OU SE TROUVE LA NOUVELLE CALEDONIE ?
Dans le Pacifique, dans l’hémisphère sud, entre l’Australie et la nouvelle Zélande. C’est une des nombreuses iles de l’Océanie. Elle est proche des iles Fidji bien connues pour son équipe de rugby. Elle fait 18 575 km2 (un peu plus grand que l’ile de France) mais il y a 1,4 millions km2 de zone économique exclusive autour. L’ile principale fait 400 km de long sur 64 km de large. C’est une région de la terre où de petites iles sont perdues au milieu de l’océan pacifique. Elle se trouve à 16 560 km de Paris.
QUI SONT LES PREMIERS HABITANTS DE LA NOUVELLE CALEDONIE ?
Des populations qui sont parties de Chine du Sud vers Taïwan il y a 5000 ans environ. Puis ils ont émigré vers les Philippines, la Nouvelle Guinée, l’archipel Bismarck où ils inventent une forme de céramique (le lapita) qui permet de suivre leur progression vers l’Est. Ils arrivent en Nouvelle Calédonie il y a 3000 ans environ.
Ils voyageaient sur de grandes pirogues et savaient s’orienter dans cet immense océan grâce à leur connaissance des étoiles, des vents et des courants marins. L’observation des oiseaux marins, des nuages et de la houle leur permettait de repérer des terres perdues au milieu d’une immensité marine. Dans certaines iles, les hommes ont tracé des cartes nautiques.
Les hommes qui se sont installés en Nouvelle Calédonie ont apporté dans leurs pirogues des plantes comestibles originaires d’Asie : ignames, taros, cannes à sucre, arbres à pain, cocotiers et quantité d’autres végétaux utiles.
Ils se répandent tout le long du littoral puis remontent dans les vallées et se sont organisées en petites communautés.
La base de leur alimentation est l’igname et le taro qui est planté au bord des rivières ou à flanc de collines sur des terres irriguées par des canalisations artificielles. Du sommet des montagnes aux plaines, des terrasses étaient aménagées pour la culture du taro.
Le jardinier mélanésien aime augmenter sa collection de tubercules qu’il échange avec ses parents, ses voisins.
D’ailleurs à l’heure actuelle, quand on se rencontre, on fait la coutume ce qui consiste à échanger des biens identiques en quantité équivalente, en ponctuant dons et contre dons de discours.
COMMENT EST ORGANISEE LEUR SOCIETE ?
La base de cette organisation était le clan. Un clan, c'est tout d'abord un nom transmis de génération en génération. Le nom du clan est une « substance » que tous les individus portent en eux, et non une simple identification.
Le clan est constituéd'un ensemble de parents, répartis sur cinq générations, rangés en classes de grands-pères, pères, frères, fils et petits-fils et structurés en lignages. Il est mythiquement issu d'un Ancêtre dont on raconte encore les aventures et parfois actualisédans un descendant. Il se scinde en autant de lignées d'hommes qu'il existait de frères àl'origine. Par exemple, si l'Ancêtre a eu onze garçons, il y a onze lignages dans le clan. Ceci est représentés sous forme d’un tronc qui est l'Ancêtre d'origine, les grosses branches qui en sortent et se divisent àl'extrême figurent les lignages.
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Les lignages y sont hiérarchisés suivant un ordre dit « naturel », celui de l'apparition des frères de l'Ancêtre : les descendants de l'aı̂nédonneront le lignage aı̂né, ceux du second, le second lignage, etc. ; chacun de ces lignages porte un nom différent.
A chacun des lignages est impartie une fonction tout àfait spécifique. Le lignage aı̂néfournit les Chefs, le « suivant », les gardiens de la porte, le troisième sera le lignage de la guerre, l'autre celui de l'eau, de la sculpture, de l'igname, etc. Un clan était ainsi structuréen un certain nombre de lignages, et donc de « savoirs » et de « pouvoir - faire», unis par une solidaritéindispensable àla survie de l'ensemble.
Parmi tous ces lignages ayant chacun sa spécificité, le premier a une importance particulière. Selon le principe même de cette organisation, il fournit le « Chef », « l'Aı̂nédes Aı̂nés ». Son pouvoir lui est déléguépar les Ancêtres qui l'ont précédéet qu'il représente, tout comme il figure concrètement le clan dont il est la Face, le Responsable et la Parole. La sacralitéde sa personne entraı̂nait autrefois des comportements et des tabous stricts.
Il coordonnait et dirigeait la vie du groupe, décidait du moment de chasser, de pêcher, d'ouvrir le cycle des cultures, de désacraliser les prémices, de faire la guerre. Sa parole avait force de loi, mais il exerçait le pouvoir de décision avec l'aide des têtes de lignages. Son pouvoir de justice pouvait aller jusqu'àdécider la mise àmort d'un cadet (opposition àson autorité, insoumission grave).
Peu de privilèges étaient attachés àsa fonction àpart celui, très fréquent, de polygamie, peut-être par nécessitéd'alliances avec des « régions » ou des « clans » voisins, et celui de la culture de ses champs faite par les gens des autres lignages.
Mais rien à voir avec notre façon de concevoir la royauté où le pouvoir se transmet de père en fils. L’instabilité est la règle dans une société ouverte vers l’extérieur et les déplacements. Son pouvoir pouvait être remis en cause. Il était parfois remplacépar des immigrants puissants ou des envahisseurs qui, victorieux, plaçaient dans la région conquise le Chef de leur choix. Parfois sa lignée, sans s'éteindre, se voyait remplacé par celle de bâtards ou d'adoptés.
Tout ceci est du passé. Lors de la colonisation, l’administration française a changé le rôle des chefs. Ils ont été placés dans une hiérarchie militaire, directement sous l'autoritédes gendarmes. On leur a donné une « police » qui pouvait emprisonner ou faire emprisonner. Ils ont servi à recruter des Kanaks pour travailler, et à faire payer les impôts. Actuellement le chef est un quasi-fonctionnaire et touche une allocation mensuelle.
