mardi 21 mai 2024

L’État et la loi de la valeur.(Gérard Bad)

 

 Article paru dans Echange numéro 101 été 2002 page 28

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Ce texte s’inscrit dans le débat sur le travail productif et improductif de plus-value. La question de l’État, voire de l’État-nation étant au centre des débats actuels, nous avons voulu montrer comment et pourquoi aujourd’hui le « libéralisme mondialisé » n’est que le développement normal du capital. Toutes les transformations et aménagements de l’État ne sont qu’une adaptation de la superstructure au redéploiement du capital ; l’État étant toujours au service de la classe capitaliste ou, plus exactement, au service des capitaux les plus puissants. Au passage, nous procéderons à une démystification du programme nucléaire français qui entre en contradiction avec certains pays d’Europe qui rejettent le nucléaire. Nous verrons aussi que tous les grands projets européens vont dans le sens d’une reprise par le privé de grands travaux, mais aussi comment l’État intervient pour aider ce capital à s’imposer, comment le « libéralisme » n’est qu’un mot trompeur qui ne signifie rien d’autre qu’une attaque systématique au volet social de l’État. Pour le reste, l’État providence est toujours présent pour aider les entreprises, pour endetter le peuple.

Le retournement monétariste de 1979 et la question de l’État.

C’est effectivement après 1979, qu’au niveau mondial la question de l’État et surtout de son surendettement vont être la cible d’une remise en question par les milieux financiers qui se rendent compte que les profits ne sont plus assez juteux, il y a crise de la rentabilité du capital au cours des années 70 . Le volet social de l’État va être la première cible, de ce mouvement capitalistique, qui va porter le nom de « mondialisation » ou « globalisation ».

 C’est sous le qualificatif de lutte contre l’État-providence qu’une formidable machine bureaucratique et judiciaire va remettre en cause l’ensemble des acquis sociaux dans le monde. L’argumentation des « libéraux » consiste à répéter « qu’ au cours des années soixante-dix, l’interventionnisme économique de l’État provoquait le dérèglement des mécanismes délicats de l’économie de marché, en retardant les adaptations nécessaires ». Les rigidités de l’état sont jugées insupportables par le courant monétariste, l’appareil bureaucratique de l’État est jugé comme une atteinte à la libre concurrence appelée pour la bonne cause « liberté individuelle ». On va critiquer le fait que l’État transforme peu à peu les « citoyens » en « assistés » passifs et irresponsables « les » nouveaux philosophes « (B-H. Lévy, A. Glucksmann, J.-M. Benoit, J,-P. Dollé...) vont jusqu’à considérer que l’État-providence est l’antichambre du totalitarisme.

 Ce retournement » anti-étatique du capital « vers la libre concurrence n’est en fait qu’un retour du capital à lui même » La libre concurrence est le rapport du capital à lui même, en tant que capital autre, c’est6à-dire qu’elle représente le comportement réel du capital « ( Marx, Grundrisse, 3 p. 259), Comme Mattick l’avait prévu le Keynésianisme aura une fin, mais le retour à la libre concurrence annonce aussi la contradiction immanente de la production capitaliste, celle ou il est lui même une entrave à son libre développement et dont il n’a pas conscience. La « mondialisation » a cette caractéristique aujourd’hui de vouloir abolir les frontières et de provoquer le libre affrontement concurrentiel des marchandises et des capitaux au niveau mondial pour contrecarrer ( pour combien de temps et dans quelles conditions) la baisse du taux de profit . Seulement il faut le rappeler, la libre concurrence a déjà été niée une première fois à l’échelle mondiale par l’introduction du Keynésianisme et de l’économie mixte après la crise de 1929. Le recours depuis 1979 de nouveau et à l’échelle mondiale à l’économie de marché, ne fera qu’entraîner une nouvelle fois le monde vers une crise catastrophique.

