INFOBREF N°489
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13h35, le 17 mai 2017, modifié à 18h08, le 17 mai 2017
"Des centaines de milliers d'ordinateurs" pourraient avoir été infectés lors de cette nouvelle cyberattaque, selon des experts. Le logiciel WannaCry avait déjà frappé plus de 300.000 ordinateurs ce week-end.
Une deuxième cyberattaque de grande ampleur était en cours mercredi après que plus de 300.000 ordinateurs dans plus de 150 pays aient déjà été infectés en fin de semaine dernière. Baptisé Adylkuzz, le logiciel utilisé pour mener cette attaque exploite les mêmes failles de sécurité que WannaCry, et enrichit les pirates en créant de la monnaie virtuelle.
Des centaines de milliers d'ordinateurs visés
"On ne connaît pas encore l'ampleur (des dégâts) mais des centaines de milliers d'ordinateurs" pourraient avoir été infectés, a expliqué Robert Holmes, vice-président Produit chez Proofpoint, qui assure que l'attaque est "de bien plus grande envergure" que WannaCry et a débuté avant cette dernière, le 2 mai voire le 24 avril. Proofpoint affirme avoir d'ailleurs détecté Adylkuzz en enquêtant sur WannaCry, ce virus qui a frappé de très nombreux ordinateurs en fin de semaine dernière paralysant notamment les services de santé britanniques et des usines du constructeur automobile français Renault.
Concrètement, Adylkuzz s'introduit dans des PC vulnérables grâce à la même faille de Windows utilisée par WannaCry, un problème détecté par la NSA (l'agence de sécurité nationale américaine) mais qui a fuité sur le net en avril. La divulgation des données avait été revendiquée par le groupe de pirates "Shadow brokers". Le "malware" exploite alors l'ordinateur contaminé pour créer de façon invisible, des unités d'une monnaie virtuelle appelée Monero, comparable au Bitcoin. Même si le Bitcoin, la plus connue des monnaies virtuelles, garantit un fort anonymat à ses utilisateurs, ses transactions restent traçables. Monero va elle encore plus loin dans l'opacité puisque la chaîne de transactions est complètement cryptée, ce qui en fait un outil prisé des pirates.
Une attaque quasi-invisible
Avec Adylkuzz, les ordinateurs créent de la monnaie, "ce n'est pas de l'argent qui est volé" à qui que ce soit, résume Gérôme Billois, expert au cabinet Wavestone. L'attaque, elle, est quasi-invisible pour l'utilisateur, expliquent aussi différents experts. "Les symptômes de l'attaque sont un accès plus difficile aux contenus partagés Windows et un ralentissement des performances de l'ordinateur", précise Proofpoint dans une note de blog, selon laquelle l'attaque pourrait remonter au 2 mai, voire au 24 avril et est toujours en cours.
Paradoxalement, cette attaque "est moins impactante que WannaCry pour les entreprises puisqu'elle n'entraîne pas d'interruption des services", poursuit Gérôme Billois. "Elle ne met pas les entreprises à genoux comme WannaCry" qui crypte les documents en exigeant une rançon pour les dévérouiller, ajoute-t-il.
Vers une multiplication des attaques ?
En fin de semaine dernière, WannaCry a frappé plus de 300.000 ordinateurs dans quelque 150 pays depuis vendredi, selon les autorités américaines et des spécialistes de sécurité informatique estiment avoir découvert un lien potentiel entre la Corée du Nord. Et les attaques risquent bien de continuer, préviennent-ils aussi. Quand les failles de sécurité de Windows - et les moyens de les exploiter - ont été divulguées le mois dernier, il y a eu chez les experts en cybersécurité "un week-end de panique parce qu'on savait que cela ouvrait un énorme potentiel" d'attaques, indique encore Gérôme Billois.
Un autre expert français, sous couvert d'anonymat, confirme que "le problème, c'est qu'on n'a toujours pas de certitude sur l'origine de l'infection" de ces attaques, qui n'ont pas été lancées via des mails de phishing (hameçonnage) comme c'est souvent le cas. "Deux grandes campagnes d'attaque utilisent maintenant les 'vulnérabilités' sophistiquées de la NSA et nous nous attendons à ce que d'autres suivent", résument Nicolas Godier, expert chez Proofpoint.