Beaucoup de Chefs se sont politisés, sont devenus soit leaders politiques, soit soutiens actifs du mouvement indépendantiste, jouant parfois de leur autoritépour contraindre. Leur rôle ancien de médiateur et de faiseur de paix s'est estompé.
La surface clanique est partagé entre lignages de façon àdonner àchacun des espaces de culture, d'exploitation du milieu mais elle n’est pas organisée comme chez nous sur une surface définie autour d’un village. Elle s’étend sur un vaste territoire, ayant la forme des doigts d’une main : terre pour les quelques cases groupées en village de gens parents, pour les plantations d'ignames (collines au levant principalement) qui sont itinérantes (assolement), pour les tarodières de montagne, morceau de rivière pour les taros, l'eau, les crevettes, les anguilles, la boisson, la cuisine, morceau de forêt ou de col pour la chasse aux roussettes, etc. Des terrains non distribués servent àexploiter la paille (pour les toitures), les fûts (mâts et pirogues), les plantes sauvages comestibles et médicinales, etc. Il reste de la terre disponible pour attribuer àun lignage qui aurait de nombreux enfants. Cette terre de lignage est elle-même partagé en terre des familles stricto sensu, et cette dernière en terre des hommes et terre des femmes. On constate ainsi l'existence de biens communs, mais avec une jouissance individuelle, la transmission se faisant avec des règles très précises à l’intérieur de la famille ou du clan.
Le clan est un élément d'un système plus vaste : le « pays » ou région, qui a pris forme et contenu au cours d'une histoire longue et souvent mouvementé. Le pays comprend des terres et des gens. Ni confédération de clans, ni même pré-Ertat, avec un pouvoir centralisé, plutôt ensemble pluri-segmentaire, le « pays » se caractérise par plusieurs éléments qui créent la solidarité des parties.
Au sein de ce pays, les clans sont hiérarchisés et parlent la même langue qui constitue l’identité de la personne : « Si je perds ma langue, je perds ma terre, mes enfants seront sur les chemins, les Français prendront tout », raconte avec angoisse une vieille Mélanésienne. A l’intérieur de ce pays, il y a une alliance matrimoniale dont le principe repose sur un engagement solennel de deux clans de s'entre-donner des femmes. Illimité dans le temps, elle cré entre tous les clans d'une région un réseau complexe de parentés et de dettes de femmes transmissibles de génération en génération.
La vie sociale kanak est organisée autour d’échanges lors de grands rassemblements appelés pilou-pilou. Par le jeu des dons et des contre-dons, quantité de biens changent de mains, sans argent. Ces fêtes sont l’occasion de danser, de chanter en chœurs, de réciter des poèmes ou des contes, des récits mythiques. Ces échanges cérémoniels sont le poumon de la société kanak. Cet échange est conservé à l’heure actuelle, sous forme de dons et de contre-dons ce qui s’appelle faire la coutume.
On sait peu de choses sur les relations entre les sexes en Nouvelle-Calédonie d’autrefois. Mais dans les activités rituelles et dans les discours, le haut, le grand sont reliés au masculin et le bas, le petit le sont au féminin. Une métaphore souvent employée est celle du pin et du cocotier : « Dans la vallée, il y a le pin et le cocotier. Lequel est le chef ? C’est le pin. Le cocotier, c’est le serviteur. » D’ailleurs il est à noter que les femmes kanak de Nouvelle-Calédonie affichent une position bien plus nuancée que celle des hommes envers la « coutume », et paraissent moins attachées au passé qu’eux, ne l’idéalisant que peu ou pas du tout. Aussi utilisent -elles pour s’affirmer face aux hommes les possibilités jusque-là inédites offertes par le système occidental, qu’il s’agisse de l’entrée dans l’économie de marché ou du recours à la loi française. De plus, vivre à Nouméa – et encore davantage y travailler – permet une alternative à celles que leurs choix de vie sexuelle et affective ont éloignées ou exclues de la « tribu » et qui sont en décalage avec les règles traditionnelles d’alliance (rupture de leur fait d’un mariage coutumier, union avec un non-Kanak, célibat).
CANNNIBALISME
Il est certain que les Kanaks comme beaucoup de peuples d’Océanie sont des cannibales. Au début du 19ème siècle, les occidentaux ont fabriqué une image très négative de ces mœurs, ce qui a permis de justifier la conquête, la domination et les massacres de populations par des pays bien civilisés, eux… Ce cannibalisme est essentiellement guerrier.
Voici le témoignage d’un missionnaire, Monsieur Montrouzier, correspondant de la société d'anthropologie en 1869.
D'abord il faut parler des guerres, quoique ce ne soient pas les guerres seules qui fournissent des victimes à nos malheureux cannibales. Il y en a de deux sortes : celles de tribu à tribu, celles de village à village dans la même tribu.
La Nouvelle-Calédonie est partagée en deux grandes confédérations : les Ot et les Wawap. Les guerres entre ces deux confédérations sont toujours des guerres à mort ; ceux qui tombent sur le champ de bataille sont mangés par le vainqueur, si ce dernier peut s'emparer des cadavres, et le triomphe n'est complet qu'autant qu'on emporte le corps de l'ennemi qu'on a tué.
Les guerres entre villages ne sont que de grandes disputes ; on échange quelques pierres, quelques coups de lance ou de casse-tête.
A part les guerres, les Néo-Calédoniens ont d'autres moyens de se procurer des victimes destinées au four. Le plus usité consiste à mettre en avant l'accusation de sorcellerie. On se procure encore de la chair humaine dans les fêtes en tuant un ou plusieurs convives eux-mêmes ; cela s'appelle faire le gun.
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Voici comment on opère : Le chef place ses affidés à côté de ceux dont il convoite la dépouille. Au milieu de la danse, un autre affîdé jette dans la mêlée une pierre, une lance, n'importe quoi. Tous ceux qui sont dans le secret et qui attendent le moment, s'écrient : « Attaque ! trahison ! » et tous ont l'air de croire à un complot. On s'arme, on se bat, et quand la victime désignée est tombée, un vieux élève la voix, demande des explications, et l'on trouve qu'on s'est laissé emporter par une panique.
Enfin un chef qui veut régaler ses amis, paraître avec éclat à une fête ou faire un bon repas, tue parfois ses propres sujets.