Les pionniers du libéralisme capitaliste

 C’est avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne début 1979 que le mouvement de » libéralisation « du volet social du capital va commencer. En 1980,ce sont les États-Unis de Ronald Reagan qui vont prendre la relève ; depuis tous les pays capitalistes ont appliqués et appliquent chaque jour la » déréglementation « . En France, la gauche est arrivée au pouvoir avec un » programme commun « en complète opposition avec l’abolition de la providence de l’État, programme de nationalisations mort-nées sur l’autel de l’Europe. Alors va s’amorcer l’ère de la cohabitation (gauche/droite) qui permettra un glissement en douceur vers un néolibéralisme pour un » État modeste « à la française (1983-1988) qui va finir par éclater sous la pression des éléments extérieurs. L’instauration d’une économie ouverte en Europe et dans le monde va rendre les capacités de régulation de l’État de plus en plus illusoires, la loi de la valeur frappe à la porte et menace maintenant des industries nationales et aussi européennes. Les secteurs monopolisés et protégés par l’État vont de moins en moins résister aux privatisations (c’est-à-dire à la mise en concurrence sur le marché proprement capitaliste des entreprises et des prolétaires privatisés). La remise en cause du volet social de l’État, va provoquer une collectivisation des différents statuts protecteurs et donc une abolition progressive de la distinction entre secteur public et privé toujours l’objet de rivalité au sein du prolétariat et que l’État utilisera pour attaquer l’âge de retraite du privé et ensuite du public en 1995 avec pour conséquence l’explosion sociale qui s’en est suivie.

Revenons en donc à » notre État modeste «  dont l’objectif est la destruction des engagements collectifs ( conventions collectives...) avec mise en spectacle de la » deuxième révolution individualiste « . La modestie de l’ État français ira jusqu’à provoquer un conflit important entre les partisans de l’école privée et publique. En 1983 F. Mitterrand déclare le 4 janvier » l’État n’est que la « solution ultime », à laquelle on a recours « lorsque son action devient à l’évidence indispensable » et il doit être « allégé de pouvoirs inutiles et pesants ». Le programme va être clair : allègement des charges pesant sur les entreprises, compressions des dépenses sociales, rigueur salariale dans le secteur public, réduction pour 1985 de 5500 fonctionnaires.

 De 1986 à 1988 , le gouvernement français prend de nouveaux engagements contre le salariat (libéralisation des prix, suppression du contrôle des changes, développement de la concurrence, lutte contre les rigidités concernant l’embauche et les dénationalisations).

 Le programme commun de la gauche est nié jusqu’à la moelle des os. Plus de 65 groupes (banques, compagnies d’assurances, entreprises industrielles), seront soumis à la privatisation . Ce programme va toucher les nationalisations de 1982, voire de 1945. Après « l’État modeste » et sa métamorphose, un nouveau qualificatif de l’État marque la période qui va suivre celle du « libéral-étatisme » avec une redéfinition du rôle de l’État français.

 En 1989, le gouvernement Rocard entend donner une nouvelle ambition à l’État, il parle de « renouveau du service public » dans la pratique il va constamment opposer les usagers au secteur public préparant ainsi le terrain des privatisations de 1993 du gouvernement Balladur ; 21 groupes visés : Renault, air France l’ Aérospaciale, en 1994 privatisation totale d’Elf-Aquitaine et de l’UAP.

 Dés 1987 date du début des dévalorisations financières en chaînes, la politique monétariste de l’ultra-libéralisme est remise en cause, le bilan est plus que négatif. De nouveau la question de l’État ; et de sa réhabilitation revient sur le tapis. En Grande-Bretagne Thatcher démissionne le 22 novembre 1990 ; c’est la fin des croisades contre le « Welfare State » (Etat-providence), Aux USA Bill Clinton est réélu sur un programme de relance de l’économie par des dépenses publiques, il veut « réinventer l’État » et parle d’une réforme en profondeur du système de protection sociale.

 Dans pratiquement tous les pays occidentaux des mouvements de réhabilitation du rôle de l’État auront lieu, mais la purge sociale aura été programmée par tous les États et la réhabilitation de l’État ne remettra pas en cause la poursuite de cette purge, elle va au contraire la diriger, la contrôler et l’accentuer.

Le nouvel État, n’est pas vraiment nouveau comme nous allons le voir.

Il est structuré autour de représentations comme : la subsidiarité, la régulation, l’équité.

