lundi 14 octobre 2024

LOUVRIER-LA GUERRE ECONOMIQUE MONDIALE DES SEMI-CONDUCTEURS

 

La crise des semi-conducteurs 2

La rivalité Chine / Etats-Unis 3

Qu’est-ce qu’un semi-conducteur ? 4

La course à la miniaturisation 5

L’hégémonie américaine remise en question par le Japon 5

La réaction des Etats-Unis 6

Recul du Japon,

montée en gamme de la Corée du Sud, de Taïwan et de la Chine 7

Modèle intégré et modèle fabless 9

La déclaration de guerre économique américaine 10

Des investissements colossaux 11

La guerre économique de grande échelle 13

Sources 14


Le système économique capitaliste met en concurrence les capitalistes entre eux.

Cette concurrence, cette course aux profits, est à l’origine d’un énorme gâchis et de gaspillage pour l’humanité puisqu’elle engendre des destructions à grande échelle de capital humain et matériel. C’est une guerre permanente qui nous est imposée. Guerre économique avec son lot de chômeurs, d’usines qui ferment, d’instabilité des prix mais aussi guerres où les problèmes économiques finissent par se régler par les conflits armés.

Bien-sûr, tous les secteurs ne se valent pas, une guerre économique par exemple dans le domaine de la peinture industrielle, même si elle occasionne du gâchis humain et matériel, a peu de chance de finir en conflit armé entre Etats. Pour d’autres secteurs, comme le pétrole par exemple, l’histoire nous a montré que la concurrence entre entreprises, entre Etats, a dégénéré plus d’une fois en conflits armés. Aujourd’hui, c’est dans le domaine des semi-conducteurs que s’est enclenchée une guerre mondiale pour l’instant économique, mais avec de fortes possibilités de dégénérer en conflits armés, impliquant entreprises et Etats pour le contrôle de ce secteur devenu stratégique pour leurs intérêts. Il semble donc intéressant de creuser ce sujet particulier pour y voir un peu plus clair dans cette situation qui nous est imposée par le capitalisme.

La crise des semi-conducteurs

Avant 2020 et la crise du covid, Le mot de « semi-conducteur » n’était connu que des milieux spécialisés. Avant, on parlait plutôt de « puce électronique » ou de « circuit intégré » (qui permettent de faire des calculs logiques simples), de microprocesseurs (les mêmes en bien plus complexe), ou de « mémoire » (qui sont des supports permettant d’enregistrer une information et de pouvoir la relire ensuite). Ces mots-là parlaient à un public assez large, qui pouvait savoir qu’il s’agissait des composants électroniques de nos ordinateurs, de nos téléviseurs, de nos téléphones, de nos montres, etc.

En 2020, l’économie capitaliste mondiale se retrouve désorganisée avec les confinements successifs à répétition d’une grande partie des pays de la planète. Une demande accrue d’ordinateurs, de téléphones, de jeux vidéo (consoles), de boxs dernières génération, de serveurs gérant les « Cloud » etc…, par la population et les entreprises va donc se produire. Les politiques de confinement « chez soi » des Etats (dans un premier temps en Europe et aux Etats-Unis) vont créer ce besoin. La conséquence va être que la surconsommation subite d’appareils électroniques, va, dans ce secteur de l’économie, conduire entres autres, à une pénurie de puces électroniques et de microprocesseurs. Si la demande de ceux-ci dans un premier temps a pu être assouvie par les industriels qui ont fait tourner à fond leurs usines notamment en Asie, (moins touchée par les confinements dans la première phase de la Covid), il va en être tout autrement dans un deuxième temps avec les déconfinements en Europe et aux Etats-Unis et les confinements asiatiques, plus particulièrement chinois.

En Asie, les usines de production sont mises à l’arrêt ou tournent au ralenti.

L’économie se relançant avec les déconfinements dans les pays occidentaux, la demande en matériel électronique va s’étendre à tous les domaines de l’industries, et plus particulièrement à l’automobile grosse consommatrice de puces électroniques (une centaine

par voiture). Et là, patatras, les usines asiatiques n’arrivent pas à fournir, à fabriquer la production de puces nécessaire. Des centaines de milliers de voitures neuves sont sockées sur des parkings immenses aux Etats-Unis et en Europe, ne pouvant être mises en circulation car n’étant pas équipées des fameuses puces. Des usines entières du secteur automobile sont à l’arrêt, des mois entiers, faute de « semi-conducteurs ». Le mot est lâché. Dans les médias, on parle maintenant de « la crise des semi-conducteurs ». Mais en réalité, ce terme regroupe tous les précédents, car il décrit une qualité électrique de la matière utilisée.

