textes
publiés en 2009-2011 sur le site La
Bataille socialiste
http://bataillesocialiste.wordpress.com
(7
janvier 2009)
Une nouvelle fois
l’État israélien, avec le soutien de presque toute sa classe
politique et d’une partie majoritaire de sa population, du moins si
l’on en croit les sondages, vient de s’attaquer à la population
palestinienne. Répétant la même
stratégie qu’au Liban en 2006, l’aviation israélienne s’en
prend à des cibles dites “stratégiques”, en sachant
parfaitement qu’elles tueront une proportion importante de civils,
le tout sous le fallacieux prétexte d’« éradiquer » un «
mouvement terroriste ».
L’aviation
israélienne, détruit, tout comme au Liban, des installations
collectives civiles qu’il faudra des années pour reconstruire, et
qui ne pourront que rendre les conditions de vie des Palestiniens
encore plus catastrophiques. Dès le premier soir de l’offensive
terrestre, le 3 janvier, les infrastructures électriques ont été
détruites, privant les habitants de courant, la nuit n’étant
éclairée que par les bâtiments et dépôts de carburants en feu. L’armée affame
délibérément la population, espérant ainsi que celle-ci se
retourne contre le Hamas, un calcul cynique et stupide. Les rares
convois humanitaires qui entrent à Gaza ne servent à rien puisque
la population ne peut pas sortir et se rendre aux points de
ravitaillement. La distribution d’eau est pratiquement interrompue.
Cette
stratégie meurtrière est présentée comme un geste de « légitime
défense », y compris par le CRIF (Conseil représentatif des
institutions juives de France). A la fin d’une manifestation en
faveur de l’État d’Israël, dimanche 4 janvier 2009, un de ses
représentants a évoqué les victimes des roquettes du Hamas (moins
d’une dizaine de morts à l’heure où nous écrivons). Mais il
n’a pas dit un mot des 500 morts et 2 500 blessés palestiniens
suite aux bombardements de Tsahal. Beaucoup plus que d’une riposte
« disproportionnée », il s’agit d’un nouveau crime de guerre
prémédité de l’État israélien. C’est d’ailleurs ce
qu’affirment les militants israéliens favorables à une
négociation avec le Hamas et à l’arrêt immédiat de l’embargo
contre Gaza, comme premières mesures.
Cette
agression sanglante s’explique aussi par des calculs cyniques des
élites politiques israéliennes : d’une part, elles veulent
profiter de l’interrègne entre Bush et Obama pour mettre les États
-Unis devant le fait accompli ; et, d’autre part elles préparent
les élections qui sont censées se tenir en février 2009. « On ne
construit pas une campagne électorale sur des cadavres d’enfants !
Tous les ministres du gouvernement sont des criminels de guerre ! »
ont crié les manifestants à Tel Aviv le 3 janvier 2009. Ils ont
dénoncé aussi dans leurs slogans la « guerre des 6 sièges » car
les travaillistes, d’après les sondages, sont censés gagner 6
députés en raison de leur position favorable à l’opération «
Plomb durci ».
Aussi barbares que
soient les bombardements israéliens, il ne peut être question pour
nous de reprendre, à l’égard des militaires ou des gouvernements
israéliens, des termes comme “sionazis” que l’on voit fleurir
sur Internet et que l’on entend dans les manifestations. L’émotion
et la colère justifiées contre cette guerre ne doivent en aucun cas
nous amener sur le terrain de ceux qui tracent un trait d’égalité
entre sionisme et nazisme.
Quant à l’usage
du mot génocide, on ne peut mettre sur le même plan le génocide
des Juifs, le génocide arménien, le génocide des Tutsi, d’un
côté, et, de l’autre, le massacre des Palestiniens lors des
bombardements israéliens. Un tel usage vide ce mot de son sens très
spécifique: extermination systématique d’un peuple et ne peut que
créer la confusion politique.
Rappelons
à ce propos que la guerre d’Algérie a fait un million de morts
parmi le peuple algérien, et
qu’il
n’est nul besoin d’invoquer le judéocide et de le retourner
contre les gouvernements israéliens ou, pire, contre tout le peuple
israélien, pour condamner la barbarie des troupes de Tsahal. De
notre point de vue, à nous socialistes, laïques et
internationalistes, c’est aux travailleurs israéliens et
palestiniens de choisir le système politique sous lequel ils veulent
immédiatement vivre
un seul État
laïque ou deux États laïques. C’est aussi aux travailleurs
palestiniens et israéliens de choisir s’ils veulent aller plus
loin : ne pas simplement lutter pour des droits démocratiques
sociaux et démocratiques égalitaires, mais aussi remettre en cause
le système capitaliste qui les opprime en Israël comme en
Palestine.
Pour notre part,
nous ne croyons pas que le nationalisme israélien (le sionisme) et
le nationalisme palestinien (celui de l’Autorité palestinienne ou
celui, à tendance plus religieuse, du Hamas) offrent la moindre
perspective commune aux deux peuples et aux exploités de la région.
Par ses agressions
et son expansion territoriale permanentes l’État israélien
nourrit la haine non seulement contre ses propres citoyens mais aussi
contre la religion juive dont il prétend défendre les valeurs. En
mélangeant les conséquences absolument dramatiques du judéocide et
de la barbarie nazie, la nécessité pour les Israéliens de se
défendre contre les États voisins, et les références bibliques,
le tout pour justifier sa politique colonialiste jusqu’à
aujourd’hui, l’État israélien a fait le jeu du nationalisme de
l’OLP hier, du Hamas aujourd’hui, mouvement qui, tout comme la
plupart des courants du sionisme, brouille les frontières entre
questions politiques et questions religieuses. Or, l’on sait que
les guerres de religion se terminent toujours par un bain de sang (la
France en a fait l’expérience avec les protestants) et par la
partition et l’exil accompagnés de massacres (la séparation entre
l’Inde et le Pakistan en étant le dernier grand exemple) .
