«Démocratie» (et son adjectif démocratique) se retrouve partout aujourd’hui depuis la croisade américaine dans la Moyen Orient ou les supputations sur l’avenir de la Chine jusqu’aux assemblées populaires qui ont fleuri depuis le début du «arabe». Dans les pays où elle prétend exister, des voix se lèvent pour affirmer la nécessité d’une «démocratie; dans les pays dits totalitaires où elle n’existe pas, on la présente comme la panacée permettant de dépasser les affres d’une impasse économique et sociale.
Dans la réalité, dans tous les cas ainsi évoqués, rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. Il n’ya pas d’un côté les «» démocrates et de l’autre les «méchants» dictateurs Des monarchies peuvent être tout autant démocratiques (comme la Grande Bretagne par exemple) ou des dictatures féroces. Des démocraties formelles peuvent être libérales, ou autoritaires, quasi dictatoriales, c’est une question de circonstances et de nécessité. La démocratie présentée comme une «des peuples opprimés» ou être imposée par les armes dans l’intérêt d’une «démocratique» dominante.
C’est tout cet ensemble complexe dont le contenu réel varie dans des périodes historiques qui se traduit dans le vocabulaire en affublant le simple mot «démocratie» de qualificatifs au-delà des «» ou «ère» utilisés jusqu’alors. On n’en finirait pas d’énumérer les variations sur le registre «démocratie»: participative, paritaire, équitable, réelle, etc…
Cela conduit à se poser la question: qu’en est-il vraiment de la «démocratie»?
La survie de l’être humain dépend de son activité individuelle qui s’insère entièrement dans une activité collective. Cette activité collective de toute dimension est obligatoirement encadrée par des règles implicites et/ou explicites, coutumières et/ou définies formellement. L’ensemble de ces règles, mêmes minimales, peu contraignantes et universellement acceptées par ceux qui les ont définies et qui les modifient éventuellement tout aussi unanimement, peuvent se définir comme un régime politique.
Le contenu de tout régime politique, quel qu’il soit et quelle que soit sa forme se doit d’être défini en relation avec les processus économiques d’une société donnée, quelle que soit la dimension de cette société:
une relation des êtres humains avec toute chose, notion devant être prise au sens large de tout ce qui n’est pas être humain.;une relation entre ces êtres humains autour de cette relation avec les choses;le maintien de ces deux sortes de relations et la manière dont elles peuvent être modifiées;Il en est ainsi de ce que l’on dénomme «démocratie».
La notion de démocratie ne peut être traitée dans l’abstrait; ce mot en lui-même (comme souvent il est employé) n’est alors qu’un concept creux, une sorte de bouteille vide sur laquelle on peut gloser à perte de vue quant à sa forme, sa matière, un simple contenant mais qui peut être rempli par un système économique qui définit ces relations entre êtres humains et choses et entre êtres humains.
Le terme «démocratie» ne prend ainsi de sens que dans sa relation avec le système économique dans lequel elle est mise en œuvre. Ce n’est pas une exception: tout régime politique n’est que la gestion d’un type d’économie ou d’un ensemble d’activités humaines dont il définit les règles, en fixe les institutions, en garantit des droits liés à l’existence et au maintien de ce type de société ou d’un collectif d’activités. Ce faisant, il définit les relations ainsi précisées ci-dessus. Le caractère de ce régime, démocratique ou pas, c’est-à-dire sa forme, son plus ou moins grand degré de contrainte économique et sociale, dépend essentiellement des nécessités présentes du type d’économie dans lequel il s’est développé et il peut varier dans le temps en fonction de l’évolution de ces nécessités de cette économie. Les alternances d’un régime politique à un autre expriment les mutations du système économique. La démocratie n’échappe pas du tout, quoiqu’on en pense, à cette contrainte de l’économie, et les variations diverses de ses règles politiques n’expriment pas autre chose que ces mutations dans les relations économiques en son sein.
Tout système politique, démocratie ou pas, doit satisfaire à deux impératifs:- assurer la pérennité des éléments de base du système économique dans lequel il est apparu;- en garantir le bon fonctionnement en imposant des règles notamment dans les relations entre individus et choses et entre individus vivant sous ce système.
