir voulu renverser Nimeyri. Un prétendu "complot communiste" est découvert. Des centaines de militants communistes sont arrêtés. De nombreux dirigeants, dont le secrétaire général du parti, sont soumis à un simulacre de procès, et exécutés. Nimeyri rompt ses relations diplomatiques avec l'URSS. Et quelques mois plus tard, les diplomates américains sont de retour à Khartoum, promesses de dollars plein les poches.

De leur côté, les dirigeants rebelles du Sud prennent soin de rompre eux aussi avec le Parti communiste, l'abandonnant à son sort. C'est ce que fait Joseph Lagu, avant de signer les accords d'Addis Abeba avec Khartoum. Après quelques années d'entracte pseudo "socialiste", le Soudan retrouve ainsi le camp anti soviétique. Il le fait parallèlement à l'Egypte, sous la direction de Sadate.


Pour le Sud Soudan, c'est une aubaine. Onze années de paix vont alors commencer en 1972. L'autonomie lui est reconnue. Un haut Conseil exécutif, responsable devant une

Assemblée régionale, est instauré. Les forces rebelles sont intégrées à l'armée nationale, et un effort de développement est décidé en faveur du Sud.

Au Sud, le principal dirigeant de l'Armée populaire de libération du Soudan, l’APLS, est un ex-colonel de l'armée soudanaise, John Garang. Il est envoyé en formation dans les académies militaires américaines. Parmi les proches de Garang, on trouve Museveni, protégé des Etats-Unis en Ouganda. On trouve aussi l'homme d'affaires anglais Tiny Rowlands, qui siège à la direction de la multinationale de la finance et des mines Lonrho.


Nimeyri qui a signé cet accord, gagne en popularité dans le Sud. Mais l'armée, elle, est réticente. Finalement, en 1977, cherchant à regagner sans doute des soutiens du côté des partis religieux traditionnels, Nimeyri provoque un véritable tremblement de terre, en décidant d'adapter la législation du Soudan à la charia, la loi islamique. La nouvelle constitution islamique met alors à l'écart la population non musulmane, plus du tiers du pays.


Mais plus encore que la loi islamiste, c'est la découverte du pétrole qui va relancer le pays dans la guerre. En 1979, des gisements de pétrole sont découverts. Petit à petit, on réalise que ces gisements se trouvent dans le Kordofan Méridional, au centre du pays, c'est-à-dire en fait dans le Sud, toujours vu comme potentiellement rebelle. Le Sud réclame d'avoir sa raffinerie. Mais Nimeiry annule les accords d'Addis Abeba. Khartoum décide de faire sortir le pétrole par le Nord, en construisant un pipeline en direction de Port Soudan, sur la Mer Rouge. Et c'est le long de ce pipeline que vont être construites les raffineries.


1983-2005, LA GUERRE CIVILE ENTRE LE NORD ARABE ET LE SUD AFRICAIN NOIR

En 1983, l'histoire de 1955 recommence : des unités noires de l'armée soudanaise se soulèvent contre leur commandement arabe dans le Sud. Et la guerre, interrompue depuis onze ans, va reprendre.


Ce sera la 2ème guerre du Soudan, comme la première, une guerre du Nord contre le Sud.

Elle va durer 22 ans, de 1983 à 2005.


Nimeiry redécoupe le Sud à sa sauce, déplace les hauts fonctionnaires, leur faisant rejoindre leurs régions d'origine. Du côté rebelle, on se donne comme chef John Garang, un Dinka. Le MPLS, Mouvement populaire de libération du Sud, trouve un soutien de l’autre côté de la frontière est du pays, en Ethiopie, sous le pouvoir du colonel Mengistu, alors proche de l’URSS. URSS au Sud du Soudan et USA au Nord se font là aussi une guerre par pauvres interposés.

En 1985, une nouvelle fois, c’est la population qui s’insurge et oblige les militaires à reculer. C’est que le FMI vient d’imposer à Khartoum une augmentation des prix de produits de première nécessité. Des manifestations débutent en mars. Le 2 avril, huit syndicats appellent à une « grève politique générale jusqu’à la suppression du régime actuel ». La grève va paralyser les institutions et l’économie, et des manifestations massives se multiplient dans de nombreuses villes. Un général provoque un coup d’Etat… qui lui permet de mettre en place un pouvoir civil.

Mais la guerre entre le Nord et le Sud continue, toujours aussi terrible. Elle prendra fin avec la fin de l’URSS, en 1991, et avec la fin du soi-disant socialiste Mengistu en Ethiopie.

Du coup, l'APLS est à deux doigts d'être défait. Mais en 1993, l'Ouganda de Museveni, au sud du Soudan, se substitue à l'Ethiopie. La guerre continue, elle va déplacer plus de 4 millions de personnes du Sud et faire 2 millions de morts.


1989, LE COUP D’ETAT ISLAMISTE D’EL BECHIR

Entre temps, en 1989, le pouvoir a été pris à Khartoum par un coup d'Etat islamiste.

Cette fois, ce ne sont plus des partis traditionnels musulmans dont il s'agit. Le maître à penser du coup d'Etat, c'est Hassan el Tourabi. Tourabi est le beau-frère de Sadiq Al Mahdi. Il s'appuie sur la crainte des islamistes les plus radicaux de voir Al Mahdi négocier avec les rebelles du Sud, et revenir sur la charia.


Juriste formé en France, Tourabi s'est imposé dans les années 1960 et 1970 comme le chef idéologique de l'Islam au Soudan. Il a pratiqué une stratégie d'entrisme, cherchant à placer des hommes à lui dans l'appareil d'Etat, des cadres qui vont régulièrement infléchir tous les gouvernements selon ses vues. Enfin, il reçoit un fort soutien financier de l'Arabie saoudite. Tourabi vise à étendre l'Islam à toute la corne de l'Afrique, alors que cette région a été traditionnellement une terre de résistance chrétienne à son introduction.

Malgré ses soutiens, Tourabi ne parvient pas à gagner la majorité des Soudanais à ses vues. Lors des élections de 1986, le FNI, Front national islamique n'obtient que 7% des voix. C'est donc par un coup de force qui se fait aussi contre la population que le nouveau pouvoir islamiste s'installe à Khartoum, en 1989. Ce pouvoir islamiste, c'est la dictature militaire du général El Béchir. Cette dictature va durer trente ans, jusqu’à la révolution de fin 2018 et 2019.