Il faut donc
absolument si l’on souhaite arriver à des accords de paix, que
l’on mette de côté la religion, ses symboles, ses «
commandements divins » et ses principes réactionnaires. Il n’y
aura pas de paix :
Dans l’immédiat,
la solidarité internationale doit se manifester pour l’arrêt
immédiat de cette escalade guerrière. De plus, il ne s’agit pas
de céder à des logiques communautaires. Présenter la situation
comme divisant d’un côté les soutiens du gouvernement israélien,
et de l’autre des soutiens du Hamas, serait une caricature
profondément mensongère. Sans soutenir aucun de ces deux
belligérants, et même si nous pouvons avoir des appréciations
divergentes sur ce que l’un et l’autre représentent, nous nous
plaçons dans le camp de l’intérêt de l’immense majorité, le
camp des travailleurs, quelle que soit l’étiquette nationale que
le hasard a posé sur eux : c’est au mouvement ouvrier d’organiser
la lutte contre la guerre.
C’est pourquoi
nous luttons pour une paix juste au Proche-Orient, sans jamais mettre
dans notre poche nos convictions démocratiques, anti-étatistes,
égalitaires, libertaires, et socialistes.
Collective
Reinventions
(États-Unis),
Yves Coleman (Ni
patrie ni frontières),
Quentin Dauphiné (militant syndical), Nicolas Dessaux (Solidarité
Irak),
João Pedro Freire (
Tribuna
socialista,
Portugal),
The
Hobgoblin,
Goldfax (militant anarchiste), Congrès des libertés en Irak/ Iraq
Freedom Congress (IFC),
Stéphane Julien (militant syndical), Patsy (Le
Monde comme il va),
Pierre Loinod (Démocratie
Communiste (Luxemburgiste)),
Vincent Présumey (militant socialiste et syndicaliste, Allier,
France)
Une voix
internationaliste sur la question palestinienne
(15juin
2010)
Entretien
Pascal, tu es de
ces militants internationalistes qui défendent les militantes et
militants progressistes du “3ème camp” au Moyen-Orient (ni
impérialisme, ni islamisme). Tu es aussi un vrai militant communiste
qui n’oublie pas que l’État palestinien attendu sera aussi un
État capitaliste au service de la bourgeoisie palestinienne. Ça n’a
l’air de rien, mais je crois que nous ne sommes peut-être plus si
nombreux par les temps qui courent à garder ces principes clairs à
l’esprit. Je voudrais donc prendre un moment pour échanger avec
toi sur l’état d’excitation à gauche suite aux derniers crimes
de l’armée israélienne au large de
Gaza.
On assiste ces
derniers temps à des “échauffements”, comme une sorte de
basculement de la condamnation habituelle et légitime de la
politique d’Israël envers les palestiniens vers un ralliement de
plus en plus généralisé au camp nationaliste palestinien, fut-il
instrumentalisé par les réactionnaires du Hamas: glissement dans
les mots d’ordre de manifs, dans les prises de positions
habituelles, dans qui participe à quels meetings organisé par qui
pour y faire et y dire quoi, etc. Comment expliques-tu que la
question palestinienne ait rendu un peu folle l’extrême-gauche ?
Est-ce simplement parce qu’elle a pris l’habitude de n’y voir
qu’une problématique coloniale sans s’intéresser vraiment aux
luttes de classe sur place? Ou au-delà de ça y a t-il une faille
profonde dans les traditions de l’extrême-gauche française qui la
rend perméable aux récupérations?
Je
ne crois pas que l’on peut parler de basculement récent, mais
plus d’une conséquence d’une veille tradition politique,
tradition qui est celle du renoncement, en fait, à lutter pour la
création d’organisations communistes révolutionnaires et pour le
socialisme. Lors des mouvements anti-coloniaux de l’après guerre,
une grande partie de l’extrême-gauche s’est mise à la remorque
des organisations nationalistes des pays du tiers-monde. On peut
rappeler que des trotskistes sautillaient après 1968 en criant “Hô
hô hô Chi Min, Che che Guevara”… Or, pour tout communiste
internationaliste, Hô Chi Min reste ce dirigeant stalinien et
nationaliste qui a fait massacrer les communistes indochinois du
groupe “La lutte”. Et cette position, ce soutien aux
nationalistes, se retrouvait aussi sur la Palestine, où l’OLP
était quasiment considéré comme une organisation socialiste,
alors que ça n’a toujours été qu’un front nationaliste,
dominé par la bourgeoisie palestinienne et, aussi, par différents
intérêts des États et bourgeoisies arabes de la région. Ce qui
s’est passé ces dernières années, c’est le renforcement du
poids de l’Islam politique en Palestine, avec le Hamas qui a pris
le pouvoir dans la Bande de Gaza et qui apparaît aujourd’hui
comme l’aile la plus radicale du nationalisme palestinien. Les
mêmes qui hier soutenaient l’OLP ou le Fatah soutiennent
aujourd’hui, de façon plus ou moins (et surtout moins) critique,
le Hamas. On peut ajouter qu’on voit le même phénomène avec le
soutien au Hezbollah au Liban, aux groupes islamistes en Irak, ou
même, pour certains, des Talibans en Afghanistan. Mais en 1979
déjà, une partie de la gauche et de l’extrême-gauche, avait vu
en Khomeiny le leader d’une “fraction nationale progressiste”
de la petite-bourgeoisie et une force “anti-impérialiste”.
Au nom de cet
“anti-impérialisme“,
qui, contrairement à Lénine, ne voit pas dans l’impérialisme “le
stade suprême du capitalisme” et donc un phénomène normal du
mode de production capitaliste, mais le limite à “quelques pays
méchants”, une partie de la gauche et de l’extrême-gauche
s’est, comme je le disais, mise à la remorque de mouvements
nationalistes, et donc bourgeois, y compris les plus réactionnaires.
C’est bien sûr, tourner le dos à toute analyse marxiste, oublier
qu’aujourd’hui chaque pays est divisé entre bourgeoisie et
prolétariat, et pour le cas des courants islamistes c’est même
tourner le dos aux droits humains en particulier les droits des
femmes.
