vendredi 26 juillet 2024

Une guerre classique: l’opération «Plomb durci» contre Gaza (Henri Simon)

 

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 Il importe de replacer le raid militaire israélien de février dans le cadre d’un conflit Etat contre Etat, même si l’Etat palestinien est en devenir. Ce raid visait donc à empêcher la construction d’une entité économique viable. La destruction des infrastructures était plus importante que les prétextes invoqués – roquettes ou tunnels.

 « La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. L’action est réciproque. Tant que je n’ai pas abattu l’adversaire je peux craindre qu’il m’abatte… La guerre est une simple continuation de la politique par d’autres moyens (1). » Dans l’attaque d’Israël contre la bande de Gaza, il importe avant tout de considérer qu’Israël est un Etat et que cet Etat tente de s’opposer par tous moyens à la constitution d’un Etat contigu, l’Etat palestinien en formation. C’est la politique constante de l’Etat d’Israël depuis l’annexion de la Cisjordanie en 1967 et celle, à éclipse, de la bande de Gaza : la guerre récente de vingt-deux jours n’a visé, par d’autres moyens qu’à poursuivre cette politique. La seule question qu’on peut se poser, au-delà de toutes les manœuvres politiques du passé combinant la force limitée, les faits imposés acquis et l’impasse des pourparlers internationaux, est : pourquoi aujourd’hui l’usage d’une telle guerre destructrice de vies humaines et de matériel ?

 Peu importent les considérations historiques qui ont conduit à une telle situation (2), mais il convient de la replacer dans le contexte de la lutte d’un Etat existant et régionalement puissant – Israël – contre une entité – d’abord le Conseil national palestinien, puis aujourd’hui l’Autorité palestinienne – Etat qui voudrait exister en tant qu’Etat. Cette lutte étant engagée depuis des décennies, quelles que soient les innombrables souffrances qu’elle a engendrées du côté palestinien, ce ne sont nullement des considérations humanitaires, religieuses, éthiques ni même militaires qui la dictent. Même les interventions géostratégiques des puissances mondiales dans le Moyen-Orient, qui misent suivant leurs propres intérêts sur les politiques locales, ne peuvent effacer le fait qu’il s’agit d’un conflit Etat contre Etat.

Une classe dominante et un gouvernement

Nous n’allons pas nous étendre ici sur ce qu’est l’Etat : disons seulement qu’il ne peut exister et fonctionner que par une activité économique d’où il tire ses moyens d’existence. Dans le monde actuel, cette activité économique est obligatoirement une activité capitaliste, d’autant plus que ces Etats minuscules n’existent que par le soutien de protecteurs capitalistes eux-mêmes intéressés, non seulement par leur position stratégique mais aussi par leur activité économique existante et/ou potentielle. Pour l’Etat palestinien en devenir, la construction d’une entité économique est essentielle pour devenir un Etat viable face à un autre Etat surpuissant. Dans la situation présente, cette activité économique ne peut être que capitaliste et elle implique la domination d’une classe (existante ou en devenir) sur une autre et d’un gouvernement assurant cette domination sous ses formes légales et répressives.

 Pour le futur Etat palestinien, et notamment la bande de Gaza, cette évolution n’est pas simple. Nous n’examinerons pas ici les raisons qui ont conduit Israël à évacuer la bande de Gaza. Mais il est un fait que cette évacuation, la corruption et les atermoiements du Fatah autant que la séparation d’avec la Cisjordanie ont créé les conditions d’une polarisation sur ce microcosme de l’extrémisme musulman (3). Concomitamment, cet « ordre moral » faisant régner une certaine sécurité à la fois alimentaire et sociale, éliminait aussi par la violence les velléités d’une « démocratie » corrompue et paralysante. L’ensemble créait les conditions propres à un certain développement économique.

 Ce n’est pas une vue de l’esprit de penser que l’Union européenne et les pays arabes pétroliers étaient prêts à investir dans ce développement (une conférence de chefs d’entreprise s’était tenue en Cisjordanie en 2008 à cet effet). La bande de Gaza, à la sortie du canal de Suez, aux portes de l’Europe, avec une main-d’œuvre importante disponible à des coûts sans concurrence, pourrait effectivement constituer une plate-forme économique séduisante pour un capitalisme à la recherche de coûts réduits de distribution et de production. La semi-dictature du Hamas offrait toute sécurité. La pérennité des conditions d’exploitation de ce prolétariat disponible et le développement des infrastructures de base, fondements nécessaires d’un développement capitaliste, se mettaient en place sous cette autorité musclée.

