vendredi 31 mai 2024

La dynamique capitaliste des économies étatisées (Adam Buick et John Crump 1986)

 

partie

La Fédération Communiste Anarchiste a décidé de réimprimer la brochure de John Crump, The Anarchist Movement in Japan (qui est un résumé de son livre Hatta Shûzô et Pure Anarchism in Interwar Japan) pour diverses raisons.

L’une est un hommage à la lutte continue du mouvement libertaire au Japon, attirant l’attention des camarades anglophones sur ce qui est malheureusement une partie peu connue de la lutte mondiale pour une société libre et égalitaire. Nous espérons que cela sera un point de départ pour une meilleure compréhension d’une tradition précieuse du communisme anti-autoritaire et pourra conduire à une coopération accrue avec les anarchistes japonais d’aujourd’hui, sur la voie d’un mouvement anarchiste véritablement mondial.

En plus d’être un exemple inspirant de lutte contre un État autoritaire puissant, cette histoire de l’anarchisme japonais est également d’une grande valeur en fournissant un exemple du développement de la théorie anarchiste. Les arguments clairs et convaincants contre le réformisme des syndicats et de la social-démocratie sont toujours d’actualité, tout comme la critique du bolchevisme, révélant sa nature hiérarchique inhérente en contradiction avec les affirmations souvent répétées des trotskystes selon lesquelles il n’a dégénéré que sous Staline. Cela sert également de leçon historique sur la futilité du recours au terrorisme face à la répression étatique et sur le danger des tendances anti-organisationnelles.

Encore plus important pour les anarchistes d’aujourd’hui est le compte rendu du débat entre les anarcho-syndicalistes et les communistes anarchistes du mouvement. Alors que nous, à l'ACF, avons des critiques sur certaines positions prises par les communistes anarchistes au Japon à différentes périodes, comme la formation d'un parti, le travail au sein de la structure syndicale, la distinction entre lutte de classes et insurrection, ainsi que leur vision quant à la manière dont la future société anarchiste sera organisée, nous pensons que le rejet du syndicalisme comme stratégie de révolution sociale est correct, notamment parce qu’il ne peut que reproduire la structure économique du capitalisme.

Notre objectif n’est pas de proposer dans cette courte préface une analyse approfondie de ces questions ou des nombreuses autres questions importantes soulevées par le mouvement japonais. Le pamphlet parle de lui-même et, comme c'est souvent le cas avec la littérature anarchiste actuelle, son succès sera jugé par son influence sur l'activité pratique des militants de la classe ouvrière d'aujourd'hui.

    Fédération communiste anarchiste, été 1996
A signaler les travaux de notre camarade Paulo (JPV  aujourd'hui décédé) sur les classes laborieuses au Japon.
Traduction du chapitre 4 de State Capitalism : The Wages System under New Management d’Adam Buick et John Crump, 1986. [+ pdf]

Introduction

Pour nous, le capitalisme a six caractéristiques essentielles :

1. La production marchande généralisée.
2. L’investissement du capital dans la production en vue d’obtenir un profit monétaire.
3. L’exploitation des salariés.
4. La régulation de la production par le marché à travers une lutte concurrentielle en vue de profits.
5. L’accumulation du capital de ces profits.
6. Un seul type d’économie mondiale.

D’après nous, en concentrant leur attention sur quelques caractéristiques particulières au capitalisme privé (existence d’une classe de capitalistes privés, etc.), la plupart des observateurs occidentaux n’ont pas remarqué les rapports sociaux cruciaux qui sont au cœur du capitalisme. On peut dire la même chose des idéologues du capitalisme d’État, qu’ils soient officiels ou officieux (les trotskistes). Ces rapports sociaux sont résumés dans les six caractéristiques que le capitalisme présente toujours, selon nous. Bien que certaines de ces caractéristiques soient plus difficiles à démontrer que d’autres dans les pays capitalistes d’État, nous croyons que des preuves indiscutables de l’existence de celles-ci (ou de leurs équivalents) peuvent être fournies.