La subsidiarité, n’est que la remise au goût du jour de la doctrine sociale de l’église, qui habilitait l’État à agir dans la seule hypothèse de carence de l’initiative privée. Ce n’est pas une découverte nouvelle , Marx à ce sujet faisait cette remarque :

« Pour que le capital assure la relève de l’État dans les travaux publics, il faut que la communauté réelle soit déjà largement représentée par la forme du capital. » ( Grundrisse, 3, p. 45, édt. 10/18).

 A cette fin, un organisme mi-public, mi-privé : le Centre européen pour l’étude des infrastructures (ECIS (sorte de clone spécialisé de l’ERT ) fut fondé en 1993 ; son objectif le développement des trains à grande vitesse, les aéroports, et 12000 Km de nouvelles autoroutes transeuropéennes. Tout retour à l’État pour le financement de travaux publics, serait donc un retour en arrière, une sorte d’incapacité du capital à s’assumer sans les béquilles de l’État. Nous verrons par la suite, que le capital et sa frange libérale, non seulement ne parviennent pas à se « libérer de l’Etat » mais en fait fonctionnent avec une aide constante de l’État national, mais aussi d’organismes chargés de la gestion du monde, avec notamment le FMI, la Banque mondiale, BEI...les forces armées de la communauté internationale ).

La régulation : La véritable fonction de l’État serait d’être un régulateur et non un fournisseur de biens et services qu’il faut laisser à des opérateurs privés, qui n’agiront que si le profit est au rendez-vous. L’ État, compte tenu des privatisations, devant renier son rôle d’État entrepreneur.

L’équité. Elle devrait se substituer, au principe républicain d’égalité , et donc admettre la réalité sociale d’inégalité sociale telle qu’elle est, sans l’hypocrisie de l’égalité juridique qui consiste à dire : «  Il est interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts. » ( A . France)

Mais en disant simplement : « il est interdit aux pauvres de coucher sous les ponts », la fracture sociale est reconnue comme telle.

La fameuse dette publique.

 C’est l’essor du capitalisme et de son système de crédit qui ont engendré le recours à l’emprunt pour financer les conditions de déploiement et de valorisation du capital, dans sa période de mondialisation coloniale. Tant que le capital n’est pas pleinement développé, les capitalistes demandent dans un premier temps .à l’État de prendre en charge des dépenses d’infrastructures ( route, chemin de fer ...). Par exemple dès 1842 par la Charte des Chemins de Fer, l’État finance une partie des travaux. Et dès le 17 août 1848 il indemnise les capitalistes de la faillite de la ligne Paris-Lyon en la nationalisant, les actionnaires recevant une rente perpétuelle. « Entre 1857 et 1863, 2600 Km. De lignes sont nationalisés. » ( Le Monde du 03.04.2001.)

 « Pour que la construction de routes soit entreprise comme une affaire aux frais du capitaliste, il faut plusieurs conditions que l’on peut toutes ramener à celle-ci le mode de production fondé sur le capital doit être développé sous sa forme la plus haute . » ( Grundrisse, 3, Chapitre du Capital, p. 43)

« Pour que le capital assure la relève de l’État dans les travaux publics, il faut que la communauté réelle soit déjà largement représentée par la forme du capital. » ( Grundrisse 3 . Chapitre du Capital page 45)

 En fait pour que le Capital assure la relève de l’État, il est impératif que l’entreprise soit rentable, sans quoi il est préférable pour le capitalisme de laisser à l’État la charge des infrastructures . En règle générale, les nationalisations ne sont qu’une reprise par l’État des entreprises en difficultés et donc ne rapportant plus de profits ( le cas Renault à part). De même toute restitution au privé (privatisations) suppose que l’entreprise soit bien rentable. La vague de privatisation internationale a cet objectif, exemple flagrant les ex-pays de l’Europe de l’est.

 Avec l’expérience historique, nous pouvons dire que depuis la fin du XIXe siècle, date à laquelle la société par action devient prédominante, que se généralise le système du crédit, nous avons assisté en Europe à un dualisme entre l’intervention de l’ État et les sociétés par action ; la fameuse économie mixte.