Tant est si bien, qu’à partir de 2020, les populations du monde occidental et leurs dirigeants (Etats-Unis, Europe) prennent conscience de leur dépendance économique à l’Asie dans ce domaine. Dépendance, comme on va le voir, voulue dès le début des années 2000 par les capitalistes des pays occidentaux (Etats-Unis, Europe), ayant fait de l’Asie, l’usine électronique du monde.

La rivalité Chine / États-Unis

Mais un autre évènement va accentuer cette situation de dépendance. C’est la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine. Les Etats-Unis, depuis déjà quelques années, mènent une guerre économique à la Chine. Celle-ci a débutée sous le mandat présidentiel de Trump (2016-2020) avec des mesures protectionnistes pour contrer le commerce chinois. Mais jusqu’à 2020, les semi-conducteurs n’étaient pas l’aspect central de cette guerre, tout du moins dans ce qui était connu du grand public.

C’est à partir de 2021 que les médias commencent à parler de TSMC (Taïwan Semi Conductor Manufacturing Company), une entreprise basée sur l’île de Taïwan, et qui fabriquent la majorité des semi-conducteurs les plus avancés technologiquement de la planète. Cette année-là, les chinois tirent un missile hypersonique à capacité nucléaire. Ce missile met en évidence l’avancée technologique dans ce domaine des chinois face aux

Etats-Unis. Il a été mis au point grâce à des super-ordinateurs utilisant des semi-conducteurs les plus en pointe fabriqués à Taïwan.

Les Etats-Unis décident alors que la Chine ne doit plus accéder à cette technologie. Et ils se lancent dans une politique visant à empêcher les entreprises du monde entier produisant des semi-conducteurs de vendre à la Chine leurs produits les plus sophistiqués. Et ils leur interdisent de construire toute nouvelle usine sur le territoire chinois. L’intégrité de l’île de Taïwan, qui est revendiquée comme territoire national par la Chine depuis 1949 (date de la création de la République Chinoise), devient pour l’Etat américain la ligne rouge que la Chine ne doit pas franchir. Cette guerre de rétorsion commerciale et technologique des

Etats-Unis contre la Chine va obliger le reste du monde à se positionner face à cette nouvelle donne économique et politique.

En résumé, la désorganisation de l’économie due à la crise Covid a mis en évidence la dépendance des pays occidentaux à l’industrie des semi-conducteurs asiatiques. Et l’affrontement USA-Chine ajoute à cette dépendance l’hypothèse catastrophique d’un affrontement militaire qui couperait la chaîne d’approvisionnement de ces composants.

Cette nouvelle donne économique et politique va conduire les Etats Occidentaux et leurs entreprises dans des plans colossaux en capitaux pour sortir du « bourbier asiatique » des semi-conducteurs. Ces plans protectionnistes consistent à ce que chacun, dans son pays, attire les entreprises championnes dans le domaine des semi-conducteurs, pour retrouver une pseudo-indépendance « perdue » dans les années précédentes. Cette nouvelle donne pousse de manière symétrique la Chine à elle aussi investir des sommes colossales, pour combler sa dépendance aux fameux semi-conducteurs de Taïwan. C’est donc une réorganisation d’une partie de l’économie capitaliste qui est en train de se produire sous nos yeux.


Qu’est-ce qu’un semi-conducteur ?

On l’a dit, le mot semi-conducteur est un peu employé à tort pour désigner divers composants électroniques comme des processeurs, microprocesseurs, microcontrôleurs, mémoires, etc… Ces éléments ont la particularité d’être fabriqués avec un élément chimique commun, le silicium. Le silicium leur sert de support, de substrat à tous.

Le silicium est très abondant sur Terre. Il est extrait sous forme de quartz, fondu dans des fours à 1400 °, refroidi ensuite dans des silos. La matière obtenue est ensuite découpée en fines plaques. C’est sur ces plaques que sont enfin gravés des circuits électriques, de plus en plus minuscules, qui donnent les microprocesseurs.

Le silicium, comme d’autres éléments chimiques tel que le Bore, le Germanium, l’Arsenic, l’Antimoine etc (voir tableau périodique des éléments de Mendeleïev) présente la particularité de n’être ni un métal, ni un gaz, mais ce qu’on appelle un métalloïde.