La différence entre
aujourd’hui et hier, c’est que le Hamas, par exemple, n’est pas
seulement un courant isolé palestinien mais qu’il fait parti d’un
mouvement politique et social global, celui de l’Islam politique,
mouvement qui a aussi ses militants en Europe, ce qui change
énormément, dans le concret, par rapport à un soutien qui ne
serait que symbolique ou platonique à tel ou tel
mouvement
nationaliste situé à des milliers de kilomètres. Et de fait, on
peut voir des meetings contre-natures où des personnalités qui se
disent de gauche interviennent aux côtés d’islamistes.
C’est en Grande-Bretagne, avec le SWP, que cette stratégie est
allée le plus loin et a été le plus théorisée avec la fameuse
phrase, lors de la guerre civile en Algérie, “Avec l’État
jamais, avec les islamistes parfois”.
Derrière cette
logique, il y a, je trouve, un véritable mépris pour les peuples
des pays sous occupation. En gros, ces mêmes groupes se définissent
féministes, parlent de la lutte des classes, et parfois même de la
perspective révolutionnaire d’en finir avec toute forme
d’oppression lorsqu’il s’agit de l’Europe, mais semblent ne
voir aucun problème à ce que des femmes, arabes en l’occurrence,
soit fliquées et assassinées par des bandes armées islamistes au
Moyen- Orient ou au Mahgreb, que des communistes ou des progressistes
doivent subir la répression de ces groupes, etc, etc. L’impression
que ça donne c’est que, pour ces gauchistes, l’internationalisme,
le marxisme, le féminisme, la liberté, l’égalité ne seraient
que des concepts pour “l’Occident”, et qu’en Palestine les
gens devraient subir ce que eux ne supporteraient pas une seule
journée, au nom de la “priorité à la lutte nationale”.
Concrètement,
plusieurs camarades en province se posent la question de leur
participation ou pas aux manifs organisées régulièrement contre
chaque saloperie commise par l’armée israélienne dès lors
qu’ils ne sont pas en mesure de se retrouver à quelques un dans
une partie du cortège pour y porter un slogan internationaliste ou
au moins laïque, n’étant pas de facto à la remorque des
nationalistes et surtout des pro-Hamas. Qu’en penses-tu?
Je
comprend bien ces camarades. La question de la participation à une
manifestation est une question tactique, et à mon avis, l’activité
communiste ne se limite pas, loin de là, aux manifs, il y a tout un
travail de fond à faire avec la population dont la majorité ne va
pas ou pas souvent aux manifs, dans les quartiers populaires, dans
les boîtes, etc. Pour répondre à ta question, je crois que, pour
ce genre de manif, la question est : peut-on y intervenir ? Peut-on
y faire entendre une voix internationaliste ? Mais pour cela il ne
faut pas être isolé. C’est une vraie question tactique que tu
poses, parce que bien sûr, on a tous et toutes envie d’exprimer
notre rage après un nouveau crime de l’armée israélienne, mais,
pour moi, si c’est pour me retrouver isolé au milieu de drapeaux
nationaux, de fanions du Hezbollah et de slogans à la gloire du
Hamas, très peu pour moi. En fait, les seuls manifs contre la
politique militariste israélienne où je me suis senti à l’aise,
c’était lors de la guerre contre le Liban,
en
2006, à Tel Aviv.
Le slogan principal était “juifs-arabes, nous refusons d’être
ennemis” et les drapeaux étaient, à 90%, des drapeaux rouges.
mais ne semble
guère condamner les crimes de l’armée.
L’extrême-gauche israélienne semble complètement marginale.
Pourtant il y a eu récemment une
manifestation
qui,
rapportée à l’échelle du pays, n’était pas si négligeable.
Faut-il n’attendre ainsi que des “réactions citoyennes” ou y
a-t-il à ta connaissance des débuts d’organisation en mouvements
intéressants?
Le
syndicalisme israélien, l’Histadrout, est complètement intégré
à l’appareil d’État israélien. Lorsque pendant l’Intifada,
tous les ouvriers palestiniens travaillant en Israël ont été
licenciés, l’Histadrout n’a pas bougé ni n’a protesté
ensuite pour que ces travailleurs obtiennent leurs allocations
chômage. Je ne vois pas trop en quoi ce syndicat défendrait les
ouvriers palestiniens, et je pense pas non plus qu’il défende,
d’ailleurs, réellement les ouvriers israéliens. Après, ce n’est
pas spécifique à Israël, même en France où le syndicalisme est
plutôt politisé, je n’ai pas souvenir de campagnes de la CGT
contre l’impérialisme français en Afrique, les bombardements au
Kosovo ou pour le retrait des troupes françaises d’Afghanistan.
Et si l’extrême-gauche israélienne est marginale, c’est aussi
le cas dans quasiment tous les pays du monde.
Comme tu le
rappelles, peu après l’attaque de la flotille aux larges de la
Bande de Gaza, il y a eu une manifestation de 7.000 personnes à Tel
Aviv contre cet acte de guerre et contre l’occupation. Il y a un
peu plus de 7 millions d’habitants en Israël, alors en
comparaison, cela ferait dans les 60.000 personnes à Paris. C’est
important à souligner parce qu’on rencontre souvent cette idée
selon laquelle toute la population d’Israël serait complice de son
gouvernement, or Israël est un pays capitaliste comme un autre,
dirigé par la bourgeoisie, mais où la majorité de la population
sont, pour nous communistes, des sœurs et frères de classe.
De notre point de
vue, il y aurait bien des choses à critiquer dans le Parti
Communiste d’Israël, mais il a le mérite d’exister et de
travailler à l’unité des prolétaires juifs et arabes en Israël.
C’est souvent lui la plus grande force dans l’organisation des
manifestation contre les guerres et contre l’occupation. Lors des
dernières élections municipales, en novembre 2008, il a conservé
la mairie de Nazareth, la plus grande ville arabe d’Israël, contre
les islamistes, et, si dans le secteur arabe il y a une tradition
communiste, puisque le PCI était longtemps le seul parti
non-sioniste d’Israël, une surprise fut son score à Tel Aviv. Dov
Hanin, le candidat du PCI, qui avait refusé de faire son service
militaire dans les territoires palestiniens, y a obtenu 32,4 %. Si ce
n’est qu’une élection, elle peut être utilisé comme un
baromètre, et montre qu’une partie non-négligeable de la
population israélienne est à la recherche d’une alternative, est
fatiguée de ces guerres qui n’en finissent pas, et aussi des
multiples attaques anti-ouvrières, de l’accroissement de la
pauvreté, etc. Un autre point important, c’est que les militantes
du PCI sont très actives et souvent à l’initiative des mouvements
de femmes dans le secteur arabe d’Israël, organisent des campagnes
contre les violences faites aux femmes, etc.
