samedi 1 juin 2024

La question du logement et la crise urbaine

 

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« La “crise du logement” - à laquelle la presse de nos jours porte une si grande attention - ne réside pas dans le fait universel que la classe ouvrière est mal logée, et vit dans des logis surpeuplés et malsains. Cette crise du logement-là n’est pas une particularité du moment présent ; elle n’est pas même un de ces maux qui soit propre au prolétariat moderne, et le distinguerait de toutes les classes opprimées qui l’ont précédé ; bien au contraire, toutes les classes opprimées de tous les temps en ont été à peu près également touchées. Pour mettre fin à cette crise du logement, il n’y a qu’un moyen : éliminer purement et simplement l’exploitation et l’oppression de la classe laborieuse par la classe dominante. Ce qu’on entend de nos jours par crise du logement, c’est l’aggravation particulière des mauvaises conditions d’habitation des travailleurs par suite du brusque afflux de la population vers les grandes villes ; c’est une énorme augmentation des loyers ; un entassement encore accru de locataires dans chaque maison et pour quelques-uns l’impossibilité de trouver même à se loger. Et si cette crise du logement fait tant parler d’elle, c’est qu’elle n’est pas limitée à la classe ouvrière, mais qu’elle atteint également la petite bourgeoisie. » (Friedrich Engels, La Question du logement) 

Depuis 1872, cet article d’Engels sur « La question du logement » n’a pris aucune ride, et rien ne semble avoir véritablement changé sur le fond, l’immigration étrangère ayant simplement pris le relais de l’immigration paysanne vers les villes.

Au bout de vingt ans de « politique de la ville » et de « gestionnisme » social, la crise urbaine est toujours là. Et, comme toujours quand un problème se pose en France, on crée un ministère. Le ministère de la Ville est donc créé en 1990. Auparavant, Raymond Barre avait lancé en 1977 son HVS (Habitat Vie Sociale). A cette époque, la « crise urbaine » ne faisait qu’émerger. C’est seulement après les affrontements des Minguettes à Lyon, en 1981, que des mesures particulières pour gérer la crise seront prises : création en novembre 1981 de la Commission nationale pour le développement social des quartiers (CNDSQ) ; création en 1983 de la Mission Banlieues 89, consultant auprès de la CNDSQ(148 contrat de développement social des quartiers seront inscrits au Plan 1984-1988) ; puis, en 1988, création du Conseil national des villes et du développement social urbain (DSU) ; en 1995, à défaut de pouvoir « faire du social », on change de nom, et on crée les zones urbaines sensibles (ZUS, voir page 23) puis, en 1996, le « pacte de relance » et 44 zones franches urbaines (ZFU). En 2002, Jean-Louis Borloo lance son plan de destruction-reconstruction des cités (« 200 000 logements détruits, 200 000 construits, 200 000 réhabilités » d’ici 2008), lancé en 2001 par Claude Bartolome, ministre du logement de la gauche plurielle.

Il fallait « casser les ghettos » au nom de « la mixité sociale ». La bourgeoisie, faux-cul comme d’habitude, ne va pas dire qu’il faut détruire les quartiers dangereux, mais les qualifie de « quartiers sensibles ». Le ministre du logement Gilles de Robien et son acolyte Jean-Louis Borloo, ministre de la Ville, annoncent en 2002 la fin des enclaves. Quelques années après, les ministères, de gauche comme de droite, constatent que la misère les a rattrapés. Les quartiers sensibles, d’une quinzaine sont passés à 752 (dont 33 dans les DOM-TOM). La généralisation de l’insécurité sociale touche maintenant 800 communes et 200 villes.

Les ZUS totalisent tout de même 10,2 % de la population urbaine nationale, soit selon l’INSEE 4 462 851 personnes en 1999. Dans ces zones, les moins de vingt ans sont nombreux (31,5 % de la population) et fortement concentrés dans plus de 100 grands ensembles de plus de 10 000 habitants : les « chaudrons sociaux » comme ils disent.

