samedi 13 juillet 2024

Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie V -L’Intifada du XXIe siècle

Ce texte (septembre 2001) est paru dans la revue , Aufheben,N°10,2002 en anglais.Ce texte fut aussi traduit en Allemand dans la revue Widcat-zirkular N° 62 , février 2002, et en français en brochure par Echanges et mouvement en octobre 2003.

Derrière l’Intifada du XXIe siècle ( premiére partie sur cinq) "La domination américaine au Proche-Orient"

Derrière l’Intifada du XXIe siècle,partie II Histoire de deux mouvements de libération nationale: le sionisme travailliste et le

Derrière l’Intifada du XXIe siècle,partie III-L’Intifada (1987-1993)

Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie IV -Le « processus de paix » d’Oslo (1993-2000)-

Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie V -L’Intifada du XXIe siècle

 Connue sous le nom d’Intifada Al Aqsa parce qu’elle est reliée à la visite provocatrice de Sharon à la Mosquée Al Aqsa en septembre 2000, elle fut, du moins au début, spontanée - comme l’Intifada de 1987 -, « poussée plus par l’énorme frustration des Palestiniens que par une quelconque décision stratégique de la direction palestinienne (58) ». L’étincelle qui mit le feu à la colère prolétarienne fut le meurtre de sept Palestiniens par la police israélienne « contre-insurrectionnelle » à la Mosquée Al Aqsa le lendemain de la visite de Sharon, ainsi que le meurtre très médiatisé d’un enfant de douze ans au carrefour Netzarim de Gaza. Comme on l’a vu plus haut, les luttes sont presque continuelles dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Toutefois, parce que c’est la révolte la plus soutenue depuis la dernière Intifada, celle-ci mérite aussi ce surnom d’« Intifada ».

 Comme on l’a déjà vu, cette lutte vient dans le sillage d’une période de conflit entre le prolétariat palestinien et la bourgeoisie. Des heurts avaient déjà eu lieu entre les manifestants et la police palestinienne à Ramallah en septembre 2000, un mois avant le début de l’Intifada. Il était devenu opportun pour la bourgeoisie palestinienne de détourner la colère prolétarienne de masse en direction du « véritable ennemi », comme ils disent. Le Hamas a contribué à restaurer la légitimité de l’OLP et de l’Autorité palestinienne dans sa circonscription en s’alliant avec la NIF*, le nouvel organisme qui couvre tous les organismes nationalistes pour contrôler le soulèvement. La police palestinienne qui forme la base du Fatah contribue aussi à faire en sorte que le soulèvement suive la « logique de guerre de l’Etat » en militarisant la lutte.

 Pourtant, comme l’Intifada précédente, ce nouveau soulèvement n’est pas complètement ligoté par la logique du nationalisme, ni par le soutien aux bourgeoisies arabes. Il y a des manifestations de masse dans tout le monde arabe, et pas seulement parmi la diaspora palestinienne. En Jordanie, des heurts ont eu lieu entre l’armée jordanienne et 25 000 Palestiniens, qui se sont soldés par l’interdiction des manifestations anti-israéliennes en Jordanie, et l’Egypte connaît ses manifestations étudiantes les plus importantes et les plus acharnées depuis les années 1970.

 Les Arabes israéliens

 Ajoutons que la Ligne verte a perdu de sa netteté avec la participation plus importante des Arabes israéliens (59), qui est un élément caractéristique de cette Intifada. Les Arabes israéliens avaient bien participé à l’Intifada de 1987, mais ils y jouaient surtout un rôle de soutien pour les Palestiniens des territoires. En dépit de leurs privilèges soi-disant « démocratiques », ils n’ont jamais été totalement intégrés dans l’Etat israélien. Cela apparut clairement en 1976, lorsque plusieurs cultivateurs palestiniens israéliens furent fusillés alors qu’ils protestaient contre la confiscation des terres. On en vint à commémorer l’anniversaire de ce massacre sous le nom de « Jour de la terre » par des grèves générales annuelles. A la date du Jour de la terre de 1989, de jeunes Palestiniens israéliens bloquèrent les routes, jetèrent des cocktails Molotov sur les véhicules de police et crevèrent les conduites d’eau qui alimentent les colonies juives. C’est à cause de ce genre d’incidents survenus pendant l’Intifada de 1987 que certains éléments de la bourgeoisie israélienne commencèrent à considérer les Arabes israéliens comme une " cinquième colonne " à l’intérieur de la Ligne verte et à exiger qu’ils soient inclus dans le service militaire obligatoire, de façon à assurer leur loyauté envers l’Etat.

 Pendant l’Intifada de 1987, les Palestiniens israéliens n’avaient affaire qu’à des balles en plastique. Cette fois-ci, on a fait monter les enchères pour eux : les forces de sécurité ont tué 12 Arabes israéliens pendant les tout premiers jours de l’Intifada. En fait, l’une des principales causes de l’intensification de cette Intifada est la lutte des Arabes israéliens expulsés dans le sillage de la politique gouvernementale de « judaïsation » de la Galilée (60). Presque chaque semaine, au cours de l’été 2000, on a démoli au moins une maison dans les villages de Galilée, et des villages entiers sortaient pour manifester leur soutien, les mettant en conflit plus ou moins permanent avec la police.

 Cette politique de « judaïsation » de la Galilée implique le harcèlement des Arabes israéliens qui sont au chômage. A Nazareth, le bureau [de chômage] a été déplacé plus loin, les dossiers des gens se perdent ou sont trafiqués constamment - on connaît un cas de radiation d’un village entier sous prétexte que ses habitants avaient refusé du travail qu’on ne leur avait jamais proposé ! Ceci entraîne de grandes manifestations et des bagarres avec la police. Une fois, une foule de Nazaréennes a tout cassé pour pénétrer dans le bureau des allocations de chômage. Pendant les premiers jours du soulèvement, des villages entiers de Galilée se sont mis en grève et la route principale qui traverse cette zone était jonchée de pneus enflammés.

 Les Arabes israéliens font aussi preuve de leur déception croissante à l’égard du processus électoral. 90 % d’entre eux avaient voté pour Barak lors de l’élection générale précédente, et on pense généralement que cela explique sa victoire. Pour l’élection de 2001, les " chefs communautaires " arabes ont mené une campagne concertée pour convaincre les Arabes israéliens de voter pour Barak - n’importe quoi pour éviter Sharon -, mais la réaction fut un boycottage presque intégral de l’élection. En vérité, la réponse de certains travailleurs palestiniens israéliens à " leurs " MK (membre de la Knesset, le parlement israélien) arabes fut de les chasser des villages lorsqu’ils venaient y faire campagne (61).

 L’Autorité palestinienne de plus en plus discréditée et la militarisation de la lutte

 Il faut considérer le rôle de l’Autorité palestinienne dans la lutte actuelle comme une tentative de contrôler et de tirer avantage de la résistance de masse. Cette Intifada a encore un fort caractère de masse et l’Autorité palestinienne essaie de l’utiliser pour consolider - ou prendre - le contrôle de la « rue palestinienne ». L’autorité a aussi besoin de s’assurer que la loyauté de sa propre force de police lui est toujours acquise. De nombreux membres de la police palestinienne sont des militants du Fatah. Alors qu’ils n’ont pas d’états d’âme pour s’attaquer aux manifestations contre l’Autorité, ils peuvent se montrer peu enclins à tirer lorsque les Palestiniens s’attaquent à l’Etat israélien. D’autre part, ils préféreraient que la colère du prolétariat palestinien se retourne contre les flics et les soldats israéliens plutôt que contre eux.

 Comme on l’a vu plus haut, l’été 2000 a été marqué par de violentes batailles entre la police de l’Autorité et la « rue », suite à l’enlisement des accords de Camp David entre Arafat et Barak. Les luttes prirent de l’ampleur quand la force de police armée de l’Etat se mit du côté des manifestants et tira sur l’IDF. A son tour, ceci offrit à l’IDF un prétexte pour tirer dans le but de tuer et donna tout son poids à la puissance militaire israélienne, y compris des hélicoptères armés, pour s’abattre sur la population palestinienne. A cause du rôle de l’Autorité palestinienne, cette Intifada, surtout si on la compare à la « révolte des pierres » de 1987, est grandement militarisée. Alors que les lanceurs de pierres de 1987 auraient pu se débarrasser de « la logique de guerre de l’Etat », on ne peut pas en dire autant de la force de police palestinienne paramilitaire.

 Une des conséquences qui en découlent est l’engagement d’un groupe représentatif de la population beaucoup plus restreint, les protagonistes étant surtout des hommes entre 17 et 25 ans. Une autre de ces conséquences est le nombre de morts palestiniens beaucoup plus élevé que lors de la dernière Intifada, ce qui permet à l’Autorité de récupérer un peu de crédibilité et de se débarrasser de quelques pauvres gens indisciplinés pour faire bonne mesure. Jusqu’à un certain point, la transformation d’un soulèvement populaire spontané en conflit quasiment militaire renforce l’« Etat embryonnaire » de l’Autorité palestinienne. Après tout, un Etat présuppose la capacité de défendre ses frontières. D’autre part, la supériorité écrasante d’Israël conduit certains éléments de l’OLP à essayer de désamorcer le conflit. Ces éléments tentent de réaffirmer le caractère civil de masse du soulèvement.

 L’IMPACT DE LA NOUVELLE INTIFADA

 En dépit des tentatives israéliennes de remplacer les Palestiniens par des travailleurs immigrés, un des effets majeurs de la nouvelle Intifada est encore une forte crise de l’industrie de la construction, en raison du tarissement de la source de main-d’œuvre palestinienne bon marché. On s’attendait à ce que la croissance économique d’Israël baisse jusqu’à 2 % en 2001 alors qu’elle était de 6 % en 2000. Le prix des maisons à Jérusalem a déjà chuté de 20 % entre 2000 et 2001.

 Bien qu’on ait mis beaucoup de ces chiffres sur le compte des pressions mondiales exercées par le ralentissement économique, il est clair que l’Intifada aggrave les pressions mondiales, si on tient compte du fait que le chiffre du commerce israélien avec les territoires, 2 milliards de dollars par an, est divisé par deux. Bien qu’on invoque les conditions sur le marché mondial comme la raison officielle de la réduction de 50 % des investissements étrangers cette année, il est certain que l’Intifada ne va pas attirer les investissements étrangers en Israël.

