jeudi 6 juin 2024

12-Fukushima, un test pour la chaîne globale d’approvisionnement

 Marchandises, transport, capital et lutte de classes-

Nous citons ci-dessous un article du New York Times qui met l’accent sur les conséquences industrielles du tremblement de terre et du tsunami consécutif qui ont frappé le Japon en mars 2011 (les conséquences du séisme sur la centrale nucléaire ne sont pas abordées).

 « [Dans la nuit du 11 au 12 mars 2011],
à 3 h 30 en Californie, on réveille Tony Prophet, vice-président opérationnel de Hewlett-Packard, pour lui dire qu’un tremblement de terre et un tsunami viennent de ravager le Japon. Aussitôt, Mr Prophet convoque une “réunion de travail” virtuelle pour que les cadres supérieurs de la société au Japon et aux Etats-Unis prennent la mesure de l’information.

  » Mr Prophet supervise à HP les achats de pièces destinées aux chaînes des usines, ce qui représente 65 milliards de dollars [par an]. Ces usines sortent deux ordinateurs par seconde, deux imprimantes par seconde et un ordinateur plus puissant toutes les quinze secondes.

  » Pendant que les autres membres de la direction s’informent de l’état des travailleurs japonais de l’entreprise (aucun d’entre eux n’avait été blessé), Mr Prophet et son équipe tentent d’évaluer l’impact de la catastrophe sur les fournisseurs japonais et les moyens de faire face à de probables défaillances.

  » Le système moderne d’alimentation des chaînes industrielles ressemble à des systèmes biologiques complets, comparables en bien des aspects au corps humain. Il peut être remarquablement résistant et autoréparable, mais parfois totalement vulnérable à quelques faiblesses apparemment mineures – comme le plus léger incident dans une artère cruciale peut causer une crise cardiaque.

 » Jour après jour, le flot global de pièces s’adaptent de façon routinière à toutes sortes d’incidents. La rupture d’approvisionnement venant d’une usine dans un pays est rapidement compensée par un supplément d’approvisionnement d’autres fournisseurs du réseau. Parfois le problème concerne une région entière et requiert un traitement d’urgence pendant des jours ou des semaines. Quand, au printemps 2011, un volcan islandais est entré en éruption, dispersant des cendres dans tout le nord de l’Europe et clouant au sol le trafic aérien, les sorciers de la chaîne d’approvisionnement furent mis à rude épreuve, jonglant avec la production et l’acheminement du monde entier pour que le flot de pièces continue à couler.

  » Mais le désastre de Fukushima présente un problème jamais vu auparavant, même si rien n’est sûr. Le Japon est la troisième économie mondiale et un fournisseur essentiel de pièces et d’équipements d’importantes industries telles que les ordinateurs, l’électronique et l’automobile. Les pires destructions sont proches de l’épicentre de la secousse, au nord-est de Tokyo, mais le cœur industriel du Japon se situe beaucoup plus au sud. Les questions les plus graves concernent la durée des coupures d’électricité et des perturbations dans les transports.

 Dans tout le pays, de nombreuses usines sont fermées jusqu’à une date incertaine.

 » Les effets s’en font ressentir aussitôt à l’échelle mondiale : par exemple une usine de camions de General Motors en Louisiane annonce dès le jeudi [17 mars] qu’elle doit fermer, manquant de pièces venant du Japon. D’autres chaînes de montage seraient aussi touchées…

  » La bonne nouvelle pour l’activité industrielle mondiale est que dans la plupart des secteurs, le Japon joue un rôle important en fin de chaîne. La plupart des composants, comme les semi-conducteurs, sont maintenant produits dans différents pays. Cela contraste avec la situation du début des années 1990 où pratiquement les 486 microprocesseurs – les composants de la plupart des ordinateurs – étaient fabriqués dans une seule usine près de Jérusalem.

  » L’importance du Japon dans l’industrie des semi-conducteurs a été réduite ces dernières années ; une bonne partie de la production a été transférée en Corée du Sud, à Taïwan et en Chine. Le Japon compte pour moins de 21 % de la production mondiale de ces composants, contre 28 % en 2001. Il produit cependant encore une part élevée (35 %) de certaines puces électroniques importantes, comme celles utilisées dans les smartphones ou les tablettes, dont Toshiba est le principal producteur. Mais des sociétés de Corée du Sud comme Samsung sont aussi importantes dans cette production.

 » Le champ des acquisitions et du transport des composants a été transformé au cours de la dernière décennie. La globalisation et la technologie en ont été les forces agissantes. La fabrication est délocalisée dans le monde entier dans des endroits choisis pour leur compétence et leur bas coût. L’ordinateur ou le smartphone d’aujourd’hui sont un assemblage de pièces qu’on pourrait comparer à l’ONU ; ce qui veut dire que les routes d’approvisionnement sont beaucoup plus longues et beaucoup plus complexes que dans le passé.