 Nous nous rendrons compte rapidement, que l’État va devenir complètement dépendant du capital financier et son principal courtier, contrairement à ce que prétendent ATTAC et .... Il n’y a pas de contradiction fondamentale entre le « libéralisme économique » et l’ État. Il n’y a pas un état au monde qui ne soit pris dans les filets de la finance et de l’endettement. Quand cela arrive ( Roumanie, Yougoslavie, Irak, Cuba, ) on sait comment ses derniers États « issus des luttes de libérations nationales » finissent. (coup d’État, ou sous les bombes de la communauté internationales, ou en état de siège alimentaire) . Revenons-en à notre dette publique ; dans le langage courant , la dette publique est considérée comme de l’argent emprunté par l’ État au plan national et international. Cependant cet argent ( pour reprendre Nicolas et d’autres...) ne sera pas dépensé en général comme capital.

 Cet argent sert à financer les administrations, les infrastructures non rentables, l’éducation , l’armée des fonctionnaires, la corruption.... autant de dépenses ( pour certaines utiles improductives de plus-value. L’argent des impôts comme l’argent emprunté par l’État aux financiers «  a été mangé, dépensé par l’État. Il n’existe plus...mais encore parce que jamais il n’avait été destiné à être dépensé en tant que capital » (Marx le capital, E.S L III, t 2 p 127). La faillite de l’ Argentine en est la démonstration la plus vivante aujourd’hui, véritable laboratoire des contradictions capitalistes.

 Depuis que Marx a étudié la question de l’État, l’ État a beaucoup changé il a pris une part prépondérante dans l’économie, il a même été question de capitalisme d’ État en URSS... La France elle-même est le pays du monde occidental le plus étatiste avec son « complexe militaro-industriel ».

C’est maintenant une constante de tous les États de ce monde de dépenser plus qu’ils n’encaissent par les impôts, taxes et prélèvements sur les salaires (ex : la CRDS Contribution au Remboursement de la Dette Sociale française ) . Ces endettements des États sont couverts par des emprunts nationaux et étrangers qu’ils devront rembourser avec un incrément. Il en résulte que le surendettement des États est une politique du capital financier, politique qui lui assure les titres les plus sûrs, de placement très fluide et de rendement régulier ; la limite c’est la faillite pure et simple de l’État. Le FMI reconnaît lui-même , que les marchés des titres obligataires publics sont devenus « l’épine dorsale » des marchés obligataires internationaux. Tout gouvernement doit donc être soumis au gouvernement de l’ombre des cercles financiers nationaux et étrangers qui disposent d’une assignation directe sur les États en rupture de remboursement de leur dette.

 La dette publique n’assure pas seulement le développement, mais aussi la sauvegarde du capital financier. L’État prend donc une part active au gonflement démesuré du capital fictif, et donc aux « bulles » spéculatives. Tous les États et leur gouvernements mettent en coupe réglée, leurs citoyens prolétaires, les pressurent jusqu’à la misère pour qu’ils remboursent la dette. Marx avait raison de dire :

« La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c’est leur dette publique. » ( K.Marx, T. 1, p. 721, du Capital, éd. Moscou)

En cela, tous les États font figure d’État mondial face au prolétariat.

L’ État entrepreneur et la loi de la valeur chez Marx.

 Je ne vais pas remonter ici à la royauté, mais partir directement de l’époque ou la bourgeoisie commerciale, financière et industrielle assume son hégémonie sur le monde agraire et charge l’État de lever les impôts et les tarifs douaniers et d’en exiger une part sous forme de subventions, d’aménagements fiscaux... A cette époque l’ État était protecteur, tuteur ; jamais entrepreneur et encore moins propriétaire d’industries . Il était hors de question à l’époque pour les maîtres-d’œuvre de la société industrielle d’en céder à l’État.

 C’est au tournant du XIX ème siècle, que la question du rôle de l’ État fut de nouveau au centre de l’évolution du capitalisme. Les Saint- Simoniens voulaient en rester à un État de « gouvernement des choses », d’autres exigeaient que l’État fut le possesseur immédiat de toutes les richesses de la République, d’autres revendiquaient un État populaire. Les préparatifs de la première guerre mondiale allaient élargir le champs d’intervention de l’ État ( premières nationalisations), mais c’est seulement après la crise de 1929 que l’intervention de l’ État dans l’ économie devint systématique.