 D’un autre côté, le secteur des start-up de Tel Aviv est toujours florissant, ce qui souligne la force relative de l’accumulation capitaliste en Israël ; ce secteur est protégé des nombreux impératifs économiques normalement imposés au capital par une aide américaine de plus de 4 milliards de dollars par an. Toutefois, cette aide est une arme à double tranchant, car elle dépend du bon vouloir américain qui limite ainsi la liberté d’action d’Israël pour écraser la révolte.

 L’Intifada avait précipité la crise du Parti travailliste même avant sa défaite électorale écrasante, en particulier à cause du problème insoluble des colonies, comme on l’a déjà vu. Bien que Sharon ait contribué à mettre le feu aux poudres, la bourgeoisie l’a réhabilité politiquement. Si sa réputation d’" homme dur " a fait de lui un choix naturel pour la droite, son statut de père fouettard n’a pas découragé certains électeurs plus libéraux dans le climat actuel d’urgence nationale.

 Ce nouveau soulèvement a aussi entraîné de profonds changements de politique étrangère pour les Etats arabes. Disparu le ton conciliant envers Israël ; plus important encore, disparu aussi le consensus sur l’Irak que l’Amérique et la Grande-Bretagne maintenaient depuis 1991. Reconnu comme l’un des rares dirigeants du panarabisme et partisan enthousiaste des palestiniens, Saddam Hussein est en train d’être réhabilité au Moyen-Orient, et le régime des sanctions est en passe de s’écrouler. Au moins jusqu’à une date récente, le désengagement partiel de Bush du processus de paix - en fait un soutien sans équivoque à la politique israélienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza - signifiait qu’on voyait mal comment l’Intifada actuelle pourrait se terminer rapidement.

 L’opinion populaire arabe se durcissait contre les Etats-Unis. A cause de l’Intifada et des troubles grandissants dans les pays arabes, en Egypte et en Jordanie par exemple, la bourgeoisie arabe a été contrainte de réunir le premier sommet arabe depuis quatre ans, et d’autoriser l’Irak à y participer. L’Egypte rappela son ambassadeur de Tel Aviv pour la première fois en dix-huit ans, et quatre Etats arabes ont mis fin à leurs relations diplomatiques. Pourtant, il est important de ne pas trop insister sur ce revirement : le Liban et la Jordanie tiennent toujours à construire les zones industrielles cofinancées pour tirer le maximum du dividende de paix, si elle se produit. La Jordanie et l’Egypte ont aussi interdit les manifestations anti-israéliennes.

 En ce qui concerne la bourgeoisie occidentale, elle est divisée au sujet de ses relations avec le Moyen-Orient en général. Ceci a été démontré par l’isolement des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne quand ils ont recommencé à bombarder l’Irak peu après l’accession à la présidence de George W. Bush. Les diplomates palestiniens cherchent des alliés européens, fort probablement la France. Pour le moment, la bourgeoisie israélienne a dû mettre au second plan son ambition à long terme de « normaliser » ses relations commerciales avec le reste du Moyen-Orient. Elle a été rayée de l’agenda avec l’élection de Sharon. Toutefois, à présent que la bourgeoisie israélienne a abandonné le « processus de paix » (62), elle est plus dépendante que jamais du bon vouloir de l’Occident, surtout du soutien financier des Etats-Unis qui doivent équilibrer leur soutien à Israël et leurs autres intérêts dans la région.

 Cela rend la politique israélienne très peu claire : on envoie les tanks à Gaza et puis on les retire après s’être fait tirer les oreilles par les Etats-Unis. Une des principales tactiques de l’Etat israélien est l’assassinat de leaders palestiniens, souvent membres du Hamas. Chez les Palestiniens, la colère publique de masse chaque fois que cela se produit ne fait que souligner la profondeur de l’attrait populaire pour le Hamas. Il est toutefois plus facile à la bourgeoisie israélienne de justifier ce genre de violence que le meurtre aveugle d’enfants (quoique les militaires semblent incapables de « prendre les terroristes » sans tuer d’autres personnes).

 Malgré les limites imposées à ses actes par les Etats-Unis, l’Etat israélien peut se permettre pas mal de massacres, grâce à l’absence de véritable réaction de la part de la classe ouvrière. Alors que l’Intifada a déclenché des révoltes chez les Arabes, à l’intérieur de la Ligne verte, comme dans d’autres parties du Moyen-Orient, les travailleurs juifs semblent épouser les impératifs de sécurité, bien qu’on trouve des exemples de conscrits révoltés qui font passer des armes en contrebande « de l’autre côté », ce que l’armée met sur le compte de l’usage de stupéfiants dans l’armée. De toute évidence, les attentats suicides dans les bus, les boîtes de nuit, les magasins et autres endroits très fréquentés renforcent les divisions entre travailleurs juifs et palestiniens. D’autres travailleurs juifs habitent dans les colonies, qui sont devenues des cibles légitimes pour les attaques de la guérilla palestinienne. S’ajoutant à la libération de toute la puissance de feu de l’armée israélienne contre les prolétaires des territoires occupés, l’armement des colons achève de monter les prolétaires les uns contre les autres.

 Conclusion. De la révolte à la guerre ?

 Le « processus de paix » mettait en évidence la prise de conscience par la bourgeoisie israélienne de la nécessité de l’OLP pour contrôler le prolétariat palestinien. L’OLP se retrouvait donc coincée entre la récompense qu’elle pouvait espérer en faisant le sale boulot et son besoin de conserver sa capacité idéologique de récupérer les luttes prolétariennes. L’éruption de la nouvelle Intifada a montré son échec sur ces deux points.

 En Israël, les manifestations de la résistance de la classe ouvrière à la rationalisation économique des années 1990 étaient plus feutrées qu’ailleurs., Egypte et Tunisie par exemple. Cependant, pour compenser l’insécurité accrue des travailleurs juifs, il fallait accélérer la construction des colonies, et donc, cela entraînait l’intransigeance de l’Etat israélien dans ses négociations avec les Palestiniens. La construction de colonies en Cisjordanie se déroulait parallèlement à la « judaïsation » de la Galilée en Israël proprement dit. Cela signifiait l’intensification du harcèlement contre les chômeurs et des démolitions des maisons des Palestiniens israéliens pendant la période qui a débouché sur une nouvelle éruption de l’Intifada en 2000.

Les signes d’une escalade de l’Intifada jusqu’à ce qu’elle devienne un conflit militaire rangé n’ont pas entraîné la disparition totale des soulèvements civils. Certaines sections de la bourgeoisie palestinienne veulent imposer à nouveau des formes de lutte civile de masse pour essayer de désamorcer l’Intifada. Pourtant jusqu’à présent, elles n’ont pas réussi. L’Intifada a conduit à l’abandon par la bourgeoisie israélienne du « processus de paix » ; mais la dépendance de cette bourgeoisie à l’égard des Etats-Unis, qui ont d’autres préoccupations au Moyen-Orient, a limité ses possibilité d’intensification de la répression du soulèvement. Alors, dans quelle mesure l’Intifada est-elle l’expression modérée d’une guerre de classe, et dans quelle mesure est-elle une lutte de libération nationale ? Et si les travailleurs n’ont pas de pays, pourquoi les travailleurs continuent-ils à soutenir le nationalisme ?

 Souligner les attaques récentes des Palestiniens contre les formes établies de représentation politique n’est qu’une partie de la réponse, car on a souvent dit que ces représentants n’étaient pas assez nationalistes. Dans ce scénario, la crise de légitimité de l’OLP n’implique pas le rejet de toutes les formes de représentation, mais conduit plutôt à un soutien de masse pour une forme de représentation nationaliste plus militante, par exemple le Hamas.

En raison de la subordination de la bourgeoisie palestinienne, de nombreux Palestiniens ont été obligés de travailler pour le capital d’Israël, soit à l’intérieur de la Ligne verte, soit dans la construction des colonies. Pour eux, le visage du patron est le gouvernement militaire israélien. Il leur serait donc possible de s’identifier aux commerçants petit-bourgeois en tant que Palestiniens plutôt qu’en tant que prolétaires, car ces derniers subissent les mêmes nombreuses humiliations et privations quotidiennes imposées par Israël. En l’absence d’une révolution, leurs vies de tous les jours en tant que travailleurs pourraient s’améliorer s’il existait une bourgeoisie palestinienne fonctionnelle, capable d’investir dans des industries et de leur donner du travail, procurant ainsi un revenu aux deux classes.

 Pour conclure, les appels rituels à une solidarité abstraite entre travailleurs juifs et palestiniens démontrent l’ignorance des divisions très concrètes dont les deux groupes font l’expérience quotidiennement.

 Le « processus de paix » avait l’air prêt à s’attaquer partiellement à ces divisions, en intégrant l’Etat israélien dans le reste du Moyen-Orient. Implicitement, ce processus était une agression contre la position retranchée des travailleurs juifs qui les obligerait à se fondre dans le reste de la classe ouvrière de la région, quoique dans une position relativement privilégiée. Ceci s’est heurté à la résistance de la classe ouvrière, comme dans cette grève chez Tempo Beers déclenchée par des Arabes et des Juifs israéliens, que la gauche israélienne a salué comme un exemple rare de solidarité de classe entre Juifs et Palestiniens. Comme nous l’avons fait remarquer dans le numéro 2 d’Aufheben, le soutien de masse en faveur du nationalisme exprime une « identité superficielle » d’intérêts de classe contradictoires (63).

 Dans le cas des travailleurs juifs en Israël, la position privilégiée qu’ils occupent par rapport aux Palestiniens est née de leur combativité. La place des travailleurs juifs exige la domination du capital israélien sur les territoires occupés. La subordination de la bourgeoisie palestinienne a aiguisé les antagonismes de classe dans les territoires, c’est pourquoi elle doit retourner la colère prolétarienne exclusivement contre Israël. Parce que les deux classes palestiniennes partagent l’expérience de la répression par les autorités israéliennes, il semble que l’alliance nationale entre les prolétaires et la petite-bourgeoisie soit plus forte que les liens de solidarité de classe entre travailleurs palestiniens et juifs. Les attaques des nationalistes palestiniens visent de plus en plus souvent toutes les manifestations de la domination israélienne, surtout les colons eux-mêmes, et même des civils en Israël. Le danger physique dans lequel se trouvent les travailleurs juifs les pousse à soutenir les impératifs de sécurité de l’Etat israélien.

