jeudi 4 juillet 2024

NOTRE CAMARADE Jean-Paul Vilaine est mort

 

lundi 18 février 2019, d'une crise cardiaque survenue dans une rue proche de son domicile.


" Jean-Paul Vilaine était un homme libre. Il était très conscient que ses choix de vie pourraient réduire sa longévité, mais il restait intrépide devant la perspective de la mort. Ses décisions ont montré une indépendance rare et un courage considérable. Paulo était un non-conformiste qui était particulièrement attiré par les idées révolutionnaires. Bien que sa pensée n'ait jamais é figée, il a rejeté les pires aspects de la société actuelle, notamment le travail salarié. Son rejet était à la fois torique et consommé dans son existence quotidienne. Il était prudent quant à la capacité et au désir de l’État de connaître et de contrôler notre vie privée et nos idées. Ainsi, il a refusé d'utiliser le courrier électronique et les téléphones portables alors que nombre d'entre nous - y compris moi-même - croyions naïvement que nous pouvions aller en ligne ou parler au téléphone tout en conservant un certain degré de confidentialité et d'autonomie. Son travail avec Échanges, une partie importante de sa vie, a révélé qu'il n'avait jamais abandonné son intérêt et peut-être sa foi dans le rôle émancipateur des travailleurs. Pourtant, il était à juste titre sceptique face à de nombreux projets et activités de gauche pour un avenir soi-disant meilleur. En 2013, il écrivait, «Ayons pitié des pauvres vivants qui ont misé toute leur vie sur une cause perdue Nous avons travaillé ensemble sur un bon nombre de traductions et ces collaborations ont révélé une intelligence de premier ordre. Il était un critique dur mais constructif capable de détecter des erreurs majeures et mineures. Il a toujours exigé clarté et précision. En travaillant avec lui, je me suis rendu compte que mes propres compétences linguistiques étaient inférieures à ses capacités en allemand , en espagnol et même en japonais. Il s'exprimait à merveille en français oral et écrit. En août 2016 il écrivait : " Nous avons travaillé ensemble, toi et moi, sur des traductions de certains de tes propres écrits et tu as remarqué que je cherche à aller au fond d'une traduction en vue de trahir le moins possible (les Italiens disent fort justement : " Traduttore, traditore ») la justesse du mot, de la syntaxe et du style de l'auteur. Son intégrité intellectuelle et son amitié me manquent énormément.

Michael Seidman 4 mars 2019


Paulo, essai biographique

SI NOUS RACONTONS brièvement la vie de Paulo, c'est que nous pensons qu'il a tenté d'incarner son idée de la liberté.Insoumission, voyages, paradoxes... indépendance. Il était né le 20 février 1954, à Rosny-sous-bois, et son enfance s'est passée dans la banlieue parisienne, à Neuilly-Plaisance, jusqu 'à ce que sa mère l 'emmène avec ses frères et sœur vivre dans le Morvan. Son bac en poche, avant de s'inscrire en 1973 à la faculté de psychologie de Dijon où il passera son DEUG mais ne fera qu'une année de licence, il part en voiture avec des copains vers le Pakistan. Sa dernière année de fac,1975 1976, a vu une grève étudiante, la plus longue de l'histoire, de fin février à fin mai 76,contre la réforme Saunié-Seité ; mais à Dijon , la grève fut plus longue encore, demandant la réintégration d'un professeur. Puis, cessant ses études, Jean-Paul reçoit un avis d'incorporation au service militaire, mais se déclare insoumis (une identi­fication qui lui va très bien). 

Et il part en vélo en Grèce ; à son retour, il est arrêté et incarcéré trois mois à Metz. Il est amnistié (l 'insoumission valait un an de prison .) 

II a collaboré au journal Front libertaire des luttes de classe, organe de l 'ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste) qui se transforme en juillet 1976 en OCL (Organisation communiste libertaire). Mais lui se désignera toujours comme « anarchiste individualiste ». En juin 1978 il participe à Dijon à une violente manifestation contre la Coupe du monde de football, concluant une riode de deux ans agités (occupation de l'imprimerie de la fac, activité antimilitariste, séquestration du président de la fac, détournement du journal Les Dé­pêches rédi entièrement par Jean-Paul à l'occasion des dix ans de Mai.) C'est dans cette période qu'il va porter la contradiction à une réunion du CCI ( Révolution internationale) et rencontrer Jean-Luc, une grande amitié.

En 1978-1979 il se rend à Paris ou René Lefeuvre, qu'il a rencontré peu auparavant, l'héberge. Il collabore à la revue Spartacus. Il publie dans le n° 10 (juillet-août 1978) « Pan­neckock , autogestion, parti + conseils ouvriers ». Il y défend son point de vue anarchiste, et l 'on reconnaît bien sa voix :

« Le prolétariat n'a ni culture ni idéologie, il est tout simplement la critique en acte. Détruire radicalement capitalisme et construire la vie passe par cette critique sans complaisance des conseils ouvriers; c'est ainsi que j'envisage le texte qui suit, non comme une analyse théorique el érudite de plus du passé. Pour cela toutes les armes me sont bonnes. J'ai écrit à Spartacus parce que je pense que ceux qui se regroupent autour de la revue ne font pas partie de ces groupes et individus qui justifient leur sclérose derrière des étiquettes telle que celle de "révolutionnaire" que je méprise entre toutes. »

Cet article lui vaudra une réponse de Serge Bricianer, « spécialiste » de Pannekoek, dans le n°11 de Spartacus. Tout en restant « anarchiste individualiste », et malgré ses attaques contre Pannekoek, Paulo gardera un esprit ouvert à l'idée des conseils, comme il l'affirme dans ce numéro-ci d'Échanges, en conclusion de son article sur les « gilets jaunes » : « Pour moi, qui me suis formé politiquement en étudiant le mouvement des conseils ouvriers des années 1920, le mouvement des "gilets jaunes"préfigure les mouvements anticapitalistes du futur proche. » Il gardera un intérêt particulier pour Rosa Luxemhurg, intérêt partagé par René Lefeuvre et ses amis de Spartacus, ainsi que pour Otto Rühle, auteur de La révolution n' est pas une affaire de parti.