L’ampleur des destructions matérielles, sans commune mesure avec les pertes en vies humaines, toutes dramatiques et condamnables qu’elles aient été, sont là pour montrer que l’offensive d’Israël visait d’abord à détruire toutes ces infrastructures, bases d’un développement économique ultérieur. A terme un tel développement était susceptible de modifier les rapports économiques et politiques conséquents dans cette partie du Moyen Orient (l’opération antérieure d’Israël contre le Liban avait eu le même objectif, en partie atteint). L’envoi des roquettes palestiniennes, le contournement du blocus par les tunnels frontaliers, n’étaient que des prétextes à cette opération, beaucoup plus importante, de destructions matérielles. De même, l’expérimentation d’armes nouvelles est tellement classique dans de tels conflits locaux qu’on ne peut la considérer, au-delà de son caractère révoltant, comme ayant une fonction essentielle dans ce conflit.

Cette guerre a fait 1 500 victimes palestiniennes, sans compter les blessés et ceux qui resteront invalides. Mais c’est, en termes de potentiel humain et économique, sans commune mesure avec la dimension des destructions matérielles et leurs conséquences humaines. Celles-ci ont ramené cette population d’un million et demi d’habitants à une situation quasiment précapitaliste, sans aucune possibilité de dépasser un niveau de misère et surtout de dépendance d’une assistance internationale parcimonieuse. Centrales électriques, stations de pompage, réseaux électriques, téléphoniques, d’adduction d’eau ou d’égouts, routes, bâtiments administratifs, écoles, hôpitaux, petites et moyennes entreprises, toutes les infrastructures qui contribuent à la fois à assurer un certain niveau de vie, la base d’un développement tout comme le contrôle des populations, tout cela est pour une bonne partie en ruines (4). C’était là le but de l’opération « plomb durci », dont on peut constater maintenant la nullité des prétextes avancés : des roquettes continuent de viser Israël et les tunnels de contrebande sont toujours opérationnels.

La reconstruction ne peut que prendre des années. Même si les protecteurs intéressés sont de nouveau à l’œuvre avec les mêmes arrière-pensées, ils sont eux-mêmes coincés par la crise, qui limite leurs possibilités financières, et par un blocus d’Israël qui ne permet l’acheminement des matériaux de reconstruction qu’au compte-gouttes, et de plus d’une manière volontairement incohérente, afin de prévenir la réalisation de tout ce qui pourrait ressembler à un plan préétabli (5). On peut dire que sous cet aspect fondamental, au moins provisoirement, l’opération militaire d’Israël a quelque peu réussi.

H. S.

Annexe. Quelques chiffres

 40 km sur 10 km : Gaza est une simple bande côtière pas très éloignée du débouché méditerranéen du canal de Suez, formée pour une part de terres sablonneuses (13 % des terres sont cultivables).

   1 500 000 habitants (une population en croissance de 3,3 % par an) y sont parqués, la plus forte densité du monde.

   Peuplé pour une bonne part de descendants de réfugiés palestiniens expulsés lors de la constitution de l’Etat d’Israël (1948), le territoire est une sorte de patate chaude que chacun se refile sans trop savoir comment changer une société fermée qui vit sous perfusion internationale. Ce confetti a été annexé à l’Egypte après la seconde guerre mondiale, occupé par Israël en 1956, placé sous mandat de l’ONU en 1957, rendu à l’Egypte en 1967, réoccupé alors par Israël mais évacué en 2005 et placé sous le gouvernement de l’Autorité palestinienne, évincée par le Hamas, mais maintenu par Israël sous un strict contrôle économique et militaire .

   80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour (1,40 euro).

   L’activité économique repose sur l’agriculture, sur l’artisanat et quelques petites entreprises ; elle est très dépendante de l’aide internationale et de l’Etat d’Israël qui, en particulier, contrôle tous les mouvements monétaires. Le chômage moyen atteint 45,5 % de la population active, mais 80 % chez les jeunes de 18-25 ans.

Notes

(1) Ces citations sont extraites de l’ouvrage de Clausewitz, De la guerre.

 (2) On peut trouver aisément des documents montrant comment Israël a soutenu les islamistes du Hamas dans le but d’affaiblir l’autorité du Hamas et Yasser Arafat pour mettre des bâtons dans les roues à un quelconque processus de paix qui aurait entériné la formation d’un Etat palestinien.

(3) « Israël a besoin d’un Hamas fort » pouvait écrire Yagil Lévy, universitaire expert militaire d’Israël (Le Monde du 7 février 2009). Mais on pourrait ajouter : Israël n’a pas besoin de Hamas trop fort.

En complément-

La guerre propulse le chômage à près de 80 pour cent et réduit le PIB de 83,5 pour cent dans la bande de Gaza

La guerre a causé une dévastation sans précédent au marché du travail palestinien et à l'économie en général, selon de nouvelles données et analyses de l'Organisation internationale du Travail (OIT) et du Bureau central palestinien des statistiques.

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