La guerre est maintenant très simple : il s'agit d'éliminer toute présence de qui que ce soit dans un rayon de cinquante, voire cent kilomètres, de chaque puits de pétrole. Il s'agit aussi de reconquérir des terres d'autant plus recherchées que le Nord se désertifie. L'objectif, à terme, étant d'y amener des colons venus du Nord.

Le nouveau régime va faire vivre au Soudan une période d'intégrisme islamique et de soutien aux islamistes des quatre coins du monde A l'intérieur, le régime suit un cours que d'aucuns diraient ultra libéral, en favorisant les activités spéculatives des banques islamiques. Seuls les protégés du régime s'enrichissent, la majorité de la population, même dans le Nord, connaît un effondrement de ses conditions de vie.


Le Sud, lui, est ravagé par la guerre. Plus de 4 millions de personnes, nous l’avons dit, sur une population de l'ordre de 12 millions, va se réfugier au Nord. La majorité des Soudanais déplacés du fait de la guerre se retrouve aux périphéries de Khartoum, à Haj Youssef, à Soba, à Mayo. Elle y vit dans une grande misère, "dans des habitations de terre séchée et de paille mêlées, dont les murs menacent de s'écrouler et l'environnement de se transformer en marécage pestilentiel à la première pluie" (Le Monde 12/9/02).

El Tourabi a des visées qui vont bien au-delà du Soudan. Il mène des tentatives d'infiltration de l'Etat au Tchad et au Kenya. Il soutient les islamistes de Tunisie, d'Algérie. Chaque année, se tient à Khartoum une conférence populaire islamique. Enfin, lors de la

première guerre du Golfe en 1991, Khartoum refuse de s'aligner derrière les USA, et soutient Saddam Hussein. Là encore, ce n'est que calcul. El Tourabi prévoit que Saddam Hussein va sortir perdant, et il espère prendre sa place de leader du monde arabe.

El Tourabi ambitionne de devenir le chef d'un renouveau islamiste. Mais si les divers islamistes ne se gênent pas pour utiliser les facilités que leur offre un Etat et un territoire qui cherche leurs faveurs, aucun n'est en réalité prêt à considérer El Tourabi comme son nouveau maître.


En 1992, c'est Ben Laden en personne qui atterrit à Khartoum. A l'époque, la rupture de Ben Laden avec les Etats-Unis est toute récente. Il s'est battu au service des Etats-Unis, pour libérer l'Afghanistan des Soviétiques. Mais il s'estime mal remercié. Il se saisit de la nouvelle présence militaire occidentale sur les lieux saints de l'Islam, en Arabie saoudite, pour dénoncer le régime saoudien, et appeler le monde arabe à restaurer un prétendu Islam pur originel.

Le Soudan sert de base à Ben Laden pour ses premières opérations à l'échelle internationale. De sa villa luxueuse des quartiers de Khartoum, il dirige officiellement des entreprises de BTP qui font des affaires au Soudan, au Yémen, et dans toute la région, et il fonde la banque Al Shamal. En même temps, il planifie son soutien aux islamistes d'Algérie, de Bosnie et d'Egypte. En 1995, prévoyant un débarquement américain en Somalie, il a envoyé par avance des soldats du Djihad. Ces soldats vont réussir à obtenir le retrait des troupes US.


C'est du Soudan également qu'est programmé l'assassinat de Moubarak, qui en réchappe de peu. Suite à cet attentat, les grandes puissances occidentales font pression sur le Soudan pour qu'il cesse d'héberger le financier du terrorisme islamiste Ben Laden, et sa tête pensante al Zawahiri. Le régime de Khartoum, toujours prêt à se vendre, propose d'échanger Ben Laden contre argent. Ni l'Arabie saoudite, ni les USA, ne répondent à cette offre. Il finira par être réexpédié en 1996 en avion privé à sa case de départ, l'Afghanistan.


Tant que l'URSS était là et constituait un danger pour le monde, selon la version officielle de l'ensemble des pays capitalistes, force était de devoir s'aligner en toutes occasions sur le chef de la lutte anti soviétique, les USA. L’URSS et son prétendu communisme disparus, ce sont les contradictions, les ambitions et les concurrences entre puissances impérialistes qui remontent en force.


1990, LA CONCURRENCE ENTRE IMPERIALISTES REMPLACE LA GUERRE FROIDE : LES USA LORGNENT SUR LE SUD ET SON PETROLE,

LA FRANCE VISE A REMPLACER LES USA AU NORD


La France s'était alignée sur les USA pour soutenir tous les régimes qu'a connus le Soudan, depuis son indépendance. Y compris pour la dictature de Nimeyri. Et lorsque les islamistes ont pris le pouvoir en 1989 avec El Béchir, ni les USA ni la France n’ont rechigné, contrairement à ce que pourront laisser croire les discours officiels après le 11 septembre 2001. Les islamistes sont au contraire un fort bon outil pour lutter contre le communisme, ou plus simplement contre quiconque aspire sincèrement à changer le monde.

Le Soudan ayant soutenu Saddam Hussein en 1990, les USA le sanctionnent. Et pour se donner les moyens de pouvoir un jour mettre pied sur le pétrole du Soudan, les USA font le choix maintenant de soutenir la rébellion sudiste, à partir de 1991. Ainsi, après avoir soutenu les régimes qui lui avaient fait la guerre depuis des dizaines d'années, Washington soutient l'APLS du Sud. Du coup, Khartoum fait le choix de s'adresser aux Chinois pour commencer à produire le pétrole, en 1999.


La France profite du retournement des USA, et fait immédiatement des offres à Khartoum, dès 1991. Paris lui livre des armes.


Pendant que Ben Laden est au Soudan, Total prospecte sur place, Les Grands Travaux du Midi construisent au Soudan, des Airbus sont vendus. La France donne à Khartoum un droit de passage pour ses troupes par la République Centrafricaine, ce qui lui permet de



Carte des concessions pétrolières en 2017 (Total est en zone 5)

prendre à revers l'APLS. Paris fournit les images satellites des positions de l'APLS. Le Zaïre de Mobutu, autre allié de Paris, permet également à Khartoum d'utiliser des pistes

d'atterrissage. En échange de ces amabilités françaises, Khartoum livre en 1994 à Pasqua le terroriste Carlos qui se croyait à l'abri au Soudan. Livraison qui devra servir à aider Chirac pour son élection de 1995. Libération écrit le 12 janvier 1995 : "La France est aux petits soins pour la junte islamiste au Soudan".