Ces éléments ne sont pas des métaux car ils ne sont pas conducteurs de l’électricité ; ils ne sont pas des gaz car ils ne sont pas isolants. En fait, ils peuvent être les deux à la fois, ils peuvent être isolants et conducteurs d’électricité, selon des conditions externes qu’on leur applique. C’est cette propriété qui va donner le nom de « semi-conducteur » à ces semi- métaux. Elle va être utilisée dans l’électronique moderne, avec l’invention en 1948 du transistor, aux Etats-Unis, par des chercheurs du laboratoire Bell.

Un transistor est composé de trois électrodes pris dans le silicium. Deux des électrodes appelées émetteur et collecteur servent à l’entrée et à la sortie du courant électrique ; une troisième appelée base est indépendante des deux autres. Lorsqu’on applique un potentiel électrique à la base, le courant électrique passe ou ne passe pas du tout, suivant le fonctionnement qui a été demandé (exemple de l’interrupteur).

C’est ce fonctionnement binaire à partir de deux états ouvert ou fermé (1 ou 0) adapté au transistor qui va révolutionner l’électronique. Car le langage du 1 ou 0 est déjà connu en mathématique depuis les années 1850 grâce à l’algèbre de Boole et il est déjà appliqué dans la téléphonie. L’association de transistors en grand nombre avec le langage algébrique booléen va être capitale dans la révolution électronique.

Une invention grand public utilisant cette technologie est connue dès les années 1950 avec les radios de de la firme Texas Instrument que l’on appellera « transistor », car les postes radios contiennent des transistors. Les radios d’avant les transistors étaient imposantes, car l’ancêtre des transistors étaient des lampes sous vide beaucoup plus grosses. Avec le transistor, on rentre dans l’ère de la miniaturisation, et le poste radio (qui prend même le nom de « transistor ») devient transportable. Et le transistor de base (nommé bipolaire), le semi-conducteur silicium, ce petit élément à « trois pattes » ne va plus cesser d’évoluer, de se miniaturiser.

La course à la miniaturisation

Fin des années 1960, début 1970, des ingénieurs de la société Intel aux Etats-Unis inventent le premier microprocesseur, l’Intel 4004. Celui-ci réussit à intégrer 2300 transistors sur la dimension d’un ongle humain. Il peut faire 740 000 opérations algébriques par seconde. Ce microprocesseur est destiné à une calculatrice pour une entreprise japonaise. Il a la même puissance de calcul qu’un ordinateur à lampes de 1947 de la taille d’une maison. Aujourd’hui, sur le même ongle humain, ce sont des dizaines de milliards de processeurs que l’on peut mettre : on grave à 2 nanomètres (210-7cm) pour les plus sophistiqués. Ce qui veut dire qu’on peut tracer un fil conducteur du courant d’une épaisseur de vingt millionièmes de centimètre. Et on obtient un objet capable de faire 10 milliards d’opérations mathématiques par seconde.

Cette miniaturisation a été permise grâce au procédé de fabrication des transistors par photolithographie. Ce processus industriel, d’une très grande complexité, consiste à partir d’un substrat de silicium (un disque de silicium, dit Wafer, objet le plus pur actuellement sur Terre), à rajouter des couches d’isolant, de dopant (à base d’autres métaux semi-conducteurs comme le gallium, l’arsenic etc…), de polymère et de photosensibilisateurs d’une épaisseur variant de 1 à 2 microns. Ensuite on projette une lumière ultraviolette à travers un masque (le masque étant le dessin de l’architecture du composant) dont les surfaces opaques forment la réplique du dessin désiré. Enfin, on dissout les parties exposées à l’aide d’une solution basique. Et ces opérations doivent se répéter un très grand nombre de fois, vu le grand nombre de couches, pour obtenir le microprocesseur désiré.

L’hégémonie américaine remise en question par la Japon

C’est donc à partir des années 1970, aux Etats-Unis, qu’a véritablement démarré l’industrie des semi-conducteurs. A cette époque, les Etats-Unis dominent cette industrie dans tous les domaines : la fabrication des disques de silicium (les wafers) sur lesquels vont être gravés les puces, la conception des puces en amont, l’architecture ou le « désign », la fabrication, le contrôle et l’encapsulage des composants. En 1975, ils détiennent 42% du marché mondial, les Européens 33% et le Japon 16 %. Les entreprises américaines Intel, Motorola, Texas Instrument, IBM, Sharp dominent le marché mondial du semi-conducteur.