 Aussi bien chez les Palestiniens que chez les Israéliens, on note des tendances à résister à leur incorporation dans les machines étatiques opposées et leur logique de guerre. Mais en fin de compte, il est impossible de trouver, dans les limites de ce conflit étudié isolément, une transformation de ces tendances en mouvement social capable de sortir de l’impasse de deux nationalismes qui se renforcent mutuellement. Ou plutôt, une telle transformation est liée à la généralisation des luttes prolétariennes au Moyen-Orient, et de façon vitale, en Occident. Selon l’intensité de la résistance de classe qu’elle générera, surtout à une époque de récession mondiale, " la guerre contre le terrorisme " ouvre au moins la perspective de cette généralisation.

 Septembre 2001.

 Notes

 * Ce texte est paru en 2002 en Grande-Bretagne. (NDE.)

 (1) Elle a aussi tendance à nier le statut de « véritable » nationalisme du sionisme, en se concentrant sur son racisme d’exclusion. Bien que cela soit vrai du sionisme, elle oublie que le nationalisme est toujours basé sur l’exclusion et n’a donc rien à voir avec le communisme.

 (2) The New Intifada : Israel, Imperialism and Palestinian Resistance (La Nouvelle Intifada, Israël, l’impérialisme et la résistance palestinienne), brochure du Socialist Worker, janvier 2001.

 * En 1951, le Premier ministre iranien Mossadegh décida la nationalisation du pétrole. Opposé à cette politique, le chah Reza Pahlavi le destitua et le fit arrêter en 1953 (NDE).

 (3) « Somalia and the "Islamic Threat" to Global Capital » (La Somalie et la "menace islamiste" pour le capital mondial), Aufheben n°2, été 1993.

 (4) Contrairement à l’URSS qui, à cette époque, avait très peu à offrir à ses clients potentiels. Il lui était impossible d’offrir les gigantesques encouragements financiers des Américains, et au lieu des mille et une manières d’aider un état arabe dont disposait le capital, l’Union soviétique ne pouvait offrir qu’une aide militaire et une assistance technique limitée. Contrairement aux Etats-Unis, la politique russe au Moyen-Orient était rudimentaire, ne pouvant apporter qu’une protection extrêmement limitée, même à son plus proche allié, la Syrie.

 (5) « Somalia and the "Islamic Threat" to Global Capital », Aufheben, op. cit. Voir aussi : « When crusaders and assassins unite, let the people beware » (Quand les croisés et les assassins s’unissent, que le peuple prenne garde), Midnight Notes, 1990.

 (6) En 1979, le traité de paix israélo-égyptien ne faisait que souligner à quel point l’Egypte était entrée dans l’orbite américaine depuis la mort de Nasser.

 (7) Voir : « Capistalist Carnage in the Middle East » (Carnage capitaliste au Moyen-Orient), Wildcat n°6, 1983.

 (8) Tellement anti-occidental que le régime baasiste d’Irak, panarabe mais antichiite, dut être utilisé pour neutraliser l’Iran dans les années 1980.

 (9) Bien sûr, il s’agit là d’un arrangement réciproque : le nationalisme israélien est renforcé par l’impression que « les Arabes veulent nous balancer dans la mer ».

 (10) « La contradiction fondamentale du sionisme était de vouloir sauver le Juif en tant que Juif, c’est-à-dire les relations communautaires datant de bien avant le capitalisme moderne, en l’intégrant dans le monde le plus moderne du capitalisme. » (« Avenir d’une révolte », Le Brise-Glace, 1988.) Ainsi que nous le verrons, la logique contradictoire de cette idéologie revêt en pratique la forme de tendances qui sapent cette même identité, par exemple dans le cas où Israël s’intégrerait plus au Moyen-Orient.

 (11) L’une des principales organisations juives était le Bund (syndicat général des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie), créé en 1898 pour relier différents groupes de travailleurs juifs de l’empire tsariste. Il fit brièvement partie du POSDR, le Parti ouvrier social-démocrate russe, qui scissionna plus tard en deux groupes : les mencheviks et les bolcheviks. En 1903, le Bund comptait 40 000 adhérents. Il était « une avant-garde dans le mouvement ouvrier russe » et « un soutien de la classe ouvrière beaucoup plus sincère » que tous les autres groupements de travailleurs d’Europe de l’Est (voir Nathan Weinstock, Le Sionisme, faux messie, Paris, 1969). Bien qu’ardemment opposé au sionisme organisé, le Bund connut toujours en son sein un débat pour savoir jusqu’à quel point il devrait soutenir ou encourager le nationalisme juif. Il s’agissait de savoir si l’exigence d’un état juif briserait la solidarité de la classe ouvrière et l’éloignerait de la lutte de classe, et si les travailleurs juifs devaient s’organiser à l’écart des autres travailleurs. Tout en organisant les luttes ouvrières, le Bund réussit aussi à organiser la défense contre les pogroms en s’associant avec des non-Juifs. Mais lorsque ses adhérents chutèrent de 40 000 à 500, il devint de plus en plus nationaliste.

 (12) On dit même que David Ben Gourion (le premier Premier ministre d’Israël) avait un buste de Lénine sur son bureau, mettant en évidence l’influence du bolchévisme sur la classe ouvrière juive européenne.

 (13) Le baron de Rothschild, qui était d’avis que la colonisation juive était une bonne façon de servir les intérêts français, parraina la première immigration sioniste en Palestine à la fin du XIXe siècle. Il avait sa propre administration qui pouvait vaincre l’insubordination par la force. Les colons devaient signer un contrat par lequel ils s’engageaient à n’appartenir à aucune organisation non autorisée et à reconnaître qu’ils n’étaient que des tâcherons sur les terres du baron qui produisaient principalement du vin. Ce projet très coûteux exigeait plusieurs milliers de livres pour installer chaque famille de colon (Nathan Weinstock, Le Sionisme, faux messie (Op. cit.).

 (14) « Des centaines d’Arabes se rassemblent sur la place du marché, près de la résidence des travailleurs, ils attendent ici depuis l’aube. Ce sont des ouvriers saisonniers... il y en a à peu près 1 500 chaque jour, et nous, quelques dizaines de travailleurs juifs, restons souvent sans travail. Nous aussi venons au marché pour trouver une offre d’emploi pour la journée » (Ibid.).

 (15) Voir le pamphlet de Moshe Postone : Anti-sémitisme et national-socialisme.

 (16) « Ce problème fut le principal conflit dans la communauté des colons pendant les trois premières décennies du siècle. » (Op. cit,. p. 71.)

 (17) Ce genre d’action était courant chez les sionistes de gauche, par exemple ceux qui travaillaient dans les compagnies ferroviaires appartenant aux Britanniques dans la Palestine sous mandat (une des plus grosses industries de Palestine à cette époque). Parmi ces Juifs de gauche, on parlait de solidarité de la classe ouvrière et on essayait de créer des syndicats juifs et arabes unitaires. Pourtant, en même temps, ils faisaient partie des piquets de grève et faisaient pression sur les employeurs britanniques pour qu’ils n’utilisent que de la main-d’œuvre juive.

 (18) L’Irgoun Zwaï Leumi fut créée en 1931 par la milice de droite alors que la gauche était de plus en plus sous le contrôle de l’Haganah (la milice principale).

 (19) Nous n’utilisons pas ici le mot « corporatistes » comme les « antimondialisation » dans le sens de « domination de l’entreprise », etc. (voir « Anticapitalism as ideology... and as movement ? » (L’anticapitalisme en tant qu’idéologie... et en tant que mouvement ?), Aufheben n° 10. Nous
faisons allusion à des pratiques social-démocrates telles que les accords tripartites entre l’Etat, les syndicats et les employeurs. Bien sûr, dans le cas du sionisme travailliste, l’Histadrout jouait en grande partie les trois rôles.

 (20) Là où ce n’était pas le cas, l’Etat d’Israël y pourvoyait de diverses manières, y compris en s’arrangeant pour qu’une bombe explose dans une synagogue en Irak et en payant le gouvernement irakien pour chaque émigrant Juif en Israël.

 (21) Voir « Deux guerres locales », Internationale situationniste n° 11, p. 13, avril 1967.

 (22) La plupart des salaires étaient réévalués tous les six mois. Une augmentation du taux d’inflation signifiait une diminution du salaire réel jusqu’à ce que les salaires soient relevés. Ce décalage dans la ré-évaluation des salaires avait donc tendance à transférer un revenu des salaires vers les profits.

 (23) En 1978, l’opposition au Likoud des classes moyennes travaillistes sionistes se concentrait sur la construction des colonies. La « lettre des officiers » s’opposait à cette expansion car elle menaçait le « caractère juif et démocratique de l’Etat ». Cet « écart croissant entre les pratiques démocratiques occidentales et celles d’Israël » constituait la base idéologique du Mouvement pour la paix. Celui-ci oubliait un peu vite que les colonies avaient commencé alors que le Parti travailliste était au pouvoir. Cette disparité, sur laquelle il avait facilement fermé les yeux avant 1967, devenait de plus en plus visible avec l’occupation. Les éléments plus radicaux du Mouvement pour la paix étaient confrontés à quelque chose de presque impensable dans la société israélienne : le refus frontal du service militaire. En raison du caractère essentiel du service militaire obligatoire dans la reproduction de la société israélienne, ce refus créait des divisions très importantes dans le mouvement. Son aile dominante, La Paix maintenant, dénonça une lettre envoyée par des réservistes au ministère de la Défense, dans laquelle ils menaçaient de refuser de défendre les colonies. L’« objection de conscience » gagna en légitimité en 1982, car l’invasion du Liban remettait en cause ce que de nombreux sionistes travaillistes considéraient comme le rôle exclusivement défensif de l’IDF (Israeli Defence Force, Force de défense israélienne). 160 soldats furent condamnés pour avoir refusé de prendre part à l’invasion. Pourtant, la consommation de marijuana dans l’armée et la crise économique menaçaient bien plus l’effort de guerre au Liban que l’« objection de conscience ». Jusqu’à un certain point, on pouvait intégrer cette dernière en autorisant le nombre relativement réduit de refuseniks à plaider la folie et en les retirant des zones de combat. La manifestation de 400 000 personnes contre les massacres de Sabra et Chatila en 1982 est généralement considérée comme l’empreinte la plus importante du mouvement israélien contre la guerre. La guerre au Liban n’avait pas été la victoire rapide qu’on attendait, et beaucoup de parents devaient envisager de voir revenir leurs enfants dans des sacs mortuaires.