  » On n’a pu traiter ce réseau complexe qu’avec Internet, les puces électroniques et les lecteurs insérés dans les pièces. Des dispositifs sophistiqués sont utilisés pour suivre et orchestrer le flot des marchandises à travers le monde.

 » L’évolution géographique et technologique, en théorie, doit rendre plus facile l’adaptation au désastre japonais pour les chaînes d’approvisionnement. “Autrefois, la parade à une rupture était régionale. Maintenant, elle est globalisée.” (T. Carroll, vice-président des opérations mondiales chez IBM.)

  » La plupart des pièces peuvent être suivies, mais cela demande une technologie pointue, des investissements et des efforts. A mesure que les réseaux deviennent plus complexes, des fils ténus comme disent les experts, et que les routes d’approvisionnement s’allongent, les difficultés et les coûts de ces trajets s’accroissent.

  » “La plupart des entreprises sont en constante communication et ont une connaissance approfondie des premiers fournisseurs. Mais les risques sont beaucoup plus grands avec la seconde couche de fournisseurs, plus petits et à peine connus.” (D.B. Yoffie, professeur à la Harvard Business School.)

 » En fait, les fournisseurs des composants électroniques les plus coûteux, comme les mémoires flash ou les écrans à cristaux liquides, retiennent l’attention, mais toutes sortes de petites pièces non spécialisées comme les connecteurs, les hauts-parleurs, les micros, les piles... n’ont pas de deuxième source et n’ont pas l’attention qu’elles méritent. La plupart viennent du Japon.

  » Le manque de pièces, même celles qui coûtent quelques centimes, peut entraîner la fermeture d’une usine.

  » Plus en amont, la chaîne d’approvisionnement dépend des matières premières. Un problème survenant chez un fournisseur d’un fabriquant de pièces détachées peut se répercuter sur toute une industrie. Par exemple, les dégâts de l’usine chimique ­Mitsubishi Gas Chemical à Fukushima ont- fait craindre une pénurie de la résine utilisée pour protéger les puces des portables et autres produits.

  » Deux sociétés japonaises sont les leaders de la production de gaufres de silicones, la matière première utilisée pour faire les puces d’ordinateurs, assurant 60 % de la production mondiale. La plus importante, Shin-Etsu Chemical Corp., a dû fermer sa principale usine, à Shirakawa, endommagée par le séisme. De violentes répliques ont compliqué le travail d’inspection, et le 18 mars le porte-parole de la société déclarait : “Nous ne pouvons rien dire de la dimension des dégâts et du temps nécessaire à la remise en route.”

  » Shin-Etsu a deux usines hors du Japon, mais celle qui utilise les techniques les plus avancées est dans l’archipel, et le découpage des lingots de silicium en tranches de gaufres est une opération longue et très délicate qui peut être perturbée par des coupures de courant ou autres troubles. Les fabricants de puces comme Intel, Samsung et Toshiba ont des stocks de ces gaufres de silicium pour six semaines de production. Après, c’est l’inconnu.

  » Le séisme japonais, d’après quelques experts, amènera les industriels à réévaluer les risques des routes d’approvisionnement. Peut-être verra-t-on un inversement de la tendance actuelle de réduction des stocks et des coûts, de remise en cause du modèle à flux tendu originaire du Japon, pour accorder une plus grande importance au risque de télescopage.

  » Augmenter les stocks et multiplier les fournisseurs diminuent les risques de rupture d’approvisionnement. Il y a d’autres moyens de faire face à ces difficultés. Les experts en rappellent un exemple bien connu : en 1997 il y eut un incendie dans l’usine d’Aisin Seiki, fabricant de valves pour le réseau de freinage utilisées dans toutes les voitures Toyota. Comme Toyota travaillait à flux tendu, il n’avait que deux à trois jours de stocks et risquait de devoir arrêter toutes ses usines pendant des semaines. Mais l’industriel fit rechercher sans relâche un site de production alternatif. Et ses chaînes de montage ne furent arrêtées que pendant deux jours.

  » “C’est cette capacité de résilience que nous allons voir au Japon dans les semaines et les mois à venir pour que la chaîne de fournisseurs fonctionne à nouveau”, a déclaré un expert en management. Et un autre : “ Nous regarderons rétrospectivement ce qui aura le mieux fonctionné et ce qui aura failli, et nous améliorerons la fiabilité du réseau d’approvisionnement.” »

 (D’après le New York Times, 19 mars 2011.)

 

 

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