Un
exemple d’unité prolétarienne juifs-arabes que j’ai pu voir,
c’était lors de l’été 2007 à Jérusalem. Il y avait, au
centre-ville, un campement de sans-logis juifs israéliens qui
protestaient contre le manque de logements. Peu après, des arabes,
bédouins du Néguev, manifestaient devant la Knesset contre les
projets de destructions de leurs villages. Et il y a eu, grâce à
des militants communistes de Jérusalem, une
manifestation
commune,
où résonnaient des slogans comme “Juifs-Arabes unis pour des
logements” ou “Intifada contre les riches maintenant”. La manif
a fini devant le domicile du premier ministre, dans une atmosphère
assez tendue vis-à-vis des flics mais aussi de solidarité et de
fraternité entre des manifestants, juifs et arabes, qui apprenaient
à se connaître. Plusieurs bédouins ont pris la parole pour dire
qu’avant cette journée, ils ne pensaient pas qu’il y avait des
Juifs qui subissaient la même misère qu’eux, et qu’il faut une
lutte de tous les pauvres contre les riches.
Manif
pour le logement à Jérusalem (2007)
Pendant
l’été 2007, aussi, un an après la guerre avec le Liban, il était
question d’une possible grève
l’aéroport Ben
Gourion de Tel Aviv. Le syndicat patronal a réagit en disant qu’une
telle action serait “pire que le Hezbollah”. Cela résume bien
la situation : le plus grand danger pour la bourgeoisie israélienne,
ce n’est ni le Hamas ni le Hezbollah, c’est la lutte de la
classe ouvrière israélienne.
Et si on passe de
l’autre côté du mur, en Palestine, il y a là aussi eu des grèves
contre l’austérité, notamment dans la Bande de Gaza. Il y a aussi
des mouvements de femmes pour l’égalité, bref il existe une
aspiration à la liberté et à l’égalité, aspiration qui existe
aussi en Israël, comme partout dans le monde. Ce qui manque
finalement, c’est ce qui nous manque dans la plupart des pays du
monde, c’est un parti communiste, ouvrier, internationaliste pour
faire vivre cette aspiration, pour faire vivre la perspective du
socialisme, de la fin de l’oppression et de l’exploitation.
Ni les nationalistes
du Fatah, ni les islamistes du Hamas, côté palestinien, ni les
différents partis bourgeois, côté israélien, ne peuvent apporter
une telle perspective. Contrairement aux gauchistes qui veulent
absolument soutenir un camp bourgeois et réactionnaire contre un
autre, je pense que justement, la barbarie de la guerre, montre la
nécessité de la révolution ouvrière, et que seule la perspective
communiste, perspective qui s’adresse tant aux prolétaires parlant
hébreux qu’aux prolétaires parlant arabe, est capable de
construire un Proche-Orient où chaque être humain pourrait vivre
une vie digne du 21ème siècle. Face aux racistes, aux
nationalistes, aux réactionnaires religieux des deux camps, le
socialisme est finalement la seule solution vraiment humaine, la
seule perspective pour créer une vie meilleure, libre et égalitaire
pour chaque humain, qu’il soit israélien ou palestinien, juif ou
arabe, femme ou homme.
Enfin, il ne faut
pas oublier le contexte régional. Il y a eu des luttes ouvrières
très dures en
Égypte
ces derniers temps, des soulèvements ouvriers dans le bâtiment à
Dubaï
et
bien sur une année de lutte révolutionnaire en
Iran.
Tout cela peut et doit redonner espoir, celui d’en finir tant avec
les atrocités militaristes d’Israël et des impérialistes qu’avec
la barbarie moyen-âgeuse des islamistes.
(Entretien
réalisé par Stéphane Julien pour la BS)
Manif
à Tel Aviv contre l’attaque de la "flotille pour Gaza"
(9 juin 2010)
Manifeste de la
jeunesse de Gaza pour le changement
(décembre
2010)
Merde
au Hamas. Merde à Israël. Merde au Fatah. Merde à l’ONU et à
l’Unrwa (1). Merde à l’Amérique ! Nous, les jeunes de Gaza, on
en a marre d’Israël, du Hamas, de l’occupation, des violations
permanentes des droits de l’homme et de l’indifférence de la
communauté internationale.
Nous voulons crier,
percer le mur du silence, de l’injustice et de l’apathie de même
que les F16 israéliens pètent le mur du son au-dessus de nos têtes,
hurler de toute la force de nos âmes pour exprimer toute la rage que
cette situation pourrie nous inspire. Nous sommes comme des poux
coincés entre deux ongles, nous vivons un cauchemar au sein d’un
autre cauchemar. Il n’y a pas d’espace laissé à l’espoir, ni
de place pour la liberté. Nous n’en pouvons plus d’être piégés
dans cette confrontation politique permanente, et des nuits plus
noires que la suie sous la menace des avions de chasse qui tournent
au-dessus de nos maisons, et des paysans innocents qui se font tirer
dessus simplement parce qu’ils vont s’occuper de leurs champs
dans la zone «de sécurité», et des barbus qui se pavanent avec
leurs flingues et passent à tabac ou emprisonnent les jeunes qui ont
leurs idées à eux, et du mur de la honte qui nous coupe du reste de
note pays et nous enferme dans une bande de terre étriquée.
On en marre d’être
présentés comme des terroristes en puissance, des fanatiques aux
poches bourrées d’explosifs et aux yeux chargés de haine ; marre
de l’indifférence du reste du monde, des soi-disant experts qui
sont toujours là pour faire des déclarations et pondre des projets
de résolution mais se débinent dès qu’il s’agit d’appliquer
ce qu’ils ont décidé ; marre de cette vie de merde où nous
sommes emprisonnés par Israël, brutalisés par le Hamas et
complètement ignorés par la communauté internationale.
