Extrait de
Alors
que pour la grève précédente, de nombreux conflits avaient secoué
différents secteurs (dont la fonction publique, notamment hospitalière),
les grèves dans les mines ne se sont pas étendues en dehors de ces
conflits localisés habituels : une grève des routiers sera vite résolue.
C’est au moment où les grèves minières se terminent, autant par
lassitude que par la misère engendrée, souvent avec des accords mine par
mine a minima, qu’un mouvement bien distinct mais tout aussi radical et
déterminé éclate chez les travailleurs agricoles. La production
agricole est une des mamelles de l’économie sud-africaine, notamment
pour l’exportation, et elle repose, tout comme pour les mines, sur la
surexploitation de la main-d’oeuvre noire, dans les mêmes conditions de
précarité et de vie que dans les townships. Ce n’est donc pas un hasard
si les mouvements des plus exploités dans les mines, leur détermination
et leur succès bien que tout relatif trouvent un écho et une révolte
identiques, bien qu’il ne semble pas y avoir de liens directs entre les
deux mouvements. La partie de l’agriculture entre les mains des Blancs
est extrêmement concentrée et orientée vers l’exportation dans une
intense compétition internationale. La partie se joue pour une industrie
entièrement pénétrée par le capital entre la surexploitation de la
main-d’œuvre et une mécanisation poussée. Les troubles sociaux constants
entraînent d’une part un exode des agriculteurs sud-africains vers des
pays africains à main d’œuvre plus facilement exploitable, d’autre part à
développer toujours plus la mécanisation, ce qui n’est pas toujours
possible ; néanmoins, les effectifs des ouvriers agricoles sont en
constante diminution, ils sont passés de 1,1 million en 2004 à 6 ou
700 000 en 2011. Il en résulte une double pression sur ces travailleurs,
celle du chômage et celle des conditions d’exploitation. Ces conditions
d’exploitation des travailleurs agricoles sont les pires, si c’est
possible, du pays. On compte 340 000 « permanents » pour 350 000
saisonniers. Les premiers sont de véritables esclaves, logés sur place
avec leur famille dans d’effroyables conditions, et devant, avec un
salaire dérisoire, payer pour chaque chose, y compris les fruits qu’ils
produisent. Pour la moindre peccadille, ils sont virés et perdent tout.
Le sort des seconds est encore moins enviable : leur travail dépend de
courtiers en main-d’œuvre, sortes de maîtres d’esclaves, un intérim bien
spécifique qui fournit pour une somme globale toute la main-d’œuvre
saisonnière d’une ferme en imposant à ceux qui restent ses salariés,
l’ensemble des conditions de travail et des salaires. Ceux-ci n’ont
aucune « avantage », aucune protection, ils sont véhiculés sur les
lointains lieux de travail dans des camions à bestiaux, doivent
travailler comme leurs « collègues permanents » jusqu’à seize heures par
jour, sept jours sur sept, soumis sans protection à toutes les
pollutions d’engrais et de pesticides, empêchés même de se rafraîchir
sous la chaleur écrasante. Certains disent que c’est pire que sous
l’apartheid. Les salaires sont les plus bas de toute l’Afrique du Sud,
de 4 à 7 euros par jour et, malgré l’interdiction légale récente, sont
payés pour partie en alcool, suivant de qui était appelé le dop system.
Déjà largement insuffisant pour simplement survivre, c’est devenu encore
pire avec l’inflation de 10 % sur des produits de base comme l’huile,
le sucre, la viande. « Assez, c’est assez. C’est une grève pour les
salaires, pour de meilleures conditions de vie, pour des garanties et
par-dessus tout, pour la dignité. » Même si l’on peut penser que l’écho
des grèves dans les mines a pu jouer un rôle dans le déclenchement de
l’action des ouvriers agricoles, on ne peut établir une connexion, pas
syndicale bien sûr et pas par proximité : la région du Cap où va éclater
la première grève est à près de 1 500 km des régions minières.
« L’évidence suggère que les grèves dans trois fermes contiguës, qui ont
mobilisé 900 ouvriers agricoles de la vallée de l’Hec, furent
complètement spontanées », souligne un journaliste. La grève débute le
27 août, le plus simplement du monde : les nouveaux patrons d’une des
fermes de cette vallée veulent un nouveau contrat pour les
300 travailleurs, impliquant une réduction de salaire. Le refus de
discuter fait éclater la grève qui s’étend presque immédiatement à deux
fermes voisines : la grève touche alors 800 ouvriers agricoles. La
revendication principale est un salaire de 15 euros par jour. Devant les
refus d’en discuter et certainement avec des menaces et des pressions
diverses, la grève d’une part se durcit rapidement, et d’autre part
s’étend à toute la région fruitière du Cap. La violence fait davantage
penser aux jacqueries d’autrefois qu’aux grèves dans les mines, où elle
est défensive lors de la répression violente de manifestations
pacifiques. Les ouvriers agricoles en grève non seulement bloquent les
routes pour empêcher l’évacuation des produits exportés, mais incendient
vignobles, bâtiments, matériel, et se livrent au pillage des magasins
alimentaires de proximité. Ils sont rapidement plus de 12 000 en grève
dans 16 villes de la province du Cap. La répression est à la hauteur :
dirigeants de fermes et police tirent à balles réelles : 2 morts, 42
arrestations et bien plus de blessés. On ne parle guère d’une
organisation de la grève mais il semble que des comités de grève aient
été constitués. A peine 3 % des ouvriers agricoles sont syndiqués et les
patrons ne trouvent guère d’interlocuteurs sur place. Pour tenter
d’endiguer la grève, un comité est constitué par en haut, associant les
syndicats (Food and Allied Workers’Union lié au Cosatu), des ONG, des
autorités religieuses et autres personnages locaux, mais aucun des
ouvriers agricoles grévistes ou leurs représentants directs. Cette
artificielle Coalition of farmworkers representatives demande aux
grévistes de suspendre la grève jusqu ‘au 4 décembre, le temps de
laisser au gouvernement le soin de fixer le salaire minimum à 15 euros
par jour. Mais cet appel à la reprise reste sans effet et fin novembre,
la situation reste confuse. Le secrétaire du syndicat constate
lui-même : « Il n’y a aucun espoir pour que la grève finisse bientôt.
Notre crainte est que la grève illégale s’étende dans d’autres régions
du pays si une solution n’est pas trouvée immédiatement. » Même un
représentant des fermiers constate : « Les ouvriers agricoles ne sont
pas prêts à se calmer et à accepter les mêmes conditions antérieures
d’esclaves. Quelque chose doit changer. » Le 4 décembre, la base du
mouvement entend reprendre la grève car rien n’a été obtenu. Le même
jour, pour court-circuiter ce mouvement, le Cosatu organise une journée
de grève nationale dans l’agriculture. La situation reste très confuse.
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