— Derrière le discours humanitaire, les expulsions et la relégation. Comme il faut désensibiliser les quartiers sensibles, la solution finale, c’est l’expulsion et la destruction des grands ensembles. Tout est mis en action pour faire fuir les familles (hausse des loyers, délabrement des logements, expulsion pour impayés de loyer, faux projets de reconstruction et tri des mal-logés avant destruction des bâtiments) [9]. Le concept de « mixité sociale » se traduit dans les faits par la diminution du pourcentage de précaires dans les communes populaires et leur relégation à la périphérie.

La loi de « solidarité et renouvellement urbain » (loi SRU), votée en 2000 par le gouvernement « gauche plurielle » de Lionel Jospin, et qui oblige en principe les communes à compter un minimum de logements sociaux sur leur territoire [10], allait servir d’alibi à celles dépassant ce quota pour ne pas reconstruire ceux qu’elles avaient perdus (quant à celles qui ne l’atteignent pas, elles préfèrent souvent payer une amende plutôt que de construire des HLM). On voit même une exploitation politique du « problème des banlieues » : par exemple, sous les présidences Mitterrand et les gouvernements socialistes, les immigrés en mal de logement furent orientés vers les communes « rouges » de la Seine-Saint-Denis ou vers les communes de grande banlieue tenue par l’opposition RPR.

Nous verrons même dans la ville de Clichy-sous-Bois cette particularité : la commune la plus pauvre de l’Ile-de-France est aussi celle où 60 % de l’habitat est en copropriété. On dénombre pas moins de 11 copropriétés soit 4 000 logements. Le mystère de Clichy se dévoile quand on sait que les sociétés HLM se sont débarrassées par la vente de logements vétustes - en reportant ainsi les risques sur les anciens locataires. De plus, la baisse du niveau de vie fait que les loyers et les charges d’entretien restent souvent impayés, ce qui accélère la dégradation des parties communes des tours et des barres. Les mairies et les offices HLM veulent changer de clientèle, quitte à vider les quartiers. Des milliers d’appartements ne seront plus attribués au départ de leurs locataires et des barres entières resteront vides. Une adaptation curieuse s’opère, par le truchement du DAL (Droit au logement) qui, confronté à l’occupation des logements vides, signe un accord de relogement progressif des squatters en échange d’indemnisation d’occupation, d’un montant équivalent à un loyer (sans aide de la CAF et toujours en situation d’expulsion du jour au lendemain) du « logement au noir » en toute légalité.

— La galère de l’hébergement temporaire. Tous les beaux discours sur le renouvellement urbain ne parviennent pas à masquer que ces dernières années, le recours à l’hébergement temporaire n’a cessé de progresser. La faute en reviendrait, selon le pouvoir et ses gestionnaires locaux, à l’impossibilité financière ou juridique d’accéder à une location. Sont donc condamnés aux logements précaires et passerelles les chômeurs, les personnes travaillant sous contrat précaire (CDD), les femmes isolées, les ex-squatters, les familles immigrées.

Pour tous ceux-là, il n’y a que des logements éphémères : foyers, hôtels sociaux, et autres Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dont la surveillance rappelle la prison ou la caserne (dortoirs sous vidéo-surveillance, accès contrôlés à la cuisine et à la salle de bain)...

La question du logement est toujours présente et accuse l’ordre capitaliste, ce paradis sécuritaire qui laisse crever le pauvre dans la rue.La peine de mort existe mais elle a un visage anonyme comme le capitalisme.

Le problème des transports et l’isolement des cités

Lors de la construction des « grands ensembles » dans les années 1960, pour reloger les habitants des bidonvilles et les habitants des villes chassés par la reconquête des centres anciens par les classes moyennes, la question des transports n’avait pas l’acuité qu’elle a prise aujourd’hui. La désindustrialisation des banlieues était seulement amorcée et le lieu d’exploitation n’était pas très éloigné des lieux d’habitation. Par exemple, les quelque 30 000 travailleurs de Renault-Billancourt habitaient sur place ou dans les banlieues limitrophes, notamment dans l’immense cité nouvelle de Meudon-la-Forêt.