 

(24) Le ministre de la Défense israélien, Yitshak Rabin, en 1985.

 (25) « The agonizing transformation of the Palestinian peasants into proletarians » (La douloureuse transformation des paysans palestiniens en prolétaires), p. 1, International Library of the Communist Left, http://www.sinistra. net/lib/upt/compro/liqe/liqemcibue.html

 (26) Op. cit. p. 3 " Fellah " signifie paysan.

 (27) Op. cit., p. 3.

 (28) En 1973, 52 % travaillaient dans la construction et 19 % dans l’agriculture, les secteurs les plus mal payés.

 (29) Voir « The Palestinian proletariat is spiling its blood for a bourgeois state » (Le prolétariat de Palestine verse son sang pour un Etat bourgeois), Revolutionary Perspectives n° 20, hiver 2001 (revue de la CWO, Communist Workers’ Organization).

 (30) Ibid.

 (31) " In memory of the proletarian uprising in Tel-Al-Zatar " (En mémoire du soulèvement prolétarien de Tel-al-Zaatar) : Worldwide Intifada n°1, été 1992.

 (32) Ibid.

 (33) Les Phalangistes étaient des milices chrétiennes, soutenues par Israël.

 (34) « In memory of the proletarian uprising in Tel-Al-Zatar », op. cit..

 (35) A peu près à cette époque, les différentes factions nationalistes s’étaient unies, avec l’aide de médiateurs russes, et le PCP (Parti communiste palestinien) était membre à part entière de l’OLP. Il faut remarquer à ce stade que cette réconciliation a eu lieu sous la pression des Palestiniens des territoires, de plus en plus assiégés par les nouvelles colonies.

 (36) Voir : « Palestinian autonomy ? Or the autonomy of our class struggle ? » (Autonomie palestinienne ? Ou l’autonomie de notre lutte de classe ?), Worldwide Intifada n° 1, 1992.

 (37) Voir : " Intifada : uprising for nation or class ? " (L’Intifada : soulèvement nationaliste ou de classe ?), Op. cit.

 (38) Rapport de l’IDF, cité dans Op. cit.

 (39) Ibid.

 (40) D’après « Call no 2. The united national leadership for escalating the uprising in the occupied territories, January 10, 1988 » (Appel n°2. La direction nationale unitaire pour l’extension du soulèvement dans les territoires occupés, 10 janvier 1988), No voice is louder than the voice of the uprising, Ibal Publishing Ltd, 1989.

 (41) D’après « Call no 32. The call of revolution and continuation, January 8, 1989 » (Appel n° 32. L’appel à la révolution et à sa poursuite, 8 janvier 1989), Op. cit.

 (42) Cité par Andrew Rigby, Living Intifada (Vivre l’Intifada), Zed Books 1991.

 (43) Par exemple en partageant la tribune avec Meretz (parti israélien du centre gauche).

 (44) Voir : « Avenir d’une révolte » (Le Brise-glace, 1988).

 (45) On peut exagérer, et c’est souvent le cas, l’importance ou la taille de ce mouvement, qui a toujours été assez réduit.

 (46) Voir Andrew Rigby, op. cit. L’islamisme est un mouvement politique moderniste, mais qui se réfère à des formes précapitalistes. Ainsi, comme le fascisme, il peut se positionner à la fois contre le communisme et contre le capitalisme (son opposition au capitalisme est en réalité une opposition morale à " l’« usure » : l’intérêt). Comme certaines formes d’antisémitisme et d’anti-américanisme, c’est un faux anticapitalisme.

 

(47) D’après Graham Usher. Palestine in crisis : the struggle for peace and political independence after Oslo (La Palestine en crise : la lutte pour la paix et l’indépendance après Oslo), Pluto Press, 1995.

 

(48) Voir Kav la Oved (Workers’Hotline) http://www.kavlaoved. org.il//index_en.html).

 

(49) Il y a environ 100 000 travailleurs étrangers en Israël. Plus de 66 000 travaillent dans la construction (sur un total de 160 000 ouvriers du bâtiment). Dans la construction, environ 51 000 de ces travailleurs étrangers sont déclarés et 15 000 sont illégaux.

 

(50) Graham Usher, op. cit.

 

(51) Beaucoup d’émeutes, surtout au passage d’Erez, furent déclenchées par les milliers de Palestiniens qui ne pouvaient pas aller travailler dans la zone industrielle, de l’autre côté de ce passage. Au cours d’une de ces émeutes, une station d’essence fut brûlée, des bus flambèrent sur un parking, 65 ouvriers agricoles palestiniens furent blessés et 2 tués. La nouvelle police palestinienne échangea des tirs avec l’armée israélienne et 25 soldats furent blessés. Le même mois, des travailleurs de Gaza se heurtèrent à l’IDF pendant des émeutes pour le pain.

 

(52) Une des raisons d’insister sur la sécurité est de faire de la place pour les cadres du Fatah, en leur donnant un travail.

 

(53) Les enseignants dans les zones sous Autorité palestinienne sont plus prolétarisés qu’en Occident en général, car leur salaire n’est pas suffisant pour vivre, et ils doivent travailler comme ouvriers agricoles, etc. pendant les vacances.

 

(54) Pendant les premiers jours de l’Autorité palestinienne, le taux de chômage à Gaza avait atteint 60 %, et seuls 21 000 des 60 000 Palestiniens travaillant en Israël étaient autorisés à y entrer. Après des émeutes, Israël ferma la Bande de Gaza pour une période indéterminée. Le taux de chômage s’aggrava lorsque Khadafi expulsa tous les Palestiniens de Lybie, dans un geste de solidarité avec l’OLP !

 

(55) Cité dans Graham Usher, op. cit. Ces mesures sont particulièrement utiles puisqu’elles permettent aux entreprises israéliennes de vendre leurs produits, par l’intermédiaire de sous-traitants arabes, aux Etats arabes qui ne veulent pas avouer qu’ils commercent avec Israël.

 

(56) Dès le début de cette Intifada, le gouvernement jordanien a demandé officieusement que le ministre de l’Industrie et du Commerce établisse deux autres zones industrielles en Jordanie.

 

* En Grande-Bretagne, NDT.

 

(57) Cela concerne Kav la Oved (Workers’Hotline), l’un des nombreux groupes issus de la scission de Matzpen. Ils soutiennent les travailleurs vulnérables devant les tribunaux, ils s’occupent surtout des prud’hommes politicards. Ils publient aussi dans la presse des informations telles que les reconduites à la frontière des travailleurs immigrés et les licenciements abusifs de travailleurs palestiniens.

 

(58) Graham Usher : " Palestine : the Intifada this time " (Palestine : l’Intifada actuelle), Race & Class, vol. 42 n° 4.

 

* National Intifada Force, NDT.

 

(59) La participation des Arabes à l’intérieur d’Israël ne s’est pas limitée aux Palestiniens israéliens. Il y eut aussi une vague de démissions de soldats druzes (secte arabe, ils sont censés servir dans l’armée israélienne) de l’IDF. Le village de l’un de ces soldats refusa de l’inhumer après sa mort dans des affrontements avec les Palestiniens.

 

(60) C’est-à-dire dans les zones où sont généralement abandonnés les immigrants juifs d’Ethiopie.

 

(61) Et pendant l’été 2000, un MK arabe fut accueilli par une pluie de pierres quand il vint parler au camp de réfugiés d’Al Baqaa (Jordanie).

 

(62) Et la majorité du mouvement pour la paix a rendu l’âme parce que « sans partenaire pour la paix ».

 

(63) « Yugoslavia unravelled : class decomposition in the "New World Order" » (La Yougoslavie effilochée : la décomposition des classes dans le nouvel ordre mondial), Aufheben n° 2, été 1993 : « Le nationalisme reflète l’identité superficielle des intérêts qui existent entre une bourgeoisie nationale donnée et le prolétariat de son pays tant que les relations sociales capitalistes perdurent. Identité d’intérêts, parce que la valorisation et la réalisation du capital fournissent à la fois aux capitalistes et aux travailleurs une source de revenus grâce auxquels, en tant que sujets indépendants sur le marché légalement séparé des moyens de production, on peut acheter des marchandises pour satisfaire ses besoins (quoique sous une forme aliénée). Superficielle, parce que, alors qu’il ne se présente pas spontanément comme tel, ce processus est celui de l’exploitation de classe et donc de l’antagonisme de classe. Dans la mesure où la bourgeoisie s’organise à un niveau national, et dans la mesure où parler d’économies nationales a encore du sens, le prolétariat se retrouve inclus dans une classe universelle divisée par les séparations nationales. Tant que nous demeurerons dans la défaite, c’est-à-dire tant que la forme de la valeur existera, alors le nationalisme se nourrira de cette division. Le capital est peut-être un, mais c’est un "un" différencié dont l’unité se construit grâce à la concurrence à un niveau international. Comme la concurrence sur le marché mondial est basée sur des produits moins chers, accepter "l’intérêt national" et consentir des sacrifices à la bourgeoisie nationale peut entraîner plus d’exploitation pour la classe ouvrière, la résignation à une vie de mort-vivant ou une véritable vie de chair à canon, mais cela augmente aussi la compétitivité du capital national sur le marché mondial, rendant sa réalisation plus probable, et contribuant ainsi à assurer aux deux classes un revenu futur. »

 

Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie IV -Le « processus de paix » d’Oslo (1993-2000)-

Ce texte (septembre 2001) est paru dans la revue , Aufheben,N°10,2002 en anglais.Ce texte fut aussi traduit en Allemand dans la revue Widcat-zirkular N° 62 , février 2002, et en français en brochure par Echanges et mouvement en octobre 2003.