 « Je dois admettre que cela peut aisément paraître étrange si on situe au milieu des années 30 la période pendant laquelle se situent les premiers pas vers les nationalisations. Il était rare alors que des firmes soient transférées à l’État, ceci correspondait d’ailleurs au programme électoral du Front Populaire qui ne visait qu’à de négligeables nationalisations seulement dans l’industrie des armements. Pourtant, si on considère les tentatives de planification de l’économie et la nationalisation comme une modernisation du capitalisme - ce que T pense tout comme moi je crois - on ne doit pas oublier que le capitalisme français moderne est né au cours de l’été 1936 comme une réaction à la vague d’occupations et de grèves. Son acte de naissance, ce sont les fameux accords Matignon qui non seulement garantissaient à la classe ouvrière française des augmentations considérables de salaires, les 40 heures, les congés payés et une meilleure Sécurité Sociale ( une contribution essentielle à l’accroissement de la productivité), mais aussi posaient les fondations d’une action concertée des syndicats et des employeurs par le canal des délégués syndicaux, en bref, posaient les conditions premières pour une gestion moderne. » C. Brendel

 A mon sens , l’intervention de l’ État est plutôt la marque d’une faiblesse du capital national, c’est une situation qui lui est imposée par les nécessités économiques ; c’est d’ailleurs dans ce sens que Marx intervient sur la question de l’ État entrepreneur.

Marx n’est pas très prolixe sur le rôle économique de l’État. C’est surtout dans « Grundrisse (fondements) de la critique de l’économie politique 1857-1858. Chapitre 3 du Capital éd. 10/18 » qu’il développe le sujet. Dans son exposé, Marx va bien mettre en exergue la différence de fonction du capital et de l’État : le premier cherchant l’extraction constante de la plus-value, le second suppléant par les taxes et impôts à la déficience du premier.

« Pour que le capital assure la relève de l’ État dans les travaux publics, il faut que la communauté réelle soit déjà largement représentée par la forme du capital » p. 45

 Pour Marx donc le recours à l’état marquerait, non une force du capital, mais tout au contraire sa faiblesse et son manque de développement. Par conséquent le recours au capitalisme d’ État( thése de Castoriadis et autres...) ne serait pas un signe de haut développement des forces productives mais le contraire. L’ État n’étant que les béquilles dont le capital a encore besoin pour le développement de son accumulation, et qu’il rejette dès qu’il commence à marcher. Pour nous faire comprendre sa démarche Marx va prendre en exemple la construction de routes par l’État. Pour se faire il remonte (p.42) à l’état romain ou il compare le mercenaire romain qui construit les routes à l’ouvrier exploité par le capitaliste.

« Il s’agit bel et bien d’une libre vente de travail de la part du soldat, mais l’ Étatne l’achète pas pour produire des valeurs. Bien que la forme du salaire ait existé très tôt dans les armées, ce mercenariat diffère fondamentalement du travail salarié : s’il lui ressemble quelque peu, c’est parce que l’état utilise l’armée pour accroître sa puissance et sa richesse » (P. 42).

 Le fondement de l’argumentation de Marx, consiste à dire que l’ État n’achète pas le soldat salarié pour produire de la valeur, il est parfaitement clair pour lui que pour que le capital envisage de construire une route où un chemin de fer , il faut que le MPC soit « développé sous sa forme la plus haute » c’est-à-dire un capital concentré, un capital par action qui rapporte des intérêts et non des profits ( car il n’est pas indispensable qu’il donne plus que l’intérêt, surtout à l’époque de la domination du capital financier). Pour que le capital intervienne, il faut que la construction de routes et d’autoroutes soit rentable, « et les entraves dues à la pénurie de moyens de communication doivent être ressenties assez vivement pour que le capitaliste puisse réaliser la valeur de la route... ». Si ce n’est pas le cas « le capital en fait supporter la charge à l’État » (P.45). Ce problème se pose actuellement en Europe avec les grands projets d’infrastructures dont nous parlerons plus loin.

 Le travailleur de l’ Etat, étant rémunéré par des prélèvements sur le revenu social, par voie fiscale, ce travailleur bien que salarié n’est pas un créateur de plus-value.