Mais le comble de l'ignorance des mœurs calédoniennes, c'est de dire gravement que la victime qui se présente volontairement est engraissée. Rien n'est plus opposé aux usages, de nos naturels. Ils tuent, dépècent et dévorent, mais ils ignorent les raffinements de la cruauté. Je n'ai jamais rien vu chez eux qui prouvât qu'ils aimassent à faire souffrir, et quant à la prévoyance, elle leur est inconnue. Engraisser une victime ! Quelle idée pour qui les connaît !
La chair humaine est pour nos sauvages un mets délicat ; il est donc naturel que le chef soit le premier servi et après lui les notables. Comme on n'en a pas tous les jours ni en quantité suffisante, on n'en donne pas aux femmes ni aux enfants, qui dans les pays infidèles sont comptés pour rien. Mais voilà tout. Quand, par exception, la chasse est assez abondante pour satisfaire à tous les appétits, femmes et enfants ont leur part. Dans une occasion, cinq blancs ayant été massacrés et la tribu étant peu nombreuse, un enfant mangea de ce mets délectable au point d'en être malade. »
PREMIERS CONTACTS
Le capitaine James Cook aperçoit une nouvelle terre le 4 septembre 1774. Il l’appelle New Caledonia. James Cook débarque sur une plage de sable où il est reçu avec une grande courtoisie, « avec cette surprise naturelle des gens qui voient des hommes et des choses aussi nouvelles pour eux que nous pouvions l’être. » Il fait des présents à tous ceux qu’un indigène lui présente : « des vieillards, des hommes qui semblaient être des notables ». Il offre à un chef local des objets inconnus des Kanaks : des semences, un couple de chiens et un couple de porcs. Puis Cook longe la côte et découvre l’ile des Pins.
Dans les années suivantes, des navires de guerre français et anglais commencent à explorer cette région du Pacifique. Certains viennent pour faire des études scientifiques, d’autres pour étudier les potentialités économiques, d’autres pour prendre possession de nouveaux territoires. Et d’autres pour évangéliser les populations.
C’est aussi le temps des aventuriers, des chasseurs de baleine qui fréquentent les eaux calédoniennes dès 1820 et des « santaliers » qui remarquent que sur les iles pousse du bois de santal, utilisé en pharmacie et pour faire des masques de beauté. Les marins payent, avec des perles, puis des couteaux et de vieux fusils, les Kanak qui leur coupent du bois. Plus les contacts sont nombreux, plus les occasions de conflits se multiplient.
S’installent aussi des naufragés, des déserteurs, des mutins. On les appelle des beachcombers. Ce sont aussi des Afro-Américains qui fuient l’esclavage, ou des habitants des iles du Pacifique.
De ces contacts naissent beaucoup de petits métis… Mais aussi beaucoup de morts, les Européens apportant avec eux des maladies contre lesquels les Kanak ne sont pas immunisés (tuberculose, grippe, rougeole, variole, syphilis, etc..) . Les contacts entre les Kanak et les Européens sont responsables du décès de 40 à 80 % de la population Kanak.
Voici un conte Kanak recueilli par Louise Michel auprès de Kanaks qu’elle a rencontrés :
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Homme blanc, d’où viens-tu ? Il a fallu bien des écorces pour tisser les ailes de ta pirogue ; bien des arbres pour la creuser.
Quelle puissance t’a donc arraché à ta case pour être venu d’aussi loin ?
Car tu viens du plus loin qu’habitent les hommes, sous le froid soleil qui les rend pâles.
Si tu étais parti des îles que nous connaissons, à peine les ailes de ta pirogue seraient froissées tandis qu’elles sont usées par le vent, comme s’il y avait soufflé dix fois l’igname.
Homme blanc, que nous diras-tu pour être venu d’aussi loin ?
Dans ton pays, on mange tous les jours, car un jeûne d’un matin paraissait t’incommoder ; que nous donneras-tu de tant de richesses ?
L’homme blanc ne raconte rien ; il ne donne rien. L’homme blanc s’établit dans le pays avec ses compagnons ; ils y semèrent les graines dont la race pâle se nourrit et les gardèrent pour eux ! On les avait reçus en frères mais ils ne le furent pas.
Depuis que les hommes blancs sont venus, on ne compte plus le nombre de fois qu’on a récolté l’igname ; on n’en fait plus la fête, on ne compte plus rien.
Les jours passent comme les gouttes d’eau du grand lac ; pourquoi le mesurerait-on, puisque les pirogues ailées de l’homme blanc garderont toujours le rivage.
Ils ont pris Counié à la ceinture pâle ; ils ont pris N’ji chevelure de brousse ; ils ont tout pris.
Plus jamais l’homme des îles ne sera joyeux ; plus jamais il ne dansera sur la rive le pilou des mers.
C’est ainsi qu’il disait, le vieillard de Counié, mais les jeunes gens se mirent à rire, ils dansèrent avec les filles blanches et leur donnèrent les colliers de jade de leurs mères ; ils échangèrent avec les hommes des grandes pirogues les haches de pierre de leurs pères pour les kougas (fusils) des Blancs.Et toutes les ignames ils formèrent sur la rive le pilou des mers. »
Extrait de: Anarchistes - Louise Michel. « Légendes et chansons de gestes canaques. »
LE TEMPS DES MISSIONNAIRES
Des missionnaires britanniques protestants réussissent à s’installer dans les iles Loyauté dans les années 1850 tandis que des missionnaires maristes catholiques se dirigent vers la Grande Terre. Les missionnaires sont souvent mis en difficulté au point d’appeler les canonnières à la rescousse.
Mais ils arriveront à christianiser les Kanak, les écoles religieuses étant les seules ouvertes aux Kanak jusqu’en … ????
LA PRISE DE POSSESSION PAR LA FRANCE ET LES VAGUES DE PEUPLEMENT
La prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par le contre-amiral Febvrier-Despointes au nom de l’empereur Napoléon III a lieu le 24 septembre 1853 près de Balade, à l’extrême nord du territoire, en présence de missionnaires et d’une centaine de Kanak baptisés. « À partir de ce jour, cette terre est 5
française et propriété nationale », proclame le représentant de la France. Et à partir de ce jour, toute la société kanak est bouleversée.