En 1993, les Etats-Unis mettent le Soudan sur la liste des "Etats commanditaires du terrorisme". En 1998, suite à deux attentats attribués à Ben Laden, qui visent les ambassades américaines à Nairobi (Kenya) et Dar es Salam (Tanzanie), (224 morts dont 12 Américains, près de 5000 blessés), Clinton envoie sur le Soudan des missiles. Il détruit une prétendue usine de fabrication d'armes chimiques, en fait une usine pharmaceutique.


A partir de ce moment-là, le Soudan va discrètement changer d'attitude, et commence à obéir aux injonctions américaines pour soutenir sa lutte antiterroriste. Bien avant le 11 septembre 2001, le régime islamiste de Khartoum se met à jouer les guides experts en islamisme, expliquant à la CIA comment s'y retrouver dans les divers réseaux islamistes. Une semaine après le 11 septembre 2001, Washington va demander à l'ONU de lever les sanctions qui régnaient encore sur Khartoum. En échange, le régime donne aux Américains des dizaines de personnes recherchées par leurs polices.


En 2005, la France entreprend de réaliser un complexe industriel à capitaux privés et publics, destiné à produire du matériel militaire. Nom du complexe : « Djihad ! » Total a obtenu des terrains à explorer, Alstom lance un chantier hydroélectrique. A la Foire internationale de Khartoum de 2004, on compte 40 entreprises françaises. De Villepin est reçu en grande pompe à Khartoum, où il déclare : « Des relations d'estime et d'amitié profonde unissent le président Chirac et le président El Béchir ». En réponse, celui-ci demande à pouvoir faire adhérer son pays à la Francophonie.


2005, LES USA JOUENT LA PAIX,

POUR MIEUX PREPARER LA SEPARATION DU SUD

Apparemment, les USA se sont donc laissés mettre sur la touche, du fait qu'ils ont condamné Khartoum en le jugeant appartenir à l'« axe du mal ». Mais les Etats-Unis n'ont pas dit leur dernier mot. Toujours soucieux de garder un œil sur le pétrole, ils vont choisir de jouer une autre carte au Soudan, celle d’une volonté de paix.

Confiant dans ses capacités et son influence à l'échelle internationale, Washington s'est mis en tête de jouer au Soudan le rôle du pacificateur, de la bonne volonté qui vient là pour arbitrer les conflits et leur trouver une juste fin. En clair, Washington use de tout son poids pour obtenir que Khartoum négocie avec les rebelles, rebelles que Washington n'a cessé de soutenir, soit dit en passant.


L'accord est effectivement signé, en janvier 2005. Selon cet accord, le pactole du pétrole, produit à raison de 350 000 barils par jour en 2004, et devant passer à 500 000 à terme, soit un revenu de 2 à 2,5 milliards de dollars par an, ce pactole devra donc être partagé entre le régime du général président El Béchir, et les ex rebelles de l'APLS. Sur le plan politique, l'APLS peut instaurer au Sud une administration semi autonome. Elle peut maintenir son armée, et a le droit même de frapper sa propre monnaie. Garang devient vice- président, et a droit de veto sur Béchir. Tout cela pour une période dite de transition de 6 ans.

Après quoi, en 2011, un référendum décidera de l'appartenance du Sud au Soudan ou d'une indépendance.

La manière dont l'accord a été négocié indique que tout se passe comme si les USA poussent non pas à une future unification du pays, mais bel et bien à une future partition, avec à la clé la chute de 80% du pétrole dans le nouvel Etat, protégé de Washington. Un détail significatif : Washington donne le pouvoir au Sud à la seule APLS. Or l'APLS est surtout constitué de Dinkas, et elle est mal vue par les Nuers et par les populations de l'Equateur. Et ce sera là la source d’une autre guerre, interner au tout jeune Soudan du Sud.



2003-2004, LA GUERRE DU DARFOUR


Mais auparavant, ce calcul américain qui consiste à jouer avec l'idée même de paix, pour préparer de prochaines divisions, va être le déclencheur de la guerre du Darfour. C'est que le Darfour, le Dar des Fours, la maison des Fours en arabe, est une région encore plus délaissée que le Sud. C'est même parce qu'elle était longtemps délaissée que le conflit Nord Sud ne l'a pas touché avant 2003.


Lorsque les catégories les plus favorisées de cette région ont vu que l'APLS était sur le point de gagner, avec les USA, une place éminente, et les dividendes de la lutte armée, elles se sont dit que c'était là une solution pour elles aussi. Or, une expérience de lutte armée, le Darfour en a connu une, grâce à l'opération d'Idriss Déby, l'allié de la France, qui a pris le pouvoir au Tchad, en partant du Darfour, en 1990.


Un certain nombre des combattants, qui avaient aidé et suivi Déby au Tchad, étaient ensuite revenus au Darfour. Ils seront le fer de lance de la nouvelle organisation rebelle, l'ASL, Armée soudanaise de libération. L'ASL disposerait de 10 000 combattants. Elle sait disposer d'aides de l'autre côté de la frontière. Cette rébellion éclate en janvier 2003. Un peu plus tard, un autre mouvement apparaît au Darfour, le MJE, Mouvement pour la Justice et l'Egalité. Le MJE semble être une couverture nouvelle de El Tourabi (PCN Parti du Congrès National). Mis à l'écart en 1999 par El Béchir, Tourabi reviendrait donc lui aussi, en utilisant les soubresauts dus à la misère populaire.

ASL et MJE réclament au Darfour les mêmes droits que ceux accordés au Sud : gouvernement fédéral et institutions autonomes, une part du pactole pétrolier, qu'ils chiffrent à 13%.


Pendant des décennies, lorsqu'elle daignait parler de ce qui se passait au Soudan, la presse occidentale présentait les choses comme un conflit ethnique, entre le Nord arabo- musulman, et le Sud négro africain et animiste, ou chrétien. On l'a vu, il s'agit d'un conflit politique, social, économique. Mais parler d'ethnies et seulement d'ethnies permet à l'ancien colonisateur d'abaisser l'ancien colonisé. Et de masquer ses propres responsabilités.


La guerre du Darfour sera la 3è guerre du Soudan, une guerre cette fois du Nord contre l’Ouest.

Elle va s’étaler sur deux années, 2003 et 2004.


Au Darfour, les deux parties qui se font la guerre sont de la même religion. Cette région est entièrement musulmane, que la population y soit d'origine arabe ou africaine.

Quand la rébellion commence, le gouvernement ne peut guère utiliser son armée, car l'essentiel de ses troupes sont des soldats recrutés au Darfour.

