La question du temps de travail est revenue sur le tapis au mois d’avril 1996. Les médias, la presse syndicale, et le patronat ne vont pas cesser de nous parler des 35 heures, et même des 32 heures, de la semaine de quatre jours... pour créer des emplois.
Ce qui est à l’ordre du jour, ce n’est pas la baisse du temps de travail, c’est son utilisation, sa productivité, son allongement déguisé
Les illusions réformistes reviennent au galop et le partage du travail entre tous est remis en selle par la CFDT. Seulement nous savons que toute baisse du temps de travail sera toujours compensée par un accroissement de la productivité, notamment par une meilleure utilisation des équipements.
Pour cela, le patronat veut : plus de flexibilité, de mobilité, le travail 24 heures sur 24, le temps annuel pour n’utiliser la force de travail que lorsqu’il en a besoin. Dans des branches comme la banque et les assurances, il veut supprimer le décret de 1937 qui garantit deux jours consécutifs de repos dont le dimanche. D’ailleurs, ne venons-nous pas d’entendre le patronat allemand revendiquer le retour aux 40 heures ?
Il tente aussi, sous couvert de baisse du temps de travail, d’ augmenter celui-ci par la prolongation du temps de travail pour toucher sa retraite pleine et entière de dix trimestres. Le patronat poursuit cette politique, en brisant ou en révisant les conventions collectives : suppression des jours de congés pour ancienneté et grades, suppression des jours pour maladie d’une journée, renforcement des pénalisations pour absences, notamment dans les accords d’intéressement.
Il y a aussi, dans de nombreux secteurs, des pressions sur l’emploi qui se traduisent par un accroissement des temps de présence bien au-delà des 39 heures, c’est-à-dire des heures supplémentaires non payées. Dans une enquête réalisée par les syndicats de la compagnie d’assurance le GAN, 42,5% des sondés déclarent effectuer des heures non compensées en moyenne de 7 heures par mois..
Les syndicats du textile veulent « mettre le paquet » pour les 32 heures ; c’est encore une illusion, quand on sait qu’il se prépare en Europe la liquidation de 850 000 emplois dans le textile suite à l’annulation de l’accord multifibres.
Ce que cherche le patronat, avec ses lois quinquennale et Robien... c’est à obtenir, sous couvert d’embauche, plus de flexibilité pour justement licencier davantage. La loi Robien est chargée de réussir là ou la loi quinquennale a échouée : l’article 39 de cette loi prévoyait que les réductions de charges sociales ne concerneraient que les entreprises qui baisseraient le temps de travail avec perte de salaire.
Comme on ne peut pas attraper le
serpent par la gueule, attrapons-le par la queue, c’est la démarche de
la loi Robien qui ne parle plus de cette obligation de baisser les
salaires pour obtenir d’importantes réductions de charges sociales que
le contribuable devra amortir.
Comme cette loi parle de réduction du temps de travail assortie de
créations d’emplois ou de RENONCEMENT à licencier, parions qu’avec les
plans de licenciements en chaîne qui tombent depuis le mois de juillet,
les licenciements seront nombreux et les embauches extrêmement limitées.
Parions aussi que, sous la houlette de la CFDT et autres, la baisse de salaire se fera par un gel des revalorisations de salaires.
Il faut savoir, que dans certaines entreprises, des accords à temps choisi ou partiel stipulent que le salarié bénéficiaire de cet accord ne peut plus revenir à plein temps : il s’agit donc d’un licenciement partiel.
La saga d’une réduction impossible et toujours d’actualité
L’affaire du « temps de travail » ne date pas d’hier. Cela fait plus de vingt-cinq ans que le patronat fait la chasse aux temps morts, à l’absentéisme.
Remontons à 1975 : dès cette année-là, la situation de l’emploi commence à prendre un tournant inquiétant, si inquiétant que les pays européens décident de convoquer une conférence tripartite de l’emploi (syndicats, patronats, et ministres du travail et des finances des pays membres). Bien que le problème de l’emploi soit jugé préoccupant, la conférence se soldera par des mesures de types classique :
modération de l’accroissement des salaires ;
ralentissement des dépenses publiques ;
le tout accompagné d’un renforcement de la collaboration de classe sous les vocables « d’une plus grande participation des travailleurs à la vie de l’entreprise ». C’est en 1975 que sort le rapport Sudreau sur la « réforme de l’entreprise »
La participation à la vie de l’entreprise s’est terminée pour des millions d’ouvriers et de salariés au bureau de chômage.
Au printemps 1977, une nouvelle conférence tripartite constate (notez le terme) un « encombrement » du marché du travail des demandeurs d’emploi, doublé de la poussée des femmes qui veulent trouver un emploi. La conférence découvre, avec effroi, qu’il n’est plus évident que les futurs investissements permettent d’enrayer la montée du chômage, car l’automation et la rationalisation viennent contrarier cette tendance.
Le BIT (Bureau international du travail) fait une déclaration qui confirme cette tendance ; il considère que l’évolution du chômage dans le monde va progresser à la cadence de 100 chômeurs de plus par seconde.