Au 19ème siècle (de 1864 à 1897) la Nouvelle-Calédonie est essentiellement une colonie pénitentiaire. Pour la peupler de Blancs, la France y envoie des navires chargés de forçats et de femmes condamnées ou orphelines. En 30 ans, plus de 20 000 condamnés à de lourdes peines sont déportés dans des centres pénitentiaires qui sont des « camps de l’horreur ». Ils sont employés aux travaux les plus pénibles de la colonisation : construire des routes, des ponts, des bâtiments ou cultiver la terre des centres pénitentiaires ruraux, terres qui ont été volées aux Kanaks. On leur promet en cas de bonne conduite de leur donner des terres à cultiver et d’en être propriétaires.
A partir de 1872, 4250 hommes et femmes communards sont expédiés en Nouvelle Calédonie mais ils ne s’intéressent guère à la Nouvelle Calédonie. Ils prennent même fait et cause pour les Français locaux contre les Kanaks à l’exception de Charles Malato, un anarchiste et de Louise Michel qui écrit à Victor Hugo : « Je songe à me retirer dans une tribu canaque ». Quand leur peine est finie, ils repartent presque tous en France.
A partir de 1885, ce sont aussi des petits délinquants des faubourgs des grandes villes qui y sont envoyés. Ceci dure jusqu’en 1897, les forçats étant à nouveau envoyés à Cayenne.
A partir de 1891, des centaines de forçats sont employés dans les mines de nickel où les rejoignent des Indiens de la Réunion, des habitants des Nouvelles Hébrides, puis des Japonais, des Indochinois, des Javanais. Par contre les Kanak sont tenus à l’écart, enfermés dans leurs réserves tandis que les travailleurs « exotiques » comme ils sont appelés à l’époque sont installés dans des ghettos insalubres installés sur les mines.
LES KANAK SONT CHASSES DE LEURS TERRES
Nous avons vu que l’accès aux terres chez les Kanak est réglementé, et que la propriété n’est nullement collective. Eh bien qu’à cela ne tienne, l’administration française décide que chez les Kanak, comme chez tous les peuples dits primitifs, c’est la tribu qui possède les terres, tribu dirigée par un chef responsable. Il suffira de menacer ce personnage pour déposséder de leurs terres des milliers de Kanak. Ou bien de profiter des révoltes de Kanak pour leur confisquer leurs terres.
En 1876, l’administration se met à délivrer des permis d’occupation pour toute la colonie. Près de
3.000 colons s’installent « en brousse » et vont développer un élevage extensif sur les bonnes terres kanak. Tandis que les colons vivotent, tels des cow -boys conscients de leur supériorité de Blancs, les Kanak se replient sur des terres plus pauvres dans les montagnes.
Sont créées ainsi des réserves où sont parqués les Kanak avec obligation de résidence. Ces réserves seront renommées en 1998 « aires coutumières ». Cela crée de véritables ghettos, alors que la société Kanak précoloniale, malgré le cloisonnement du relief montagneux, entretenait des relations complexes et importantes entre clans via les sentiers coutumiers. Cet isolement durera jusqu'à la seconde guerre mondiale. Il laissera en outre une société coupée en deux entre les Européens et les Kanak, coupure qui a laissé des séquelles jusqu'à nos jours.
De nombreuses révoltes éclatent, la plus importante étant celle de 1878.
L’INSURRECTION DE 1878
Avec la sécheresse de 1877, les troupeaux de bétail se mettent à envahir les cultures kanak. Des villages entiers se retrouvent réduits à la disette. Les Kanak s’insurgent.
Tout commence dans la région de la Foa. La Tribu du chef Ataï y cultivait des champs d’ignames. A côté, il y avait une colonie pénitentiaire où des bagnards s’occupaient de troupeaux de bétail. Les vaches se promenaient en liberté et venaient manger les pousses d’ignames. Ataï est donc venu se plaindre au capitaine qui lui a dit de bâtir des barrières pour protéger ses cultures. Ataï a répondu :
Je planterai des clôtures quand mes ignames iront manger vos bœufs ! » A son retour, Ataï apprend que des colons refusent de rendre à sa famille une jeune femme du village retenue comme esclave. Il organise une expédition au cours de laquelle la ferme est incendiée et ses habitants tués à coups de casse-têtes. Le lendemain, des dizaines d’autres tribus se soulèvent à leur tour. Nouméa est encerclée. Les colons des fermes isolées se réfugient dans les places fortes.
De juin 1878 à juin 1879, Ataï réussit à unifier de nombreuses tribus. Les insurgés mènent une véritable guérilla en se déplaçant sans cesse, tenant la brousse tout en se cachant dans des refuges secrets aménagés dans les montagnes. Ils coupent les transmissions en détruisant les fils télégraphiques. Des dizaines de fermes sont attaquées et près de 200 colons tués. Un anarchiste, Charles Malato, est admiratif devant l’audace, l’adresse et les décisions prises par les Kanak insurgés.
La France envoie des renforts en hommes et en armes. Les militaires incendient les villages désertés par leurs habitants. L’état de guerre dure près de dix-huit mois et la répression est terrible avec près de 2.000 morts kanak. Un colonel français jure qu’après son passage, il ne restera plus un Kanak en Nouvelle-Calédonie. Il est à noter que la majorité des déportés communards, arrivés en 1872 et porteurs des préjugés de l’époque à l’égard des populations dites « primitives », demandent des armes
leurs gardiens pour mater les « cannibales », à l’exception de quelques-uns autour de Louise Michel et de Charles Malato. On raconte que Louise Michel remit son écharpe rouge de la Commune à des émissaires d’Ataï à la veille de l’insurrection. (Des milliers de Kanak viendront saluer le départ de Louise Michel sur les quais de Nouméa en 1880 ; et encore aujourd’hui, sa mémoire est très présente dans la population mélanésienne.)
