jeudi 30 mai 2024

G- comme Guerres.

  « La force est un agent économique » ( K.Marx, Le Capital,E.S.,1,3,p.193) 

« Les différentes méthodes d'accumulation primitive que l'ère capitaliste fait éclore se partagent d'abord, par ordre plus ou moins chronologique, le Portugal, l'Espagne, la Hollande, la France et l'Angleterre, jusqu'à ce que celle-ci les combine toutes, au dernier tiers du XVII° siècle, dans un ensemble systématique, embrassant à la fois le régime colonial, le crédit public, la finance moderne et le système protectionniste. Quelques-unes de ces méthodes reposent sur l'emploi de la force brutale, mais toutes sans exception exploitent le pouvoir de l'État, la force concentrée et organisée de la société, afin de précipiter violemment le passage de l'ordre économique féodal à l'ordre économique capitaliste et d'abréger les phases de transition. Et, en effet, la force est l'accoucheuse de toute vieille société en travail. La force est un agent économique. » ( Le Capital livre premier, Chapitre XXXI : Genèse du capitaliste industriel )

« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz)

Sur la première guerre mondiale (1914-1918)

 Friedrich Engels eut à écrire, en 1887, sur la future guerre mondiale dans la préface à la brochure de Sigismund Borkheim: «À l’intention des patriotards allemands de 1806-1807» (Zur Erinnerung für die deutschen Mordspatrioten 1806-1807). (Cette brochure forme le fasciculeXXIV de la Bibliothèque social-démocrate publiée à Gœttingue-Zürich en1888.)Voici comment Friedrich Engels jugeait, il y a 128 ans, la future guerre mondiale:

Et enfin, il n’y a plus pour la Prusse-Allemagne d’autre guerre possible qu’une guerre mondiale, et, à la vérité, une guerre mondiale d’une ampleur et d’une violence encore jamais vues. Huit à dix millions de soldats s’entr’égorgeront; ce faisant, ils dévoreront toute l’Europe comme jamais ne le fit encore une nuée de sauterelles. Les dévastations de la guerre de Trente ans, condensées en trois ou quatre années et répandues sur tout le continent: la famine, les épidémies, la férocité générale, tant des armées que des masses populaires, provoquée par l’âpreté du besoin, la confusion p.527désespérée dans le mécanisme artificiel qui régit notre commerce, notre industrie et notre crédit, finissant dans la banqueroute générale. L’effondrement des vieux États et de leur sagesse politique routinière est tel que les couronnes rouleront par douzaines sur le pavé et qu’il ne se trouvera personne pour les ramasser; l’impossibilité absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira vainqueur de la lutte; un seul résultat est absolument certain: l’épuisement général et la création des conditions nécessaires à la victoire finale de la classe ouvrière.

Telle est la perspective si la course aux armements poussée à l’extrême porte enfin ses fruits inévitables. Voilà, Messieurs les princes et les hommes d’État, où votre sagesse a amené la vieille Europe. Et s’il ne vous reste rien d’autre qu’à ouvrir la dernière grande sarabande guerrière, ce n’est pas pour nous déplaire (uns kann es recht sein). La guerre va peut-être nous rejeter momentanément à l’arrière-plan, elle pourra nous enlever maintes positions déjà conquises. Mais, si vous déchaînez des forces que vous ne pourrez plus maîtriser ensuite, quelque tour que prennent les choses, à la fin de la tragédie vous ne serez plus qu’une ruine et la victoire du prolétariat sera déjà acquise, ou, quand même (doch), inévitable. Londres, 15 décembre 1887. Friedrich Engels.Einleitung zu Sigismund Borkheims Broschüre.

 «Alors arrivera la catastrophe. Alors sonnera en Europe l’heure de la marche générale, qui conduira sur le champ de bataille de 16 à 18 millions d’hommes, la fleur des différentes nations, équipés des meilleurs instruments de mort et dressés les uns contre les autres. Mais, à mon avis, derrière la grande marche générale, il y a le grand chambardement. Ce n’est pas de notre faute: c’est de leur faute. Ils poussent les choses à leur comble. Ils vont provoquer une catastrophe. Ils récolteront ce qu’ils ont semé. Le crépuscule des dieux du monde bourgeois approche. Soyez-en sûrs, il approche!»Voilà ce que déclarait l’orateur de la fraction social-démocrate allemande, Bebel, au cours du débat sur le Maroc au Reichstag.