Les années 1970 et début des années1980 ne sont pas encore les années fastes de l’informatique ou du numérique, que l’on va connaitre à la fin des années 1990 et au début des années 2000, avec la généralisation de l’internet grand public, la vente de masse d’ordinateurs jusque-là réservée aux professionnels, la téléphonie mobile, etc. Les investissements pour la fabrication des semi-conducteurs sont très lourds, et il n’est pas sûr pour les entreprises de pouvoir les rentabiliser, ce qui explique la domination des capitalistes américains, alors les plus puissants de la planète.

Pourtant, au cours des années 80, le changement va venir d’Asie, plus précisément du Japon. L’industrie japonaise s’étant relevée avec l’aide américaine suite à la Deuxième Guerre mondiale, les capitalistes japonais se lancent à l’assaut du marché mondial de l’électronique. C’est l’ère du « made in Japan ». Et à la fin des années 80, les Japonais dominent le marché mondial des semi-conducteurs. Trois sociétés japonaises (NEC, Toshiba, Hitachi) occupent les trois premières places mondiales. Il n’y a plus que 6 entreprises américaines dans les 20 premières. Les entreprises japonaises détiennent alors 50% du marché, les Américains 37% et les Européens 13%.


Cette vitalité du capitalisme japonais a été voulue par l’Etat japonais dès la fin des années 1960 (1er Plan Semi-Conducteur 1969-1971). Des investissements massifs ont été effectués dans la Recherche et Développement et dans les partenariats publics-privés, organisant ainsi une industrie puissante de ce secteur, pouvant défier la concurrence américaine. Les Japonais autorisent les firmes américaines à venir s’installer au Japon et à constituer des joint-ventures, à participation égale, avec les entreprises japonaises, sous le contrôle de l’Etat. La condition pour la firme américaine est qu’elle vende ses licences à l’entreprise japonaise avec laquelle elle s’associe. Les entreprises japonaises acquièrent ainsi la technologie américaine la plus avancée. Les Américains croyaient pénétrer le marché japonais, ils vont en fait permettre aux Japonais de les évincer.

La stratégie de conquête des marchés par les Japonais va s’appuyer sur l’électronique grand public, dans des créneaux de technologie dits inférieurs. Mais ils y implantent une qualité sans égale à l’époque. Grâce à quoi les marchés mondiaux sont inondés de semi-conducteurs (les mémoires), y compris le marché américain. Cette politique agressive des firmes japonaises fait baisser considérablement les prix. Les Européens en feront durement l’expérience, puisqu’ils seront jusqu’à aujourd’hui une puissance négligeable de ce secteur, leur part de marché ne cessant même de diminuer.

La réaction des États-Unis

Les Etats-Unis, quant à eux, réagissent face à leur recul et leur dépendance aux produits japonais. Et ils vont le faire sous la houlette directe de l’Etat. En 1987, est créée la SEMATECH, qui regroupe les 14 plus importants producteurs de semi-conducteurs américains et l’Etat lui-même. L’objectif de cette structure est très clair : développer ensemble une technologie et des procédés, en vue notamment de renforcer l’indépendance des Etats-Unis en approvisionnement d’équipements de production, y compris par l’évaluation en commun des machines nécessaires : on friserait presque un socialisme !

Au secours de l’industrie américaine, l’Etat US y adjoint les budgets de recherche militaire. 15 à 20% des budgets des centres de recherche de l’armée (comme Los Alamos) sont maintenant tournés vers des transferts de technologies et vers le privé. Même si la consommation de semi-conducteurs de l’armée est faible (de l’ordre de 3% de la production nationale), l’avance technologique de l’armée américaine doit rester primordiale dans ce domaine.

Cette entente public-privé va très vite porter ses fruits. La réorganisation de l’industrie, les lois anti-dumping visant la politique de bas prix des constructeurs japonais, l’ouverture du marché japonais aux produits américains, vont inverser la tendance et faire reculer le poids de l’industrie japonaise. Ainsi, au début des années 1990, les Etats-Unis vont se saisir d’un nouveau marché en pleine expansion, celui de l’informatique. Jusque-là, le gros du marché des semi-conducteurs allait vers les produits grands-publics (téléviseurs, jouets, hi-fi, etc.), marché sur lequel les capitalistes japonais avaient misé.

