Publié le 31 Décembre 2017 par pantopolis in histoire
Ajout d'un article sur la question du colonialisme.
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CHAPITRE PREMIER
Chapitre premier du livre de Ph. B. sur la gauche
germano-hollandaise, revue, corrigé et augmenté. Une partie sur
Jaurès et le colonialisme a été rajoutée.
Marxisme
internationaliste
ou
nationalisme islamiste ?
La
gauche hollandaise et l'islamisme (Barend Luteraan Sneevliet, Tan
Malaka)
Le
cas de l'Indonésie.
Lors
de son congrès des 6 et 7 juin 1914, à Leiden, et à, l’instigation
de Wijnkoop, le SDP adopte le mot d’ordre : «Los van Holland nu
!» («séparation immédiate de la Hollande»). Ce mot
d’ordre était la concrétisation de la politique adoptée
officiellement par la Deuxième Internationale. Néanmoins, la
politique coloniale du SDP entraîna aussitôt des ambiguïtés à
l’égard du mouvement nationaliste indonésien qui était alors en
pleine expansion. Le parti se solidarisa, sans critique, avec
1’Indisch Partij (parti indonésien) de E.V.E. Douwes Dekker, le
lointain descendant de Multatuli, alors exilé aux Pays-Bas. Il
ouvrit même les colonnes de De Tribune en 1914, au dirigeant
nationaliste (114), dont le but était l’indépendance en liaison
avec les «élites» asiatiques, autrement dit avec la bourgeoisie
nationale d’Asie. Cela annonçait une politique de soumission du
prolétariat «indigène» à la bourgeoisie asiatique, qui fut
pleinement développée dans le Komintern, et dont Sneevliet fut l’un
des artisans.
Les
ambiguïtés de la politique du SDP à l’égard du problème
colonial se trouvèrent mises a nu lors du séjour de Sneevliet en
Indonésie, entre 1913 et 1918. Sneevliet, qui était formellement
membre du SDAP jusqu’en 1916, travaillait sur place avec les
membres du SDP. Installé à Semarang, grand port de la côte Nord de
Java, il prit la direction de l’Union des cheminots et traminots
(VSTP) – Vereeniging van Spooren Tram-Personeel – seul
syndicat à admettre des ouvriers indonésiens, et qui allait
constituer la base prolétarienne du futur parti communiste
d’Indonésie.
En
mai 1914, à l’initiative de Sneevliet, qui appliquait ainsi la
résolution du congrès international de Paris, se formait l’Union
social-démocrate indonésienne (ISDV) (Indische
Sociaal-Democratische Vereeniging). Cette
organisation comportait une centaine de membres hollandais, dont
quelques Javanais et Indo-Européens. Elle se dota d’un bimensuel,
en hollandais, Het
vrije woord (Libre
parole), en octobre 1915; puis en avril 1917, parut le premier
journal socialiste en langue indonésienne Soeara
Merdika (La Voix de
la Liberté). Toute l’ambiguïté de l’existence de l’ISDV
découlait de ses relations privilégiées avec les organisations
nationalistes. Les deux principales étaient : le Sarekat Islam
(Union islamique), formé – par des commerçants musulmans, qui
étendirent leur influence sur les ouvriers et paysans; et l’Indische
Partij de Douwes Dekker, formé essentiellement d’employés
indo-européens, qui – après sa dissolution en 1913 – se dénomma
«Insulinde». Sneevliet et des membres de l’ISDV étaient
adhérents en même temps au mouvement «Insulinde» mais surtout,
l’ISDV noua des relations étroites avec le «Sarekat Islam», à
partir de 1916, lorsque la rupture fut consommée avec «Insulinde»
qui défendait une politique favorable à l’impérialisme japonais,
avec le mot d’ordre nationaliste : «Java
aux Javanais». Il
se trouvait que des membres indonésiens de l’ISDV étaient
simultanément adhérents et même dirigeants du mouvement islamique,
tel Semaun (1899-1971), qui en 1921 fut le premier dirigeant du PKI
(PC indonésien).
Pendant
la, guerre, 1’ISDV recruta un nombre considérable d’Indonésiens
provenant du Sarekat Islam, qui comptait 20.000 membres. Pendant une
brève période Akmed Soekarno – le futur dirigeant nationaliste et
président de l’Indonésie après 1946 – en fut un membre actif.
Mais il est notable que beaucoup des nouveaux adhérents de l’ISDV
restaient membres de Sarekat Islam. Cette politique préfigurait, à
l’état embryonnaire, celle qui fut suivie en Chine – préconisée
par l’I.C. et Sneevliet – après 1921, d’un front unique allant
jusqu’à la fusion entre une organisation nationaliste (Kuomintang)
et le parti communiste de Chine.