Puis la disparition des localisations industrielles favorisant la construction de nouvelles cités a fait que la population de ces cités s’est accrue alors que les lieux d’exploitation se sont éloignés et que les habitants des cités sont devenus de plus en plus tributaires des transports. De plus, souvent, les nouvelles cités ont été construites loin des centres-villes. Un exemple peut être donné par la cité de Surville, construite sur un plateau à plusieurs kilomètres du centre de Montereau (Yonne) situé, lui, au fond de la vallée.

Ce problème des transports a pris souvent un double aspect. Les services de bus permettant d’aller dans le centre ou de rejoindre une station de chemin de fer ou de métro ont été organisés, pour un minimum de rentabilité, aux heures de pointe pour assurer départ et retour dans les temps « normaux » du travail. Le travail hors des horaires classiques tout comme les sorties « loisirs » sont devenus très aléatoires, car les services se raréfiaient ou étaient inexistants, notamment le soir ou les week-end. Une carence d’autant plus mal ressentie que les cités comportent peu ou pas de lieux de socialisation.

Les jeunes peuvent d’autant plus ressentir le poids de ces difficultés de « sortir » que le coût des transports est dissuasif pour leurs revenus (faibles ou inexistants) et qu’ils ne disposent pas, pour ces mêmes raisons financières, de possibilités individuelles de transports. Il est difficile de dire si la criminalité développée autour des engins de transport, depuis le vol des mobs jusqu’aux « emprunts » de voitures pour une virée, était ou est pour une bonne part due à cette aspiration au déplacement facile à moindre frais. De même, il est impossible de dire si les incendies récurrents de voitures dans les cités ne procèdent pas de vengeances conscientes ou inconscientes née de la frustration d’une telle aspiration. Mais, par contre, il est certain que les multiples incidents dans les transports publics qui défraient la chronique lorsqu’ils atteignent une certaine gravité sont liés à une volonté d’utiliser les transports à volonté. Voyager gratuitement est devenu autant une nécessité qu’un jeu et la répression, aggravée avec le temps et à mesure de la montée des fraudes et des incidents, n’a fait qu’accroître le nombre et la gravité de ces incidents, le tout étant pris dans un cercle vicieux.Et cette nécessité devient peut-être d’autant plus impérieuse que la baisse du niveau de vie et l’accroissement du chômage diminuent ce qui reste disponible pour « sortir » et incitent d’autant plus à frauder.

Dans le cahier de doléances établi par un collectif d’habitants de Clichy-sous-Bois après les émeutes, un chapitre concerne les transports dans la ville. Ceux qui travaillent vont en majorité à Paris ou à l’aéroport de Roissy. S’ils n’ont pas de voiture (et ils sont la majorité), ils doivent prendre les transports publics, bus et train. Il n’y a pas de gare à Clichy : il faut 45 minutes de bus pour gagner la gare du Raincy afin d’aller à Paris et autant pour celle d’Aulnay afin d’aller à Roissy. Il faut donc ajouter plus de deux heures au temps de travail ; de plus, si les horaires de travail sont décalés (travail en équipes, femmes de ménage, etc.), cela devient presque impossible : bus et trains sont rares tôt le matin ou tard le soir ou carrément inexistants.

La seule réponse des pouvoirs à cette question des transports et à la montée des problèmes y afférents, a été de renforcer la « sécurité », les contrôles et les pénalités. Des corps spéciaux de police des transports, mis en place pour le contrôle des fraudes, ont été aussi utilisés pour empêcher les jeunes de descendre dans le centre des villes par crainte de débordements (vols à l’arraché, violences diverses...) dans les manifestations festives ou autres. La chasse au jeune faciès y sévit alors, doublant le harassement interne dans les cités. La répétition des fraudes a valu des condamnations de plus en plus sévères. Et le caillassage des bus ou trains a pu être une vengeance après des incidents avec des chauffeurs ou contrôleurs trop zélés. Paradoxalement, la multiplication des incidents a entraîné, souvent sous la pression des travailleurs concernés, non seulement des grèves temporaires bloquant une ligne ou une autre, mais surtout une restriction encore plus marquée des services aux « heures dangereuses ».

Nul doute que cet ensemble ait pu contribuer à une exacerbation conduisant à l’explosion de l’automne 2005.

( extrait de  la Brochure d’ Echanges  La révolte des cités françaises, symptôme d’un combat social mondial

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