Mais en ce début des années 1990, le développement du marché informatique américain grand public va être monopolisé par les entreprises américaines. Les Japonais, peut-être trop spécialisés dans le secteur des mémoires des produits grand public, ratent le virage des semi-conducteurs nécessaires aux fonctionnement des ordinateurs : les micro- processeurs. Les entreprises américaines redeviennent les leaders des semi-conducteurs. La puissance du capitalisme américain et de son Etat, la dimension du marché intérieur américain ont eu raison, dans ce domaine particulier, du capitalisme japonais.

Recul du japon,

montée en gamme de la Corée du Sud, de Taïwan, de la Chine

Le poids des entreprises japonaises ne va plus cesser de refluer. Leur spécialisation dans les produits grands-publics les empêche, même dans le domaine des mémoires, de prendre le virage de l’informatique. Les ordinateurs ont besoin de microprocesseurs (secteurs monopolisés par les USA, 75 %) mais aussi de mémoires bien spécifiques.

C’est la Corée du Sud qui monte en puissance dans ce domaine, au cours des années 1990. L’Etat Coréen crée de toutes pièces une industrie qui regroupe, au sein de très grandes entreprises (les Chaebols), des activités extrêmement diversifiées, aussi bien dans l’automobile, que dans l’électronique grand public, ou l’informatique. Le résultat, c’est Samsung qui fabrique aussi bien des machines à laver, des téléviseurs, mais aussi des mémoires pour l’informatique, les plus avancées du secteur. C’est aussi Hyundaï qui fabrique aussi bien des voitures… que des mémoires.

Ainsi, au milieu des années 1990, les Etats-Unis dominent le marché des semi- conducteurs avec une place incontestée concernant les microprocesseurs des ordinateurs, mais ils sont concurrencés sur les mémoires informatiques par la Corée du Sud et ses

« Chaebols ». Le marché grand public, lui est partagé entre les trois pays avec une dominance asiatique.

Au cours de ces années 1990, deux nouveaux pays vont entrer sur le marché des semi-conducteurs. Il s’agit de la Chine et de Taïwan. Leur entrée sur ce marché n’est pas identique. Chacun des deux pays va avoir son propre processus.

La Chine va bénéficier de la désindustrialisation à tout va des pays occidentaux, qui décident que la production de masse des produits électroniques se fera en Chine. L’attrait pour les capitalistes occidentaux est de trouver en Chine une main d’œuvre bon marché. Téléphones, télévisions, ordinateurs, appareils ménagers, vont être fabriqués et assemblés en Chine, pour être ensuite revendus aux quatre coins du monde. Dans un premier temps, les semi-conducteurs, sous formes de microprocesseurs et de mémoires, arrivent des Etats- Unis, d’Europe mais aussi de Corée du Sud. Débarqués dans les ports chinois, ils sont acheminés vers les usines où ils sont montés et assemblés dans les différents appareils.


La Chine ne produit pas alors de semi-conducteurs. Mais à l’image du Japon et de la Corée du Sud, l’Etat chinois, qui a permis l’installation des capitalistes étrangers sur son territoire, leur impose un transfert de technologie. Ce transfert de technologie est ensuite mis à disposition des entreprises chinoises de ce secteur. En quelques années, ces entreprises deviennent des groupes capitalistes pouvant maitriser la conception et la fabrication de ces produits.

Mais la concurrence est rude dans ce domaine. Même si les entreprises chinoises ont acquis un savoir-faire indéniable, les Occidentaux conservent une avance technologique dans le domaine de la conception et celui des machines de précision qui servent à fabriquer les semi-conducteurs. Cette avance résulte de dizaines d’années de recherche et développement. Jusqu’à aujourd’hui, la Chine n’a pas totalement comblé son retard technologique, notamment sur les Etats-Unis, mais c’est probablement une question de temps. A l’heure actuelle, 10% du marché, de la conception à la fabrication, serait détenu par les entreprises chinoises.

Taïwan, de son côté, était devenu un mini atelier du monde de l’industrie électronique, au cours des années 1980. Sur son sol, étaient fabriqués des produits électroniques grand public, mais qui étaient considérés comme de piètre qualité. Il faut se souvenir de l’aspect péjoratif que voulait dire « made in Taïwan » lorsqu’on parlait d’un produit électronique.