« Le revenu n’est pas du capital, mais un fonds de travail, et le travailleur, bien que salarié, a un statut économique différent de celui du salariat proprement dit » (p.47) . Pour Marx «  le travail peut être nécessaire sans être pour autant productif » (p.49).

Il en résulte que si le travailleur est rémunéré « par la caisse de l’Etat ; les ouvriers ne feront pas alors figure de travailleurs productifs, bien qu’ils augmentent la force productive du capital » (p.49)

Et l’on découvre ici, que non seulement les fonctionnaires ne sont pas productif de valeur, mais on s’interroge sur les ouvriers de Renault ( entreprise publique) sont ils créateurs de plus-value ?

 Il y a une différence notoire entre les salariés des services publics ( Services de l’ État(tabacs, alcools, poudres, caisse d’épargne, fabrication d’armement) Les établissements publics (HLM... hôpitaux....ports autonomes, aéroports ...) et ceux des entreprises nationales ou publiques. Dans les services publics, les salariés sont rémunérés par de l’argent de l’Etat : « importance des subventions d’équilibre qui couvrent parfois plus de 50% des frais de fonctionnement ; par l’exemption d’impôts ; et l’absence d’amortissement des immobilisations ; par un ou plusieurs comptes au Trésor. » Les salariés des entreprises nationales ou publiques sont gérés en droit commun et leur gestion s’apparente à une entreprise privée ( EDF.,GDF, Banque de France, Renault ...). Dans le cas de Renault, le statut des salariés n’était pas un statut de fonctionnaire ; les salariés de Renault dépendaient de la convention collective de Branche, et les salariés de Renault ne se sentaient pas liés en quoi que ce soit à l’État. La régie Renault était en autonomie de gestion dans le secteur concurrentiel, elle faisait de très confortables bénéfices. La Régie Renault s’est donc développée par autofinancement, EDF par appel à l’épargne publique, et d’autres entreprise publiques ( SNCF. ou RATP) par les subventions gouvernementales ( c’est-à-dire l’impôt qui est l’épargne des citoyens).

 Si l’on s’en tient aux critères énoncés par Marx, les travailleurs de la régie Renault produisent de la valeur, ceux d’EDF ( la question reste ouverte) , ceux de la RATP et de la SNCF subventionnés , ne peuvent pas produire de valeur.

Force et limites de l’activité économique de l’Etat.

 Quand l’Etat, prend le relais de l’entreprise privée il le fait en tant que communauté de destin d’individus , séparés et mutilés de la sphère du citoyen du monde marchand. Le destin de toute communauté est de se reproduire et donc l’ État a pour fonction centrale de reproduire et de maintenir les rapports sociaux existants. C’est-à-dire en ce qui nous concerne ici, l’ État se doit d’intervenir pour favoriser la reproduction du capital et donc le travail productif de plus-value.

 C’est ce qu’il va faire, en militarisant l’économie française et plus encore en introduisant le programme nucléaire français. La militarisation de l’économie indique que le MPC du pays concerné est de plus en plus dépendante des marchés d’État, c’est-à-dire des interventions de l’ État qui permettent aux groupes financiers d’obtenir des débouchés de plus en plus importants, les aidant ainsi à devenir hégémoniques sur le marché après avoir éliminé leurs concurrents. Les interventions de l’ État sont de plusieurs types : soit un apport financier direct, qu’il soit appelé aide, prise de participation, ou nationalisation, soit un marché. L’ exemple le plus récent est le programme d’aides à Airbus pour l’A380 « Les investissements prévus par l’ État pour les aménagements fluviaux et routiers devraient se monter à 180 millions d’euros, dont environ la moitié doit revenir à la charge de d’Airbus. (...) Ces avances de l’ État seront accordées aux taux actuels pratiqués sur les marchés, ce qui devrait lui rapporter des intérêts s’élevant au total à 30,5 millions d’euros. » (La Tribune du 11 mars 2002)