Alors le régime islamiste de El Béchir s'adresse aux nomades arabes, en fait à des gens prolétarisés et sans avenir. Il leur dit : « Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, voler, piller, etc ». Et il les arme. Ainsi se constituent les fameux janjawids, des bandes de cavaliers arabes, qui n'ont en fait plus grand chose à voir avec les cavaliers de l'Islam conquérant. Il s'agit de mercenaires, qui ne se revendiquent même pas du fait d'être Arabes.


L'armée soudanaise leur donne pour mission de couper la rébellion de la population locale, et ce par une politique de terre brûlée. Pillages, destructions de villages, meurtres, incendies, viols, ils feront ce que Khartoum souhaitait.


Cela ne va pas empêcher les Américains, qui ne mettront aucune condition au sujet du Darfour, pour obtenir leur pseudo-accord entre le Nord et le Sud. Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell se rachètera de cet oubli en juin 2004, en allant au Darfour, et en qualifiant ce qui s'y passait de "génocide".

Le Darfour est alors habité par 7 millions de personnes. On compte un million de réfugiés à l'intérieur de la région, et 200 000 qui ont fui vers le Tchad. Les chiffres sérieux varient entre 180 000 et 300 000 pour le nombre de morts, en un an et demi à peine.


Voici un témoignage de janvier 2004, de la correspondante du journal Le Monde, Mouna Naïm : " Ces localités se ressemblent toutes : des familles s'abritent sous les arbres, dorment dans la poussière, par un froid glacial et sous le vent dur de la saison sèche. Des cercles de cendres et de pierraille noircie, d'où émergent des vestiges de lits en fer tordus par l'incendie, remplacent les cases de paille et de terre. Sur les murs des magasins aux portes éventrées, des langues de suie témoignent des incendies". Et de préciser : " Les rebelles ont dénombré plus de 2300 villages -ainsi- attaqués dans l'ensemble du Darfour."

Un cessez-le-feu est conclu en avril 2004. Et une force africaine a été envoyée. Des négociations ont débuté au Nigeria, puis ont été suspendues, ont repris. En 2005, ce sont les convois de l'aide humanitaire internationale qui sont l'objet d'attaques de banditisme, peut-être du fait d’anciens janjawids.


Les USA ont-ils en tête pour le Darfour une nouvelle négociation du genre de celle qu'ils ont conclu entre le Nord et le Sud ? En tout cas, cette fois, c'est la France et avec elle l'ensemble de l'Europe, qui s'est mis en tête de les gêner sur ce terrain. Et une querelle internationale a lieu pour savoir où et par qui l'on doit juger les crimes qui ont été commis au Darfour.


Une commission de l'ONU juge qu'il n'y a pas eu "génocide", mais par contre, il y a eu des "crimes contre l'humanité" et des "crimes de guerre". Paris, Londres et Bruxelles veulent que ce soit la CPI, la Cour pénale internationale, qui en prenne la charge. Washington refuse. Et propose de créer un tribunal ad hoc en Tanzanie, sur le modèle du Tribunal international pour le Rwanda.

Les Etats-Unis ont tenté de faire un croche-pied à la France à l’occasion de la guerre du Darfour. Sachant que la rébellion y avait des soutiens au Tchad, allié de la France, avec une frontière qui longe le Darfour, les USA ont tenté d’opposer le Tchad à Khartoum, donc

indirectement à Paris. Pour contrer ce projet, la France a envoyé des troupes le long de cette frontière, pour démontrer qu’il n’y avait aucun passage de rebelles entre les deux pays, et empêcher toute provocation qui mènerait à un conflit ouvert entre le Tchad et le Soudan.

Mais, bien entendu, elle a présenté cette opération comme humanitaire et destinée à protéger les populations. Ainsi, la France a réussi à se garder ses deux alliés, Khartoum et N'Djamena.


L'accord de cessez-le-feu du Darfour, à son tour, a peut-être été, pour les Américains, un moyen de faire cesser cette présence militaire française, en la faisant remplacer par des Africains (UA).



LE SUD DU SOUDAN, EN RUPTURE DE LONGUE DATE


Nous l’avons vu, la Grande-Bretagne eut particulièrement du mal à contrôler le Sud du Soudan, lors de la période de colonisation. Elle n’y parvient qu’en 1896-1898. Mais les colons sont vite rebutés par les conditions climatiques, par l’enclavement de la région, sans aucun accès à la mer, et vont la délaisser au profit d’autres, de même qu’ils ont délaissé le Darfour.

Dans un premier temps, la politique de Londres a été de séparer au maximum le Soudan du Sud du reste du pays. La langue arabe, parlée au Nord, y est interdite, de même que les vêtements arabes. Les déplacements entre le Nord et le Sud sont très limités. Londres semble vouloir conserver le Sud dans un état d’arriération qui, à ses yeux, est un gage de tranquillité. Cette politique va changer à partir de 1947, lorsque commence à se poser la question de l’indépendance, donc de la constitution d’une nation, avec la vision bourgeoise du terme. Londres instaure donc l’arabe comme langue officielle, et l’anglais langue principale. Mais, au sud, personne pratiquement ne connaît ni l’arabe, ni l’anglais.


L’annonce de l’indépendance, pour les populations du Sud, a été une nouvelle effrayante, avec le retour à une domination la plus violente. Un mouvement mystique secret de résistance s’était mis en place, avec pour nom Anya-nya, « Venin de serpent ». Lancée dans la foulée de l’indépendance, la guerre civile menée par le Nord aura duré 17 ans, jusqu’aux accords d’Addis-Abeba en 1972. La paix, si l’on peut parler de paix pour une situation de misère terrible, va durer onze années.

Nous l’avons vu, la guerre civile contre le Sud a repris en 1983, lorsque Nimeiry a voulu imposer la charia aux provinces du Sud, très peu musulmanes. Les rebelles du Sud tiennent en partie avec des soutiens extérieurs, notamment en Ethiopie. Mais ce soutien cesse en 1991. Le Sud signe un cessez-le-feu en 2002, avec le gouvernement de Khartoum. Et cela aboutit à un Accord de paix global le 9 janvier 2005. Cet accord, nous l’avons vu précédemment, a été largement parrainé, et en partie organisé, par les Etats-Unis. Y auront contribué les présidences de Clinton, Bush fils et Obama.


Un référendum d’autodétermination était programmé pour 2011, à la suite d’une période d’autonomie. 80% des inscrits se prononcent alors à 99% pour l’indépendance : un nouveau pays change la carte de l’Afrique. Il est reconnu par l’ONU au bout de quatre jours. Son nom français est le Soudan du Sud.