Il y a une
révolution qui bouillonne en nous, une énorme indignation qui
finira par nous démolir si nous ne trouvons pas le moyen de
canaliser cette immense énergie pour remettre en cause le statu quo
et nous donner un peu d’espoir. Le dernier coup qui a encore
aggravé notre frustration et notre désespoir s’est produit le 30
novembre, quand des miliciens du Hamas ont débarqué au siège du
Sharek Youth Forum (www.sharek.ps, une organisation de jeunesse très
active à Gaza) avec leurs fusils, leurs mensonges et leur
agressivité. Ils ont jeté tout le monde dehors, arrêté et
emprisonné plusieurs personnes, empêché Sharek de poursuivre ses
activités ; quelques jours plus tard, des manifestants regroupés
devant le siège de Sharek ont été agressés, battus et pour
certains emprisonnés.
C’est vraiment un
cauchemar au sein d’un autre cauchemar que nous vivons. Il n’est
pas facile de trouver les mots pour décrire la pression qui s’exerce
sur nous. Nous avons difficilement survécu à l’opération «Plomb
durci» de 2008-2009, quand Israël nous a systématiquement bombardé
la gueule, a détruit des milliers de logements et encore plus de
vies et de rêves. Ils ne se sont pas débarrassés du Hamas comme
ils en avaient l’intention mais ils nous ont fichu la trouille pour
toujours, et le syndrome du «stress post-traumatique» s’est
installé à jamais en chacun de nous, parce qu’il n’y avait
nulle part où fuir les bombes.
Nous sommes une
jeunesse au cœur lourd. Nous portons en nous un poids tellement
accablant qu’il nous empêche d’admirer le coucher de soleil :
comment pourrait-on, alors que des nuages menaçants bouchent
l’horizon et que des souvenirs effrayants passent dans nos yeux à
chaque fois que nous les fermons ? Nous sourions pour cacher la
douleur, nous rions pour oublier la guerre, nous gardons l’espoir
pour ne pas nous suicider tout de suite.
Au cours des
dernières années, Hamas a tout fait pour prendre le contrôle de
nos pensées, de notre comportement et de nos attentes. Nous sommes
une génération de jeunes qui se sont déjà habitués à évoluer
sous la menace des missiles, à poursuivre la mission apparemment
impossible qui consiste à mener une existence normale et saine, et
nous sommes à peine tolérés par une organisation tentaculaire qui
s’est étendue à travers notre société, tel un cancer
malveillant déterminé à détruire
dans sa propagation
jusqu’à
la dernière cellule vivante, la dernière opinion divergente, le
dernier rêve possible, à paralyser chacun de nous en faisant régner
la terreur. Et tout ça arrive dans la prison qu’est devenu Gaza,
une prison imposée par un pays qui se prétend démocratique.
A nouveau l’histoire
se répète dans toute sa cruauté et tout le monde a l’air de s’en
moquer. Nous vivons dans la peur. Ici, à Gaza, nous avons peur
d’être incarcérés, interrogés, battus, torturés, bombardés,
tués. Nous avons peur de vivre parce que chaque pas que nous faisons
doit être sérieusement considéré et préparé, parce qu’il y a
des obstacles et des interdits partout, parce qu’on nous empêche
d’aller où nous voulons, de parler et d’agir comme nous le
voulons et même parfois de penser ce que nous voulons, parce que
l’occupation colonise nos cerveaux et nos cœurs, et c’est
tellement affreux que c’est une souffrance physique, que nous
voulons verser des larmes de révolte et de colère intarissables.
Nous ne voulons pas
avoir de haine, ressentir toute cette rage, et nous ne voulons pas
être encore une fois des victimes. Assez ! Nous en avons assez de la
douleur, des larmes, de la souffrance, des contrôles, des limites,
des justifications injustifiées, de la terreur, de la torture, des
fausses excuses, des bombes, des nuits sans sommeil, des civils tués
aveuglément, des souvenirs amers, d’un avenir bouché, d’un
présent désespérant, des politiques insensées, des politiciens
fanatiques, du baratin religieux, de l’emprisonnement. Nous disons
: ASSEZ ! Ce n’est pas le futur que nous voulons !
Nous
avons trois exigences : nous voulons être libres, nous voulons être
en mesure de vivre normalement et nous voulons la paix. Est-ce que
c’est trop demander ? Nous sommes un mouvement pacifiste formé par
des jeunes de Gaza et des sympathisants de partout ailleurs, un
mouvement qui continuera tant que la vérité sur ce qui se passe
chez nous ne sera pas connue du monde entier, et à tel point que la
complicité tacite et la tonitruante indifférence ne seront plus
acceptables.
Ceci
est le manifeste pour le changement de la jeunesse de Gaza !
Nous allons
commencer par rompre l’occupation qui nous étouffe, par nous
libérer de l’enfermement mental, par retrouver la dignité et le
respect de soi. Nous garderons la tête haute même si nous
rencontrons le refus. Nous allons travailler nuit et jour pour
changer la situation lamentable dans laquelle nous nous débattons.
Là où nous nous heurtons à des murs, nous construirons des rêves.
Nous espérons que
vous qui lisez maintenant ces lignes, oui, vous, vous nous apporterez
votre soutien. Pour savoir sous quelle forme c’est possible,
écrivez sur notre mur ou contactez-nous directement à
freegazayouth@hotmail.com
Nous
voulons être libres, nous voulons vivre, nous voulons la paix.
Gaza
Youth Breaks Out
Note:
(1)
Agence de l’ONU crée en 1948 pour prendre en charge les réfugiés
palestiniens.
Entretien sur les
protestations en Israël
(5
août 2011)
Pascal, tu
milites à l’Initiative communiste-ouvrière, tu suis régulièrement
l’actualité en Israël où tu es déjà allé. Avant tout, que se
passe-t-il donc là bas ?
