jeudi 9 octobre 2008
Malgré les différences de systèmes politiques – les Etats-Unis ne sont évidemment pas encore un pays fasciste – il y a, entre l’Allemagne de 1938 et les Etats-Unis d’aujourd’hui, certains parallèles frappants. Et notamment entre le lancement des titres MEFO par le ministre de l’Economie du Reich, Hjalmar Schacht, et la pyramide de crédit de l’économie américaine actuelle : les titres de l’entreprise privée Metallforschunggesellschaft (MEFO) ont permis, à partir d’un capital de départ de 100 000 reichsmarks, de créer l’équivalent de 4 milliards de marks de crédit (soit un rapport de 4000 à 1), somme qui a servi exclusivement au réarmement de l’Allemagne. Création, donc, d’une impressionnante pyramide de crédit liée à la production d’armements et nécessité de valoriser le capital investi en pillant les richesses de la planète : tels sont les plus frappants des points communs à ces deux situations. Pour le reste, on ne peut qualifier les Etats-Unis de pays fasciste, malgré la sévère répression intérieure (les mesures prises par John D. Ashcroft – l’Attorney General, équivalent plus ou moins du ministre de la Justice, NdE – et les milliers d’expulsions d’une légalité douteuse). Les manifestations de masse d’octobre et de décembre 2002, celle du 15 février 2003, les multiples résolutions prises par des conseils municipaux et des syndicats contre l’intervention en Irak avant même qu’elle ait commencé témoignent en effet d’un niveau de mobilisation contre la guerre qu’on ne s’attend pas vraiment à voir dans un pays fasciste – et qui dépasse déjà de beaucoup celui du début de la guerre du Vietnam.
Il est vrai que la production américaine d’armements était, jusqu’au 11 septembre, moins importante que dans les années 1980 aux Etats-Unis ou que dans les années 1930 en Allemagne. Mais avec le plan décennal de Bush pour le réarmement, qui représente un renversement important de tendance, on atteint à nouveau les niveaux de la guerre froide.
Si les Etats-Unis d’aujourd’hui, qui sont engagés dans des opérations militaires dans une centaine de pays, ne sont pas impérialistes, alors je ne connais pas le sens de ce mot.
Certains marxistes orthodoxes soutiennent que le dollar serait une monnaie comme les autres (comme l’euro ou le yen, par exemple). Ils considèrent que l’énorme dette extérieure des Etats-Unis (2 000 milliards de dollars) et le statut de monnaie de réserve du dollar représentent des éléments secondaires. En dernière analyse, ils défendent une conception ricardienne de l’argent : pour eux, l’argent est un simple simulacre du « véritable » échange, celui des marchandises. Or, l’argent en tant que capital dans le processus de valorisation A-M-A’ (argent-marchandise-argent) n’est pas seulement un simulacre, il acquiert au cours du cycle une composante fictive croissante, à côté de la part du capital représentant la « véritable » production marchande, qui elle aussi exige sa part de la valorisation.
Selon les estimations les plus précises, la dette extérieure totale des Etats-Unis dépasse 2 000 milliards de dollars (10 000 milliards de dollars détenus à l’étranger, moins 8 000 milliards de dollars d’investissements américains à l’étranger), soit plus de 20 % du PIB, pourcentage comparable à celui d’un pays du tiers-monde sérieusement endetté. C’est là une autre différence importante par rapport à l’Allemagne des années 1930, car dans l’extrême autarcie d’alors, seuls les pays les plus faibles étaient contraints de détenir leurs excédents commerciaux avec l’Allemagne en reichsmarks ; le troc était en outre une forme de commerce international très répandue – l’Allemagne avait d’ailleurs annulé unilatéralement ses dettes internationales liées au traité de Versailles et aux réparations de guerre.
Depuis 1945, le dollar est la première monnaie de réserve internationale. Au départ, il faisait fonction d’« or-papier », les créditeurs des Etats-Unis pouvant le détenir en réserve « au même titre que l’or » ; mais depuis 1971, les Etats-Unis ne remboursent plus leurs créditeurs en or, et le dollar est devenu du « papier-papier ». Peut-être qu’un jour le yen et l’euro lui feront concurrence, mais ce n’est pas demain que l’on verra l’Europe, ou le Japon, défier militairement et politiquement les Etats-Unis. Or, une monnaie de réserve ne se résume pas à un phénomène « économique ».