Spartacus consacre dans son n° 14 (avril-mai 1979) un dossier au dissident soviétique Alexandre Zinoviev, en visite en France. Sous le titre «le monde comme représentation », Paulo fustige « l a croyance en l 'autonomie de la science en particulier, et des idées en général (...), en un mot,  « un chercheur est celui qui veut encore croire que la recherche scientifique n'est pas directement commandée par les besoins de l'industrie.» Et il développe une critique des intellectuels et des dissidents soviétiques.

Par ailleurs il commence à pratiquer l 'aïkido au dojo de Christian Tissier (7 dan de I'Aïkikaï de Tokyo) à Vincennes. Il y trouve des petits boulots en intérim, puis un poste de maître auxiliaire dans des classes pour élèves en échec scolaire (CPPN). Mais bientôt il s'envole pour le Mexique, où il rejoint Jean-Luc.

Dès lors il multiplie les voyages. li se sou­ciait peu de tourisme et, une fois dans un pays, ne se déplaçait guère, recherchant plutôt les contacts autochtones afin de parfaire sa connaissance des langues et des mentalités. Sa fréquentation des bistrots de toutes sortes et sa facilité de contact, son humour aussi, lui ont permis cela, et de mener la vie qu'il a voulu. La plupart du temps i l subvenait à ses besoins matériels en enseignant l e français.

En 1979, Jean-Luc rentre en France , Paulo reste mais ne trouve pas de job et loge au dojo d'aïkido à Mexico jusqu 'à son retour début 1980. En 1980, il se lie avec Philippe, un autre pratiquant de l 'aïkido au dojo de Vincennes.

En 1981, il est en Allemagne près de Francfort, jeune homme au pair dans u n e famille avec laquelle i l ne s'entend pas et ne reste que trois mois. En 1981 il part pour Berlin où il retrouve Jean-Luc et où il passe l'hiver 1981- 1982 . li pratique couramment l'allemand, qu' i l avait commencé à apprendre au lycée.

li séjourne à Barcelone, où il fréquente la revue Etcetera.

De 1982 à 1984, Paulo revient à Paris. JI pratique toujours l 'aïkido avec Philippe à Vincennes. Il participe aussi aux éditions Spartacus, restant proche de René Lefeuvre, qui mourra en 1988 alors que Jean-Paul est en Chine.

En 1984 celui-ci se trouve dans une grande manifestation des sidérurgistes lorrains à Paris ( 13 avril). Plus tard, il dira qu'il ne participa plus jamais à une manifestation. La même année il part pour le Japon, où i l reste jusqu'en septembre 1987. Puis il retrouve Jean-Luc en Chine,à Canton, où il reste deux ans, jusqu'en 1989 où il passe deux mois à Macao, prof à l 'Alliance française, avant de revenir à Paris. En 1990 il retourne au Japon où il retrouve son compagnon d 'aïkido qui est devenu restaurateu r et s'est marié, mais il a cessé depuis 1987 la pratique du sport de combat. (« Nous commencions l e dimanche à boire le matin et nous avions rencontré quatre vieux J aponais qui apportaient leur propre saké dans la cafeteria où l 'on allait », raconte Ph. De fait Paulo aurait pu écrire, avec Guy Debord : « Ce qui a sans nul doute marqué ma vie entière, ce fut l 'habitude de boire, acquise vite. » .Il rentre en 1994 à Paris, où i l s'installe avec sa compagne, rencontrée en 1987 au Japon, et qu i partage désormais sa vie. Dans son quartier. i l n 'hésita i t pas à aider des per­sonnes démun ies, les aidant dans leurs démarches admnistratives, servant en quelque sorte d'écr ivain public : facilité de contact encore. Il rejoint Échanges et Mouvement en 1996, après sa lecture de la brochure la lutte des classes en France. Tëmoignages et dis­ cussions sur un mouvement social différent.

Depuis, il a enrichi notre groupe de ses critiques, de x, mais aussi de participation aux tâches de toutes sortes, dépouillement du courrier, placement dans les librairies, gestion du fichier d 'abonnés ...

Il y publiera la Situation des classes laborieuses au Japon, qu'il laissera inachevée mais que les amis de Etcera traduiront en castillan. Ainsi que nombre d"articles, et surtout des traductions de l 'allemand .Il avait écrit u n texte, « Misère du conseillisme » ( Échanges n° 14 1), dans lequel i l affirmai t « À Échanges, personne n'est conseilliste. » Nous préparions une brochure réunissant des textes de Cajo Brendel, militant des conseils s'il en fut. Tranchant dans ses jugements et ses analyses, Paulo portait pourtant aux gens qu'il rencontrait un intérêt qui l'emportait sur l' idéologie, en se gardant de tout sentimentalisme.

F. M., avec J.-L.G, Ph. T., A . Y.










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