 

 «Pour Bismarck et l’Empereur, l’alternative est la suivante: d’une part, résister à la Russie et avoir alors la perspective d’une alliance franco-russe et d’une guerre mondiale, ou la certitude d’une révolution russe grâce à l’alliance des panslavistes et des nihilistes; d’autre part, céder à la Russie, autrement dit trahir l’Autriche… En tout cas, l’antagonisme entre l’Autriche et la Russie s’est aiguisé dans les Balkans, au point que la guerre semble plus vraisemblable que la paix. Et ici, il n’y a plus de localisation possible de la guerre… Bref, il y aura un chaos et la seule certitude est: boucherie et massacre d’une ampleur sans précédent dans l’histoire; épuisement de toute l’Europe à un degré inouï jusqu’ici, enfin effondrement de tout le vieux système… La meilleure solution serait la révolution russe, que l’on ne peut escompter qu’après de très lourdes défaites de l’armée russe. Ce qui est certain, c’est que la guerre aurait pour premier effet de rejeter notre mouvement à l’arrière-plan dans toute l’Europe, voire le disloquerait totalement dans de nombreux pays, attiserait le chauvinisme et la haine entre les peuples, et parmi les nombreuses possibilités négatives nous assurerait seulement d’avoir à recommencer après la guerre par le commencement, bien que le terrain lui-même serait alors bien plus favorable qu’aujourd’hui.» (13 septembre 1886, Engels à Bebel)

 Le 23 octobre 1886, il rajoutait, dans une lettre à Bebel:

 «Les Russes ont dit à Bismarck, et il sait que c’est vrai, que «Nous avons besoin de grands succès du côté de Constantinople ou bien, alors, c’est la révolution»… Or ce que Bismarck redoute le plus, c’est une révolution russe, car la chute du tsarisme russe entraîne avec elle celle du règne prusso-bismarckien. Et c’est pour cela qu’il met tout en œuvre pour empêcher l’effondrement de la Russie – malgré l’Autriche, malgré l’indignation des bourgeois allemands, malgré que Bismarck sache qu’il enterre lui aussi en fin de compte son système… Nul ne peut prévoir quel sera le regroupement des combattants: avec qui l’un s’alliera et contre qui il s’alliera. Il est clair que l’issue finale sera la révolution. Mais avec quels sacrifices! Avec quelle déperdition des forces – et après combien de tourments et de zigzags! (…) Qu’il y ait la guerre ou la paix, l’hégémonie allemande est anéantie depuis quelques mois, et l’on redevient le laquais servile de la Russie. Or, ce n’était que cette satisfaction chauvine, à savoir être l’arbitre de l’Europe, qui cimentait tout le système politique allemand. La crainte du prolétariat fait certainement le reste…»

 Insistons, durant toutes les années 1880, Engels répète que «La Russie est à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire en Europe.»

 La social-démocratie, à commencer par celle, dirigeante d’Allemagne, avec son chef théorique Kautsky aura fait ce qu’elle a pu pour effacer de telles analyses, faire croire qu’elle ne faisait que suivre Marx et Engels en affirmant que la révolution devait commencer dans les pays les plus développés d’Europe de l’Ouest, que le développement économique et le réformisme pouvaient croitre sans limite, sans menace, sans nécessaire révolution.

 Mais jusqu’en 1907, Kautsky lui-même avait affirmé tout le contraire, comme lui rappelle Lénine dans son journal de guerre intitulé «Contre le courant» qu’il rédige avec Zinoviev. Ici dans un article intitulé «Encore au sujet de la guerre civile» du 29 février 1916:

«Je ne puis me rappeler un seul exemple dans l’histoire où l’on ait vu qu’en réponse à une déclaration de guerre, il se produisait une insurrection dans le pays même qui ouvrait les hostilités.» Voilà ce qu’écrit le théoricien le plus en vue de la deuxième internationale, Karl Kautsky (dans la Neue Zeit, 1916, n°18, 567). Et Kautsky écrit ainsi non pas au début même de la guerre, mais dix-huit mois après l’ouverture des hostilités… Nous sommes en présence du fond même de la politique de Kautsky, - toute rongée par le fatalisme «historique», toute couverte de sa moisissure d’opportunisme. Il «ne peut se rappeler un seul exemple dans l’histoire», ce théoricien de la deuxième internationale! Et, se fondant là-dessus, il nie la possibilité des actes révolutionnaires contre la guerre impérialiste de 1914-1916!! (…) Kautsky peut-il «se rappeler au moins un exemple dans l’histoire», où l’on aurait vu une poignée de brigands impérialistes oser entreprendre une pareille guerre, si opposée aux intérêts de centaines de millions d’hommes, si sanglante, si réactionnaire, si impudemment esclavagiste, si lourde d’incalculables malheurs et souffrances pour les grandes masses populaires? Kautsky peut-il se rappeler «au moins un exemple dans l’histoire», où une guerre mondiale se serait produite alors que les conditions matérielles d’une révolution socialiste avaient mûri dans les rapports de production des plus importants pays de l’Europe et des Etats-Unis d’Amérique? (…) Pour se justifier devant les social-chauvins, Kautsky écrit dans le même article: «Que la guerre qui commence amène une révolution, je ne m’y suis pas attendu, pas plus que ne s’y attendait Bebel.» (…) Kautsky, en parlant ainsi, énonce tout simplement… un mensonge. Dans sa brochure «Le chemin du pouvoir» (1908), om l’on entend le chant du cygne de Kautsky en tant que marxiste révolutionnaire, il plaçait la révolution en connexion directe avec la guerre, et parlait nettement de l’ «époque des guerres et des révolutions»… Que voulions nous dire en lançant le mot d’ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile? Nous voulions dire ce qui avait été reconnu des centaines de fois par tous les leaders de la deuxième internationale dans les années qui précédèrent la guerre, savoir: que les conditions objectives de notre époque mettent en connexion la guerre et la révolution. Rien de plus!»

 Toujours dans le journal Contre le courant de Lénine et Zinoviev, un article intitulé «La deuxième internationale et le problème de la guerre – Renonçons-nous à notre héritage?»:

«Voilà ce qu’écrit Engels dans son article «La politique étrangère du tsarisme»: «Que se passera-t-il cependant si aucune révolution européenne ne se produit et si, au lieu de cela, la Russie alliée à la France tombe sur l’Allemagne? Quelles seront les conséquences d’un pareil événement pour le sort du mouvement socialiste allemand?» «On peut, dans tous les cas, assurer une chose – remarque Engels à ce sujet dans «Le socialisme en Allemagne» - ni le tsarisme russe, ni la république bourgeoise française, ni même le gouvernement allemand ne laisseront perdre une pareille occasion pour étouffer le seul parti qui soit le vrai ennemi des trois puissances, c’est-à-dire pour étouffer la social-démocratie.»

 Il est donc bien clair que la première guerre mondiale était d’abord et avant tout, pour les révolutionnaires marxistes, une guerre des bourgeoisies impérialistes contre le mouvement ouvrier et révolutionnaire montant. Or ce mouvement est monté jusqu’en 1914…

Que pensait en effet Lénine de la situation en Russie et en Europe avant la guerre mondiale? Eh bien que c’était une situation qui allait vers la révolution (ou la guerre mondiale et ensuite la révolution)…

Examinons, par exemple, ce qu’en dit Lénine dans sa brochure «Le socialisme et la guerre» (1915):

 «Les années 1912-1914 ont marqué le début d’un nouvel et prodigieux essor révolutionnaire en Russie. Nous avons de nouveau assisté à un vaste mouvement de grève, sans précédent dans le monde. La grève révolutionnaire de masse a englobé en 1913, selon les estimations les plus modestes, un million et demi de participants; en 1914, elle en comptait plus de deux millions et se rapprochait du niveau de 1905. A la veille de la guerre, à Pétersbourg, on était déjà aux premiers combats de barricades… Dès le début de la guerre, le gouvernement tsariste fit arrêter et déporter des milliers et des milliers d’ouvriers avancés, membres du POSDR illégal (le parti de Lénine), ce qui, à côté de la proclamation de la loi martiale dans le pays, de l’interdiction de nos journaux, etc., eut pour effet de retarder le mouvement… Notre Parti groupait alors autour de la tactique social-démocrate révolutionnaire les 4/5 des ouvriers conscients de la Russie…pendant toute la durée de ce prodigieux essor du mouvement ouvrier en Russie et des grèves de masse de 1912-1914…»