Derrière l’Intifada du XXIe siècle ( premiére partie sur cinq) "La domination américaine au Proche-Orient"

Derrière l’Intifada du XXIe siècle,partie II Histoire de deux mouvements de libération nationale: le sionisme travailliste et le

Derrière l’Intifada du XXIe siècle,partie III-L’Intifada (1987-1993)

Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie IV -Le « processus de paix » d’Oslo (1993-2000)-

Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie V -L’Intifada du XXIe siècle

 D’abord connus comme les « accords Gaza-Jéricho », les accords d’Oslo étaient une reprise des transactions que l’OLP rejetait depuis des années. On offrit à l’OLP d’administrer Gaza et Jéricho, dans un premier temps. Bien qu’on ait accordé, avec mauvaise grâce, un territoire plus étendu, Israël contrôle toujours les frontières, la politique étrangère, etc. Toutefois, la transaction était si humiliante pour l’OLP que même Israël s’inquiétait d’avoir eu la main trop lourde. Au Caire, le ministre de l’environnement israélien a prévenu qu’une OLP « vaincue » n’était pas plus dans l’intérêt d’Israël qu’une OLP victorieuse. « Quand on tord le bras d’Arafat au nom de la sécurité, il faut faire attention de ne pas le casser. Avec un bras cassé, Arafat ne pourra pas garder le contrôle de Gaza et de Jéricho (50). »

 On a souvent comparé cet accord au système des « bantoustans » qui existaient en Afrique du Sud. La poursuite de la colonisation et la construction de routes réservées aux seuls colons ont renforcé cette similitude. La plupart des groupes nationalistes palestiniens s’opposèrent aux accords d’Oslo dès le départ mais décidèrent de s’en tenir à leur rôle d’« opposition loyale ». Le Hamas poursuivit ses attaques contre les Israéliens mais pas contre l’Autorité palestinienne. Au début du règne de l’Autorité palestinienne, le Hamas déclara : « Nous accueillons les forces de sécurité palestiniennes comme des frères » et jura de « réduire les jours d’appel à la grève séparée pour alléger le fardeau économique de notre peuple. » Des groupes léninistes, principalement le FDLP (Front démocratique pour la libération de la Palestine) et le FPLP (Front populaire de libération de la Palestine) reçoivent moins de soutien que le Hamas et semblent inefficaces. Ils s’opposent à Oslo mais n’ont pas préconisé une lutte active contre l’Autorité palestinienne ou même contre Israël, du moins jusqu’au début de l’Intifada.

 Le rôle policier de l’OLP

 Malgré son rôle d’« opposition loyale », la résistance en Cisjordanie et à Gaza ne disparut pas lorsque l’Autorité palestinienne arriva au pouvoir. L’arrivée d’Arafat à Gaza le 1er juillet 1994 ne fut pas l’accueil triomphal réservé à un héros, comme il l’avait espéré, et l’Autorité palestinienne se démena désespérément pour exciter la joie des masses à son retour d’exil. Les prolétaires de Gaza s’intéressaient plus au prix des nécessités de base. Les prix des légumes avaient grimpé de 250 % en raison des conditions relativement libres d’exportation vers le marché israélien accordées aux produits agricoles palestiniens sous l’égide du Protocole de Paris en 1994.

 Israël contribua à envenimer la situation en fermant immédiatement la Bande de Gaza et en tuant des Palestiniens lors des émeutes qui s’ensuivirent (51). Pour se venger, le Hamas tua des Israéliens et la nouvelle Autorité palestinienne dénonça les attaques contre Israël et jura de coopérer avec Israël pour s’opposer à toute attaque future. Ceci entraîna immédiatement de grands rassemblements pour protester contre la position de l’Autorité palestinienne. Pour Israël, l’Autorité palestinienne dans les zones les plus peuplées voulait dire faire passer le poids politique du maintien de l’ordre public sur les épaules de la bourgeoisie palestinienne, qui ne s’encombrait pas des contrôles mutuels (entre la police et la justice) que les formes démocratiques occidentales de style européen imposaient à Israël. L’Autorité palestinienne dépense la plus grosse partie de son budget pour la sécurité, avec un policier pour trente Palestiniens, la plus grande partie de l’argent destinée aux réformes économiques « s’est perdue » grâce à une Autorité palestinienne notoirement corrompue (52). L’Autorité palestinienne a rétabli la peine de mort, utilisée pour mettre en scène des exécutions publiques de « collaborateurs » pendant la nouvelle Intifada, et a emprisonné de très nombreuses personnes sans procès, généralement ses adversaires politiques.

 Malgré la répression exercée dans les zones contrôlées par l’Autorité, il y eut des manifestations et des grèves générales pour protester contre la manière dont étaient traités les militants du Hamas. Dans les camps de réfugiés de Gaza, dont tout le monde sait qu’Arafat n’avait aucune envie de les visiter, il y eut plusieurs bagarres pendant l’été 2000 avec la sécurité de l’Autorité ; des opposants furent arrêtés et emprisonnés sans procès. 200 enseignants quittèrent leur syndicat, trop proche de l’Autorité palestinienne, organisèrent un nouveau syndicat, fermèrent les écoles et s’engagèrent dans une longue grève reconductible (53). Beaucoup d’entre eux sont en prison. Dernièrement aussi, vingt universitaires et membres des professions libérales qui vivent dans les zones contrôlées par l’Autorité ont publié et distribué un manifeste critiquant l’Autorité palestinienne.

 LE PROCESSUS DE PAIX ET LA RESTRUCTURATION DU CAPITAL ISRAELIEN

 Pour cette partie de la bourgeoisie israélienne qui cherchait un compromis avec les Palestiniens, Oslo représentait une troisième voie, entre l’accumulation intensive des années 1970 et les rêves expansionnistes d’un Grand Israël. Si ce n’était pas par la conquête, ce serait par une plus grande intégration dans l’économie de la région que le capital israélien chercherait de nouveaux centres d’investissement. Il fallait cesser de contrôler les importations, augmenter la concurrence, et privatiser les grands conglomérats détenus par l’Etat, en étendant le rôle des sous-traitants et des agences de placement privés. Pour l’Etat israélien, cela signifiait mettre la classe ouvrière israélienne au pas, tout en se débarrassant du fardeau politique du contrôle social de la classe ouvrière palestinienne au profit du nouveau mini-Etat palestinien.

 Mais la panacée d’Oslo se heurta à l’opposition des prolétaires israéliens et palestiniens. En 1996, trois ans après que Yasser Arafat et Yitzhak Rabin se furent serré la main sur la pelouse de la Maison Blanche, les tentatives du gouvernement du Likoud pour introduire la privatisation entraînèrent une vague de troubles sociaux, tandis que la construction d’un tunnel à Jérusalem déclencha des émeutes, ce qui causa le plus grand nombre de morts palestiniens en vingt ans d’occupation. Cependant, ces luttes n’étaient pas reliées, et les tentatives de rationalisation économique que représentait Oslo continuèrent dans l’indifférence générale.

 La classe ouvrière palestinienne

 Grâce à Oslo, la bourgeoisie israélienne avait gagné du temps pour remplacer la main-d’œuvre palestinienne, bon marché mais peu disciplinée, par une main-d’œuvre moins chère et moins volatile. Des milliers de Palestiniens furent licenciés pendant la guerre du Golfe. Cela fut possible parce qu’on pouvait les remplacer par des travailleurs immigrés, comme on l’a vu précédemment. L’utilisation d’une main-d’œuvre migrante a permis à Israël de mettre en place un blocus des territoires bien plus efficace que lors de la précédente Intifada. Les barrages imposés lorsque l’Autorité palestinienne arriva au pouvoir rendirent difficile voire impossible pour les Palestiniens d’aller travailler en Israël. Cela contribua à créer les conditions d’un chômage massif à Gaza, car les travailleurs devaient réussir à passer à travers les barrages pour se rassembler sur les « marchés aux esclaves » à un carrefour de Jaffa, au lieu que les employeurs aillent chercher les travailleurs dans les « marchés aux esclaves » des territoires (54). Mais, comme Peres l’a dit en novembre 1994, trois mois après les émeutes du check-point d’Erez, « si les Palestiniens ne peuvent plus travailler en Israël, nous devons créer les conditions qui amèneront des emplois aux travailleurs (55) ».

 Ceci se fait de deux manières. Certains Palestiniens travaillent dans les nouvelles zones industrielles, et on en prévoit d’autres juste en deçà des frontières jordanienne et libanaise. (56) Beaucoup d’autres Palestiniens travaillent pour des sous-traitants palestiniens. Les sous-traitants importent des matières premières israéliennes et versent des salaires très bas. Les marchandises produites sont vendues au détail par des entreprises israéliennes, permettent aux patrons israéliens d’accroître leurs profits grâce aux niveaux des salaires palestiniens. Cette nouvelle coopération entre les bourgeoisies arabe et israélienne n’a pas seulement détérioré les conditions de travail du prolétariat palestinien, elle a aussi étendu la prolétarisation de la petite-bourgeoisie palestinienne. Par exemple, les investisseurs israéliens et palestiniens sont en train de monter une grande zone industrielle pour fabriquer des produits laitiers juste à l’intérieur de la frontière, du côté de l’Autorité palestinienne, avec Tnuva, une des plus grandes entreprises agroalimentaires israéliennes. Ceci affaiblira et mettra sans doute en faillite la plupart des éleveurs laitiers palestiniens, qui emploient actuellement 13 % des travailleurs palestiniens dans les territoires.

 La bourgeoisie palestinienne accepte sa subordination au capital israélien, d’abord parce qu’elle en profite, ensuite parce qu’un désengagement complet de l’économie israélienne l’exposerait à la concurrence de capitaux voisins ayant accès à une main-d’œuvre moins chère. Cela entraînerait d’autres affrontements avec la classe ouvrière. Toutefois, les bourgeoisies israélienne et palestinienne (ainsi que la bourgeoisie jordanienne) ont toutes un intérêt commun à maintenir l’énorme réserve de main-d’œuvre bon marché des territoires pour attirer l’investissement israélien, palestinien et international.

 La classe ouvrière juive

 Bien que les Palestiniens soient peu à peu exclus du marché du travail israélien, les travailleurs immigrés ne sont pas la solution idéale. Idéalement, il faudrait que le capital israélien fasse empirer les conditions de travail de la classe ouvrière juive. Mais quand le Likoud essaya d’engager plus de privatisations, en 1996, il y eut une recrudescence des troubles dans la classe ouvrière juive. Oslo représente une tentative supplémentaire pour continuer à fractionner l’économie israélienne en emplois bien rémunérés et en emplois précaires mal payés, et pour renégocier le compromis de classe de l’après-1967. La tentative d’Oslo pour « normaliser » les relations commerciales avec le monde arabe ne peut qu’exposer la classe ouvrière en Israël à la concurrence des travailleurs moins bien payés dans les Etats voisins. C’est très rentable puisque leurs salaires sont encore plus bas que ceux des Palestiniens israéliens. L’accord de paix avec la Jordanie comportait des dispositions prévoyant la libre circulation des capitaux, donc les entreprises israéliennes délocalisèrent immédiatement en Jordanie pour utiliser la main-d’œuvre moins chère. Ce qui augmenta le chômage des ouvriers juifs dans des zones comme Dimona, et des travailleuses arabes du textile dans le Nord, dont le taux de chômage, de 8 %, est en augmentation.