Dans notre tentative de démontrer la nature capitaliste des pays capitalistes d’État, nous ne nous bornerons pas à des exemples pris dans l’économie russe. La Russie est le pays capitaliste d’État le plus ancien et, aux yeux de beaucoup, le pays le plus caractéristique de ce système, mais elle n’est pas nécessairement représentative du capitalisme d’État en tant que phénomène mondial. Certes, nous allons faire allusion à la Russie (et à d’autres pays tels que la Chine, la Yougoslavie et la Hongrie) au besoin, mais nous voulons examiner un modèle général du système. Même si la Russie, et dans une moindre mesure la Chine, fournissent les éléments principaux pour ce modèle (ce qui n’est que raisonnable vu que ce sont les pays capitalistes d’État les plus peuplés et les plus puissants), le modèle n’est pas la Russie en tant que telle. En fait nous avons fait abstraction de certaines caractéristiques spécifiquement russes telle que la nature fédérale de l’URSS.

Les caractéristiques principales de notre modèle de capitalisme d’État sont les suivantes :

1. Propriété d’État des principaux moyens de production.
2. Travail salarié généralisé.
3. Usage généralisé de l’argent et du calcul monétaire.
4. Un marché libre pour les biens de consommation.
5. Un marché pour les moyens de production étroitement contrôlés et « dirigé » par l’État.
6. Une activité « planificatrice » importante sans qu’une « économie planifiée » soit réalisée.
7. Un marché noir assez répandu.

Comme on peut le constater d’après ce modèle, nos divergences avec la plupart des experts occidentaux et avec les idéologues du capitalisme d’État se trouvent moins dans les faits que dans la façon de les interpréter. Même ceux qui rejettent la théorie du capitalisme d’État pourraient, pour la plupart, accepter notre modèle comme étant une esquisse juste de la situation qui existe dans la majorité des soi-disant pays socialistes. Là où nous divergeons, c’est sur la signification que nous attachons aux diverses caractéristiques que ces pays présentent. Par exemple, beaucoup voient dans la propriété d’État des principaux moyens de production une caractéristique d’une importance primordiale, tandis qu’ils considèrent le fait que le travail salarié est répandu de façon généralisée dans l’économie comme une caractéristique secondaire ne méritant d’être signalée qu’en passant. Pour nous, au contraire, la signification relative de ces deux caractéristiques est inversée.

Si nous parlons de la signification relative des diverses caractéristiques du capitalisme d’État, cela fait ressortir la nature de la démonstration dans laquelle nous allons nous engager dans ce chapitre. Prouver que les pays capitalistes d’État sont capitalistes en démontrant qu’ils présentent les six caractéristiques que, selon nous, possède toujours le capitalisme, n’a qu’une valeur limitée. Ce qui est d’une importance beaucoup plus grande, c’est de démontrer comment fonctionne le système capitaliste d’État, d’identifier les forces qui constituent sa dynamique interne. Notre approche est donc physiologique plutôt qu’anatomique. Nous sommes moins intéressés à noter les divers signes qui définissent la bête capitaliste (d’État) que de comprendre comment et pourquoi le capitalisme d’État fonctionne ; en d’autres termes, comment et pourquoi les prétendues sociétés socialistes sont contraintes d’accumuler du capital.

Le salariat

Pour la classe salariée, toute l’indignité et toute la misère que le capitalisme entraîne s’expriment à travers le système du salariat. En effet, c’est le fouet des salaires qui force les travailleurs à entrer dans les usines, les bureaux, les mines et les autres lieux de production afin d’y travailler pour le capital en produisant une plus-value. Conscientes de ce fait, les premières générations de travailleurs militants appelaient l’emploi salarié « l’esclavage salarié » Le travail salarié est au cœur du système capitaliste de sorte que, en avançant le slogan « abolition du salariat », ces militants revendiquaient en même temps l’abolition du capitalisme. Comme Marx l’a écrit dans un passage bien connu de Travail salarié et capital : « Le capital suppose donc le travail salarié, le travail salarié suppose le capital. Ils sont la condition l’un de l’autre ; ils se créent mutuellement ».