Voilà pour la Russie d’avant guerre. Et l’Europe alors? Qu’en pensait Lénine? Une situation seulement contre-révolutionnaire? Et pas révolutionnaire avant la guerre mondiale? Pas du tout, ce n’est nullement son point de vue! D’ailleurs, lui qui rappelait l’expression marxiste d’ «ère des révolutions et des contre-révolutions» ne risquait pas de parler ainsi…

La perspective de la situation en Europe avant la première guerre mondiale était-elle révolutionnaire, voilà comment répondait Lénine à cette question clef dans son journal Contre le courant du 12 décembre 1914, dans un article intitulé «Le chauvinisme mort et le socialisme vivant»:

 «La brochure de Karl Kautsky éditée en 1909 et traduite dans diverses langues, «Le chemin du pouvoir», peut donner une réponse. C’est l’exposé le plus complet, le plus favorable à la social-démocratie allemande, par les espoirs qu’il suscite, des objectifs de notre époque; il est dû à la plume de l’écrivain le plus autorisé de la deuxième internationale. Rappelons avec plus de précision cette brochure: «La social-démocratie est un parti révolutionnaire. Non seulement révolutionnaire comme l’est la machine à vapeur, mais révolutionnaire dans un autre sens également. Elle aspire à la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, à la dictature du prolétariat.» Ciblant de sarcasmes «ceux qui doutent de la révolution», Kautsky écrivait: «Nous devons, évidemment, lors de chaque mouvement important ou de chaque insurrection, compter avec la possibilité d’une défaite. Il n’y a qu’un imbécile qui puisse, avant la lutte, se sentir parfaitement certain d’une victoire. Mais ne pas compter avec la possibilité d’une victoire serait une trahison manifeste de notre cause. La révolution peut se produire à l’occasion de la guerre, pendant la guerre ou après la guerre. On ne peut pas prédire quand l’extrême tension des antagonismes de classe amènera à la révolution. Mais je puis affirmer que la révolution, apportée par la guerre, éclatera pendant ou aussitôt après la guerre: rien de plus misérable que la théorie de la croissance pacifique du socialisme… Quand on s’efforçait – dans le Vorwaerts notamment – d’interpréter, dans un sens opportuniste, la célèbre préface d’Engels aux «Luttes de classes en France» de Marx, Engels s’en indignait et trouvait déshonorant que l’on pût admettre qu’il fût «un adepte paisible de la légalité à tout prix». Nous avons toutes les raisons de croire que nous entrons dans une période de lutte pour le pouvoir politique. Cette lutte peut durer des dizaines d’années. Nous n’en savons rien. Mais, très probablement, elle amènera prochainement un affermissement considérable du prolétariat, si ce n’est sa dictature en Europe occidentale.»

 Ainsi écrivait Kautsky en 1909!

 Lénine était-il un cas d’espèce, l’un des rares à voir une montée révolutionnaire face à laquelle la bourgeoisie européenne était amenée inéluctablement à la guerre mondiale? Pas du tout! Tout le courant mondial de la social-démocratie, influencé par Engels, raisonnait en ce sens. En voici un exemple:

Jean Jaurès, commentant le congrès international socialiste de Bâle de novembre 1912, déclarait:

 «Nous n’irons pas à la guerre contre nos frères, nous ne tirerons pas sur eux: si les choses en arrivent à une conflagration, ce sera la guerre sur un autre front, ce sera la révolution.» (cité par le journal Basler Vorwaerts, n°277).

 L’Allemagne n’était nullement un cas à part non plus puisque le congrès international de Stuttgart puis le congrès de Bâle de la deuxième internationale décrivaient la situation comme révolutionnaire et menaçaient les bourgeoisies européennes de révolution prolétarienne en cas de guerre…

 Dans son article intitulé «Les sophistes des social-chauvins», Lénine écrit ainsi le 1er mai 1915:

 «Au congrès de Stuttgart de 1907, pour la première fois dans l’histoire, les socialistes de tous les pays belligérants, longtemps avant la guerre, se sont réunis et ont dit: «Nous tirerons parti de la conflagration pour hâter le krach du capitalisme.»