Ataï est assassiné par des Kanak de la région de Canala « ralliés » en septembre 1878. Certaines tribus insurgées sont déportées en mars 1879 dans des îles aux extrémités de la Grande Terre, à Belep au nord, à l’île des Pins au sud.
La tête d’Ataï est envoyée en France dans un bocal de formol, en trophée, puis étudiée par Broca, dont l’occupation favorite était de mesurer la taille des crânes pour prouver que les hommes blancs étaient bien supérieurs à tous les autres. Retrouvé en 2011 dans les réserves du Musée de l’homme, le crâne a été restitué par le gouvernement français en août 2014.
La violence des répressions a laminéles résistances kanak en dépeuplant la côte ouest du territoire et en annihilant, chez les vaincus, tout espoir de pouvoir un jour se débarrasser de l'occupant.
LE CODE DE L’INDIGENAT ET LES RESERVES
Dans les années suivant la révolte de 1878, un des soucis du gouvernement est de donner un cadre légal à l’occupation de la Nouvelle Calédonie. Un décret est pris le 18 juillet 1887 qui systématise les différentes mesures déjà en vigeur : ce décret s’appelle le code de l’Indigénat
Le gouverneur fixe une liste nominative des « tribus », définit les frontières de leur territoire et leur attribue un chef kanak dont les missions sont précisées : maintien de l'ordre, exécution des ordres, recensement, collecte de l'impôt de capitation qui est une sorte de taxe foncière, exécution des corvées, scolarisation des enfants dans les écoles indigènes de gouvernement. Le chef reçoit 10 % des rentrées d’argent ainsi que des récompenses honorifiques.
Les chefs indigènes sont investis de pouvoirs judiciaires, sous l'autoritédu procureur de Nouméa, qui leur permettent d'infliger des peines d'amende et de prison.
Le gouverneur peut, quant àlui, décider de l'internement des indigènes et du séquestre de leurs biens. Le principe de la responsabilitécollective en cas de crimes ou délits commis soit par la totalité, soit par une partie des membres de la tribu est maintes fois appliquépar le gouvernement colonial.
Le 23 décembre 1887 est édicté une liste d'infractions spéciales pour les indigènes non-citoyens français :
« 1. La désobéissance aux ordres.
Le fait d'être trouvéhors de son arrondissement sans justifier d'une autorisation régulière.
Le port d'armes canaques dans les localités habitées par les Européens.
La pratique de la sorcellerie ou les accusations de ces mêmes pratiques portées par les indigènes les uns contre les autres.
Le fait d'entrer dans les cabarets ou débits de boisson.
La nuditésur les routes ou dans les centres européens.
L'entré chez les Européens sans leur autorisation.
Le débroussage au moyen du feu.
Le fait de troubler l'ordre ou le travail dans les habitations, ateliers, chantiers, fabriques ou magasins. »
A cette nomenclature, un arrêtédu 21 décembre 1888 ajoute :
« 10. Le fait de circuler dans les rues de la ville et ses faubourgs après huit heures du soir. » Complétéen 1892 par :
« 11. Le fait de troubler l'ordre dans les rues de la ville de Nouméa et des centres de l'intérieur. »
Cette liste comprenant onze rubriques ne cessera de s'allonger. Le régime de l'indigénat se durcit en 1915 en intégrant le « refus de payer l'impôt de capitation », le « refus d'exécuter les prestations », le « défaut de présentation au service des Affaires indigènes » en arrivant àNouméa, le refus de fournir les renseignements demandés par les représentants de l'autorité, les « actes irrespectueux et offensants vis-à-vis d'un représentant de l'autorité» ou la « tenue de discours publics dans le but d'affaiblir le respect dûàl'autoritéfrançaise ». En 1928, la liste comprend ainsi 21 infractions spéciales.
Ce code de l’indigénat prive de droits toute la population kanak jusqu’en 1946. Il est à noter que ce code n’est pas spécifique à la Nouvelle Calédonie. Il sévit dans toutes les colonies françaises.
UN MISSIONNAIRE ET ETHNOLOGUE HORS NORME
En 1902, un missionnaire protestant arrive à Nouméa. Il s’appelle Maurice Leenhardt. C’est un fils de bonne famille sûr de sa supérioritéde Blanc, de mâle et de chrétien quand il arrive. Il est accueilli par le maire de Nouméa qui s’étonne : « Que venez-vous faire ici ? Dans dix ans il n’y aura plus de Kanak ». Mais, trois mois après son installation, au lieu de rester au centre missionnaire, il s'achète une jument et part àla découverte de l'ı̂le. Il est tout surpris de voir les gens qu'il croise sur les sentiers se détourner àson passage. Il écrit àsa famille : « On nous a montréun peuple s'élançant dans les bras d'un bon Jésus, mais je ne trouve guère que le fier Canaque de l'Insurrection qui, vaincu, préfère ne pas avoir d'enfants que de les voir exploités par les Blancs » (lettre du 2 juin 1903).
Il constate de manière concrète les effets de la colonisation. Il s'aperçoit que — directement ou indirectement — celle-ci vise àla destruction totale des autochtones. Les pronostics officiels annonçaient alors que, dans dix ans, il n'y aurait plus un Kanak sur la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie.
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Aussi il met en place des structures capables de donner aux Canaques les moyens de se défendre seuls (et cela lui vaudra beaucoup d'ennuis tant avec le Gouvernement qu'avec la Sociétédes Missions évangéliques de Paris) et de faire de l’alphabétisation. Il installe aussi une école missionnaire chargée de faire un travail d’ethnologue pour comprendre et raconter la société Kanak. Tout en restant convaincu que la civilisation française a un rôle civilisateur à jouer dans le Pacifique.
Bien des indépendantistes de maintenant sont les enfants de Kanak formés par Leenhardt.
LA REVOLTE KANAK DE 1917
Cette révolte, bien moins importante que celle de 1878, est liée au recrutement de Kanak dans l’armée française pour partir combattre en Europe. Le premier contingent de Kanak est recruté en 1916 et juste au moment où on apprend que certains sont morts, une 2ème campagne démarre. Mais des Kanak s’y opposent, menant une guérilla contre les recruteurs.