2011, LE SOUDAN DU SUD, L’INDEPENDANCE ET ENCORE UNE GUERRE

Les Sudistes avaient longtemps combattu le Nord. Mais ils étaient eux-mêmes très profondément en conflit entre eux. Les populations du Sud, environ 12 millions d’habitants, comprennent des peuples nilotiques, des peuples soudaniques orientaux, centraux, des peuples nigéro-congolais et des nilo-sahariens. Du point de vue religieux, il n’y a que 6% de musulmans, la majorité sont chrétiens : 40% de catholiques et 21% de protestants. Tous les autres, 34% sont animistes.


Mais l’opposition la plus grave oppose deux populations nilotiques entre elles, les deux populations les plus importantes, les Dinka (36%) et les Nuer (15%). Selon un mythe, c’est lors d’une succession qu’un ancien Dinka a grugé un frère, et a fondé le groupe Nuer. En tout cas, les Nuer sont une société qui n’est pas organisée de manière centralisée, qui pratique l’élevage et l’agriculture, et qui forme des guerriers. Les Dinka sont un peuple de pasteurs, éleveurs, pour qui le troupeau est au centre de la vie. Les Dinka subissent des attaques de Nuer, qui leurs prennent des bêtes, leurs font des prisonniers de guerre.


Au moment de la colonisation, les Nuer ont résisté aux Britanniques, alors que des Dinka vont collaborer avec eux. Mais dans la lutte contre Khartoum, c’est l’inverse : de nombreux Dinka se sont opposés au Nord, tandis que des Nuer se sont enrôlés dans des milices pro-gouvernementales. Bref, l’opposition entre Dinka et Nuer est bien ancrée, lorsque, en 2011, le Soudan du Sud devient indépendant.


Carte du Soudan du Sud

C’est John Garang, le dirigeant historique de la lutte du Sud contre le Nord, qui devient vice-président ; mais il meurt dans un accident d’hélicoptère. C’est un président Dinka (Salva Kiir) et un vice-président Nuer (Riek Machar) qui se mettent à diriger le pays. Tous deux n’ont qu’un souci, le même que le colonisateur, le même que les dirigeants du Nord : capter le plus de richesses possibles dans leur intérêt personnel. En quelques mois, leur animosité réciproque et leur concurrence égoïste dégénèrent en une guerre civile interne au Soudan du Sud.


Le président dispose de l’armée régulière, l’APLS (Armée de libération du peuple soudanais), à majorité Dinka. Le vice-président trouve à sa disposition une Armée de libération du peuple soudanais en opposition (APLS-IO), formée par des Nuers et d’autres ethnies.


La guerre du Sud-Soudan sera la 4è guerre au Soudan,

elle oppose deux populations du même nouveau pays, le Soudan du Sud. Elle va durer 7 ans, de 2011 à 2018.

Mais on ne peut pas se contenter de réduire la guerre à un simple conflit entre ethnies. Comme l’écrit Patrice Gourdin, docteur en histoire, sur Diploweb (janvier 2019), « Comme de nombreux autres pays africains après leur décolonisation, le Sud-Soudan est parvenu à l’indépendance sans disposer ni d’une structure étatique digne de ce nom, ni d’une population se percevant comme une nation. L’intérêt général est un concept dépourvu de

sens : la plupart des cadres sont notoirement incompétents et corrompus et les dirigeants politiques ont institué une kleptocratie. Les rivalités pour l’accaparement de l’aide internationale et des revenus pétroliers comptent davantage que les différences ethniques. »

Certains observateurs pensent que le Soudan soutient à la fois les deux parties en guerre au Soudan du Sud. C’est en tout son intérêt que la guerre perdure. Car le Soudan du Sud est riche, ne l’oublions pas, de ce pétrole récemment découvert, et d’autres minerais, fer, cuivre, chrome, zinc, tungstène. Ce n’est qu’au bout de sept années d’atrocités, en septembre 2018, et après plusieurs tentatives ratées, qu’un accord parvient à faire cesser cette guerre interne au Soudan du Sud.



2018-2019, LA REVOLUTION


A côté des évènements précédents, des guerres incessantes et terribles pour les populations, Décembre 2018 est une heureuse embellie, avec le surgissement de manifestations populaires qui disent Non à la dictature, Non à la loi islamiste, Non aux militaires au pouvoir.


Mais avant de regarder cette révolution, il nous faut faire un petit retour en arrière, en 2013. Pour la première fois sans doute depuis l’instauration de sa dictature islamiste, El Béchir doit faire face à un fort mouvement dans les universités de la capitale. Le mouvement prend le nom de « Girifna », « On en a marre ». Il n’est lié au départ à aucun parti politique. Et il utilise largement les réseaux sociaux.

Mais en deux semaines à peine, les flics et la police politique du régime font plus de 200 morts parmi les étudiants et les étudiantes. Une leçon va être tirée de cet échec sanglant, c’est qu’il faut éviter une organisation trop centralisée, facile à identifier pour le pouvoir.

Selon Courant Alternatif (de mars 2023) qui consacre plusieurs pages à la situation du Soudan, l’idée émerge parmi les militants de retourner chacun dans son village d’origine, de former des organisations autonomes, et de mieux se lier à la population pour se protéger de la répression.


Trois sortes de comités de résistance vont ainsi se former. Les uns se donnent pour objectif clairement le renversement du régime. D’autres s’organisent pour contrecarrer des soi-disant « comités populaires » que le régime a mis en place pour contrôler la population par en bas. D’autres enfin choisissent de constituer des moyens d’entraide et de solidarité sur la base du quartier. Tous militent évidemment contre le racisme d’Etat qui est diffusé d’en haut par le régime.

Ce travail va finir par éclore, selon C.A. Un hashtag « Hanabniho » est lancé, qui signifie « Nous le reconstruirons » (le pays). Surtout, ce sont ces comités, qui ont gagné une certaine confiance populaire, qui vont animer et structurer, d’en bas, dans les différents quartiers, la révolution de 2018-2019.


La révolte commence donc en décembre 2018, contre un triplement du prix du pain. Elle ouvre très vite la voie à la seconde vague révolutionnaire du monde arabe, qui a connu son premier élan en 2011, en Tunisie, Egypte, Libye, Syrie, Bahrein, Yemen. Elle va atteindre en 2019 les pays qui n’avaient pas encore été touchés, l’Algérie, le Liban, l’Irak. Et donc, le Soudan.