Cette
attitude d’alliance avec les groupes d’idéologie islamiste fut
toujours étrangère au marxisme révolutionnaire. Dès 1916, un chef
de la gauche tribuniste – Barend Luteraan – avait mis en garde
contre «l’erreur des révolutionnaires des pays occidentaux
d’appeler à soutenir l’idéologie de l’Islam» (De
Tribune, 14 octobre 1916).
L’ambiguïté
vis-à-vis du nationalisme islamique était aussi présente chez
Lénine. Pour mettre fin à l’impérialisme colonial de la Russie,
Lénine et Staline – commissaire du peuple aux nationalités –
proclamaient le 15 novembre 1917 une politique basée sur :
1.
L’égalité et la souveraineté des peuples de Russie. 2. Droit des
peuples de Russie à disposer d’eux-mêmes, jusqu’à la
séparation et la constitution d’un État indépendant. 3.
Suppression de tout privilège et limitations, nationaux ou
religieux. 4. Libre développement des minorités nationales et
groupes ethniques habitant le territoire russe.
Allant
plus loin encore, Lénine et Staline lançaient, le 7 décembre 1917,
un appel «À tous les musulmans de Russie et d’Orient», en
faisant appel exclusivement à leurs sentiments religieux, au lieu de
souligner les intérêts antagonistes des paysans et des ouvriers
face aux mollahs et aux grands propriétaires fonciers, qui
s’appuyaient sur l’idéologie islamiste pour préserver les
intérêts de leur propre classe :
Vous
tous dont les maisons de prière et les mosquées ont été
détruites, dont les croyances et les coutumes ont été piétinées
par les tsars et les oppresseurs de la Russie ! Désormais, vos
croyances et vos coutumes, vos institutions nationales et culturelles
sont libres et inviolables. Organisez votre vie nationale librement
et sans entrave ! C’est votre droit.
Cet
appel était en fait un appel à desserrer le cordon sanitaire mis en
place par les impérialismes occidentaux (mais aussi le Japon qui
occupait Vladivostok) autour de la Russie soviétique. Cet appel
enjoignait les «Perses,
les Turcs, les Arabes et les Indiens»
à constituer un front anti-impérialiste, par tous les moyens, y
compris en flattant les sentiments religieux des «masses». Lénine,
en effet, «dans
un geste de haute portée symbolique, ordonne la restitution à
Tachkent du Coran d’Othman, l’une des plus anciennes copies du
texte sacré»
qui était conservé à la Bibliothèque impériale de
Saint-Pétersbourg.
[Mathieu
Renault, L’Empire de la révolution. Léni
ne
et les musulmans de Russie, Syllepse, 2017].
Mais
il devint très vite clair aux yeux de Lénine et des bolcheviks, que
cet appel encourageait non seulement le panislamisme mais le
panturquisme, qui visaient à démembrer la Russie au profit des
puissances impérialistes, voire du mouvement de Mustafa Kemal qui
allait triompher en 1922.
En
juillet 1920 dans une Première ébauche des thèses sur les
questions nationale et coloniale (IIe Congrès du
Komintern), Lénine soulignait avec force :
2°
La nécessité de lutter contre le clergé et les autres éléments
réactionnaires et moyenâgeux qui ont de l'influence dans les pays
arriérés ;
3°
La nécessité de lutter contre le panislamisme et autres courants
analogues, qui tentent de conjuguer le mouvement de libération
contre l'impérialisme européen et américain avec le renforcement
des positions des khans, des propriétaires fonciers, des mollahs,
etc.
Néanmoins,
malgré cette dangereuse politique frontiste avec des mouvements
religieux antisocialistes, Sneevliet et son organisation maintinrent
la flamme révolutionnaire contre la guerre : pour
Zimmerwaldien, pour la Révolution russe en 1917, pour une Troisième
internationale. Tout cela montrait incontestablement la nature
internationaliste de l’ISDV. Dès mars 1916, Sneevliet et ses
partisans quittaient le SDAP local pour adhérer au SDP tribuniste.
L’Union social-démocrate prenant grâce à la Révolution russe un
caractère de plus en plus révolutionnaire, la droite de
l’organisation scissionna (septembre 1917) pour adhérer au Parti
social-démocrate indonésien, branche du SDAP en Indonésie.
À
partir de 1917, toute l’activité de l’ISDV fut orientée vers le
soutien à la Révolution russe, puis allemande. Le seul mouvement
révolutionnaire en Indonésie auquel participa l’ISDV fut celui
des soldats et marins de la flotte hollandaise à Surabaya (Java) qui
formèrent – sous l’influence des événements d’Allemagne et
avec la participation active de Sneevliet – des conseils de marins
et soldats à Surabaya (deuxième ville de Java, sur la côte Nord).
La participation de Sneevliet à ce mouvement lui valut d’être
chassé d’Indonésie («externe») en décembre 1918.
