On ne peut que constater les coïncidences
entre les accords d’exploitation avec des sociétés étrangères
et les offensives d’Israël
Texte paru dans Echanges n° 48.
Voir aussi Gaza : murs souterrains et barrières maritimes et Une guerre classique : l’opération « Plomb durci » contre Gaza
« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels. » (Anatole France, 1920)
On croit se battre pour un État, on se bat pour le pétrole et le gaz.
On croit se battre et/ou manifester pour une cause juste, pacifique et/ou humanitaire, on se bat inévitablement aux côtés de ceux qui méprisent cette cause et se battent pour tout ce contre quoi on lutte : un Etat, une religion, un communautarisme.
On peut penser tout connaître sur Gaza, ce camp retranché où croupissent près de deux millions de « Palestiniens » dans ce que l’on peut appeler, à la suite de tant d’autres, « un énorme camp de concentration » (voir annexe ci-dessous). Mais, si parfois on sort de prison, l’immense majorité de ceux qui subissent cet enfermement ne peuvent sortir de Gaza, sauf dans la mort ou vers une autre prison en Israël.
Mais au-delà des reportages de tous genres, des déclarations politiques, des engagements du bout des lèvres, des protestations et/ou soutiens humanitaires camouflant souvent des intérêts politiques et/ou économiques, la réalité n’a que faire de toutes considérations hors de l’affirmation d’un rapport de forces sous-tendant des stratégies économiques et politiques et dépasse largement la guerre dans ce minuscule bout de territoire. Ce conflit n’est pas seulement dans une totale disproportion de forces entre un Etat existant –Israël– et un Etat qui voudrait exister comme tel– l’Autorité palestinienne.
Le conflit qui remonte au moins à 1948, date de création de l’Etat d’Israël, ne concerne pas seulement ces deux protagonistes : il est d’abord un maillon dans les stratégies globales des puissances mondiales, prenant une forme spécifique dans les affrontements du Moyen-Orient spécialement autour du contrôle du pétrole, se localisant autour de ces tentatives de créer un Etat palestinien et tirant en partie ses orientations dans les problèmes internes propres à l’Etat d’Israël lui-même.
Nous n’avons pas l’intention dans ces
lignes de développer des analyses à la fois historiques et actuelles de
chacun de ces points mais de donner des documents qui peuvent aider à
la compréhension de la situation présente.
Prenons
d’abord la situation intérieure d’Israël. L’économie d’Israël dépend
pour une grande part des relations avec l’ensemble du monde car, en
dehors de son agriculture, l’Etat jusqu’à récemment n’avait aucune
ressource naturelle (notamment, un tiers de ses exportations et
importations se font avec l’Union européenne, et il dépendait du monde
pour l’ensemble des matières premières dont le gaz et le pétrole). Cette
situation implique le contrôle de l’économie de la Cisjordanie et de
Gaza et un important apport de l’immigration, ce qui n’est pas sans
causer des problèmes à la fois intérieurs (voir L’économie israélienne « va bien » mais la pauvreté augmente)
et dans les relations internationales. L’ensemble et l’impact de la
crise engendrant une tension sociale permanente, la tentation est grande
de faire dévier – une solution classique – le mécontentement sur
l’engagement patriotique dans un conflit ouvert avec les Palestiniens.
Cette tentation est d’autant plus à portée de main que la présence d’entités palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza impossibles à réduire dans leur volonté de constituer un Etat est un obstacle permanent à la visée évidente des dirigeant israéliens de constituer le « Grand Israël » entre le Jourdain et la Méditerranée. Cette visée explique la poursuite des implantations de colons dans les territoires occupés pour créer des situations irréversibles. Ce faisant, Israël doit pratiquer de acrobaties politiques à l’égard des Palestiniens qui, tout en étant tous opposants d’Israël, sont divisés entre les Palestiniens d’Israël, les Cisjordaniens et les Gazaouïs qui sont traités sous des statuts différents. Cette politique de division pour prévenir une coalition jugée dangereuse (l’accord Hamas-Fatah étant un de ces dangers) est, par-delà l’irruption récente dans le débat politique des découvertes de gisements gaziers et pétroliers, un des éléments constants de la politique d’Israël et de ses interventions dans les territoires palestiniens maintenus sous tutelle (voir Gaza, le gaz dans le viseur, de Manlio Dinucci.
Ce qui reste ainsi cloisonné apparemment autour du mythe du « grand Israël » et de l’autre mythe de l’Etat palestinien n’est pourtant qu’un maillon sur l’échiquier des politiques et des conflits dans tout le Moyen-Orient. Il est évident que les puissances arabes, surtout celles disposant de ressources pétrolières, jettent d’une manière ou d’une autre de l’huile sur le feu dans tous les conflits entre Palestiniens et Israéliens, à défaut de pouvoir intervenir directement contre cet allié des Etats-Unis –pour lesquels Israël est en quelque sorte un substitut pour le maintien d’un certain ordre dans cette partie du monde. Si Israël a été « autorisé » à posséder la bombe atomique, c’était plus en vue de cette fonction de police que pour assurer la dissuasion contre des ennemis éventuels d’Israël. L’insistance d’Israël (et de ses alliés américains) pour empêcher l’Iran de posséder la bombe atomique visant avant tout à maintenir cet « équilibre » des forces dans tout le Moyen-Orient. D’où la persistance du soutien à cette sorte de guérilla menée par les Palestiniens.