Ce sont des marées humaines qui vont affronter les militaires, au prix de centaines de morts, durant quatre mois. Dans le pays de la charia, femmes et hommes luttent ensemble, nuit et jour, défient une armée qui a depuis des décennies une tradition de rapine, de viol et de violence contre les populations. Les manifestations ont commencé à l’occasion d’un match de foot à Omdurman, une ville d’un million d’habitants.


Une sorte de direction du mouvement s’est vite mise en place, avec l’Association des professionnels soudanais. Elle aussi date de 2013, lorsqu’avaient eu lieu des émeutes, suite à un soudain doublement du prix de l’essence. L’association a alors regroupé des catégories habituellement plus préservées par les mesures économiques que les simples travailleurs : médecins, avocats, journalistes, pharmaciens, professeurs d’université. Ils se mettent en lien avec les militants des quartiers, lancent les mots d’ordre. Début 2019, cette Association avait obtenu la signature de tous les partis, du parti communiste soudanais au parti religieux Oumma, et de nombreux groupes armés en rébellion dans les régions, d’un texte intitulé

« Déclaration de la liberté et du changement ».


Profitant de la paralysie du régime devant les vagues de manifestants, les comités de résistance vont commencer à reconstruire les structures sociales, cinémas, centres culturels, que le régime a interdit, revendu. Des comités mettent en place des « observateurs et observatrices du marché », qui veillent à ce que certains commerçants ne profitent pas des pénuries, pour faire des stocks ou augmenter abusivement leurs prix.

Les femmes, surtout depuis l’instauration de la charia en 1989, sont particulièrement opprimées. El-Béchir, a accompagné son coup d’Etat de la mise en place d’une police de l’ordre public, qui doit faire appliquer la « décence des tenues » : pas de pantalon, pas de cheveux apparents, pas de présence d’une femme dans une voiture avec un homme s’il n’est

pas son mari, son père ou son fils. De 2016 à 2019, elles ont été 15 000 femmes à avoir été condamnées à la flagellation.

Les femmes sont souvent en première ligne dans les manifestations. Le correspondant du Monde écrit : « Les femmes de tous les âges sont là, au plus près des hommes armés qui vont taper tout ce qui leur tombe sous la main, sans jamais les abattre ». Le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes ajoute (13 mai 2019) : « Parmi les manifestants, les voiles colorés sont innombrables. Les femmes sont partout, remuent, sautillent et forcent le passage avec ferveur entre les stands de cacahuètes, les bénévoles armés de pulvérisateurs d’eau et les bousculades inévitables. On les retrouve, souvent un drapeau soudanais jeté sur les épaules, à l’entrée du sit-in pour fouiller les sacs et confisquer stylos et miroirs de poche.

Mais aussi dans la petite clinique aménagée pour soigner les éventuelles victimes d’insolation, de luxation des chevilles et d’épuisement. Ou encore derrière les micros des espaces dédiés à la prise de parole. »


« Régulièrement, des youyous stridents déchirent le ciel, comme si le brouhaha ambiant était soudain mis en sourdine quand les femmes déboulent. La zagrouda (le chant des femmes) est devenu leur signe de ralliement partout où elles passent. Dans le petit local de l’Association des professionnels soudanais, figure de proue de la contestation, Khadidja Wahid discourt sur la nécessité du pacifisme et encourage celles qui ne l’ont pas encore fait à s’engager dans cette lutte ininterrompue depuis plus de deux semaines, pour la formation d’un gouvernement à majorité civile. “J’appelle les femmes à prendre part autant que possible à cette révolution, de manière pacifique, car c’est un contrat passé avec notre conscience malgré la dangerosité de la contre-révolution qui est en train de se mettre en place », explique-t-elle. »

Une jeune femme de 28 ans témoigne de son arrestation, le 16 janvier, par des agents des services de renseignement soudanais (NISS) : « Ils nous ont fait descendre, nous ont séparées les unes des autres puis m’ont emmenée au commissariat d’Amarat. Là, ils m’ont bandé les yeux et m’ont frappée. Pendant trois jours, ils m’ont privée d’eau, de nourriture, et m’ont menacée de me violer et de s’en prendre à ma famille. Toutes les nuits, ils me réveillaient et me faisaient courir, avec les 68 autres détenus jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’aube, en rond dans la caserne ». Selon Mediapart, elles sont frappées, plus ou moins bien traitées en fonction de leur ethnie, certaines ont rapporté des agressions sexuelles, d’autres ont eu le crâne rasé.


Il faut savoir que les femmes soudanaises ont une longue histoire de militantisme. Dès la fin des années 1940, dans les villes, elles sont les premières à mettre en place des organisations militantes, comme l’Union des femmes soudanaises en 1952. Chaque tendance politique se dote d’une organisation de femmes, mais toutes mettent l’accent sur l’engagement social et sur l’éducation des filles. Des Soudanaises ont aussi rejoint le Parti communiste, qui était le seul parti politique à autoriser des femmes comme membres.

Jointe par France 24 alors qu’elle est au milieu de la foule des manifestants à Khartoum, Dalia, âgée de 41 ans, raconte : « Les femmes sont au premier rang. Ce sont les leaders des protestations. On est loin du cliché des femmes qui resteraient au second plan, derrière un mouvement mené par les hommes. Ce sont les femmes qui entonnent les chants de protestation et qui régulent ce qui est dit. Si les chants comprennent des phrases sexistes ou discriminatoires, nous intervenons et nous expliquons, sans animosité ni agressivité. Ici, c’est une zone de non-harcèlement. C’est exceptionnel ! »

Le 6 avril 2019, les manifestants de Khartoum osent se rassembler devant le quartier général de l’armée. Le pouvoir donne l’ordre de les faire disperser. Mais il n’est pas obéi : des soldats, des policiers, passent du côté des manifestants ; certains s’opposent même aux forces spéciales de répression, les NISS. Le 11 avril, est annoncée la destitution et l’arrestation d’Omar el-Béchir. L’armée tente de sauver les meubles et annonce qu’elle prend le pouvoir pour une période de transition de deux ans. Et c’est le général Ibn Aouf qui prend la direction du Conseil militaire de transition.


Aouf a été l’un de ceux qui ont mené la répression au Darfour, occasionnant des centaines de milliers de morts civiles. Il ne veut absolument pas changer les choses. Il reconduit l’état d’urgence, conserve le chef des Services de renseignement, Salah Abdullah Gosh, détesté par la population, et il instaure un couvre-feu.