L’Etat taïwanais décida, au cours des années 1990, de prendre un virage à 180° et de devenir un acteur de pointe indispensable au capitalisme de l’électronique. Ce choix le pousse donc à se spécialiser dans la fabrication des semi-conducteurs. Une partie du pays va se transformer et faire naître cette industrie appelé « fonderie ». Des milliers d’étudiants, par l’intermédiaire de l’ITRI (Institut de recherche pour la technologie industrielle) situé à Hsinshu, sont formés à cette technologie. Des centaines d’ingénieurs travaillant dans des entreprises aux Etats-Unis sont débauchés et incités à revenir au pays pour participer à la naissance de cette industrie. Des dizaines d’entreprises apparaissent, dont la plus connue est l’entreprise TSMC (Taïwan Semi Conductor Company). Son fondateur, Moris Chang est un ingénieur revenu des Etats-Unis et débauché de Texas Instrument.

Taïwan va devenir le lieu de fabrication de prédilection des semi-conducteurs les plus en pointe, ceux les plus performants, et qui nécessitent une fabrication d’une finesse et d’une complexité inouïes. Au point que, bientôt, au début des années 2000, une partie des capitalistes américains, comme Texas-Instrument, jugeant vraiment bien trop lourds financièrement les investissements dans cette partie de la production, vont faire le choix de faire faire cette fabrication eux aussi sur l’île de Taïwan, face à la Chine. Ils conservent la partie qui concerne la conception (appelée design) des semi-conducteurs, et font donc procéder à la « fonderie » à Taïwan. Là, d’ailleurs, les entreprises de Taïwan n’exigent aucun droit de propriété intellectuelle sur les puces ou les mémoires qui leur sont commandées.

Au moment où nous écrivons, Taïwan concentre à elle seule 22% de la production mondiale de microprocesseurs, et 90% de ceux les plus performants. La Chine, les Etats-Unis, l’Europe, étant les régions du monde les plus consommatrices de microprocesseurs et en retard industriel dans ce domaine, doivent toutes en importer de plus en plus, surtout les plus en pointes. Mais nous allons le voir, c’est cette situation qui risque de changer très vite.

Modèle intégré et modèle fabless

Ce schéma d’organisation capitaliste est mis en place au début des années 2000. Il a duré jusqu’à aujourd’hui, concentrant de plus en plus cette industrie entre de moins en moins d’entreprises et de moins en moins de pays.

Mais toutes les entreprises concernées par ce secteur ne vont pas adhérer à ce schéma. Une partie (50%) va décider de continuer à faire la conception et la fabrication, donc de ne pas sous-traiter la partie fonderie. On appelle cela le modèle intégré. C’est le cas de Intel (USA), IBM (USA), Samsung (Corée du Sud), Infinéon (Allemagne), etc… L’autre partie des entreprises, nommée « modèle fabless », comme Qualcomm (USA), AMD (USA), Micron (USA) n’assure plus que la conception.

Les fonderies, où sont fabriquées les semi-conducteurs, se répartissent principalement en Asie entre 4 pays et réalisent plus de 80% de la production mondiale : Taïwan (22%), Corée du Sud (25%), Chine (22%) et Japon (13%) (https://fr.statista.com/infographie/31385/capacite-mondiale-de-fabrication-de-semi- conducteurs-par-pays-region/).

De plus, deux secteurs que sont la fabrication des wafers et les machines utilisées dans les fonderies ont évolué vers une ultra-concentration. Les Wafers sont essentiellement fabriqués au Japon. 90% d’entre eux le sont par 5 entreprises dont Shin-Etsu Chemical qui détient 30% du marché.

Enfin, pour ce qui est des machines utilisées dans les fonderies, c’est une entreprise néerlandaise, ASML, qui fabrique 80% des machines de pointe. Elle détient un monopole sans partage sur ses concurrents industriels japonais, Canon et Nikkon. Elle est la seule à maitriser la photolithographie par la lumière de l’extrême ultra-violet (EUV), technologie qui permet d’obtenir des gravures de puces jusqu’à 2 nanomètres (en termes de précision, cela revient à tirer une flèche de la Terre à la Lune pour viser une pomme). Ce monopole a fait d’ASML la plus grosse société européenne cotée en bourse.

La déclaration de guerre économique américaine

Cette organisation capitaliste a convenu aux américains pendant une dizaine d’années. Bien que perdant des positions dans la fabrication, choix assumé semble-t-il jusque-là, leur position de leader dans le domaine de la conception leur permettait de rester numéro un du secteur. Les entreprises américaines dominent la conception sans partage sur le marché mondial en contrôlant plus de 50 % de ce marché.