 En même temps qu’il favorise les licenciements dans le secteur privé, l’accord d’Oslo entraîne une insécurité économique croissante pour les travailleurs du secteur public. Un bon nombre de travailleurs juifs du secteur public ont maintenant des contrats à durée déterminée, particulièrement les femmes, les jeunes et les nouveaux immigrants, et la sous-traitance existe aussi dans le secteur public où elle dégrade les conditions de travail. Les Juifs au chômage doivent prendre n’importe quel travail, une expérience que nous connaissons bien ici*. L’Histadrout couvre de moins en moins de travailleurs, s’appelle maintenant la « Nouvelle Histadrout », et effectue des sondages pour savoir pourquoi les gens ne lui font pas confiance. Récemment, un syndicat des chemins de fer indépendant a organisé une grande grève pour exiger que l’Histadrout le reconnaisse. Les travailleurs intérimaires aussi ont tenté d’organiser un syndicat (57).

 Pour tenter de faire taire la classe ouvrière juive, on a accompagné ces mesures d’une accélération du rythme de construction des colonies dans les territoires occupés. Bien que chaque nouvel accord conclu par l’entremise de l’Amérique comporte une promesse israélienne d’arrêter la construction des colonies, la bourgeoisie israélienne n’a pas d’autre choix que d’ignorer ces promesses pour tenir compte des besoins des travailleurs juifs. Pour le moment, Israël essaie de contourner le problème en « judaïsant » des zones arabes à l’intérieur de la Ligne verte, politique directement responsable de l’engagement des Arabes israéliens dans l’Intifada actuelle.

 Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie V -L’Intifada du XXIe siècle

Derrière l’Intifada du XXIe siècle,partie III-L’Intifada (1987-1993)

 

 

Ce texte (septembre 2001) est paru dans la revue , Aufheben,N°10,2002 en anglais.Ce texte fut aussi traduit en Allemand dans la revue Widcat-zirkular N° 62 , février 2002, et en français en brochure par Echanges et mouvement en octobre 2003.

 

Derrière l’Intifada du XXIe siècle ( premiére partie sur cinq) "La domination américaine au Proche-Orient"

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Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie IV -Le « processus de paix » d’Oslo (1993-2000)-

Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie V -L’Intifada du XXIe siècle

 

Les habitants du camp de réfugiés Jabalya à Gaza furent à l’origine de l’Intifada, et non l’OLP, basée en Tunisie et complètement surprise. De la part des résidents de Jabalya, ce fut une réaction de masse spontanée au meurtre de travailleurs palestiniens par un véhicule israélien, réaction qui se propagea rapidement au reste de la bande de Gaza et à la Cisjordanie. A long terme, l’Intifada a permis de parvenir à la réhabilitation diplomatique de l’OLP (35). Après tout, l’OLP pourrait bien être un moindre mal comparée à l’activité autonome du prolétariat. Cependant, la force de négociation de l’OLP dépendait de sa capacité, en tant que « seul représentant légitime du peuple palestinien », à contrôler sa circonscription, ce qui ne pouvait jamais être garanti, surtout alors que sa stratégie de lutte armée s’était révélée infructueuse. Il était donc difficile pour l’OLP de récupérer un soulèvement à l’initiative des prolétaires, peu intéressés par le nationalisme, et qui haïssaient la « lumpen-bourgeoisie » palestinienne presque autant que l’Etat israélien.

 UNE LUTTE DE « LIBERATION NATIONALE » ?

 Le bulletin n°1 Worldwide Intifada de 1992 tente de contrer l’optique gauchiste conventionnelle à propos de l’Intifada en soulignant les contradictions entre les différentes classes de Palestiniens (36). Alors que l’optique de ce n°1 de Worldwide Intifada est de toute évidence supérieure au soutien de la « libération nationale », sa démonstration fait preuve de certaines faiblesses. Bien que ce bulletin identifie correctement « les germes de la défaite » que renferme le nationalisme de l’Intifada de 1987, il parle du nationalisme comme d’une abstraction, comme s’il s’agissait d’une sorte de farce psychologique jouée à la classe ouvrière palestinienne et à la bourgeoisie palestinienne (37). Il est vrai que le nationalisme est une idéologie. Mais cette idéologie est plus qu’une simple tromperie : elle a du pouvoir parce qu’elle a une base matérielle dans la vie quotidienne. Il est toutefois clair que de nombreux aspects de cette Intifada allaient bien au-delà du nationalisme.

 Alors que de nombreux commentateurs considèrent pour acquis que, dès le point de départ, l’Intifada était une campagne en faveur de la création d’un Etat palestinien, les premiers jours du soulèvement suggèrent autre chose. Quand l’IDF (Israeli Defence Force = Force de défense israélienne) interrogea les cent premiers émeutiers qu’elle avait arrêtés, elle découvrit que ces prolétaires étaient « incapables de répéter les slogans les plus courants utilisés par la propagande habituelle de l’OLP, et que même le concept central de la lutte palestinienne - le droit à l’autodétermination - leur était totalement étranger (38) ». Quel scandale !

 L’Intifada en tant que lutte de classe et les luttes de classe dans l’Intifada

 La subordination de la bourgeoisie palestinienne prit la forme de l’abolition de l’accumulation de capital palestinien par l’Etat israélien, afin que la bourgeoisie palestinienne soit incapable de développer correctement ses forces productives. Si certains Palestiniens étaient employés dans des ateliers palestiniens, dans des fermes ou des petites usines, ces établissements étaient confinés dans des secteurs qui ne concurrençaient pas le capital israélien. Donc une proportion excessive de l’argent de la bourgeoisie palestinienne était dépensé comme un revenu en consommation personnelle, plutôt que comme capital de consommation productive.

 La réalité du chômage de masse et de la pauvreté des prolétaires côtoyant la richesse ostentatoire de la « lumpen-bourgeoisie » attisa les antagonismes de classe, qui passèrent au premier plan pendant les premiers jours du soulèvement de 1987. A Gaza, pendant les premiers jours du soulèvement, on vit des milliers de prolétaires piller les récoltes des propriétaires terriens voisins. De nombreux propriétaires durent annoncer des réductions massives des loyers. Les plus riches des gens du coin firent appel à l’IDF pour protéger leurs biens. Le cri de guerre des émeutiers était « d’abord l’armée, ensuite Rimal ! (39) »

 Rimal était un riche faubourg palestinien de la ville de Gaza. Quand les autorités israéliennes émirent de nouvelles cartes d’identité afin de désamorcer le soulèvement, c’est l’endroit qu’elles choisirent comme bonne poire pour faire passer leur projet. Heureusement pour l’OLP, elle était suffisamment unie pour prendre pied dans le soulèvement, grâce à l’émergence de l’UNLU (United National Leadership of the Uprising = Direction nationale unitaire du soulèvement). Elle était basée dans les territoires et était donc plus crédible pour récupérer les militants locaux que « l’OLP 5-étoiles » basée en Tunisie. Elle fut donc la mieux placée pour essayer de transformer une attaque contre toutes les formes d’autorité bourgeoise en tentative « nationale » concertée de créer un embryon d’Etat palestinien. Cependant, à cause de l’intransigeance de l’Etat israélien, cela présupposait de rendre les territoires ingouvernables, situation qui pouvait facilement dégénérer. Un mois après le jour du soulèvement, l’UNLU publia son premier communiqué, s’adressant d’abord à « la classe ouvrière palestinienne courageuse », ensuite aux « commerçants militants courageux », et saluant en l’OLP « le seul représentant légitime du peuple palestinien (40) ». Un an plus tard, le prolétariat et la petite-bourgeoisie furent mis dans le même sac et baptisés « les masses héroïques de notre peuple », mais dans tous les communiqués, l’OLP reste « le seul représentant légitime (41) ».

 Malgré la soi-disant unité interclasses proclamée par l’UNLU, il fallait souvent intimider la petite-bourgeoisie pour que les magasins ferment les jours de grève. Parfois, il suffisait d’un enfant tenant une allumette enflammée devant un magasin pour rappeler que les magasins pourraient faire l’objet de représailles. Elle subissait aussi la pression des militants prolétaires qui se trouvaient en première ligne et lui déclaraient : « Nous sommes prêts à donner nos vies pour la lutte, est-ce trop vous demander de renoncer à une part de vos profits ? (42) » Il serait pourtant faux de penser qu’il a fallu entraîner la petite-bourgeoisie par la force dans l’Intifada, bien que cela se soit parfois produit. Des propriétaires de magasins et d’ateliers se virent confisquer leurs biens pour avoir refusé de payer l’impôt au gouvernement militaire, et des commerçants de Beit Sahour lancèrent une " grève commerciale " de trois mois pour protester contre ces mesures. Pour pouvoir se développer en tant que véritable bourgeoisie, ils avaient besoin de leur propre Etat et d’une quantité de terres adéquate. En pratique, au lieu de favoriser leur évolution vers une bourgeoisie à part entière, les confiscations de biens pour refus de payer l’impôt accélérèrent leur prolétarisation. Les « grèves commerciales » ne servirent qu’à conduire les marchands palestiniens à la faillite.

 Bien que, jusqu’à un certain point, toutes les classes aient eu la possibilité de jouer un rôle dans la perturbation de l’économie israélienne, en refusant de payer l’impôt sur le revenu au gouvernement militaire ou en boycottant ses produits, la perturbation la plus tangible de l’économie israélienne fut le fait de la classe ouvrière. Pendant la grève générale sauvage de décembre 1987, 120 000 travailleurs ne se rendirent pas au travail en Israël. Ceci coïncidait avec la récolte des agrumes, qui emploie des Palestiniens pour un tiers de sa main-d’œuvre. Cela coûta 500 000 dollars au service de commercialisation agricole israélien pendant les deux premiers mois du soulèvement, car les commandes destinées au marché britannique furent perdues. De nombreux Palestiniens travaillaient aussi comme journaliers dans un autre secteur clé, l’industrie de la construction des deux côtés de la Ligne verte. Ils purent accomplir ce dont l’OLP et le mouvement pour la paix ne pouvaient que rêver : arrêter d’un seul coup la construction des colonies.