Ici je vais volontairement m’en tenir au rôle des marchés d’État. Produire des armes, c’est produire des marchandises dont la valeur n’est pas réalisée sur le marché quand il s’agit de commande d’État. Pour les armes vendues sur le marché mondial, elles deviennent des marchandises comme les autres et rend possible leur réalisation (vente). La production d’armement, consiste donc à investir, à l’échelle de toute la société, une partie de la plus-value à des fins improductives, dans le procès de production ( la production capitaliste je le rappelle étant toujours la production de plus-value et pas une production de telle ou telle valeur d’usage). Si pour les groupes industriels qui produisent des armes les commandes de l’ État viennent en même temps soutenir leurs exportations, pour les autres industriels ces commandes improductives sont autant d’entraves à l’autofinancement de leur secteur. Il en résulte des contradictions qui se manifestent au sein même du gouvernement et de l’appareil d’État. A la différence des commandes d’armes, les marchés d’ État ne concernent pas obligatoirement des dépenses improductives, mais le corps des fonctionnaires et les marchés qu’ils génèrent sont parasitaires. Bien qu’ils fournissent des débouchés important aux industriels qui se chargent : de la construction des bâtiments, ou des gilets pare-balles pour les flics...

 Que les marchés d’ État soient improductifs ou non, ce qui importe pour le capital c’est que les commandes de l’ État soient stratégiques et soutiennent les industries de pointes. Leurs caractéristiques est que généralement ils sont liés à la concurrence que les industriels rencontrent sur le marché mondial. Avec un peu de recul, nous pouvons nous rendre compte que le programme nucléaire français a été mis en place pour soutenir les entreprises industrielles qui n’intervenaient que rarement dans les commandes d’armement.

 Le programme nucléaire visait donc à soutenir les groupes financiers et industriels qui ont des difficultés à vendre dans le monde des moyens de production : machines, usines clés en mains, installations de production d’énergie...Les commandes de l’état jouant le même rôle que celles des armes, mais à une plus grande échelle. Commandes qui soutiendront les entreprises en questions sur les marchés de moyens de production qu’elles ne parvenaient plus à obtenir. Le coût d’une seule centrale nucléaire à l’époque était de l’ordre de 100 fois le prix d’un mirage 2000. Le but du programme nucléaire était bien de réduire le nombre de groupes concernés par les marchés des moyens de production que la France pouvait espérer vendre dans le monde. Le programme nucléaire français d’hier et d’aujourd’hui ne se justifie que parce qu’il offre des commandes à l’industrie, le besoin en énergie étant toujours l’explication pour le bon peuple et la classe moyenne. Commander des centrales BWR aurait signifié, une aide de l’ État français à la grosse chaudronnerie italienne. Deux groupes à l’époque s’affrontaient, la CGE par Sogerca proposant ses centrales BWR, et Empain-Schneider par Framatone proposant ses centrales PWR. Le même débat revient sur le tapis aujourd’hui parce que les centrales sont plus qu’obsolètes ; de nouveau Framatome est en lise et propose son « réacteur nucléaire du futur » l’European Pressurized Water Reactor (EPR). «  Au passage, le patron de Framatone ne manque pas de rappeler les avantages commerciauxquele groupe français pourrait retirer d’une installation pilote ( soutenue par le syndicat CGT) :

 » Nous avons peu de chances de vendre l’EPR à l’étranger si nous ne l’avons pas d’abord mis en œuvre chez nous «  ( La Tribune du 29 janvier 2002). D’une puissance nominale de 1.550 mégawatts, le prototype de l’ ERP peut aujourd’hui être installé sur n’importe quel site nucléaire français. Sa durée de vie est de 60 ans, son coût de 2 et 3 milliards d’euros.

Quand Mitterrand lança son  « il faut revoir Yalta » il ne faisait que revendiquer un cadre élargi pour favoriser l’expansion des grandes firmes européennes notamment celles qui allaient en 1983 fonder l’ERT . Depuis que Yalta est tombé, on ne parle plus que de la grande Europe et l’ERT par sa puissance modèle de plus en plus l’intégration européenne dans le seul intérêt de ses membres. En fait les grands patrons de ces firmes dirigent l’Europe dans l’ombre. L’ERT veut un élargissement à l’Est rapide ; elle est à l’origine des grandes décisions sur le développement des transports trains à grandes vitesse, construction d’autoroutes, élargissement et construction d’aéroports doublement du trafic aérien...matérialisé par le projet TINA (Transport Infrastructure Needs Assessment) qui est la mise en place de 14 projets de transports prioritaires retenus au conseil européen d’Essen. Le groupe TINA comprend des hauts fonctionnaires de vingt-six pays européens et un secrétariat basé à Vienne ; il a à son programme : 18 030 kilomètres de routes, 20 290 kilomètres de voies ferrées, 38 aéroports, 13 ports de mer, 49 ports fluviaux ( coût estimé 100 milliards d’euros.).