La
politique de Sneevliet était incontestablement internationaliste, à
la différence de celle conduite par le « marxiste musulman »
Tal Malakal (voir infra), mais elle flotta dans l’ambiguïté.
Elle était soit tirée irrésistiblement vers l’internationalisme,
sous l’impulsion de la Révolution russe, soit tirée vers les
mouvements radicaux nationalistes, dirigés les chefs religieux. Dans
ce dernier cas, il n’y avait d’autre alternative que la
soumission du mouvement prolétarien indonésien à l’islamisme, au
nom de la lutte pour «la libération nationale». L’oscillation
entre nation et classe internationale était bien résumée par le
programme de l’ISDV lors de son congrès de mai 1918 :
L’ISDV
se donne pour but l’organisation du prolétariat et des paysans de
l’Inde orientale, indépendamment de leur race et de leur religion,
en une union indépendante, qui conduit la lutte de classe dans leur
propre pays contre une classe capitaliste dominante, et par là
renforce la lutte internationale et mène, en même temps, la seule
lutte possible pour la libération nationale. (Het Vrije Word, 20
mai 1918.)
En
1920, se constituait le Parti communiste indonésien (PKI), à partir
de l’ISDV et des syndicalistes indonésiens liés au mouvement
nationaliste. Dans l’I.C., Sneevliet, de façon significative,
représentait le PKI et l’aile gauche du Sarekat Islam. Cette
alliance avec la bourgeoisie indigène islamique dura jusqu’en
1923. Cette politique d’alliance était le fait du communiste
indonésien, membre du PC hollandais, Tan Malaka (1897-1949), qui au
IVe congrès
du Komintern en 1922, critiqua la position de Lénine contre le
panislamisme :
...
le panislamisme n'a plus sa signification initiale mais a maintenant
en pratique une signification tout à fait différente. ...
Aujourd'hui, en Indonésie, parmi les peuples coloniaux opprimés, le
panislamisme représente la lutte de libération contre les
différentes puissances impérialistes du monde.
Pire,
Tan Malakal affirma, lors de ce congrès, qu’il était
nécessaire de combattre au coude à coude avec le groupe islamiste
Sarekat Islam, en s’affirmant musulmans et avec “le Coran
dans les mains”, et qu’il était nécessaire que les
prolétaires de l’Orient «comprennent mieux leur religion»
en soutenant l’Union soviétique :
Depuis
le début de l’année dernière, nous avons travaillé à
ré-établir le lien avec Sarekat Islam. À notre congrès en
décembre de l’année dernière, nous avons dit que les musulmans
du Caucase ou d’autres pays qui coopèrent avec les Soviets et
luttent contre le capitalisme international comprennent mieux
leur religion; et nous avons aussi dit que s’ils voulaient
faire de la propagande pour leur religion, ils pouvaient le faire
pour autant qu’ils ne le fassent pas dans des réunions mais dans
les mosquées.
On
nous a demandé dans des réunions publiques : êtes-vous des
musulmans, oui ou non ? Croyez-vous en Dieu, oui ou non ?
Que pouvions-nous répondre à cela ? Oui, j’ai dit, quand je
suis face à Dieu je suis un musulman, mais quand je suis face à
l’homme je ne suis pas un musulman. C’est ainsi que nous avons
infligé une défaite à leurs chefs avec le Coran dans nos
mains [souligné par nous]; et à notre congrès l’année
dernière, nous avons contraint les dirigeants de Sarekat Islam, par
le biais de leurs propres membres, à collaborer avec nous.
Dans
la gauche communiste hollandaise, il ne fut jamais question d’établir
le moindre compromis, et donc la moindre compromission, avec une
idéologie totalement étrangère au prolétariat révolutionnaire.
Pour la gauche communiste, il s’agissait de lutter jusqu’à la
victoire pour un monde libéré autant du capitalisme que des
idéologies religieuses travaillant avec acharnement au
maintien de l’ordre social existant.
P.B.
(extrait de la réédition de la Gauche communiste hollandaise, par
moto proprio, 2018).
A l'intention des islamogauchistes, du NPA à
Plenel ("Mes amis les musulmans"), qui vient de la LCR, ces
citations lumineuses de Trotsky en 1923 et 1938 :
« Nous
adoptons une attitude tout à fait irréconciliable vis-à-vis de
tous ceux qui prononcent un seul mot sur la possibilité de combiner
le mysticisme et la sentimentalité religieuse avec le communisme. La
religion est irréconciliable avec le point de vue marxiste. Celui
qui croit à un autre monde ne peut concentrer toute sa passion sur
la transformation de celui-ci. »
« Nous,
les révolutionnaires, nous n’en avons jamais fini avec les
problèmes de la religion, car nos tâches consistent à émanciper
non seulement nous-mêmes mais aussi les masses de l’influence de
la religion. Celui qui oublie de lutter contre la religion est
indigne du nom de révolutionnaire. »