Dans le capitalisme d’État, tout comme dans le capitalisme privé, travailler pour un salaire est la caractéristique fondamentale de la vie des travailleurs. Sous le régime capitaliste, ces derniers ne peuvent accéder aux moyens de production et participer à la production qu’en vendant leur force de travail à une entreprise qui, quelle que soit la fiction juridique, leur est confrontée en tant qu’employeur. Une fois leur force de travail vendue, les travailleurs dans le capitalisme d’État, comme les travailleurs dans n’importe quelle forme de capitalisme, perdent tout contrôle sur l’utilisation de leurs énergies physiques et intellectuelles. Ils ne sont plus en mesure de décider librement de ce que leur force de travail produit, ni de l’organisation de la production. Au contraire, vendre leur force de travail, c’est l’aliéner en tant que marchandise et donc abandonner à une entreprise-employeur le contrôle de son utilisation. Le salariat est donc non seulement l’une des caractéristiques capitalistes les plus évidentes du capitalisme d’État mais son existence démontre que l’asservissement de la classe travailleuse continue.

Certains minimisent l’importance du salariat capitaliste d’État en prétendant que la force de travail n’est pas une véritable marchandise dans les soi-disant pays socialistes. Dans le passé on entendait dire, pour appuyer ce point de vue, que le chômage existerait si la force de travail y était une marchandise. Aujourd’hui, quand le chômage est visible dans des pays capitalistes d’État aussi divers que la Yougoslavie et la Chine, on entend moins souvent cette argumentation. L’objection la plus fréquente soulevée de nos jours est qu’il n’est pas exact de dire que les travailleurs dans le capitalisme d’État vendent leur force de travail puisqu’il n’y a qu’un seul acheteur (l’État) qui, en l’absence d’employeurs se faisant concurrence, peut dicter les prix des diverses catégories de force de travail. Selon ce point de vue, non seulement l’État est-il le seul employeur, mais le fait que les travailleurs soient empêchés de s’organiser collectivement pour défendre leurs salaires et leurs conditions de travail est une raison de plus pour nier que le salariat capitaliste d’État représente un véritable marché du travail.

A notre avis, l’idée qu’il n’existe qu’un seul employeur dans le capitalisme d’État est erronée et résulte d’une tentative trop simplificatrice de décrire l’économie de chaque pays capitaliste d’État comme une seule entreprise géante. Nous en dirons davantage plus loin sur la raison pour laquelle nous ne pensons pas qu’on peut expliquer le fonctionnement des économies capitalistes d’État en termes de Russie SA, Tchécoslovaquie SA, etc., concentrant ici notre attention à l’examen de la question de l’achat de la force de travail. Malgré le fait que, dans les pays capitalistes d’État, c’est l’État qui fournit aux entreprises leurs capitaux et qui écrème une bonne partie de leurs bénéfices, les entreprises sont plus que de simples succursales passives de l’État. Il est vrai que dans beaucoup de pays capitalistes d’État, l’État a essayé vigoureusement, de temps en temps, de maintenir les entreprises pieds et poings liés et de minimiser leurs initiatives économiques, mais les entreprises ont néanmoins toujours gardé un degré d’autonomie et une certaine marge de manœuvre, surtout dans le domaine des salaires et des conditions de travail. Il y a toujours eu une concurrence entre les entreprises pour l’achat de la force de travail (et notamment pour la force de travail qualifiée) et aucune réglementation bureaucratique n’a réussi à la faire disparaître. Bien qu’on ait introduit des restrictions draconiennes sur la mobilité du travail, celles-ci se sont toujours révélées inefficaces à long terme. Par exemple en Russie sous Staline, bien qu’il ait été illégal dans la période 1940-1956 de changer d’emploi sans permission officielle, ce système s’est érodé de facto vers la fin des années quarante et a fini par être aboli en 1956. Les tensions sociales contre-productives qui résultaient de ces restrictions sur la mobilité de travail peuvent être constatées par le fait qu’en 1956 38 % des salariés changeaient d’emploi. Actuellement, le taux annuel de rotation de la main-d’œuvre est retombé à environ 20 % (Chavance, 1983, pp. 14-15).