Mais la montée en puissance de la Chine capitaliste, revendiquant maintenant la place de numéro un mondial, va venir bouleverser l’organisation du marché des semi- conducteurs. Bien que ce marché représente 600 milliards d’euros à l’échelle mondiale, ce n’est pas son montant qui est primordial dans la réorganisation qui s’annonce.

Ce qui est devenu primordial pour les Etats-Unis, c’est d’empêcher ou tout du moins de retarder l’accession de la Chine aux semi-conducteurs les plus sophistiqués (qui représentent 10% du marché des semi-conducteurs) et qui sont fabriqués en Asie. Ce sont des semi-conducteurs haut de gamme pour les téléphones 5G, pour les ordinateurs, mais aussi pour les armements de pointe (1% du marché) et maintenant pour l’IA et ses super calculateurs, dont la Chine doit être privée. Ainsi en a décidé l’Oncle Sam.

Ces puces de pointes nécessitent des gravures de 3 nanomètres que TSMC (Taïwan) et les machines d’ASML (Hollande) sont pratiquement seuls à pouvoir produire.

Actuellement, les Chinois seraient capables de graver des microprocesseurs de 7 nanomètres par leurs entreprises (SMIC, Semi Conductor Manufacturing International Corporation). De plus, l’entreprise chinoise YMTC (Yangtze Mémory Technologies Corp) aurait une avance dans la fabrication des mémoires notamment face à Samsung, qui en était le champion jusque-là.

Des investissements colossaux

Cette interdiction d’accès des Etats-Unis à un accès de la Chine aux super micro- processeurs s’accompagne par une brusque fièvre des investissements sur leur propre territoire, y compris dans des fabriques de semi-conducteurs, les fameuses fonderies. Ce plan de réinvestissement, le « Américan Chips Act » du 9 août 2022, prévoit des subventions d’un montant de 100 milliards de dollars, à proposer aux entreprises qui viendraient s’implanter sur le territoire américain, à condition qu’elles n’investissent plus dans les technologies de pointe sur le territoire chinois pendant 10 ans. Ces conditions sont valables aussi bien pour les entreprises américaines et étrangères.

Le président Biden s’est ainsi déplacé au Japon, à Taïwan, en Corée du Sud, pour rencontrer les gouvernements ainsi que les dirigeants des principales entreprises du secteur des semi-conducteurs et les convaincre de monter des usines sur le sol américain. Il s’agit clairement de former une alliance anti-chinoise, le Chip 4.

L’affaire n’est pas simple pour ces entreprises asiatiques. Plus de 50% de leur chiffre d’affaires s’effectue avec la Chine, il n’est donc pas question pour elles de se passer de leur relation économique avec elle, surtout que la Chine est également capable de mesures de rétorsion économiques et politiques à leur encontre. Pour les entreprises asiatiques, le problème est aussi qu’elles vont entrer en concurrence sur le sol américain avec les entreprises comme Intel, Texas Instrument, Micron, elles aussi poussées par leur gouvernement à construire et investir, en vue de prendre des parts du marché mondial aux entreprises asiatiques.

L’objectif pour les USA n’est pas seulement de freiner technologiquement la Chine, il est en même temps de redevenir avec ses entreprises le numéro un sans partage qu’il était dans les années 1970. L’ex dirigeant de TSMC, Chang, devenu trop vieux pour diriger, s’est dit opposé à ce projet, dans une réunion où étaient présents Joe Biden (Président des Etats- Unis) et Tim Cook (PDG d’Apple), dénonçant les coûts exorbitants et les difficultés de production aux Etats-Unis par rapport à ceux de Taïwan (Le Monde 6 janvier 2023).

Mais les principales entreprises asiatiques viennent effectivement s’installer aux USA et les entreprises américaines investissent à tours de bras. Les investissements sont colossaux, sachant qu’aujourd’hui, le coût d’une usine de production de semi-conducteurs est pratiquement de 20 milliards de dollars, une usine de waffers (les disques de silicium), c’est 10 milliards de dollars. 40 milliards de dollars pour TSMC, 17 milliards pour Samsung, 30 milliards pour Texas Instrument, 25 milliards pour Intel, Micron pour 35 milliards ; on arrive à un total d’environ 200 milliards de dollars. Vous pourriez dire, là, les Etats-Unis ont gagné par KO. Et bien, pas du tout…

Les entreprises asiatiques et leurs Etats, eux aussi, investissent à tours de bras, pour ne pas se laisser distancer. Le numéro un, TSMC, investit 60 milliards de dollars à Taïwan, 8,6 au Japon, avec l’objectif déclaré d’accentuer son avance technologique sur tous ses concurrents mondiaux tout en préservant ses dernières technologies au sol Taïwanais et non pas aux Etats-Unis. Il n’est pas impossible qu’il s’agisse là d’une stratégie, pour continuer à bénéficier du parapluie militaire américain face à la Chine, une sorte d’assurance vie. Car qui dit qu’en redevenant leader sur le marché mondial de la fabrication des Semi-conducteurs, les Etats-Unis ne laisseraient pas tomber Taïwan ?