Israël
est secoué par le plus fort mouvement social depuis la création de
l’État en 1948. Pour bien comprendre le mouvement, il faut faire
un point rapide sur la situation sociale en Israël qui est loin
d’être, pour les travailleuses et les travailleurs, une « terre
promise ». Pour juste donner un exemple, les salaires n’ont
quasiment pas augmenté alors que ces cinq dernières années, la
population a subi une inflation de 16%, et près de 30% pour les
produits alimentaires. 25% de la population israélienne vit en
dessous du seuil de pauvreté, et à cela il faut ajouter les
politiques de privatisation qui s’en prennent à des secteurs comme
l’éducation ou la santé publique. Chez les jeunes travailleurs
d’Israël, il n’est pas rare d’avoir deux ou trois emplois
précaires pour essayer de joindre les deux bouts… C’est donc sur
la hausse des prix que les protestations ont commencé, d’abord, en
particulier par des réseaux sociaux, contre la hausse du prix du
fromage blanc, un aliment de base en Israël, puis sur la question de
l’accès et des prix du logement, avec, à Tel Aviv d’abord et
dans d’autres villes ensuite, la mise en place de campement de
tentes. Après une manifestations de plusieurs dizaines de milliers
de personnes à Tel Aviv le samedi 23 juillet, le mouvement ne cesse
de se renforcer pour dénoncer à la fois la vie chère et les
privatisations. Et si la question du logement est celle qui a lancé
le mouvement, il y a de nombreuses autres protestations, comme celle
des médecins des hôpitaux publics, de salariés de l’éducation
contre la privatisation, des parents lors des « marches des landaus
» pour la baisse des prix des produits pour bébés, l’accès aux
crèches et aux congés maternité et parentaux.
Quelle
est l’ampleur du mouvement social et quelles sont ses
revendications ?
Pour mesurer
l’ampleur du mouvement, il faut rappeler que Israël est un petit
pays avec 7,5 millions d’habitants. Or, la manifestation du samedi
30 juillet ont rassemblées 150.000 personnes. Et si les
manifestations de samedi (qui est le jour où l’on ne travaille pas
en Israël) sont les plus massives, il y a quotidiennement des
protestations, dans les grandes villes comme Tel Aviv, Jérusalem ou
Haïfa, mais aussi dans des villes plus petites comme Kiryat Shmola,
Natanya, etc. Et il est à noter que le mouvement de protestation
touche aussi les villes arabes comme Nazareth et les villages arabes
ou druzes de Galilée ou bédouins dans le Néguev.
Les revendications
concernent essentiellement l’accès au logement, la vie chère et
le refus des privatisations. Le 2 août, les représentant(e)s de
quarante campements de protestation à travers tout le pays ont
élaboré une plate- forme revendicative où on trouve, en plus de
l’accès au logement et le refus du plan de Netanyahou sur le
logement (la promesse de construire 50.000 logements… dans sept
ans), des revendications comme la gratuité de l’éducation, la
création de postes, de lits et l’augmentation du budget pour les
hôpitaux, le refus de la privatisation de l’éducation et de la
santé mentale, la baisse des impôts indirects, etc. Ce qui est à
noter c’est que le lendemain, suite à une rencontre avec des
protestataires du secteur arabe, deux revendications spécifiques à
la communauté arabe d’Israël ont été ajoutées. Il s’agit de
la reconnaissance officielle des villages non-reconnus des bédouins
du Néguev et l’augmentation des terrains pour la construction dans
les villes et villages arabes.
Blocage
de rue à Tel Aviv le 25 juillet
Peux-tu en dire
plus sur ces villages non-reconnus du Néguev et sur les
protestations dans la communauté arabe ?
Tout
d’abord, il faut rappeler que 20% de la population israélienne est
arabe. Les arabes subissent, comme les autres israéliens,
l’exploitation capitaliste, le chômage, les hausses des prix et
les politiques d’austérité. A cela s’ajoute en plus des
discriminations racistes, parfois indirects par exemple pour ce qui
est de l’emploi. A l’exception des druzes et des volontaires, les
arabes d’Israël ne font pas leur service militaire, et pour les
emplois par exemple, il arrive fréquemment que des annonces
indiquent rechercher quelqu’un « ayant terminé son service
militaire », ce qui exclut de fait les Arabes.
Dans le Néguev, au
sud d’Israël, bien des bédouins vivent dans ce qu’on appelle
des villages non-reconnus. Aussi, les habitant(e)s de ces villages
n’ont quasiment pas accès aux services ou équipements publics et
sont sous la menace constante de voir leurs villages détruits par
l’armée. Il y a depuis des années régulièrement des
protestations des habitant(e)s de ces villages, et il est intéressant
de souligner le lien, parmi les revendications, entre les bédouins
du Néguev et les habitants des villes. A Beer Sheva d’ailleurs,
les bédouins ont participé aux manifestations pour le logement aux
côtés des étudiants et des jeunes de la ville.
Au delà du Néguev,
le mouvement de protestation touche également les villes et les
villages arabes au nord d’Israël. Ainsi il y a eu des
manifestations à Nazareth, un campement a été installé à Taibeh,
etc. Et bien sûr, dans les villes comme Haïfa, juifs et arabes
manifestent ensemble. Il s’agit bien d’un mouvement qui regroupe
l’ensemble de la classe ouvrière et au-delà des classes
populaires (il y a eu une manifestation de fermiers à Tel Aviv par
exemple le 3 août), qu’il s’agisse de Juifs ou d’Arabes.
Tel
Aviv, 30 juillet
Du Wisconsin à
l’Europe, un nombre croissant de manifestations de masse se
développe contre les politiques de restrictions budgétaires qui
font payer aux travailleurs la crise financière. Le mouvement social
en Israël relève t-il plutôt de cette caractéristique ou
s’inspire t-il, comme un peu les Indignés espagnols, du mouvement
dans les pays arabes ?
Il me semble qu’il
y a actuellement un mouvement global de contestation des politiques
d’austérité et des attaques de la bourgeoisie, mouvement qui
prend des formes différentes selon les pays, les contextes et les
forces politiques en présence, mais qui est l’expression d’une
révolte commune. Par exemple, pour la Tunisie ou l’Égypte, on a
essentiellement mis en avant les revendications contre la dictature,
mais dans ces deux pays, les protestations s’en prenaient aussi au
chômage, à la misère et
l’exploitation.