Face à cette guérilla, les autorités coloniales choisissent de privilégier l’utilisation d’auxiliaires indigènes, plus efficaces que les troupes régulières. Ne réussissant pas à s’attaquer aux guerriers ennemis, elles choisissent, dans la tradition de la guerre coloniale, de « nettoyer » les vallées où les Kanak se révoltent : c’est à dire de détruire tous les villages et les plantations, de déplacer les populations s’y trouvant. Les auxiliaires sont récompensés de 25 Francs pour chaque tête de combattant et autant pour chaque femme ou enfant prisonniers. En un mois plus de 30 rebelles Kanak sont tués.
Le 10 janvier 1918, Noël, le chef kanak de la révolte, est abattu puis décapité par Mohamed Ben Ahmed, un ancien bagnard libéré à qui il demandait de la nourriture. Les derniers petits groupes furent traqués jusqu’en mai 1918.
APRES LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE
En 1942, 100 000 soldats américains débarquent en Nouvelle Calédonie. Ils sont 2 fois plus nombreux que toute la population de Nouvelle Calédonie. Et ils viennent avec un matériel ultra moderne et plein de dollars… Et puis des officiers noirs commandent à des soldats blancs… Un choc. D’autant plus que les Américains construisent des routes, des aéroports. Des Calédoniens veulent que la Calédonie devienne un Etat d’Amérique….
Le gouvernement français réagit et en 1946, elle abolit le code de l’indigénat et donne la citoyenneté française à tous les habitants de l’île. Mais ce n’est qu’en 1957 que les Kanak ont le droit de voter.
La première forme « moderne » d’organisation politique des Kanak voit le jour en 1946 avec la création du Parti communiste calédonien (PCC) autour de Jeanne Tunica, européenne, rassemblant rapidement plus de 2 000 membres. Le PCC, victime d’attentats et de la répression, disparaît en 1948. Le contre-feu vient des Églises tant catholique que protestante qui suscitent la création d’associations d’indigènes à l’origine en 1953 de la création de l’Union calédonienne (UC) rassemblant des petits Blancs et des Mélanésiens ayant pour programme l’autonomie de la Nouvelle Calédonie. Ce contre feu est une tentative de faire participer les Kanak à la gestion des affaires locales.
Mais l’Union Calédonienne remporte plusieurs élections, ce qui inquiète les conservateurs caldoches et le gouvernement français. C’est que pas bien loin de la Nouvelle Calédonie, Mururoa est devenue un centre d’essais pour la bombe atomique et qu’entre 1969 et 1972, le prix du nickel flambe. Plus
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question d’autonomie pour le gouvernement français qui retire à l’Union Calédonienne l’essentiel de ses pouvoirs sur la gestion de ces mines et en prend le contrôle.
LA GUERRE DE 1984 1988
Mais…dans les années 1970 les quelques étudiants kanak partis étudier en métropole rentrent au pays. « J’ai découvert là-bas que j’étais un homme comme un autre. Quand on était ici, on vivait dans un sentiment d’infériorité quand on sortait des tribus et ça m’a beaucoup fait évoluer. On a vécu les évènements de 68 où il y avait quelque chose de formidable parmi les jeunes. Ils avaient envie de changer la société, de bousculer les choses. » dit le responsable de la Ligue des droits de l’homme en Nouvelle Calédonie.
De retour au pays, ces étudiants créent un mouvement qu’ils appellent les foulards rouges. Certains feront de la prison pour avoir rédigé des tracts dans leur langue d’origine. « Les foulards rouges c’était une revendication d’identité kanak. On est fier d’être Kanak alors qu’auparavant on en avait honte. » Et le mécontentement kanak monte. Alors le gouvernement français réagit en implantant du Blanc dans la colonie (des Français de métropole et des autres colonies) et des travailleurs de Tahiti, de Wallis et Futuna pour rendre les Kanak minoritaires.
Celui qui prend en main la revendication Kanak c’est Jean Marie Tjibaou. Il est originaire du village de Hienghène au Nord de la Grande Terre. Jusqu’en 1946, les seules écoles autorisées sont celles des missionnaires chrétiens. Comme beaucoup de leaders indépendantistes, Tjibaou poursuit sa scolarité jusqu’au séminaire. Ordonné prêtre, il renonce en 1965 et rejoint l’Union Calédonienne en 1973. « Si vous ne faites pas connaître la racine, les enfants seront déracinés c’est-à-dire sans racines. Et c’est grave car ça débouche sur des jeunes qui sont des clochards. Il faut que les jeunes soient comme les cocos qui en tombant restent au pied du cocotier et prennent racine et non pas comme le coco qui flotte dans le lagon et qui ne repoussera jamais ». C’est pour retrouver ses racines qu’il organise le festival Mélanésia 2000 en 1975. « Nous sommes des hommes qui ont une culture et cette culture il faut la montrer. »
De la revendication culturelle, Tjibaou passe à la revendication politique. En 1977, il devient vice-président de l’UC dont il oriente le combat vers l’indépendance. Avec Machoro et Yewene Yewene.
Les populations européennes installées ici depuis des années se sentent menacées dans leurs intérêts. La même année, les caldoches se fédèrent autour de Jacques Lafleur qui crée le RPCR, allié au parti gaulliste de la métropole.
L’arrivée au pouvoir de Mitterrand en 1981 suscite des espoirs chez les Kanaks et des craintes chez les Caldoches. Les indépendantistes font monter la pression sur le terrain. A Nouméa les manifestations pour et contre l’indépendance se croisent. Le 20 septembre 1981, Pierre Declerc, un dirigeant blanc de l’Union Calédonienne est assassiné, car, dit Tjibaou, « il est considéré comme un traitre blanc. Alors que Pierre se bat pour la justice et la justice n’a pas de couleur. »
L’agitation se répand à tout le pays. Le gouvernement socialiste prend quelques initiatives et rédige un projet d’autonomie adopté par l’Assemblée nationale le 31 juillet 1984. En réponse toutes les organisations indépendantistes se regroupent dans le FNLKS : le Front de Libération National Kanak Socialiste le 24 septembre 1984. « Ce que nous voulons c’est le droit à l’autodétermination et son exercice par les Kanak seuls » déclare Eloi Machoro.