Même si ce sont les autorités centrales qui normalement établissent les grilles nationales des salaires dans les pays capitalistes d’État, et même si elles peuvent donner des instructions aux entreprises quant au montant global du fond de salaires et au nombre total de travailleurs à embaucher, ce sont les entreprises qui ont la responsabilité d’embaucher les diverses catégories de travailleurs. Puisque les entreprises subissent une pression énorme de la part de l’État les incitant à produire selon le plan économique, elles doivent avoir les travailleurs appropriés pour pouvoir atteindre leurs objectifs de production, même si pour ce faire il faut transgresser les règles ou enfreindre la loi. En prenant encore la Russie comme exemple, la plupart des entreprises ont des panneaux à leur porte, où elles affichent les emplois vacants en essayant d’attirer des travailleurs qualifiés avec des détails sur le logement, les services sociaux et les congés qu’elles peuvent offrir. La concurrence est si intense que presque un tiers des travailleurs est recruté en dehors des filières officielles, tandis que beaucoup d’experts occidentaux pensent qu’à part quelques exceptions, la grande majorité des ouvriers et employés sont recrutés aux portes de l’usine ou du bureau (Sapir, 1980, p. 165, et 1984, p. 6l).

Bien qu’il existe des preuves irréfutables que les entreprises capitalistes d’État se font concurrence pour acquérir de la force de travail, Tony Cliff, entre autres, nie que cela implique l’existence d’un véritable marché du travail. Il argue que même si le niveau des salaires nominaux peut être influencé par la concurrence entre les entreprises, les salaires réels ne peuvent l’être puisque « le montant total des salaires réels est déterminé à l’avance par la quantité de biens de consommation prévue dans le plan » (Cliff, 1970, p. 158). Cliff fait ici une double erreur, en exagérant l’impact de la planification et en négligeant le marché noir. Il n’est pas vrai que les régimes capitalistes d’État soient capables de planifier la production de biens de consommation aussi exactement que Cliff ne le pense. Par exemple, personne en Russie n’a planifié la production des réfrigérateurs par des entreprises appartenant à onze ministères de tutelle. Cette situation s’est produite par hasard quand des ministères responsables de l’industrie lourde se sont trouvés avec une capacité productive excessive, ont identifié les biens de consommation pour lesquels il y avait une demande importante, et ont autorisé des entreprises sous leur tutelle à produire des produits industriels légers. Quant au marché noir, nous y reviendrons plus tard. Pour le moment il suffit de faire remarquer que c’est précisément dans le domaine de la demande frustrée de biens de consommation qu’il est le plus florissant. Toutefois le terme « marché noir » peut prêter à confusion puisqu’il n’implique que l’achat et la vente illégaux des articles qui ont été produits légalement. S’il s’agissait simplement de cela, Cliff aurait raison de prétendre que la quantité des biens de consommation est planifiée. Le « marché noir » s’étend, cependant, dans le domaine de la production, et des termes tels que « seconde économie ») ou « économie souterraine » traduisent donc avec plus d’exactitude son importance pour le salariat, voire pour toute l’économie, capitalistes d’État.

Il serait facile d’accumuler des exemples prouvant que de véritables marchés de la force de travail fonctionnent dans les pays capitalistes d’État. Mais il est plus important d’être absolument clair sur ce que l’existence du salariat nous révèle sur la nature du capitalisme d’État. Premièrement, travailler pour un salaire est si dégradant et si aliénant que son développement à une large échelle dans une société a toujours reposé sur l’émergence d’une classe qui, à cause de son manque de richesses, n’a eu aucun autre moyen de se procurer les moyens de vivre. En d’autres termes, le fait que la classe travailleuse vende sa force de travail contre paiement d’un salaire dans les pays capitalistes d’État nous révèle que les travailleurs dans ces pays ne détiennent pas les moyens de production. Deuxièmement, une caractéristique de l’achat et de la vente qui existe partout est que, en achetant quelque chose, l’acheteur acquiert le droit de l’utiliser comme bon lui semble. Ceci s’applique tout autant à l’achat de la force de travail qu’à celui de toute autre marchandise ; le fait que la classe productrice travaille pour un salaire dans les pays capitalistes d’État nous dit donc qu’elle travaille selon les conditions fixées par l’employeur.