Depuis les années 1950, le système monétaire et financier international n’a cessé de connaître des problèmes, car l’endettement extérieur, le déficit commercial et le déficit des paiements des Etats-Unis n’ont cessé de grossir. La politique internationale des Etats-Unis vise, pour une bonne part, à obliger les détenteurs étrangers de dollars à les garder ; cela montre bien que l’argent n’est pas seulement un « simulacre » du véritable échange de marchandises, mais aussi une fiction derrière laquelle se joue un rapport de forces entre puissances. En l’occurrence, la position impériale américaine dans son ensemble, sur les plans économique, politique et militaire. Le reste du monde envoie de véritables produits aux Etats-Unis, et reçoit en retour des billets verts ; c’est là une forme de pillage des richesses mondiales bien plus raffinée que le programme allemand de travail forcé mis en place en Europe orientale après 1938.
La politique américaine vise à augmenter les capacités de pillage des Etats-Unis – surtout depuis la fin du système de Bretton Woods (1971-1973). Par pillage j’entends un accès aux richesses dépassant l’échange « normal » de marchandises.
Avec la dissolution unilatérale du système de Bretton Woods, les Etats-Unis ont dévalorisé de 10 % à 20 % les dollars détenus à l’étranger. La chute de 10 % à 20 % du dollar depuis un an [entre le début de 2002 et le début de 2003] a eu un résultat similaire. La déflation comme l’inflation ne font pas que changer le prix des marchandises, car le prix n’évolue pas pour toutes les marchandises de la même manière. La déflation pénalise les débiteurs (il leur faut gagner plus pour rembourser leurs dettes) et récompense les créditeurs (leurs prêts gagnent en valeur) ; l’inflation pénalise les créditeurs (leurs prêts perdent de la valeur) et récompense les débiteurs (ils peuvent rembourser leurs dettes à un taux plus faible). A ce stade, on voit bien que l’argent n’est pas seulement un simulacre : toute politique monétaire a aussi des conséquences sur la répartition des richesses. A la fin de la période de forte inflation de 1923 en Allemagne, la grande industrie était débarrassée de ses dettes et les ouvriers avaient réussi à sauvegarder leur pouvoir d’achat à travers leurs luttes, mais les classes moyennes – dont l’épargne avait financé la Première Guerre mondiale mais qui n’avaient aucun pouvoir de lutte collectif – se sont trouvées ruinées.
Alan Greenspan et la Réserve fédérale (la Fed) ont presque tiré leurs dernières cartouches. Ils ont ramené les taux d’intérêt à quasiment 0 %, et le taux des emprunts hypothécaires se renégocie, ce qui transfère des centaines de milliards de dollars de pouvoir d’achat dans les poches des classes moyennes. Depuis des années, l’endettement croissant du consommateur américain est la locomotive de l’économie mondiale. Quand ces mesures d’urgence perdront leur efficacité, un effondrement déflationniste ne pourra être évité qu’en faisant marcher la planche à billets à tout-va, autrement dit en pénalisant les créditeurs, et surtout les créditeurs étrangers, au moyen d’une inflation pire encore que celle des années 1970. Les marchandises payées en dollars destinés à rester dans des coffres-forts étrangers seront de fait partiellement « gratuites » pour le consommateur américain.
Depuis la fin du système de Bretton Woods et surtout depuis 1980, la politique des Etats-Unis consiste à faciliter le pillage des richesses étrangères (encore une fois, en échangeant ces importations « gratuites » contre une monnaie très fluctuante) et à contraindre à l’ouverture les pays et les blocs mercantilistes : Europe, Japon, « Tigres » d’Asie (par l’intermédiaire de la crise asiatique de 1997-1998), Europe de l’Est, Russie et Amérique latine. Les recettes du FMI et de la Banque mondiale en faveur du « libre-échange » et de la « transparence » consistent essentiellement à écarter les obstacles étatistes à la valorisation du Capital américain. Le Capital progresse et la société régresse.
L’Allemagne de 1938 était prise dans l’étau d’autres impérialismes (britannique, français et américain surtout), alors que, depuis 1971, les Etats-Unis bénéficient de mécanismes de pillage qui opèrent de plus en plus à l’échelle mondiale. En Chine et en Inde, qui disposent encore de grandes richesses, la politique américaine cherche à se débarrasser des structures mercantilistes en place, qui représentent un obstacle au pillage ; dans la même logique, en Asie centrale, elle cherche à mettre fin à l’isolement relatif de la région.
C’est en cela que nous pouvons, toutes proportions gardées, tracer un parallèle avec l’Allemagne de 1938.
(2003)
(Traduit par Echanges et mouvements)voir ECHANGES N°105 -2003
Video-https://www.youtube.com/watch?v=QrLpBg2Glcs
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