En Tunisie, le mouvement de révolte a commencé par l’immolation
par le feu d’un jeune chômeur et la classe ouvrière a joué un
rôle essentiel dans la fuite de Ben Ali, tout comme en Égypte,
avec des grèves massives. En Espagne, bien que des militants
d’extrême-gauche aient tenté de construire des liens entre les
protestations des « indignés » et les luttes ouvrières dans les
usines, il semble que la direction du mouvement soit restée à un
vague apolitisme, ce qui est souvent une couverture pour des
politiques réformistes. Dans des pays comme la France ou la
Grande-Bretagne, les protestations sont actuellement plutôt dans un
cadre syndical, en Grèce on retrouve un peu des deux, tout comme au
Chili avec des protestations étudiantes et des grèves ouvrières
dans les mines.
Pour des raisons
géographiques, les protestations d’Israël s’inspirent bien sûr
des mouvements dans des pays voisins comme l’Égypte ou la Syrie.
Un slogan, dans des manifestations, indique
printemps
arabe, été israélien », ce qui est particulièrement sympathique
dans un pays où le gouvernement et la bourgeoisie cherchent à
faire taire les conflits de classe au nom d’une « union sacrée »
vis-à-vis de la Palestine et des pays arabes voisins. Après, le
contexte politique en Israël est plus proche de celui de l’Europe
ou des États-Unis que de celui de l’Égypte ou de la Syrie. Lors
de manifestations, en particulier lors de blocages de routes ou de
la tentative de bloquer la Knesset (le parlement israélien) le 3
août, il y a eu quelques affrontements avec les forces de police et
des arrestations de manifestants, mais cette répression ne peut pas
être, aujourd’hui, comparée avec celle de pays comme l’Égypte,
l’Iran ou la Syrie avec des bains de sang et des tirs à balles
réelles ou des tortures sur les protestataires.
Par contre, les
mouvements révolutionnaires en Tunisie, en Égypte et plus
globalement en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, inspirent je crois
les protestations partout dans le monde, elles ont permis de montrer
que la rue peut faire dégager des dictateurs, même si rien n’est
gagné pour les ouvriers et plus largement la population, tant en
Égypte qu’en Tunisie, que ce soit pour le pain ou pour la liberté.
Elles ont montré que les ouvriers, et plus largement la population,
peut descendre dans la rue et prendre en main son destin. Et au-delà
des revendications en elles-mêmes, un
éléments très
intéressant en Israël, c’est
cette volonté des gens d’agir directement sur leur futur. Les
protestataires du campements de Tel Aviv ont ainsi déclaré être
prêt à négocier directement avec Netanyahou à la condition que
les négociations soient publiques, c’est à dire filmées et
diffusées, ce que bien sûr, la bureaucratie syndicale de
l’Histadrout n’a pas apprécié.
Dans
un
précédent
entretien
tu
ne semblais guère voir que le Parti Communiste d’Israël comme
force progressiste organisée dans ce pays. Est-ce que cela se
confirme ou y a-t-il un élargissement ?
J’ai
dû mal me faire comprendre dans le précédent entretien. Il y a, en
Israël, de nombreux mouvements et campagnes que l’on pourrait
qualifier de progressistes, des mouvements de femmes, des mouvements
contre le racisme, contre le militarisme, pour les droits des
homosexuels face aux religieux, pour la paix contre l’occupation,
ainsi que des petits groupes d’extrême-gauche anarchistes ou
trotskistes. Le Parti Communiste d’Israël n’est probablement pas
le parti révolutionnaire qui pourrait permettre à la classe
ouvrière de faire la révolution et de prendre le pouvoir. Par
contre, c’est le seul parti qui n’est ni sioniste ni nationaliste
arabe, et il organise des militantes et des militants, juifs et
arabes, qui luttent en direction de la classe ouvrière, combattent
le racisme et l’occupation en Palestine, pour les droits des femmes
ou les droits des homosexuels, etc. Dans le mouvement actuel, les
militants du Parti Communiste sont très actifs, on le voit aux
drapeaux rouges dans les manifestations, ils organisent certains des
campements en particulier dans les villes et villages arabes du nord,
et la présence de militants communistes n’est par pour rien dans
certaines initiatives comme la participation des protestataires du
campement de Jérusalem à la Gay Pride de cette ville (qui est à
chaque fois une manifestation sous forte tension face aux
réactionnaires religieux) ou dans la prise en compte des
revendications spécifiques de la communauté arabe dans la
plate-forme revendicative.
Comment
se comportent les syndicats israéliens ?
Le
syndicat en Israël, l’Histadrout, est une centrale très
bureaucratisée, conciliatrice, nationaliste, etc. Son activité
habituelle est essentiellement de négocier avec le gouvernement et
le patronat, en lançant parfois des grèves très encadrées et
limitée à une journée. Le mouvement actuel n’a été à aucun
moment lancé par l’Histadrout. La position de la bureaucratie
syndicale est ambigüe, elle ne peut pas se désolidariser d’un
mouvement massif, qui d’après les sondages est soutenu par plus de
80% de la population, tout en s’inquiétant des potentialités
radicales de ces protestations. Ainsi, l’Histadrout a organisé un
meeting ouvrier de masse à Tel Aviv le 4 août, mais dans le même
temps, Eini, le secrétaire général de l’Histadrout, a déclaré
que si le but du mouvement était de renverser le gouvernement de
Netanyahou, il ne le soutiendrait pas. La direction de l’Histadrout
s’inquiète également et a dénoncé la demande des campeurs de
Tel Aviv de négociations publiques. Il est à noter aussi qu’il
existe une fraction communiste au sein de l’Histadrout et qu’elle
milite pour un appel à la grève générale. Et c’est là aussi
quelque chose de nouveau en Israël, la question de la grève
générale est posée et dépasse les cercles militants. C’est
ainsi que lundi 1 août, 150.000 travailleurs des collectivités
locales se sont mis en grève pour soutenir le mouvement contre la
vie chère.
A
propos du syndicalisme en Israël, il peut être intéressant de
revenir un peu en arrière. Au mois de mars 2011, les travailleurs
sociaux avaient fait 23 jours de grève pour les salaires, une grève
longue et dure, là aussi un phénomène nouveau dans le pays, avec
des manifestations devant le siège de l’Histadrout pour refuser la
fin de la grève et la signature d’un accord au rabais, et des
tentatives de formes d’auto-organisation indépendante de la
bureaucratie syndicale.