En 1979, les ministres du travail des neuf pays européens, après avoir planché sur « la répartition du travail », considèrent après le congrès syndical de Munich, que l’Europe des 35 heures est à l’ordre du jour. Mitterrand lui-même, après son élection, parlera de l’urgence d’aller le plus vite possible aux 35 heures.
Sous le règne du capital, ce n’est point le travail qu’il faut partager, c’est le chômage
Marx, parlant de la guerre que se livrent les capitalistes entre eux, disait :.
« Cette guerre a ceci de particulier que les batailles y sont moins gagnées par le recrutement que par le congédiement de l’armée ouvrière. Les généraux, les capitalistes rivalisent entre eux à qui pourra licencier le plus de soldats d’industrie » (Travail salarié et capital).
L’objectif de toutes les conférences, de tous les rapports syndicats-patrons, des réunions tripartites et du bourrage de crâne de la télé et de la presse féminine sur le temps de travail est de faire accepter le « partage du chômage et de la misère » et d’exploiter sans merci ceux qui restent au travail.
« La guerre mondiale » que se livrent
les capitalistes exige qu’en Europe la productivité rivalise avec celle
du Japon, celle des pays du tiers monde. Pour y parvenir, il est
nécessaire de briser les rigidités du temps de travail. C’est en ce sens
que le rapport Giraudet indiquait :
« Certaines catégories d’activité exigent des horaires diversifiés dans
l’année : c’est le cas des industries saisonnières telles que
l’agro-alimentaire, le tourisme, l’hôtellerie, ou des branches soumises à
des irrégularités, telles que le bâtiment et les travaux publics. C’est
aussi celui des industries fortement exportatrices dont la production
dépend de commandes irrégulières et aléatoires, ou encore des
entreprises en contact avec le public, qui doivent tenir compte de la
disponibilité de leurs clients (banques, petits commerces,
administrations). »
Le principe de l’annualisation du temps de travail venait d’être sacralisé par ce rapport. Pour faire face à la concurrence internationale, les capitalistes doivent se doter d’usines ultra-modernes qu’ils devront faire tourner à plein rendement (jour et nuit, pendant les congés, les week-end...) pour contrecarrer le phénomène de l’usure prématurée des équipements. Ils veulent une force de travail purifiée, dont on aura éliminé « la maladie, l’absentéisme, la maternité, la vieillesse... »
Tous les rapports (Boulin, Lucas, Giraudet) et lois (quinquennale, Robien) sur le temps de travail et son aménagement, conduisent à une meilleure utilisation des équipements et à l’augmentation des licenciements. Citons encore Giraudet :
« L’utilisation des équipements, les
rigidités de l’aménagement du temps de travail, particulièrement
marquées dans notre pays, conduisent à des utilisations annuelles
souvent insuffisantes des outillages de plus en plus perfectionnés et
coûteux dont les entreprises doivent nécessairement s’équiper.
» Supportable en période de forte croissance, cette difficulté conduit
parfois à renoncer à l’investissement, et donc au développement de la
productivité des équipements en période de quasi - stagnation. »
Et Giraudet poursuit en avouant sans détour que si le « temps annuel n’est pas utilisé pour dégraisser le personnel à faible productivité (...), il devient alors impossible de financer et de rentabiliser un outil plus moderne si le poids de son amortissement est obéré par sa trop faible utilisation » (page 22).
Le rapport Giraudet avait au moins le mérite de ne pas masquer que la réduction du temps de travail sur le cycle annuel ne serait pas créatrice d’emploi : « Dans la plupart des cas, les diminutions de temps de travail sont partiellement compensées par des gains de productivité. Même dans le cas du travail en continu, il n’est pas nécessaire de recruter à due proportion des heures perdues, car l’équipe supplémentaire absorbe dans un premier temps les renforts ou les équipes de remplacements préexistants. La réduction des temps de travail ne conduit donc jamais à la création proportionnelle d’emplois » (page 23).
Il suffit de voir l’accord de chez Whirpool (600 salariés) pour s’en convaincre. L’accord est accompagné d’une baisse d’horaire hebdomadaire, de 37 heures 75 à 36 heures 50. Cette société fabrique des sèche-linge et les variations de commandes sont de 1 à 5 et parfois de 1 à 10 selon les saisons.
Avec l’annualisation, la porosité du temps de travail disparaît, l’employeur économise le recours aux intérimaires (350 en automne 94), soit 45 % du personnel. Grâce à la loi quinquennale, qui permet désormais d’embaucher à temps partiel annualisé, l’entreprise va embaucher 40 intérimaires à temps partiel pour sept mois, de juin à décembre. Nous pourrions même prétendre qu’au concassage du temps de travail doit correspondre celui des contrats de travail en tout genre.
La campagne actuelle sur le temps de travail, loin de créer des emplois, ne fera qu’aider le patronat à en supprimer sous couvert d’embauche.
G. B. octobre 1996
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