En Corée du Sud aussi, Samsung Electronics investit 25 milliards de dollars. Le Japon, quant à lui, est semble-t-il, également décidé à ne pas trop se laisser distancer. L’Etat japonais a choisi d’investir dans la création d’une entité nommé Rapidus, mobilisant huit des plus importants industriels (Toyota, Sony, NEC Nippon Electric Company) dans l’objectif de lancer la production de puces gravées en 2 nanomètres en 2027. Quant à la Chine, difficile de savoir les montants de ses investissements, sinon que son 14ème plan quinquennal d’avril 2022 prévoyait un programme de 2300 milliards de dollars afin d’obtenir l’autonomie stratégique dans le numérique.

Enfin, l’Europe aussi, a son Chips Act. D’un montant de 43 milliards d’euros, il est identique dans son fonctionnement à ce que font les USA : crédits d’impôts, subventions en tout genre aux entreprises qui s’installeront en Europe. Mais seul Intel, le champion américain, a répondu avec 35 milliards de dollars d’investissements à Dublin (Irlande), Magdebourg (Allemagne) et en Italie, pour produire les puces dernière génération.

Les entreprises proprement européennes que sont ST Microelectronics (Franco/italien) et Infineon (Allemagne) ont respectivement mis 6,2 milliards dans une usine à Crolles en France et 5 milliards à Dresde. Ces chiffres le disent, l’Europe ne se lance pas dans la même course que les Etats-Unis et la Chine. L’Europe s’est donnée comme objectif cependant de détenir 20% du marché mondial d’ici 2030, mais ne vise pas à la gagner la course très coûteuse de la miniaturisation de la production de microprocesseurs. Elle dispose néanmoins d’un autre atout : c’est sur son sol, aux Pays-Bas, que se trouve ASML,

qui fabrique les machines de photolithographie à rayonnement ultra-violet, qui sont capables de graver dans l’infiniment petit. Chacune de leur machine vaut 150 millions de dollars


La guerre économique de grande échelle

Les Etats-Unis ont donc déclaré une véritable guerre économique à la Chine, en particulier sur le terrain désormais stratégique des semi-conducteurs. Sur ce terrain, ils ont contraint de très nombreux pays à se réorganiser et, directement ou indirectement, à prendre le même parti contre la Chine.

De son côté, la Chine semble tenter de répondre à ce défi, et va probablement tenter de réussir une percée technologique qui puisse l’amener au même niveau de technologie de pointe que celui de TSMC, implanté sur Taïwan.

Masi cette guerre économique est également accompagnée de bruits de bottes, de coups de canon tirés lors d’exercices militaires des diverses coalitions anti-chinoises, de vols aériens de l’armée chinoise et de manœuvres navales de la flotte de guerre chinoise autour de Taïwan.

L’attitude américaine ressemble fort à celle du vieux tigre mal en point, qui veut tenter un dernier sursaut, pour réagir face à l’animal qu’il n’a pas vu venir, et qui veut lui damer le pion.

Pourtant, la Chine n’a fait que suivre les meilleurs vœux qu’avaient pour elle les USA il y a trente ou quarante ans : abandonner toute pratique communiste, réelle ou supposée, et devenir comme il faut : capitaliste. Mais ce qui n’avait pas été du tout prévu s’est produit : l’élève est en passe de dépasser le maître.

Le capitalisme offre au premier de son système une place tout à fait privilégiée. C’est cette place qui se dispute, désormais, dans cette région du monde, grosse d’orages guerriers : l’Indo-Pacifique.

Aujourd’hui, on engloutit des centaines de milliards pour les micro-processeurs, non pas pour produire des richesses utiles, mais d’abord en tant que munitions pour une guerre économique, qui peut tourner demain en guerre tout court.

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage »

Jean Jaurès à la Chambre des députés le 7 mars 1895.

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