Et, dans un article intitulé «Le krach de la deuxième internationale», en août 1915, Lénine écrit:

 «Le manifeste de Bâle dit que: 1°) La guerre provoquera une crise économique et politique; 2°) Les ouvriers considèrent leur participation à la guerre comme un crime, considèrent comme un crime de tirer les uns sur les autres pour les bénéfices capitalistes, l’honneur des dynasties, l’exécution des traités secrets, et que la guerre provoquera parmi les ouvriers l’indignation et la révolte; 3°) Cette crise et cet état d’esprit des ouvriers doivent être exploités par les socialistes afin de soulever les peuples et de hâter le krach du capitalisme; 4°) Les gouvernements – tous sans exception – ne peuvent commencer la guerre sans danger pour eux-mêmes; 5°) Les gouvernements craignent la révolution prolétarienne; 6°) Les gouvernements doivent se souvenir de la Commune de Paris (c’est-à-dire de la guerre civile), de la révolution russe de 1905, etc.

 Et Lénine poursuit ainsi le raisonnement sur la signification de cette proclamation du congrès de Bâle en ce qui concerne l’appréciation de la montée révolutionnaire en Europe: Pour un marxiste, il est certain que nulle révolution n’est possible à défaut d’une situation révolutionnaire. Toute situation révolutionnaire, du reste, n’aboutit pas à une révolution. Quels sont en général les indices d’une situation révolutionnaire? Nous ne nous tromperons pas en indiquant les trois indices suivants: 1°) L’impossibilité pour les classes dirigeantes de maintenir intégralement leur domination; une crise des milieux dirigeants, crise politique de la classe exerçant le pouvoir, produisant une faille dans laquelle pénètrent les mécontentement et l’indignation des classes opprimées. Pour qu’une révolution ait lieu, il est en général insuffisant que l’on n’accepte plus en bas; il faut aussi que l’on ne puisse plus, en haut, vivre comme par le passé. 2°) L’aggravation anormale des privations et des souffrances des classes opprimées. 3°) L’augmentation sensible, en raison de ce qui précède, de l’activité des masses qui, en temps de paix, se laissent paisiblement voler, mais, en temps d’orage, sont incitées par toute la crise et aussi par les dirigeants à prendre l’initiative d’une action historique. A défaut de ces modifications objectives, indépendantes de la volonté des groupes isolés et des partis, comme des classes, une révolution est – en règle générale – impossible. L’ensemble de ces modifications objectives constitue précisément la situation révolutionnaire…

 Et Lénine poursuit son raisonnement:

 «Demandons-nous: que supposait à ce propos le manifeste de Bâle en 1912, et qu’est-il arrivé en 1914-1915? On supposait une situation révolutionnaire, sommairement indiquée par les mots «crise économique et politique». S’est-elle produite? Assurément oui. Le social-chauvin Lensch (qui défend le chauvinisme avec plus de franchise et d’honnêteté que les Cunow, les Kautsky, les Plékhanov et autres hypocrites) s’est même exprimé ainsi: «Nous traversons une sorte de révolution» (page 6 de sa brochure «La social-démocratie allemande et la guerre», Berlin, 1915. La crise politique est un fait: aucun des gouvernements n’est sûr du lendemain, aucun n’est sûr d’éviter la banqueroute, de ne pas perdre des territoires, de ne pas être chassé de son pays. Tous les gouvernements vivent sur un volcan… Nous entrons dans une ère de formidables bouleversements politiques… En un mot, il existe dans la plupart des Etats avancés et des grandes puissances de l’Europe, une situation révolutionnaire… A cet égard, la prévision du manifeste de Bâle s’est pleinement justifiée.»

 Lénine débutait sa brochure «Le mouvement ouvrier et la première guerre mondiale» par ces mots:

«Plus le mouvement ouvrier se développe, et plus sont acharnées les tentatives de la bourgeoisie et des féodaux pour l’écraser ou le disloquer. Ces deux procédés, l’écrasement par la force et la dislocation sous l’influence bourgeoise, sont constamment pratiqués dans le monde entier, dans tous les pays, la priorité étant accordée tantôt à l’un, tantôt à l’autre, par les différents partis des classes dominantes.»