Mais la population ne se laisse pas intimider, et garde la rue, y compris pendant la nuit du 11 au 12 avril. Ibn Aouf doit partir. Un autre général, moins haï de la population, le remplace : Fattah al-Bourhan. Mais c’est toujours le pouvoir de l’armée. Des négociations mèneront tout au plus à une entrée de quelques civils dans un Conseil de souveraineté transitoire, en attendant des élections, prétend toujours l’armée.



2019-2021, LA CONTRE-REVOLUTION


La stratégie de l’armée, face au demi-million de manifestants qui embrasent la capitale, est de gagner du temps, d’user le mouvement. Elle fait semblant de négocier avec ceux qui revendiquent un pouvoir civil, et qui ont pris pour nom Alliance pour la liberté et le changement (ALC), et elle leur promet un changement pour plus tard.

Mais l’armée réprime aussi. Le 3 juin 2019, elle attaque le sit-in qui campe devant le siège de l’armée, et réclame un pouvoir civil et le départ des généraux. Des opérations militaires ont lieu simultanément sur les principales routes de la capitale. Il y aura plus d’une centaine de morts. Le Conseil militaire publie un communiqué ; il y explique qu’il n’a pas dispersé le sit-in, que les forces envoyées, des paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) sont tout à fait du côté des manifestants, et qu’elles sont « ralliées à la volonté de changement » ; elles ont juste pointé des activités illégales autour du sit-in.


En fait, des jours durant, le pouvoir va envoyer ses bandes armées ratisser la ville pour y répandre la terreur. Leurs moyens, toujours les mêmes, depuis des décennies : « l’extrême violence aveugle, les tueries, les pillages, les viols ». Voilà ce qu’ont fait, explique Le Monde, les Forces de défense populaire (FDP) ou les miliciens Murahilin dans ce qui était alors le lointain Soudan du Sud ; et aussi ce qu’ont fait, à partir des années 2000, les janjawids au Darfour. Les RSF, qui en sont les descendants directs, l’infligent à la capitale soudanaise depuis lundi. Des bandes paramilitaires, intégrées en théorie dans les forces armées, mais disposant d’une autonomie, de leurs propres armes et de leurs financements, traitent leur capitale comme une zone insurgée à mater. Ils exhibent même des culottes arrachées aux jeunes femmes qu’ils agressent dans les rues ».

L’armée met un point final à la mascarade de négociation par un coup d’Etat, le

25 octobre 2021. Le général Al-Burhan annule le soi-disant processus démocratique. Un peu partout, la population régit en montant des barricades. Dans les provinces, il s’agit de bloquer

une attaque éventuelle par les nombreuses milices qui pullulent dans le pays. Les comités de résistance, cette fois, semblent assez bien face au coup d’Etat. Ils ont, depuis le début, refusé de s’allier aux partis politiques, et leurs reprochent de négocier avec les militaires. Ils ont mis en place une organisation en coordination, par ville, par région, et au niveau national.

Quelques comités ont commencé à rédiger une « charte révolutionnaire pour le pouvoir du peuple ».

Mais la contre-révolution n’est pas seulement entre les mains de l’armée et des diverses milices parallèles. Elle est tout autant parmi les dirigeants de plusieurs pays voisins. Depuis la première vague révolutionnaire en 2011 déjà, l’Arabie saoudite a tout fait pour soutenir les régimes de dictature arabe ébranlés. A Bahrein, elle est intervenue directement, militairement. Ailleurs, elle a fait parvenir armes, argent, conseillers divers.


Pourquoi l’Arabie saoudite réagit-elle ainsi ? Tout simplement parce que ces vagues révolutionnaires font reculer, partout où elles ont lieu, le poids de la religion dans ses aspects les plus sombres. Parce que ces vagues révolutionnaires donnent la parole et le pouvoir aux femmes. Tout cela est insupportable à ceux qui sont censés représenter pour le monde arabe le centre mondial de l’Islam.


Pour des raisons de concurrence religieuse, ou simplement par peur d’une contagion chez eux, deux autres pays sont tout autant vent debout contre la révolution au Soudan.

L’Egypte, une contre-révolution, avec le coup d’Etat de 2013, a amené au pouvoir en 2014 le président actuel, Al-Sissi. Les Emirats arabes unis, eux, ont un lien assez ancien avec le général Hemetti, qui est le bras droit d’Al-Bourhan à la tête du Soudan. Les Emirats espèrent tirer parti de cette situation, et de ne pas laisser l’exclusivité des avantages à l’Egypte. Ils envisagent notamment d’investir dans la construction d’infrastructures.


LES ENJEUX INTERNATIONAUX DU SOUDAN


Les deux généraux qui dirigeaient le Conseil militaire de transition depuis 2019 sont, le général Hamdan Daglo, dit Hemetti, et le général Al-Bourhan. Qui sont ces deux personnages ?


Quelques jours avant la violente répression de Khartoum par les bandes armées, ils ont été tous les deux dans les trois pays qui les parrainent, l’Arabie saoudite, l’Egypte et les Emirats. Sans doute ont-ils demandé un feu vert, et donc une garantie de soutien en cas de difficulté.


Depuis des mois, l’Egypte ne cesse de faire connaître son souhait de voir la situation au Soudan être stoppée, par une reprise en main de l’armée. Pourtant, les Etats-Unis, de leur côté, se disent pour une transition démocratique : c’est leur fonds de commerce. Le général Al-Bourhan a même signé les accords d’Abraham, pour un rapprochement avec Israël, allié des USA, en échange de quoi ceux-ci ont promis une aide financière à Khartoum.

Pour les Etats-Unis, un Soudan qui lui est proche, c’est une pièce importante dans la corne de l’Afrique. Les plus grandes armées du monde ont établi des bases à Djibouti. La Chine s’efforce de développer son influence. Les USA avaient espéré s’appuyer également sur l’Ethiopie, mais le Premier ministre s’est lancé dans une guerre civile. Abiy Ahmed, à

qui l’Occident a offert le prix Nobel de la paix en 2019, s’est lancé dans la Guerre du Tigré en 2020.

De son côté l’Egypte a une obsession contre l’Ethiopie. L’Egypte veut gêner à tout prix le projet de l’Ethiopie de construire un super barrage hydroélectrique, la Renaissance, sur le Nil bleu. Elle craint qu’il ne lui reste alors plus assez d’eau. Pour contrer ce projet, l’idée de l’Egypte est de faire vaciller le pouvoir en Ethiopie, en soutenant des groupes rebelles : les Forces de défense tigréennes (TDF), et leurs alliés de l’Armée de libération oromo (OLA).