Si le Moyen-Orient et tous les affrontements qui s’y produisent procèdent du contrôle des flux pétroliers sur le plan international, Israël et Palestine, bien que participant jusqu’alors indirectement à ces affrontements, s’y sont trouvés impliqués directement par les découvertes récentes de gisements pétroliers et gaziers dans toute la Méditerranée orientale, concernant tous les pays limitrophes depuis l’Egypte jusqu’à la Turquie y compris l’île de Chypre. Cette donne internationale risque de modifier profondément ce qui pouvait apparaître comme des conflits locaux et localisables.
Une question peut se poser quant à la position des citoyens israéliens face à la présente offensive (été 2014) contre Gaza. Pour le moment, l’opposition qui s’est manifestée contre les conditions de vie en Israël semble avoir été considérablement réduite à de petits groupes et à des attitudes individuelles. C’est pour montrer que cette opposition existe quand même que nous renvoyons au récit d’un déserteur de Tsahal, l’armée israélienne.
H. S.
ANNEXE
Fondée en 1500 avant J.-C., la zone de Gaza fut successivement occupée au XIIIe siècle avant J.-C. par les Philistins (qui donnèrent le nom de Palestine), les Assyriens, les Egyptiens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Romains, les Croisés, les Turcs, les Britanniques. Ceux-ci, après la première guerre mondiale, reçurent mandat de la Société des nations (SDN) pour une sorte de protectorat de l’ensemble de la Palestine jusqu’en mai 1948 alors qu’un projet de deux Etats conjoints, israélien et palestinien, fut rejeté par les pays arabes. Gaza fut envahi par l’Egypte et la bande de Gaza créée lors des accords d’armistice en 1949 dans les limites fixées pour des considérations purement militaires. Elle ne fut pas annexée à l’Egypte mais placée sous administration de l’armée.
En 1956, lors de la crise de Suez, la bande de Gaza fut occupée temporairement par Israël mais retourna à l’Egypte pour être de nouveau occupée par Israël lors de la guerre des six jours mais toujours sous administration militaire, israélienne cette fois, qui commença à y implanter des colonies. Mais la gestion de ce territoire s’avéra particulièrement difficile.
En effet, sur ce territoire de 360 km² (le cinquième du département de l’Essonne), vivent aujourd’hui 1 800 000 Palestiniens (80 000 en 1948, année qui vit affluer 200 000 Palestiniens expulsés d’Israël, avec une croissance démographique de 3% à 4% par an). Les seules ressources sont l’agriculture et la pêche, restreintes par les destructions israéliennes et l’amincissement de la zone territoriale avec interdiction de pêche, donnée qui change actuellement avec les découvertes de gisements pétroliers et gaziers dans les eaux territoriales de Gaza (voir Le gaz dans le viseur, de Manlio Dinucci).
En 1987, à cause de cette situation économique et sociale catastrophique, c’est à Gaza que naît la première intifada qui coïncide – pas par hasard – avec la fondation du Hamas, bras armé des Frères Musulmans, plus ou moins favorisé à l’origine par Israël pour contrer le Fatah d’Arafat.
En 1993 après les accords d’Oslo, l’évacuation de Gaza par Israël est envisagée ; elle devient de plus en plus d’actualité après la seconde Intifada en 2001, et devient effective en 2005 après un constant enchaînement de violence rendant impossible la gestion du territoire par les Israéliens. Mais cette évacuation implique un strict contrôle de toute l’activé économique et politique sur ce territoire qui en fait reste sous la tutelle étroite d’Israël. Ce qui accrédite encore plus la présence du Hamas dont la radicalité et la lutte armée contre Israël finit par lui donner le contrôle politique et administratif du territoire
La violence s’enchaîne avec des escarmouches vers Israël et des répliques totalement disproportionnées étant donné le déséquilibre des forces en présence.
Tous les moyens sont bons avec le contexte international pour que le Hamas se procure des armes légères à travers les fameux tunnels et mène ainsi une sorte de constante guérilla contre Israël. D’où les violentes répliques lorsque ces opérations du Hamas atteignent une certaine intensité, répliques qui ne visent pas tant à écraser le Hamas qu’à détruire toute les infrastructures qui constituent le squelette d’un État moderne. Les opérations « Plomb durci » de 2008, « Pilier de défense » de 2012, « Barrière protectrice » de 2014, montrent une régularité dans la volonté d’empêcher la bande de Gaza de devenir sous houlette du Hamas, une force capable de prendre la tête de la résistance palestinienne.
Deux facteurs ont sans aucun doute sous-tendu la dernière offensive d’Israël qui s’est révélée particulièrement destructrice et meurtrière : l’un est l’accord conclu entre le Fatah et le Hamas pour former un gouvernement d’union, Israël ayant toujours manipulé l’hostilité entre les deux factions, l’autre sont les découvertes des gisements pétroliers et gaziers dans les eaux territoriales de Gaza. On ne peut s’empêcher de constater les coïncidences entre les accords d’exploitation avec des entreprises étrangères et les offensives d’Israël.
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