Des élections territoriales ont lieu le 18 novembre 1984 mais elles sont boycottées par les organisations indépendantistes. L’abstention dépasse les 80 % chez les Kanak.
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Le jour du vote, Eloi Machoro, secrétaire général de l’UC, brise à coups de hache l’urne électorale dans la mairie de Canala. Il s’en suit l’occupation de la ville minière de Thio où le boycott a connu un gros succès. C’est la seule municipalité de la côte qui est encore administrée par un Européen. Le
20 novembre 7 barrages routiers et un blocus maritime isolent la commune du reste du Territoire. Toute circulation est interdite en ville, les véhicules de la Société Le Nickel sont réquisitionnés et ses dépôts de carburants occupés. 200 militants et militantes du FLNKS, conduits par Eloi Machoro, envahissent la gendarmerie. Les Kanak manifestent leur joie, drapeau de Kanaky en tête. Nouméa découvre ces images sur la télévision.
La très grande majorité de la population kanak participe au mouvement. Les militants FLNKS engagent une opération de dialogue visant à désarmer les Européens surarmés : des dizaines d’armes sont récupérées. Des patrouilles ainsi que des tours de garde sont mis en place pour protéger les entreprises et les magasins. L’autodéfense des tribus locales est organisée. En fait pas un seul coup de feu n’est tiré contre des Européens et tout l’appareil de production reste en l’état durant toute l’occupation.
Le 2 décembre, Éloi Machoro et près de 400 hommes déterminés, armés de machettes, de sabres d’abattis, de casse-tête et, pour certains, de fusils, encerclent dès leur atterrissage 4 hélicoptères transportant environ 90 gendarmes mobiles et contraignent ceux-ci, sans aucune possibilité de réagir au risque d’un bain de sang de part et d’autre, à se rendre à Thio-Village où ils rejoignent, une fois désarmés, les autres gendarmes reclus dans leur casernement.
Près du pont de Thio, un 5e hélicoptère déverse une quinzaine d’hommes du GIGN. Ceux-ci se retrouvent rapidement bloqués par un solide barrage. Devant la détermination et l’organisation des Kanak, le pouvoir colonial se retrouve dans l’obligation de négocier la libération de tous ses hommes retenus en otages et leur retour piteux sur Nouméa est mis en place sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré.
Voilà comment un jeune de l’époque raconte les évènements en 2014 : « On est restés à Thio pendant tout le mois de septembre, d'octobre, de novembre, presque trois mois à boucler Thio, à crever Thio, comme ça la mine de la SLN était coupée de Nouméa, et les gens [les Caldoches] partiraient.
Après en décembre, des gens [du FLNKS] sont venus nous dire de lever le siège. Mais à Hienghène, ils avaient tué les frères de Tjibaou, c'était la fusillade de Tiendanite [10 Kanak de la tribu de Jean-Marie Tjibaou, un des principaux leaders indépendantistes, tués le 5 décembre 1984 par des Caldoches. En pleine négociation avec les loyalistes et l'Etat, Tjibaou ordonne malgré tout la levée des barrages indépendantistes]. Yéyé [Yéwéné Yéwéné, proche de Jean-Marie Tjibaou], il est venu nous voir pour lever le barrage, mais le vieux [Machoro], il a dit non, le combat continue. Après, avec les gens de Nakéty, on est partis vers La Foa pour couper tout le sud du pays.
On a fait des équipes de douze, au moins vingt équipes. Eloi, il a trouvé des mecs de La Foa, des blancs, pour qu'on aille [se cacher] chez eux. Mon équipe, elle était en retrait, dans les tribus de Koindé et Ouipoin, on devait sortir au dernier moment. Les mecs de La Foa devaient sortir en premier pour couper le pont, ils avaient de la dynamite pour ça, pour couper la Calédonie entre le Nord et le Sud.
Puis les gens de Thio sont venus, mais à la sortie de Boulouparis, ils ont tiré sur le fils Tual [Yves Tual, jeune Caldoche tué dans sa ferme le 11 janvier 1985. L'événement déclenche une émeute loyaliste dans la nuit à Nouméa]. C'est là que la gendarmerie a commencé à nous rechercher, les jeunes et les vieux de Nakéty.
Ils sont venus en hélico, et ils nous ont trouvé à Dogny [dans une ferme à quelques kilomètres de La Foa]. Dans la nuit, ils se sont préparés, sont montés dans la forêt, ont bouché toutes les entrées, ils nous cernaient. Ils ont amené le contingent des [gendarmes] mobiles. Le matin, ils ont commencé à tirer le gaz lacrymogène. Y a un vieux commandant ou un général qui est venu, il nous a donné les
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sommations. On était tous alignés autour de la propriété. Le vieux Eloi, il a commencé à sentir qu'il allait se passer quelque chose. Le capitaine a dit : ‘Rendez-vous, sinon on va rentrer’. Nous, on veut pas se rendre. Le vieux Eloi pointe le commandant et il dit : ‘je tire, je vais tirer sur sa tête à lui là’. Le vieux Marcel [Nonaro], son compagnon, lui dit ‘non non mon frère, ils vont rien faire, ils vont pas rentrer, c'est une propriété privée’. Eloi s'est détendu un peu.
Après, deuxième sommation, ‘vous vous rendez ou on rentre’. Le vieux épaule son fusil. Marcel dit non, il faut pas tirer. Nous, on était une soixantaine, tous alignés autour de la maison, les gendarmes mobiles, le GIGN, ils étaient partout autour, il y avait trois Puma qui volaient. J'ai vu que trois GIGN avaient grimpé sur une petite ligne de crête, au fond de la forêt. Il y avait plus de bruit, rien, ils avaient arrêté les tirs de lacrymogène, et nous on était debout, et on se demandait ce qui allait se passait.