 Lénine est-il un des rares à avoir considéré que la situation de 1905 à 1914 était celle «des révolutions et des contre-révolutions»? Non, c’est tout le contraire. C’était un point appréciation alors très général chez les marxistes révolutionnaires comme Rosa Luxemburg et elle ferraille dur contre les dirigeants social-démocrate pour la grève de masse insurrectionnelle en Allemagne, en Belgique et dans toute l’Europe en 1905 mais aussi en 1912…

De 1910 à 1914, Rosa Luxemburg mène une polémique publique contre Kautsky et reproche publiquement à la social-démocratie allemande de freiner les grèves, de refuser les grèves générales politiques, de refuser de tirer des leçons du vaste mouvement européen de grèves générales tendant à devenir insurrectionnelles. Alors que Kautsky affirme que les grèves se font de plus en plus rares en Allemagne, Rosa Luxemburg écrit:

«Que nous montre, par exemple, la statistique des grèves en Allemagne? … Pendant toute la dernière décennie du XIXe siècle, il y a eu en Allemagne, en tout, 3 772 grèves et lockes outs, tandis que durant les neuf années allant de 1900 à 1908, il y en a eu 15.994. Les grèves deviennent si peu «de plus en plus rares» qu’au contraire elles ont quadruplé au cours de la dernière décennie; en chiffres absolus, 425.142 travailleurs ont pris part à des grèves au cours de la dernière décennie du XIXe siècle et 1.709.415 au cours des neuf première années de ce siècle, sit quatre fois plus à nouveau… Mais regardons l’Europe occidentale. Le camarade Kautsky qui conteste tout ce que je viens de dire s’oblige à rompre des lances avec une autre contradictrice que moi: la réalité. Car que voyons-nous, si nous examinons attentivement les grèves de masse les plus importantes des dix dernières années? Les grandes grèves de masse en Belgique qui avaient imposé le suffrage universel demeurent, dans les années 90, un exemple isolé, une expérience pleine de hardiesse. Mais depuis lors, quelle richesse d’expérience, quelle diversité! En 190, c’est la grève de masse des mineurs de Pennsylvanie qui, selon les camarades américains, a fait davantage pour la diffusion des idées socialistes que dix ans d’agitation; en 1900 encore, c’est la grève de masse des mineurs en Autriche, en 1902 celle des mineurs en France, en 1902 encore celle qui paralyse tout l’appareil de production à Barcelone, en solidarité avec les métallurgistes en lutte, en 1902 toujours, la grève de masse démonstrative en Suède pour le suffrage universel égalitaire également; la grève de masse des ouvriers agricoles dans l’ensemble de la Galicie orientale (plus de 200.000 participants) en défense du droit de coalition, en janvier et avril 1903, deux grèves de masse des employés des chemins de fer en Hollande, en 1904 grève démonstrative en Italie, pour protester contre les massacres en Sardaigne, en janvier 1905, grève de masse des mineurs dans le bassin de la Ruhr, en octobre 1905, grève démonstrative à Prague et dans la région praguoise (100.000 travailleurs) pour le suffrage universel au parlement de Bohême, en ocotbre 1905, grève de masse démonstrative à Lemberg pour le suffrage universel égalitaire au Conseil d’Empire, en 1905 encore grève de masse des travailleurs agricoles en Italie, 1905 toujours, grève de masse des employés de chemin de fer en Italie, en 1906, grève de masse démonstrative à Trieste pour le suffrage universel égalitaire au Parlement régional, grève couronnée de succès; en 1906, grève de masse des travailleurs de fonderies de Wittkowitz (Moravie) en solidarité avec les 400 hommes de confiance licenciés pour avoir chômé le 1er mai, grève couronnée de succès; en 1909, grève de masse en Suède pour la défense du droit de coalition; en 1909, grève de masse des employés de postes en France; en octobre 1909, grève démonstrative de l’ensemble des travailleurs de Trente et Rovereto, en protestation contre les poursuites engagées contre la social-démocratie; en 1910, grève de masse à Philadelphie, en solidarité avec les employés de tramways en lutte pour le droit de coalition, et, en ce moment même, se prépare une grève de masse des employés des chemins de fer en France. Voilà donc pour ce qui est de l’ «impossibilité» des grèves de masse, notamment des grèves de masse démonstratives, si superbement démontrée noir sur blanc par le camarade Kautsky.»

