jeudi 18 juillet 2024

Trump président ? 2016

 


Cet éditorial prémonitoire (http://insurgentnotes.com/2016/10/editorial-president-trump/ ) est paru dans la revue électronique marxiste américaine Insurgent Notes le 9 octobre 2016 donc un mois AVANT l’élection américaine. (Ni patrie ni frontières).

* Trump président ?

Cela pourrait arriver. Celui qui semblait, il y a encore un an, être un candidat risible apparaît aujourd’hui comme un gagnant plausible dans l’année qui a connu le climat politique le plus violent (et il nous faut encore attendre la prochaine « surprise de novembre ») depuis 1968.

Peu importe ce qui arrivera, l’ancien système des partis américains est brisé. Donald Trump ne ressemble à aucun candidat important dont nos contemporains puissent se souvenir. Tout comme il a fallu nous replonger dans le passé et évoquer Eugene Debs pour trouver un candidat apparemment aussi radical que Bernie Sanders, dénicher un précurseur sérieux à Trump est encore plus difficile. L’éclipse tranquille de Bernie Sanders en août 2016 garantit que beaucoup de ses soutiens resteront à la maison le jour des élections ou voteront pour le Parti Vert.

Les membres de la société officielle respectable, y compris une bonne partie de l’establishment républicain et même les militaires normalement « apolitiques », ont adopté une position de retrait, ou soutiennent ouvertement Hillary Clinton. Les généraux, les diplomates, les spécialistes ennuyeux de la politique étrangère et le New York Times conviennent tous qu’une présidence Trump serait une catastrophe. Le Financial Times se lamente sur la possible disparition de l’ordre mondial « internationaliste » (comprendre : dominé par les États-Unis) en place depuis 1945. Ces déclarations ne changent rien ; leur seul effet, si elles ont en un, sera de renforcer le panache et les prétentions « anti-establishment » de Trump.

La situation actuelle aux Etats-Unis nous permet de dresser un parallèle avec le vote pour le Brexit en Grande-Bretagne en juin ; dans ce pays, tout l’establishment politique et universitaire, de « gauche » ou de « droite », a défendu l’idée de « rester » dans l’Union européenne. Une sorte de vote de classe (qui s’est mélangé avec d’autres éléments beaucoup moins savoureux) lui a répondu avec un doigt d’honneur. C’est ce qui est train de se mijoter aux États-Unis. Ce qui se passe n’est rien de moins qu’un référendum (très) déformé sur les 45 dernières années de la politique et de la société américaines.

Ceux qui estiment avoir souffert du « libre échange » et de la « mondialisation » pensent avoir finalement trouvé un homme qui les défende, même si le programme économique de Trump est une chimère. Tout comme en France ou en Grande-Bretagne, le nouveau populisme de droite ne triomphe pas dans les grandes métropoles comme Paris ou Londres, mais plutôt dans les villes petites et moyennes villes en crise, y compris des villes où la gentrification a obligé l’ancienne classe ouvrière urbaine à déménager.

Il en est de même aux États-Unis, où Trump n’est pas populaire dans la zone de la baie de San Francisco ou à New York, mais dans les catégories moyennes, petites et rurales des « prolétaires inutiles » (Note du traducteur  : « unnecessariat », inutilariat littéralement en français ; ce terme a été inventé par une blogueuse « Anne Amnesia » pour désigner tous les précaires qui sont et se sentent marginalisés définitivement par le capitalisme, et particulièrement affectés par la drogue, l’alcool et le suicide.) Le populisme autoritaire de Trump se déploie dans un contexte mondial inquiétant, qui inclut les progrès continus de l’extrême droite en Europe occidentale (France, Scandinavie, Autriche et maintenant Allemagne), en Europe orientale (surtout en Hongrie et en Pologne), dans la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan Turquie et, plus récemment, Duterte aux Philippines.

Il est peut-être remarquable que, dans la société américaine supposée être majoritairement fondée sur les « classes moyennes », les commentateurs évoquent tout à coup la classe ouvrière blanche et considèrent que celle-ci pourrait arbitrer cette élection. Les idéologues traditionnels éprouvent tout à coup (en 2016) le besoin de parler ouvertement de la classe ouvrière dont ils avaient précédemment annoncé la disparition ou du moins dont ils pensaient qu’elle ne jouait plus aucun rôle. Les bureaucrates de l’UAW (syndicat de l’automobile) et le président de l’AFL-CIO, Richard Trumka, se précipitent pour convaincre les syndiqués de ne pas voter pour Trump.