 La « révolte des pierres »

 Voici un récit de discussion pendant l’Intifada. Quand certaines personnes essayèrent d’affirmer leur autorité en prétendant être des leaders de l’Intifada, un garçon de quatorze ans montra la pierre qu’il tenait et dit : « C’est ça, le leader de l’Intifada. » Tant pis pour l’UNLU ! De soi-disant leaders se faisaient attaquer par les Palestiniens dans les manifestations lorsqu’ils devenaient trop modérés (43). Les tentatives actuelles de l’Autorité palestinienne pour militariser l’Intifada d’aujourd’hui sont une tactique pour éviter que cette « anarchie » ne se reproduise. L’utilisation répandue des pierres comme armes contre l’armée israélienne signifiait qu’on avait compris que les Etats arabes étaient incapables de vaincre Israël au moyen d’une guerre conventionnelle, sans parler de la « lutte armée » de l’OLP. Le désordre civil « désarmé » rejetait obligatoirement « la logique de guerre de l’Etat (44) » (bien qu’on puisse aussi le considérer comme une réaction à une situation désespérée, dans laquelle mourir en « martyr » pouvait sembler préférable à vivre dans l’enfer de la situation présente). Jusqu’à un certain point, le fait de lancer des pierres déjouait la puissance armée de l’Etat d’Israël. Afin de conserver le soutien politique et financier des Etats-Unis, Israël devait respecter les apparences en tant que démocratie en difficulté assiégée par des hordes barbares, et il était dangereux de tuer trop de civils désarmés, au moment où la position pro-américaine de l’Egypte risquait d’affaiblir le rôle d’atout stratégique d’Israël.

 Ce qui ne veut pas dire qu’il l’a fait : dès la mi-juin 1988, l’IDF avait déjà tué 300 Palestiniens. Cependant, les cas de conscience personnels que provoquait l’expérience d’affronter, munis d’armes létales, des civils désarmés, s’ajoutaient aux pressions qui s’exerçaient sur le moral des soldats israéliens. Ils étaient censés appartenir à cette puisante armée qui avait vaincu l’Egypte et la Syrie, et voilà qu’on leur ordonnait de tirer à balles réelles sur des gosses armés de pierres ! Ceci contribua à un renouveau dans le mouvement de l’« objection de conscience » (45). Les pierres étaient un facteur égalitariste important, car c’était des armes auxquelles tout le monde pouvait avoir accès. Au sens propre du terme, le prolétariat palestinien était en train de prendre la lutte en main, après des années d’appels déçus pour obtenir l’aide de la bourgeoisie arabe. Une nouvelle génération de jeunes prolétaires, qui avaient grandi sous l’occupation, était en première ligne dans la lutte. Mais, comme un soulèvement prolétaire spontané se transformait en mouvement national sous les auspices de l’UNLU, l’Intifada finit par devenir l’expression d’une alliance précaire entre le prolétariat et la petite-bourgeoisie.

La réaction de la bourgeoisie israélienne

 Dans les années 1970-1980, le gouvernement israélien refusait absolument d’avoir affaire à l’OLP. Ce consensus politique englobait la « gauche » du mouvement La paix maintenant. Pourtant, les « ligues villageoises » de toute évidence fantoches étaient tout à fait incapables d’incarner une direction palestinienne différente de l’OLP avec laquelle ils auraient pu négocier. L’Intifada a poussé le mouvement La Paix maintenant dans une direction plus radicale, parce que des groupes pacifistes plus petits établissaient déjà des contacts avec les Palestiniens, généralement sous forme de soutien « humanitaire ». La stratégie à long terme du camp de la paix avait besoin d’un « partenaire pour la paix », et l’échec des « ligues villageoises » faisait de l’OLP le seul interlocuteur possible.

 De plus, la bourgeoisie israélienne commençait à manquer d’options, car celle de transférer les Palestiniens en masse en Jordanie, idée avec laquelle ils jouaient depuis le milieu des années 1980, était irréalisable. La Jordanie avait déjà son propre problème palestinien et, à la fin des années 1980, la dernière chose que voulait le roi Hussein était d’avoir plus de Palestiniens à gérer. Les bureaucrates palestiniens dans les territoires occupés, nommés par la Jordanie ou par Israël, avaient dû démissionner ou affronter la justice révolutionnaire. Au cas où cela exprimerait à quel point ses futurs sujets préféraient le régime jordanien à Israël, le roi Hussein s’empressa d’abandonner son droit sur la Cisjordanie.

 Malgré tous ces éléments, l’aile Likoud du gouvernement d’union était intransigeante, mais les Etats-Unis subissaient de plus en plus de pressions internationales pour qu’ils mettent fin à leur boycott diplomatique de l’OLP. Alors que les instincts du Likoud le portaient à la répression ouverte, il y avait des limites à ce qu’on pouvait accomplir par la force brute et par la terreur, étant donné la pression croissante des Etats-Unis et le peu de goût des conscrits israéliens pour une orgie de meurtre. En outre, c’était la « Main de fer » qui avait d’abord contribué à créer les conditions de la révolte.

 Quand les Etats-Unis acceptèrent de reconnaître l’OLP à condition que le conflit régresse, ce qui nécessitait que l’OLP reconnaisse Israël, le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir dut faire des concessions. Son offre d’« élections libres et démocratiques » aux délégués palestiniens qui « négocieraient pour un intérim assuré par une administration auto-gouvernée » posait aussi la condition de l’apaisement des troubles. Bien que l’OLP ait formellement reconnu " le droit à l’existence " d’Israël dès décembre 1988, le processus de reconnaissance de l’OLP par Israël était loin d’être achevé. Le processus pour amener Israël et l’OLP à la table des négociations se retrouva rapidement dans une impasse, ne dépassant jamais les pourparlers au sujet des pourparlers, et la tactique israélienne de manœuvres politiques dilatoires (tout en continuant à assassiner des Palestiniens) semblait payante.

 L’économie israélienne, soutenue par l’aide américaine, put absorber le premier choc de la perturbation économique ; mais plus cela durait, plus l’Intifada s’épuisait. Avec le temps, ce qui subsistait de l’économie palestinienne fut détruit. Pendant ce temps, le capital israélien pouvait rechercher d’autres sources de main-d’œuvre bon marché, pour contourner les Palestiniens et les exclure du marché de l’emploi israélien.

 Les Islamistes

 On vit aussi le début d’un âpre conflit pour le contrôle d’un territoire et pour savoir qui allait être le chien de garde en chef dans les rues palestiniennes. Les bandes nationalistes répétaient déjà leur futur rôle de gardiens de la loi, de l’ordre bourgeois et de la propriété privée. Avec l’épuisement du soulèvement, le prolétariat des territoires occupés était décimé par des combats entre factions et des « meurtres de collaborateurs », et au printemps 1990, plus de Palestiniens étaient tués par d’autres Palestiniens que par les forces israéliennes. Beaucoup de ces « collaborateurs » étaient des pilleurs ou des militants de la lutte de classe. D’autres participants appartenaient à des groupes relativement nouveaux, le Hamas et le Jihad Islamique. Pour essayer de mettre en place un contrepoids à l’OLP authentiquement palestinien, Israël avait encouragé la croissance de la confrérie musulmane au début des années 1980. La confrérie ayant fait preuve de ses sentiments anti-classe ouvrière en brûlant une bibliothèque qu’elle jugeait être un " foyer communiste ", Israël commença à leur fournir des armes (46). Parce qu’ils croyaient qu’on ne pourrait renverser la domination israélienne que lorsque tous les Palestiniens seraient de vrais croyants musulmans, il semblait que leur croissance pourrait étouffer la résistance à l’occupation. Toutefois, c’est pendant l’Intifada que les Islamistes se politisèrent, en tant que Hamas et Jihad Islamique.

 Pour essayer d’être visibles, et pour contester l’OLP, les Islamistes organisèrent des jours de grève qui ne suivaient pas le calendrier de l’UNLU. Ces « grèves contre le processus de paix » les confirmaient dans leur rôle d’« opposition de masse authentique et indigène (47) » à l’OLP. Pourtant, si le Hamas voulait affaiblir l’OLP, il ne voulait pas la remplacer. Sa concurrence « je suis plus militant que toi » avec le Fatah (l’aile militaire de l’OLP) était plutôt destinée à lui assurer un rôle décisionnel dans la nature du futur Etat palestinien. Il rejetait non seulement le « processus de paix » et ses compromis avec Israël, mais aussi l’idée même d’un Etat laïc bourgeois. En dépit de sa position « de rejet », le Hamas finit par rechercher un compromis avec l’OLP, parce qu’il voulait agir sur la forme de l’Etat palestinien.

 Les phases initiales de l’Intifada comportaient une part de révolte contre l’institution de la famille patriarcale. Les femmes palestiniennes avaient refusé leur invisibilité sociale et avaient affronté l’armée. A Ramallah, un groupe de filles lapidèrent leurs parents qui voulaient les empêcher de participer à l’émeute ! Pour le Hamas, un Etat palestinien devait être musulman, ce qui supposait d’imposer la charia pour restaurer ces mêmes formes de « contrôle social basse intensité » que l’Intifada avait remises en question.

 La guerre du Golfe

 Le « processus de paix » traîna encore en longueur à cause de la crise du Golfe, qui mit en doute les loyautés opposées d’Arafat. Alors qu’une grande partie de la bourgeoisie arabe était du côté des Etats-Unis, Arafat ne pouvait pas se le permettre à cause de la position propalestinienne de l’Irak et du soutien palestinien massif dans son conflit avec les Etats-Unis. Finalement, la guerre du Golfe ébranla les illusions relatives à un « nationalisme progressiste » soutenu par l’URSS, qui n’existait plus. En même temps, les attaques de Scud sur Israël renforcèrent en Occident son image publique de bastion de la démocratie entouré d’« Etats voyous » agressifs.