 Rosa Luxemburg décrivait ainsi dans "Was weiter" (Où allons-nous?) l’impuissance du mouvement ouvrier organisé (politique et syndical) face aux mouvements de masse montants en Europe:

«La question est de savoir si la social-démocratie allemande, qui s’appuie sur les organisations syndicales les plus puissantes et la plus grande armée d’électeurs existant au monde, est capable d’impulser une action de masse du genre de celle qui a été suscitée... avec un grand succès dans la petite Belgique, en Italie, en Autriche-Hongrie, en Suède - sans parler de la Russie - ou si, par contre, en Allemagne, une organisation syndicale comptant deux millions de membres et un puissant parti bien discipliné sont aussi peu capables, dans les moments décisifs, de déclencher une action de masse efficace que les syndicats français paralysés par la confusion anarchiste et que le Parti socialiste français, affaibli par ses conflits internes.»

 Rosa Luxemburg pensait-elle que la menace de la révolution prolétarienne menaçait-elle avant 1914 au point de pousser les classes dirigeantes à la guerre mondiale? La réponse est oui!

«La haine de classe contre le prolétariat et la menace immédiate de révolution sociale qu’il représente détermine intégralement les faits et gestes des classes bourgeoises…»Rosa Luxembourg dans «Fragment sur la guerre, la question nationale et la révolution»

Karl Liebknecht écrivait le 19 octobre 1912 de Berlin à Jules Guesde:

 « Cher et vénéré camarade Guesde,

Le capitalisme incendiaire accomplit son œuvre néfaste plus dangereusement que jamais, et dans le voisinage de plus en plus menaçant de ces gigantesques poudrières que sont les grandes puissances militaires européennes. Des esclaves affamés parcourent le pays au pied des Balkans, agitant les torches de la guerre, bercés par leurs despotes de l’illusion qu’ils sont le porte-flambeau de la liberté pour les esclaves au-delà les frontières dans lesquelles ils vivotent eux-mêmes privés de droit et réduit économiquement à la misère. Tous les conflits internationaux sont portés au dernier point d’intensité. L’impérialisme, pareil un cyclone, tourbillonne sur le globe, le militarisme écrase les peuples et suce le sang comme un vampire. Les cavaliers de l’Apocalypse, Famine et Massacre, chevauchent à travers le monde.

Toutes les conjurations de la diplomatie ont été vaines; ce n’étaient que charlatanisme et mirage. La guerre et la paix sont pour le capitalisme une affaire et rien qu’une affaire. La vie et le bien-être des millions d’hommes qui sont le prolétariat de toutes les contrées sont pour lui un objet d’exploitation et rien que cela.

 Seul, le prolétariat international peut écarter cet épouvantable danger; car seuls les intérêts des prolétaires sont les mêmes dans tous les Etats capitalistes. Solidarité internationale du prolétariat, sans accepter de frontières, lutte commune contre les ennemis communs, nationaux et internationaux, du prolétariat, les profiteurs de la pression politique, les stipendiés de l’exploitation économique et de la misère des masses.

Le capitalisme est la guerre – le socialisme est la paix. Le socialisme aura-t-il la force de réfréner la furie de la guerre? Il aura cette force si le prolétariat de France, d’Angleterre, d’Autriche et d’Allemagne fait son devoir. Et il fera son devoir – ainsi que le montre le passé, ainsi que nous apprend ce fatidique mois de janvier 1911 avec ses grands mouvements ouvriers en Angleterre et en France, avec ses imposantes manifestations pour la paix en Allemagne. La classe ouvrière allemande a, le dimanche 20 octobre, manifesté de nouveau sa volonté de paix dans de grandioses démonstrations publiques.

 Les fauteurs de guerre, capitalistes et impérialistes, doivent savoir ce qui est en jeu s’ils jettent sur le tapis le dé de fer de Mars. Nous les avertissons, nous les prévenons, nous les menaçons: nous en Allemagne comme nos amis en France et en Angleterre. Ce n’est qu’internationalement que peut être menée notre guerre à la guerre; et c’est internationalement qu’elle est menée. De même que nous avons confiance dans nos frères de France, d’Angleterre et d’Autriche, de même vous pouvez avoir confiance à nous, dans le prolétariat qui lutte en Allemagne.