Une troisième leçon, tout aussi importante, à tirer de l’existence du capitalisme d’État est que, comme dans toute autre forme de capitalisme, la conscience de la classe travailleuse est formée par l’expérience de la vente de sa force de travail et par l’achat des biens de consommation. Ceci fait ressortir l’incohérence des idées telles que celles exprimées par Mandel qui ne cesse de nous dire que « l’économie planifiée » dans les pays capitalistes d’État est maintenue par la classe travailleuse face aux machinations de la « bureaucratie » et aux ambitions « restaurationistes » de la bourgeoisie (Mandel, 1969, p.16). « L’économie planifiée » ; est une pure abstraction pour la classe travailleuse. Ce que la classe travailleuse éprouve dans les pays capitalistes d’État sont les activités non-planifiables que représentent, d’un côté, le salariat et, de l’autre côté, l’obligation d’acheter des moyens de subsistance malgré des salaires bas et des magasins mal approvisionnés. Négligeant totalement le fait que la vie des travailleurs dans les pays capitalistes d’État est dominée par ces activités capitalistes de l’achat et de la vente, et l’effet que celles-ci ont sur la conscience des travailleurs, Mandel voit dans la classe travailleuse la barrière principale à la « réintroduction » des rapports sociaux capitalistes. Ne voyant que des formes superstructurelles telles que la planification et les nationalisations, Mandel souscrit à la notion trotskiste qu’une simple révolution « politique » suffirait pour ouvrir la voie au socialisme dans les pays capitalistes d’État. Au contraire, la raison fondamentale pour laquelle il faut une véritable révolution sociale dans ces pays (et, bien entendu, partout dans le monde capitaliste) est que, dans la lutte pour changer de société, les travailleurs doivent se transformer, en rompant avec des comportements capitalistes tels que l’achat et la vente et en acquérant une conscience socialiste.

Le travail salarié existe dans toutes les branches de l’activité productive des pays capitalistes d’État, même dans des secteurs relativement arriérés tels que l’agriculture. Cela veut dire que l’échange marchand couvre tous les secteurs de l’économie capitaliste d’État, et le fait que les prix de la force de travail des différentes catégories ne peuvent être fixés par décret doit forcément avoir une influence sur les prix des autres marchandises. Pour les travailleurs, le salaire est le prix de leur force de travail, mais pour les capitalistes (d’État) ce qu’ils paient en salaires constitue une partie de leur capital. Les salaires sont la partie variable du capital tandis que les moyens de production en sont la partie constante. Bien que le rapport entre le capital variable et le capital constant soit déterminé par la méthode de production utilisée, il existe néanmoins toujours une marge de manœuvre pour répondre aux prix. Ainsi, si le coût de la force de travail augmente par rapport au coût des moyens de production, les entreprises — dont la performance économique est mesurée, du moins en partie, par le montant ou par le taux des profits — essayeront de changer le rapport entre le capital variable et le capital constant au profit de ce dernier. En revanche, une baisse dans le coût de la force de travail mènera au résultat inverse.

On peut attendre que l’État fasse des efforts pour bloquer ces tentatives, selon le cas, en étant plus rigoureux dans l’allocation centralisée des moyens de production, ou en imposant des limites sur les fonds de salaires ou sur le nombre de travailleurs employés. Néanmoins des règlements d’État ne peuvent jamais supprimer complètement la marge de manœuvre des entreprises. L’allocation des moyens de production par les autorités centrales est fonction des demandes soumises par les entreprises (qui se font concurrence). Si les moyens de production sont sous-évalués par rapport à la force de travail, cela entraînera une demande insatiable de la part des entreprises. Dans cette situation d’un niveau élevé de demande, non seulement les entreprises deviendront de plus en plus exigeantes et de plus en plus tenaces dans leurs réclamations auprès de l’État, mais encore elles auront recours au marché noir, et les prix officieux des moyens de production augmenteront quels que soient les prix officiels fixés par l’État. Un autre phénomène fréquemment observé dans cette situation d’une surévaluation du prix de la force de travail est que les entreprises essayent de réduire leurs coûts salariaux en réduisant leurs dépenses sur l’entretien et sur la réparation des moyens de production, entraînant ainsi une diminution de leur rendement. Dans ces circonstances, des pressions s’exerceront de tous côtés sur l’État afin qu’il augmente les prix des moyens de production par rapport au prix de la force de travail.

Le fait que le prix de la force de travail ne puisse être déterminé avec rigueur par l’État a des implications profondes pour toute l’économie capitaliste d’État. Là où la force de travail est une marchandise, tous les autres biens et services deviennent des marchandises. Là où la force de travail a son prix, toutes les autres marchandises auront les leurs, par rapport à celui de la force de travail et entre eux.

Bibliographie

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