Après 20 ou 30 minutes, on a entendu ‘clac clac’, et seulement ‘pouf’, ils avaient mis des silencieux. Un mec a crié : ‘hé, ils ont tiré sur le vieux Eloi’. (J'ai vu le vieux papa tourner comme ça, il s'est penché, j'ai lâché mon fusil, j'ai couru vers lui, je l'ai attrapé, on est tombé sur le capot d'une voiture. Il a mis sa tête ici [sa poitrine]. On était comme ça, assis là, avec le vieux Marcel debout à côté.) Un mec de La Foa a attaché un tricot blanc sur un fusil et il a crié ‘on se rend, on se rend, on se rend !’. Et j'ai entendu le deuxième coup. J'ai vu le vieux Marcel quitter le sol, il a parlé, il a dit ‘voilà ma fin’ [en langue vernaculaire], et il est retombé. Le vieux Eloi, il a mis du temps à mourir, parce qu'ils ont pas touché son cœur. Moi je sentais que c'était chaud partout, c'est le sang qui coulait. J'ai dit ‘Papa ça va ? Papa ? Papa ? Ca va ?’, j'ai crié ‘Au secours, au secours, vous avez abattu le papa, il faut lui porter secours maintenant, il est blessé’. On est resté là 5 ou 7 minutes, puis le vieux, il est parti. Un mec est venu avec son revolver, il m'a dit ‘lâche-le et sors sinon je t'éclate la tête aussi’. J'ai lâché le vieux, je l'ai posé par terre, et puis je suis parti.) »
C’était le 12 janvier 1985
Dans le même temps, l’ensemble du Territoire est en situation de « pré-insurrection » : occupations de mairies, de gendarmeries, barrages. A Nouméa, les militants assurent la protection des indépendantistes les plus en danger, surtout les quelques Européens connus pour leur soutien à la lutte. L’aide au ravitaillement des tribus isolées est organisé. De l’autre côté, des escadrons de gendarmes mobiles continuent d’affluer de métropole, portant leur nombre à 6 000 hommes, soit un gendarme pour 10 Kanak (sans compter les forces armées proprement dites). Toute manifestation est interdite, l’armée s’affiche en ville, des bateaux de guerre ravitaillent le nord de l’île.
L’état d’urgence et le couvre-feu sont décrétés essentiellement à destination des Kanak, car une véritable collusion s’est installée entre les colons et les forces de l’ordre. Le bilan depuis le boycott actif du 18 novembre est lourd pour le peuple kanak : 15 tués, des centaines de blessés, 104 prisonniers à Nouméa, 20 tribus saccagées.
De mars 1986 à mai 1988, Chirac est premier ministre et quand Bernard Pons devient ministre des DOM-TOM, il déclare : « Si les Kanaks bougent, nous leur serrerons le kiki. » Le quadrillage militaire de tous les villages kanak est organisé par le gouvernement français : un nouveau statut pour les kanak est rédigé. Il reviendrait en arrière sur la situation précédente et exclurait les indépendantistes de toutes les responsabilités locales de gestion précédemment obtenues. Le nouveau statut doit rendre effet le jour du premier tour des élections présidentielles de 1988. En réponse des barrages sont dressés et un groupe de militants du FNLKS occupe la gendarmerie sur l’ile d’Ouvéa. Ils prennent des gendarmes en otage pour faire pression. Le gouvernement français envoie des troupes d’élite. Les dirigeants du FNLKS lâchent les militants et le gouvernement donne l’ordre de lancer l’assaut. 19 Kanak sont tués et 2 gendarmes. La Nouvelle Calédonie est à 2 doigts de la guerre civile.
Sous la pression de Rocard, Tjibaou et Lafleur signent le 26 juin 1988 les accords de Matignon qui découpent le Territoire en 3 provinces, dont 2 seront gérées par les indépendantistes. La question de l’indépendance est renvoyée à un référendum d’autodétermination prévu pour 1998. Tjibaou explique aux militants du FNLKS : « Nous allons avoir des provinces avec des crédits qu’on n’a jamais eu l’occasion de gérer. »
Le 6 novembre 1988, les Français approuvent par référendum l’accord de Matignon (63% d’abstentions).
Cette politique n’est pas acceptée par beaucoup des militants du FNLKS et le 4 mai 1989, Djubelly Wéa abat Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné.
A L’HEURE ACTUELLE
A l’heure actuelle d’après René Dosière, ancien député PS et rapporteur de la loi sur le statut de la Nouvelle Calédonie en 1999, « la plus belle réussite des Kanak se situe dans l’industrie du nickel. Avec la Société du Sud pacifique qu’ils contrôlent, les Kanak ont édifié, en partenariat avec une multinationale canadienne, une nouvelle usine métallurgique en province Nord dirigée par un ancien collaborateur de Tjibaou. Une autre usine a été réalisée en Corée du Sud. Les Kanak sont devenus un acteur essentiel et incontournable de l’industrie du nickel, dont ils étaient exclus voilà quelques années ! Ainsi apparaît une nouvelle génération de Mélanésiens plus intégrée dans l’économie mondialisée. Elle comprend également des cadres moyens et supérieurs. »
Un journal satirique local brocarde la classe politique pour son âge et son absence de renouvellement. Les indépendantistes se sont embourgeoisés et éloignés du terrain. « Au fil des ans, les réformes ont créé des postes, apporté des voitures de fonction, des rémunérations, des voyages tous frais payés en métropole, des situations. « Des rentiers de la lutte ».
De l’avis de nombreux observateurs, ce qui guette l’archipel, plus que des mouvements de revendication de l’indépendance, ce sont des émeutes contre la vie chère.
Nouméa et sa périphérie concentrent les 2/3 de la population et bien des habitants se demandent comment vivre au quotidien ?
La vie chère (33% de plus qu’en métropole, 73% pour les produits alimentaires qu’en métropole alors que le salaire minimum est 20% de moins qu’en France), échec scolaire, chômage, pas de RSA, des écarts de revenus 2 fois supérieurs à ce qu’ils sont en métropole, ce qui fait dire au président de la Ligue des droits de l’homme, un ancien indépendantiste : « la prochaine révolution ne sera pas nationaliste mais sociale. »
oui mais ça branle dans le manche, les mauvais jours finiront Et gare à la revanche quand tous les pauvres s’y mettront Quand tous les pauvres s’y mettront ».
Février 2019
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