Par exemple, la «démocratie athénienne» ou la République romaine pouvaient paraître pour certains comme des modèles de «démocratie» applicables dans d’autres pays, mais elles reposaient sur une économie agraire et commerciale avec différentes catégories de la population, essentiellement les «» et les esclaves. En d’autres temps, la monarchie constitutionnelle britannique a pu apparaître comme un modèle démocratique mais elle n’était que le système nécessaire à la montée de la bourgeoisie industrielle assurant la domination de cette classe sur le monde du travail. On pourrait aussi citer la démocratie américaine qui fut aussi un «modèle démocratique» aux alentours de la révolution de 1789 et qui reposait tout autant sur l’esclavage des Noirs.; «» démocratie encadre strictement l’exploitation de la force de travail par le capital et réprime, parfois jusqu’à la dernière violence toute menace sur une paix sociale
Dans un régime capitaliste, quelles qu’en soient les modalités, la démocratie, quelles que soient ses variantes, se doit de garantir: la propriété de tous les biens pouvant être appropriés tant dans sa définition que dans sa transmission que dans sa protection contre toute infraction à ces règles d’où la nécessité d’un appareil répressif (armée contre les tentatives de dépossession extérieures, justice et police contre les tentatives de dépossession interne);l’exploitation de l’homme par l’homme c’est-à-dire l’extraction de la plus-value avec un système de régulation de la relation capital-travail et de protection à la fois du lieu de production et du produit de la force de travail, la marchandise;la paix sociale par une mainmise idéologique et tout un arsenal gradué de sanctions pour toute infraction aux règles de garanties de la propriété et de l’exploitation de la force de travail réprimée judiciairement et/ou policièrement; La démocratie «bourgeoise», celle qui s’est répandue dans les pays industrialisés après élimination ou adaptation des systèmes monarchiques basés sur un autre système économique, correspond à cette expansion du capitalisme.
Suivant les nécessités du capitalisme à l’intérieur d’un État ou sur un plan plus global, des variantes de la démocratie peuvent apparaître pour une certaine période; elle peut même disparaître pour un temps remplacée par un régime totalitaire, tout en conservant parfois les apparences de la démocratie comme par exemple en période de guerre ou de menace intérieure sérieuse en proclamant l’état d’urgence.
Les groupes politiques qui cherchaient à poser les termes d’une société différente, «» ou autre, proposaient souvent la domination d’un organe central, le parti. Un tel concept, quel que soit le nom dont on pouvait l’affubler, correspondait aux nécessités économiques de la construction d’une entité économique en concurrence avec des entités déjà parvenues à un stade plus avancé de développement.
D’autres concepts d’une société communiste ont développé une vision hiérarchisée d’organismes de base(les conseils ouvriers): à chaque étape de cette hiérarchie la «démocratie» consistait à régler les problèmes par des votes majoritaires. Une telle notion est le prolongement de la vision existante dans tout système démocratique basé sur la représentation et le vote majoritaire dont les travers se sont trouvés mis en cause récemment au nom d’une «démocratie réelle» ou «démocratie directe», de toute façon, quelles qu’en soient les modalités ne sauraient échapper aux nécessités impératives du système économique.
Ce qui fait que la «démocratie réelle» c’est-à-dire respectant la volonté de la totalité des acteurs sociaux, ne saurait être définie que dans un système sans exploitation de la force de travail, ces acteurs fixant eux-mêmes les règles de cette démocratie.
Il est impossible de définir dans le présent ce que serait la forme politique d’une telle société future, dont on ne connaît pas quelles formes de relations elle impliquerait en dehors du fait qu’elle devrait exclure l’exploitation de l’homme par l’homme, l’appropriation des moyens de production et du produit de toute activité collective.
On ne peut que souligner que la moindre action collective pose deux questions, en apparence techniques mais fondamentales: d’une part celle de la spontanéité évitant un débat ou du débat majoritaire ou unanime, d’autre part celle de la représentation collective ou déléguée. C’est impossible d’en envisager même des contours vagues car on ignore dans quelles conditions se mettrait en place cette nouvelle société, de ce que serait à ce moment le niveau de l’évolution de l’ensemble des techniques et de l’état du monde légué par le capitalisme.
H.S.
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