 Guerre à l’intérieur contre l’ennemi intérieur, les oppresseurs et les exploiteurs des masses, lutte de classe – paix à l’extérieur, solidarité internationale, paix entre les peuples: voilà le mot d’ordre sacré de la démocratie socialiste internationale qui affranchit les nations. C’est sous ce signe que nous pouvons et que nous devons vaincre, même contre un monde d’ennemis. Pas d’hésitation – confiance en la victoire! Frères de France, à la bataille, coûte que coûte! Vive le socialisme!

Karl Liebknecht »

 " Partout je remarquais la même chose: au début, la guerre étourdit les masses laborieuses, les dupe, les induit en erreur, puis elle les révolutionne, les pousse à protester et à se révolter d'abord contre la guerre elle- même, puis contre le régime qui les a conduites à la guerre. Pourquoi, au début la guerre réveille-t-elle le sentiment patriotique des masses laborieuses ? Parce que, malgré l'existence d'un Parlement, de partis socialistes et même de communistes, autour d'eux il y a encore des millions de travailleurs qui n'ont pas de vie sociale et morale. Notre grand malheur, c'est qu'il y ait encore des millions de travailleurs qui vivent comme des automates. Ils travaillent, ils mangent et ils dorment, ou plus exactement ils dorment et mangent tout juste leur compte et travaillent au-dessus de leurs forces: dans ces conditions ils ne pensent qu'à joindre les deux bouts. Leur horizon se limite là; leur esprit, leurs pensées, leur conscience somnolent en période habituelle, et de temps en temps, pris d'angoisse devant leur situation sans issue, ils s'adonnent à la boisson les jours de fête. Telle est souvent l'existence de l'ouvrier:tragique et effrayante. Tel est le destin épouvantable de millions et de millions de travailleurs; le système du capitalisme les y condamne. Qu'il soit maudit, ce système, justement parce qu'il voue les travailleurs à une vie aussi horrible! Mais la guerre éclate, on mobilise le peuple, il descend dans la rue, il endosse la capote. On lui dit: "Marchons à l'ennemi, soyons vainqueurs et, après, tout changera." Et les masses commencent à espérer. On abandonne la charrue, le métier. En temps de paix peut-être, l'homme écrasé sous son fardeau quotidien est aussi incapable de penser qu'un boeuf sous le joug, mais là, bon gré mal gré il se met à réfléchir : les centaines de milliers de soldats, l'agitation, la musique militaire, les journaux qui annoncent de grandes victoires, et il se met à penser que la vie va changer, et si elle change ce sera en mieux... parce qu'elle ne peut pas être pire. Et il commence à se persuader que la guerre est un phénomène libérateur qui lui apportera quelque chose de nouveau. C'est pourquoi, au début de la guerre, nous avons nous- mêmes remarqué dans tous les pays sans exception un élan patriotique." (Trotsky: Ecrits Militaires. ed. l'Herne p.76)



 " A ce moment, la bourgeoisie devient plus forte. Elle dit: " Tout le peuple avec moi." Sous les drapeaux de la bourgeoisie marchent les travailleurs des champs et des villes. On dirait que tout se fond dans un seul élan national. Mais, après cela, la guerre épuise de plus en plus le pays,saigne le peuple, enrichit des tas de maraudeurs, de spéculateurs, de fournisseurs aux armées, distribue des grades aux diplomates et aux généraux, tandis que les masses laborieuses s'appauvrissent de plus en plus. Pour les nourrices, les épouses, les mères, les ouvrières, chaque jour il devient plus difficile de résoudre la question lancinante : comment nourrir les enfants ? Et c'est ce qui provoque la révolution spontanée dans l'esprit des masses laborieuses. D'abord la guerre les relève en leur donnant de faux espoirs, puis elle les rejette à terre en leur faisant craquer la colonne vertébrale, et la classe ouvrière commence à se demander d'où cela vient, ce que cela signifie." ( (Trotsky: Ecrits Militaires. ed. l'Herne p.76/77)


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