Qui va donc financer » ces grands travaux « l’ État ou le capital ou les deux ?

 On apprend que l’U.E. octroierait 500 millions d’euros par an, tandis que la Banque européenne d’investissement (BEI) accordera des prêts à taux bonifiés. Ici des fonds d’Etats et le capital sont engagés dans un important investissement productif, qui va faire travailler de nombreux secteurs et ensuite favoriser l’écoulement des marchandises dans la grande Europe. Cependant ces travaux payés par des fonds d’États sont une aide aux grandes entreprises pour l’écoulement de leurs marchandises, l’ État ne va rien récupérer. Par exemple la mise en place à Dourges, d’une plate-forme multimodale, dans le Pas-de-calais va coûter 2 milliards de Francs. Un milliard sera à la charge des pouvoirs publics et de l’Europe , l’autre milliard à la charge des opérateurs privés pour leurs propres équipements logistiques. L’ État ne vas pas gagner un euro dans cette opération il va tout dépenser pour le compte du capital dans son ensemble, il va agir comme État-providence .

Conclusions : l’existence d’un secteur public industriel, en France a été une réaction de l’ État français à la concurrence surtout américaine dans ses choix stratégiques et donc un signe de faiblesse par rapport au géant américain. L’ État français après sa glorieuse résistance ( gaulliste et PCF) aux États-Unis ; allait trouver sa solution » libérale « au sein de l’Europe. Fondé sur le régime de la propriété privée des moyens de production et de la concurrence qui en découle, la nature même du capital nous l’avons vu est de toujours revenir a sa source : » la libre concurrence « . L’autre face de la médaille » la propriété d’ État« c’est-à-dire la propriété des capitaux les plus puissants à s’approprier les finances publiques pour le développement de leurs secteurs privés ( l’enjeu régulier des élections politiques) conduit à considérer faussement certains salariés des entreprises d’ État comme des sortes de » fonctionnaires ". Encore une fois et selon Marx, tout dépend qui les rémunère, le capital ou l’État ! et dans quel secteur ils interviennent.

Ces deux types de structure économique et sociale sont ambivalents ; la libre concurrence tout comme le socialisme d’ État ne sont jamais purs ; le système capitaliste dans son ensemble est dual et est contraint de naviguer dans cette dualité. Dualité que nous retrouvons en philosophie : le capitalisme est matérialiste en philosophie de la nature et idéaliste en philosophie de la société humaine. Il n’est donc pas étonnant qu’il s’accommode ( le gestionnisme) aussi bien de son dualisme économique que philosophique, et que selon les impératifs du moment, il donne la prééminence à tel ou tel choix. La cohabitation politique française est une expression politique quasiment pure de ce dualisme.

G. Bad extrait de l' Étatet la loi de la valeur paru dans Echange numéro 101 été 2002

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Au moment où une catastrophe nucléaire touche le Japon, il est bon de rappeler qu' Angela Merkel s'était inclinée devant le lobby du nucléaire ( une affaire française). Elle entendait ainsi mettre son pays sur la voie d' une véritable « révolution énergétique ». Les événements catastrophiques qui se déroulent au Japon, et les manifestations monstres en Allemagne, lui font, avant le cirque électoral, faire volte face. Mardi 15 mars 2011, la chancelière, déclarait  que les sept réacteurs nucléaires les plus anciens allaient être arrêtés durant trois mois. Ces réacteurs, fabriqués sous une licence de General Electric, seraient comparables à celui de Fukushima.L 'article ci- dessus ce veut un rappel sur les raisons de la politique française du tout nucléaire.

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