Trump, pour sa part, quand il est capable de tenir des propos cohérents entre eux, a fait des discours tristement lucides sur ce qui est arrivé aux travailleurs dans les grands centres industriels qui ont été décimés, les « États charnière » clés du Midwest. La classe ouvrière blanche de l’ancienne industrie du meuble en Virginie et en Caroline du Nord est une cible facile pour Trump, sans parler des mineurs et ex-mineurs de Virginie-Occidentale repoussés par le programme « vert » de Clinton.

Et pourquoi devrions-nous être surpris quand, pour la première fois, un candidat d’un grand parti institutionnel prend la peine de s’adresser directement à ces travailleurs et d’évoquer ce qui leur est arrivé au cours des dernières décennies, contrairement au discours « tout-va-pour-le-mieux » de politiciens comme Walter Mondale, Bill Clinton et maintenant Hillary Clinton ?

Affirmer que « l’Amérique n’a jamais cessé d’être grande », comme Hillary Clinton et les démocrates le font, est déjà un thème idéologique absurde. Une telle propagande n’apporte aucun réconfort aux travailleurs licenciés dans les ex-grands centres industriels, ni à une grande partie des Noirs au nord comme au sud des Etats-Unis, ni aux Blancs pauvres de la région des Appalaches et d’ailleurs, actuellement soumis aux taux de mortalité les plus élevés dans le pays, mortalité causée par le suicide, la drogue et l’alcool.

Il ne faut pas oublier, lorsque nous décrivons les fractures de classe parmi les travailleurs, le rôle des politiques identitaires, si répandues dans les centres métropolitains, et qui ont alimenté la montée de Trump. Les politiques identitaires (« identity politics (1) ») ont toujours reposé sur une « suspicion » explicite ou implicite vis-à-vis des travailleurs en tant qu’ouvriers, tout comme elles se sont montré totalement indifférentes face au démantèlement des anciens centres industriels qui ont ravagé les communautés de travailleurs blancs, noirs et latinos.

La montée de Trump est en partie un retour sur investissement pour des décennies de condescendance et de mépris à peine dissimulé, ou au mieux pour l’indifférence, vis-à-vis du sort des gens ordinaires. Mépris ou indifférence de ceuxqui travaillent dans les universités d’élite, les grands médias et le monde de l’édition haut de gamme, qu’il s’agisse du New York Times ou des publications sur papier glacé des intellectuels bavards. Trump est un raciste, dites-vous ? Un misogyne ? Un homme qui dénonce les immigrés et la Chine ? Oui, bien sûr, il est tout cela, mais ces accusations provenant des différents courants de la gauche oublient le cœur du problème : son image « anti-establishment ».

Sa base sociale apparente jouit aussi du revenu par tête le plus élevé parmi les principaux candidats et anciens candidats (Clinton et Sanders). Cela indique que Trump a réussi à forger une coalition de Blancs des classes moyenne et supérieure avec une partie des ouvriers blancs et des Blancs pauvres, ce qui est un phénomène sans précédent.

Tous ces groupes sociaux ont en commun la conviction que l’ancienne Amérique qu’ils connaissaient a été remplacée par une Amérique incluant une classe ouvrière plus noire, plus latino, et de multiples groupes d’immigrés originaires d’Asie de l’Est et du Sud et d’Amérique latine. Enfin, Trump a attiré de nombreux éléments de l’extrême droite, les David Duke et les fanatiques du port d’arme, qui sont apparus au grand jour. Trump leur a permis de sortir des cercles obscurs de la « droite alternative » (Note du traducteur : ramassis d’individus et de groupes très actifs sur Internet et les réseaux sociaux qui regroupe les antisémites, les racistes antimusulmans, les homophobes, les antiféministes, les adversaires du politiquement correct et du multiculturalisme, les fascistes, etc.) et de « libérer leur parole », comme l’a dit l’un d’entre eux, de l’atmosphère « politiquement correcte » dominante.

Que Trump gagne ou perde, ces forces ne rentreront pas tranquillement dans leur relative obscurité antérieure. Pour conclure, ces avancées de l’extrême droite et du populisme autoritaire à travers le monde sont le miroir de l’échec de la « gauche » modérée qui s’est effondrée en prônant le consensus centre-droit/centre-gauche qui a triomphé au cours des 45 dernières années, consensus pratiqué par Tony Blair, Francois Mitterrand et Gerhard Schroeder en Europe et par Jimmy Carter, Bill Clinton et Barack Obama aux Etats-Unis, maintenant rejoints par Hillary Clinton. De telles forces ne constituent pas une digue ou une protection efficace, comme beaucoup de théoriciens du « moindre mal » voudraient nous le faire croire, contre la droite ascendante, mais elles l’alimentent plutôt. Elles n’ont rien à voir avec la gauche sérieuse, que des groupes comme Insurgent Notes visent à faire émerger contre la pseudo solution « anti-establishment » qui prétend ébranler le statu quo.

Insurgent Notes, 9 octobre 2016

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