Ce
mouvement ne permet-il pas de remettre en cause l’idée d’un
Israël monolithique et homogène, avec une population qui serait
soudée autour d’un projet national sioniste, colonialiste, relais
de l’impérialisme américain, comme certains s’appliquent à le
dépeindre ? Le pays n’est-il pas tout autant, sinon davantage,
traversé de contradictions liées davantage à la lutte des classes
comme pour tout autre pays ?
Je pense que je vais
t’étonner
et étonner des lecteurs, mais à mon avis le « projet sioniste »
est bel bien mort et enterré en Israël. Bien sûr, à part le Parti
Communiste, les nationalistes arabes, les islamistes et quelques
ultra-orthodoxes de Méa Shéarim, tous les partis se réclament du
sionisme, mais ça me semble être un résidu idéologique, un peu
comme le pan-arabisme en Syrie. En tout cas, il n’y a plus de «
projet sioniste », les nouveaux arrivants en Israël, qui viennent
de l’ex-URSS, sont plus des immigrés économiques que des
pionniers sionistes, les kibboutz sont devenus des entreprises
capitalistes comme les autres, et même en ce qui concerne les
territoires occupés en Palestine, la quasi- totalité de la
population et même des politiciens, savent que tôt ou tard ils
devront les quitter. Cela ne signifie pas, bien sûr, la fin de
l’occupation dans un futur proche, les gouvernements successifs ne
savent pas comment quitter les territoires palestiniens, mais le
projet d’annexion pure et simple de la Cisjordanie et de la Bande
de Gaza, du « Grand Israël » de la mer à la rivière (le
Jourdain) n’est plus à l’ordre du jour, sauf pour quelques
fanatiques nationalistes. Lors des dernières guerres menées par
Israël, comme au Liban en 2006 ou dans la Bande de Gaza en 2008, le
discours du gouvernement se basait non pas sur un projet sioniste,
mais uniquement sur la
sécurité ». Il
n’y a donc plus, à mon avis de « projet sioniste », en tout cas
de projet sioniste capable de mobiliser la population, et même
au-delà je dirais que la bourgeoisie israélienne, comme la
bourgeoisie de bien des pays du monde, n’a même plus de projet
mobilisateur du tout, elle se contente de gérer pour défendre ses
intérêts au jour le jour.
Des décennies de
conflits, par contre, ont longtemps permis à la bourgeoisie
israélienne d’imposer une union sacrée autour de ses intérêts.
Je t’avais parlé, lors d’un précédent entretien, comment lors
d’une menace de grève à l’aéroport Ben Gourion, le patronat
avait hurlé qu’une telle grève serait
pire que le
Hezbollah ». Les politiques nationalistes et guerrières, où que
ce soit dans le monde, ont toujours comme but et conséquence
d’enchainer la classe ouvrière à la bourgeoisie, du moins
jusqu’au jour où cela craque. L’État d’Israël est à mon
sens un État bourgeois comme un autre, et cela n’a rien de
sioniste ou de pro-israélien que de dire ça pour un communiste qui
vise à la destruction de tous les États bourgeois et du système
capitaliste à l’échelle mondiale. L’occupation de la Palestine
ou les bombardements sur le Liban ou la Bande de Gaza, sont bien
entendu barbares et inhumains, tout comme l’est la politique de la
France en Afrique, des États-Unis en Irak, de la Russie dans le
Caucase, les interventions militaires de l’Iran et de la Turquie
au Kurdistan, etc. Mais toutes ces guerres et interventions
militaires, si elles sont payées par le sang et les morts dans les
pays où elles ont lieu, sont aussi payés par la classe ouvrière
des pays qui interviennent. Quel est le prix en dollars de
l’occupation de l’Irak pour les États-Unis et combien d’écoles,
de logements sociaux, de programmes de santé ou autres politiques
sociales auraient pu être financées avec cet argent ? Même chose
en Israël, où la population subit à la fois la recherche du
profit maximum par la bourgeoisie et doit en plus supporter le coût
de l’occupation et du militarisme, au détriment de services
utiles pour la population.
Pour Israël, les
nationalistes des deux bords ont toujours cherché à nier ou à
masquer les conflits de classes. Mais comme je l’indiquais avec
quelques chiffres au début de l’interview, Israël est loin d’être
une terre promise pour les ouvriers, qu’ils soient juifs ou non. Le
mouvement massif auquel nous assistons permet de rappeler au monde
que ce pays du Proche-Orient est bien un pays comme un autre, avec
une classe ouvrière, des pauvres, bref des gens qui souffrent de
l’exploitation capitaliste et des politiques bourgeoises, et qui
sont capables, comme tous les prolétaires sur cette terre, de se
révolter. Le soulèvement de 2009 en Iran a mis fin à cette idée
répandue en Occident d’un peuple iranien fanatisé par la religion
et uni derrière les mollahs, les révolutions en Égypte et en
Tunisie ont définitivement balayé l’image de populations arabes
soumises aux dictatures, et de la même façon, le mouvement actuel
en Israël met fin à l’image d’un gouvernement israélien
représentatif de la population du pays. En gros, les préjugés
contre telle ou telle population, les délires réactionnaires sur le
prétendu « choc des civilisations », tout cela vole en éclat dans
les faits, montrant aux quatre coins du monde, face aux bourgeoisie,
des exploités qui se révoltent et luttent pour le pain et la
liberté, pour un avenir meilleur. Les révoltés d’Israël
s’inspirent de ceux d’Égypte, et à n’en pas douter, les
protestations en Israël auront aussi un impact et une influence sur
les
prolétaires
palestiniens… quelle meilleure illustration de la nécessité d’une
politique internationaliste, de cette phrase de conclusion du «
Manifeste Communiste » de Karl Marx et d’Engels, « Prolétaires
de tous les pays, unissez-vous » !
(entretien
réalisé par Stéphane Julien)
voir aussi
Le terrorisme
juif sous le mandat britannique
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