 En dépit de la nouvelle réalité mondiale résultant de l’écroulement de l’URSS, Israël reste un atout stratégique vital pour le capital américain. Les quelques Etats arabes qui s’étaient tournés vers Moscou avaient dû entre-temps entreprendre un réalignement hésitant sur l’Occident pour trouver un nouveau sponsor. Presque simultanément, une occasion de faire preuve de leur compréhension du « nouvel ordre mondial » s’offrit aux bourgeoisies arabes récalcitrantes, avec la possibilité de prendre le parti de la coalition contre l’Irak. Presque toutes les capitales arabes de quelque poids politique firent ce choix. De plus en plus, la guerre du Golfe apparaît comme une occasion pour l’Amérique, tout à coup libérée des contraintes de la guerre froide, de démontrer de la façon la plus brutale et la plus arbitraire l’étendue de sa domination sur les puits pétroliers du Moyen-Orient. Et, à la minute où l’« Etat voyou client » se trouva réellement menacé par un soulèvement kurde au nord et par une révolte chiite au sud, les Etats-Unis relâchèrent leur pression, préférant un régime arabe qu’ils pouvaient diaboliser et punir périodiquement à l’éventualité de devoir eux-mêmes écraser une révolution sociale, ce qui aurait pu intensifier les sentiments anti-américains au Moyen-Orient.

 La guerre du Golfe participa à la recomposition générale de la classe ouvrière de la région. L’expulsion massive des travailleurs palestiniens du Koweït contribua à l’appauvrissement général du prolétariat palestinien, dont une partie avait bénéficié d’un niveau de vie supérieur même à celui de leurs voisins juifs, grâce aux salaires virés par des membres de leurs familles établis au Koweït. Le couvre-feu intégral imposé par Israël pendant la guerre accrut les difficultés économiques dans les territoires. Il offrit aux patrons israéliens l’occasion de licencier de nombreux travailleurs palestiniens parce qu’ils avaient respecté le couvre-feu, ou parce qu’ils ne l’avaient pas fait ou devraient le faire dans l’avenir. Ceci, à son tour, exacerba les antagonismes de classe dans les territoires, entraînant le vol et l’illégalité généralisée. Pendant le couvre-feu, les magasins surpris à gonfler leurs prix étaient attaqués et contraints de les baisser.

 la route d’Oslo

 Puisque les Etats-Unis jouissaient d’une position hégémonique absolue sur le Moyen-Orient suite à la guerre du Golfe, et puisque la menace du militantisme islamiste était pour le moment endiguée par les bourgeoisies indigènes, notamment en Egypte et en Syrie, le seul problème des Etats-Unis était les Palestiniens. Le soutien populaire à la première Intifada menaçait sans aucun doute les intérêts américains, et le « processus de paix » d’Oslo, à un niveau rhétorique, n’était rien moins qu’un coup d’arrêt aux années de conflit et à une gestion de la crise que les administrations américaines successives avaient été obligées d’entreprendre.

 Puisque les alliés arabes de l’Amérique avaient passé avec succès le test de loyauté crucial de la guerre du Golfe, le « nouvel ordre mondial » ouvrait la perspective de la mise au rancart d’Israël en tant que principal atout stratégique des Etats-Unis dans la région, alors qu’une bonne partie de la bourgeoisie arabe était consentante, et que l’incapacité d’Israël à résoudre le problème palestinien menaçait cette nouvelle ère de paix bourgeoise qu’on annonçait partout.

 Pour l’Etat israélien, faire des concessions aux Palestiniens impliquait l’éventualité de devoir affronter sa propre classe ouvrière. Mais, comme l’économie du pays n’était pas encore remise de la crise et de l’Intifada, les Israéliens avaient encore besoin de l’aide américaine, qui pouvait servir de moyen de pression pour que l’Etat israélien signe un accord avec les Palestiniens. En 1989, les Etats-Unis se montraient de plus en plus agacés par la stagnation dans le dénouement de l’Intifada. Israël était censé être l’un de leurs gendarmes régionaux. Mais Israël avait un soulèvement intérieur sur les bras qui menaçait de déstabiliser la région, à cause de la diaspora palestinienne. Le Premier ministre Yitzhak Shamir n’était pas en mesure de résoudre le problème, surtout parce qu’à ce moment-là l’union gouvernementale s’était écroulée et qu’il subissait les pressions de ses partenaires de la coalition d’extrême droite.

 Avec l’élection d’un gouvernement travailliste qui s’engageait à accélérer le « processus de paix », le Hamas voulut consolider sa base en tant que principale alternative « de rejet » à l’OLP. Le meurtre de six soldats israéliens en décembre 1992 par les guérilleros du Hamas était la preuve que l’entretien de l’Islam politique par Israël comme contrepoids à l’OLP avait été payant, mais pas comme il l’avait espéré. Si la montée du Hamas avait des effets secondaires mortels, elle fournit aussi un prétexte à l’IDF pour exercer de dures répressions au printemps 1993. Ce fut Gaza qui essuya le plus fort de l’attaque, car elle était considérée comme une « base du Hamas ». A l’occasion de cette vague de répression générale, Israël imposa aussi la fermeture des territoires « pour une période indéterminée », au prétexte d’« antiterrorisme ». Cela signifiait l’impossibilité d’aller travailler en Israël pour 189 000 Palestiniens.

 La politique de fermeture avait été utilisée sporadiquement pendant les années 1990, comme « punition collective » après des attentats suicides ou d’autres attaques. Après la fermeture des territoires occupés en mars 1993, qui créa des pénuries de main-d’œuvre dans la construction et l’agriculture, le gouvernement donna le feu vert à l’emploi de travailleurs immigrés. C’est ainsi que l’Intifada obligea la bourgeoisie israélienne à mettre fin au monopole des Palestiniens au bas de l’échelle du marché du travail, et à trouver une source de main-d’œuvre bon marché moins volatile. A cause de leur position retranchée, il serait problématique de forcer les travailleurs juifs à occuper cette place. Au début de l’Intifada, des chantiers de construction à Jérusalem avaient tenté sans succès de recruter de la main-d’œuvre juive pour le double du salaire normal palestinien. De toute évidence, les travailleurs juifs ont tendance à être plus loyaux envers l’Etat, et auraient tendance à épouser les impératifs de sécurité. Mais, pour les pousser au bas de l’échelle du marché du travail, il faudrait renégocier le compromis de classe de l’après-1967, et il y avait déjà une pénurie de main-d’œuvre juive. Dans les années 1980, les Juifs quittaient Israël en plus grand nombre qu’ils n’y entraient. L’écroulement de l’URSS semblait fournir la solution, sous la forme d’une nouvelle vague d’immigrés potentiels. Cela n’allait pas sans problèmes, car les nouveaux immigrés avaient désiré aller en Amérique et pour se dédommager d’être coincés en Israël, ils exigeaient leur part du gâteau sioniste. Le bas de l’échelle du marché du travail était bien loin des carrières professionnelles que beaucoup d’entre eux avaient eues en URSS.

 De plus, Israël avait besoin de l’aide américaine pour absorber les nouveaux immigrants, et parce que les atermoiements d’Israël sur les colonies agaçaient la bourgeoisie américaine, Bush père avait menacé de ne pas renouveler les prêts en 1991, et déclara clairement qu’Israël ne pourrait pas absorber les nouveaux immigrants sans progresser sérieusement dans la résolution de l’Intifada. Les immigrants russes sont devenus une pomme de discorde dans la société israélienne, car on pense généralement qu’ils ont trouvé leur place aux dépens des autres travailleurs juifs. On relie les augmentation de loyers dans les " zones désirables ", qui mettent à la rue les Juifs les plus pauvres et accroissent la demande d’extension des colonies, à la nécessité d’intégrer l’afflux d’immigrants russes. Ce ressentiment, auquel s’ajoute une inquiétude générale au sujet de la détérioration du caractère exclusivement juif de l’Etat, a nourri des rumeurs concernant le manque d’authenticité de l’« identité juive » des nouveaux immigrants.

 Ces inquiétudes sont encore alimentées par l’emploi de plus en plus généralisé de travailleurs immigrés non juifs d’Europe de l’Est et du Pacifique. Originaires surtout de Roumanie et des Philippines, quoique certains d’entre eux viennent de Jordanie et d’Egypte, ces travailleurs immigrés sont généralement employés par l’intermédiaire d’agences comme Manpower. Ils subissent de très mauvaises conditions de travail et de logement et il y a de nombreux cas de maltraitance physique par les employeurs (48). L’agence conserve systématiquement les passeports des travailleurs, ce qui les lie à leur travail s’ils veulent rester dans le pays. Beaucoup d’employeurs retiennent leurs salaires, et font reconduire leurs employés à la frontière s’ils essaient de les exiger. Récemment, on a obligé des travailleurs à payer une caution aux agences, qu’ils ne récupèrent que s’ils terminent leurs contrats. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que de nombreux travailleurs migrants décident qu’il vaut mieux travailler illégalement (49).

 La plupart des ouvriers migrants de sexe masculin travaillent dans la construction et dans l’agriculture, mais surtout dans la construction. L’industrie de la construction a constamment besoin de plus de travailleurs immigrés et le gouvernement limite sans cesse le nombre de visas accordés, créant ainsi un marché pour les travailleurs immigrés illégaux. Les travailleurs immigrés travaillent pour moins cher que les Palestiniens d’Israël et des territoires, et, dans un cas, ce fut la cause d’un pogrom dans une ville palestinienne de Galilée contre des travailleurs squatters jordaniens et égyptiens.

 Le chômage palestinien massif, la remise en cause de l’Autorité par le Hamas et l’isolement d’Arafat en raison de son soutien à l’Irak pendant la guerre du Golfe, tous ces éléments contribuèrent à l’affaiblissement de la force de négociation de l’OLP. Alors que la montée du Hamas représentait la politique de rejet de la petite-bourgeoisie locale, les capitalistes marchands et financiers de la diaspora étaient alors plus enclins à accepter l’offre d’un mini-Etat palestinien appauvri. Après tout, ils n’avaient pas besoin de terres pour faire des profits et, contrairement à la petite-bourgeoisie locale, ils n’affrontaient pas les réalités quotidiennes de la domination israélienne. D’autre part, ils auraient pu mettre en danger la sécurité relative de leur position en s’engageant trop avant contre le « nouvel ordre mondial ».

 Derrière l’Intifada du XXIe siècle, partie IV -Le « processus de paix » d’Oslo (1993-2000)-

 

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