Ces groupes se rendent d’ailleurs au Soudan pour y recevoir de l’aide.


Les Saoudiens et les Emiratis ont promis un soutien de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) aux deux chefs de guerre qui tiennent le Soudan. Les deux pays ont également investi des dizaines de milliards de dollars dans d’immenses surfaces de terres fertiles, en vue d’importer des tonnes de produits agricoles ou de bétail.


Mais il n’y a pas que ces pays, proches ou lointains, qui trouvent un intérêt dans le Soudan. La Russie, en bon adversaire des USA, s’est réjouie du coup d’Etat par lequel le Soudan a fermé la porte à un pouvoir civil. Et elle aurait déjà placé quelques pions, en l’occurrence des conseillers de la société Wagner, dans certaines mines du Soudan.



2023 LA GUERRE DES GENERAUX


Qui est Abdel Fattah al-Burhan ? C’est la révolution de 2019 qui le sort de l’ombre, lorsque al-Béchir est arrêté et remplacé, une première fois par le général Auf et que les manifestants n’en veulent pas. Al-Burhan est né dans un village au nord de la capitale, il étudie dans un collège militaire du Soudan, puis en Egypte et en Jordanie. Commandant de l’armée de terre, il organise l’envoi de troupes alliées à l’Arabie saoudite lorsque celle-ci lance sa guerre contre la rébellion du Yémen. Le 12 avril 2019, au plus haut de la vague de manifestations, il se retrouve donc à la tête du Conseil militaire de transition.


En 2020, Al-Burhan s’active pour signer une normalisation avec l’Israël de Netanyahou, sous les auspices des Etats-Unis, dans le cadre des accords d’Abraham. Le 25 octobre 2021, l’armée, sous ses ordres, met en état d’arrestation le Premier ministre et la plupart des ministres civils qui ont été associés au Conseil de souveraineté, dans l’attente des élections, qui étaient prévues pour 2024. La répression se poursuit avec 107 morts en un an. Al-Burhan sera présent à en Angleterre pour les funérailles de la reine Elizabeth II, en septembre 2022.


Al-Burhan dispose donc de la légalité du pouvoir sur le Soudan, si l’on peut parler de légalité dans ce pays où les dirigeants usent et abusent de la violence pour régler tous les problèmes. En face de lui, Hemetti fait figure d’outsider. Qui est-il ? Hemetti est un surnom, son vrai nom est Mohammed Hamdan Daglo. Il est né dans une tribu d’éleveurs de chameaux, qui émigre depuis le Tchad pour se poser au Darfour, dans les années 1980. Il fréquente peu l’école, et fait plutôt du trafic de chameaux.

Lorsque El-Béchir, le dictateur islamiste, lance la guerre contre le Darfour, Hemetti répond à l’appel pour rejoindre les janjawids, miliciens arabes chargés de massacrer, qui vont détruire des villages entiers, et provoquer l’exode de 3 millions de personnes. Après cela, Hemetti va commencer à recruter sa propre milice parmi ses amis janjawids, ce sera les FSR,

Forces de soutien rapide, des paramilitaires, qu’il envoie, pour commencer, en 2013 à Khartoum, mater la rébellion étudiante.

Au milieu des années 2000, contre argent et autres moyens, l’Union européenne charge le Soudan de stopper les migrants qui viennent de la Corne de l’Afrique et se dirigent vers la Libye. En 2016, ce sont les mercenaires de Hemetti qui sont chargés de ce contrôle. Ils vont tout simplement voler des migrants aux trafiquants libyens, pour le revendre et empocher le bénéfice.


En 2017, Hemetti prend le contrôle des mines d’or découvertes au Soudan. Il ouvrira là la porte à l’arrivée du groupe russe Wagner, qui va se charger de la sécurité et du commerce de l’or. En 2019, Hemetti envoie ses hommes en Libye, soutenir l’un des deux camps qui sont en guerre pour le pouvoir, celui du maréchal Haftar. Enfin, en octobre 2021, c’est ensemble, avec Al-Burhan, que tous deux renversent le gouvernement de transition.


Mais, une fois le danger de la révolution écarté, les deux généraux qui ont dirigé la contre-révolution ont des visées concurrentes. Al-Bourhan, proche de l’Egypte, est donc pour soutenir les groupes rebelles d’Ethiopie. Mais son collègue au pouvoir Hemetti ne le veut pas du tout. Hemetti est proche de dirigeants Ethiopiens, et il ne peut donc pas leur tirer dans le dos en soutenant ces rebelles. A ces calculs, s’ajoute, des deux côtés, une vision encore et toujours parfaitement cupide et intéressée, qui fait que chacun vise rapidement à exercer tous les pouvoirs, seul, pour bénéficier au maximum d’un contrôle absolu sur le pays.


Du coup, le soutien au Soudan de l’Egypte, des Emirats et de l’Arabie à un Soudan des militaires, va soudain devenir un soutien à une confrontation, voire à une guerre, bien dans la tradition des militaires soudanais, dans la violence la plus extrême. La contre-révolution arabe des trois pays était destinée à consolider le Soudan ; elle se retrouve à le fracturer, peut-être à l’amener à une nouvelle division.


Al-Bourhan, le président, dispose de son côté d’au moins 150 000 hommes des FAS (Forces armées soudanaises). Hemetti, vice-président, dispose, lui, d’au moins 100 000 hommes, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). L’Egypte et, plus discrètement, l’Arabie saoudite, mais aussi la Russie, ont intérêt à une victoire de Al-Bourhan. Les Emirats, eux ont intérêt à une victoire de Hemetti.


La guerre des généraux est la 5è guerre du Soudan. Elle oppose 2 chefs de guerre contre-révolutionnaires. Elle a débuté en avril 2023.


Cette guerre, il va suffire d’une étincelle pour qu’elle se déclenche. Il faudra juste que soit émise l’idée d’une intégration des miliciens de Hemetti dans l’armée d’Al-Bourhan. La guerre démarre le 15 avril 2023. Dans la longue histoire de guerres du Soudan, c’est la première qui débute dans la capitale, qui se joue dans la capitale.

Mais les méthodes sanguinaires des combattants sont aussi barbares que par le passé. Et ces méthodes, ce sont les pays riches, les colonisateurs qui les leur ont apprises. Et lorsque des pays moins puissants de la région se mettent à copier le jeu des grandes puissances, eux aussi ne font que répéter les mœurs hypocrites, intéressées et destructrices ce que leur ont montré et légué les mêmes grandes puissances.


début mai 2023




extrait de LOUVRIER







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