D'autant que selon un texte publié sur un blog et présenté comme provenant du groupe de pirates Shadow brokers compte "divulguer des informations tous les mois" à partir de juin, permettant selon eux de pirater le système d'exploitation Windows 10 - qui juste là est épargné par ces attaques - ou d'accéder à des informations sur les programmes nucléaires de plusieurs pays, dont la Corée du Nord.
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Marc Mousli 17/12/2015
Chaque jour on apprend le lancement d’une start-up plus ou moins insolite. La dernière en date, Stuart, s’attaque à une activité des plus ordinaires : aller faire des achats et les livrer à domicile, sept jours sur sept et de huit heures à minuit. Il suffira de passer commande via une application mobile, un opérateur repérera le coursier le mieux placé (géolocalisé grâce à son smartphone) et l’enverra acheter l’objet, qu’il livrera au donneur d’ordre. Le coursier – à pied ou en vélo – sera rémunéré à la distance parcourue et au temps passé.
Personne ne peut dire si Stuart deviendra un nouvel Uber, si elle aura disparu dans six mois… ni même si elle réussira à démarrer. Quel que soit son avenir, on retrouve dans son projet les caractéristiques des entreprises du numérique qui réussissent : un investissement minimal, une application performante et très peu de personnel salarié – les coursiers pourront être des étudiants, des retraités, des chômeurs… et n’auront pas de contrat de travail avec la société.
Un business model simple
Les dirigeants de la Poste ou des grands coursiers internationaux ignorent probablement la naissance de ce concurrent, ou jettent un regard condescendant sur les ambitions de cette petite équipe de bricoleurs, exactement comme le patron d’une grande chaîne hôtelière internationale pouvait ignorer en 2008 les trois jeunes gens qui avaient eu l’idée – peu prestigieuse ! – de créer un site Web pour mettre en relation le voyageur peu fortuné et le Californien disposant d’un canapé accueillant ou d’une chambre d’amis disponible. Trois ans plus tard, Airbnb fêtait sa millionième réservation et levait 7,2 milliards de dollars auprès de fonds d’investissement, et en 2015 le loueur de matelas pneumatique de 2008 (le « Air » de Airbnb) est devenu une organisation mondiale qui fait trembler les plus grandes chaînes hôtelières et peut aussi bien louer une chambre modeste à Aubervilliers qu’un château en Ecosse ou une villa en Toscane.
Son business model est resté fort simple : elle fournit la plate-forme où se rencontrent les offres et les demandes, sécurise le paiement en le faisant transiter par ses caisses, recueille l’évaluation du loueur par le locataire et vice versa. Sa force : avoir réussi en peu de temps à constituer le plus important réseau international de la profession en donnant confiance aux loueurs et aux voyageurs.
Le premier atout des start-up du numérique est leur logiciel et leur second un réseau aussi vaste que possible
On peut trouver des dizaines d’exemples du type de Stuart ou d’Airbnb. La plupart de ces entreprises sont créées sur le même schéma : jeter son dévolu sur une activité quelconque mettre le paquet sur la conception, le fonctionnement et l’amélioration permanente de son logiciel, sécuriser les transactions et transformer son site en plate-forme attirant des professionnels – sur le modèle désormais classique de l’Applestore, qui concentre des milliers de développeurs d’applications, ou d’Amazon, qui accueille des librairies d’occasion sur son site. Et pour le reste s’organiser au moindre coût – pour nombre d’entre eux, en faisant réaliser le travail matériel par d’autres, dont on exige des prestations impeccables (évaluées sans complaisance par le client).
« Size matters », seule la taille compte
On notera que le métier choisi a peu d’importance. Stuart informatise la course que l’on fait pour la voisine, et Jeff Bezos, travaillant sur ce qui allait être Amazon, voulait « créer une supersociété en mettant à profit ses connaissances technologiques et commerciales »1 ;
il a trouvé que les livres étaient un bon produit pour démarrer un e-commerce, mais son choix aurait pu s’arrêter sur n’importe quoi. Les start-up sont avant tout des entreprises numériques. Leur premier atout est leur logiciel, et leur second un réseau aussi vaste que possible, démultiplié à marche forcée en levant un maximum de fonds auprès de capital-risqueurs. La taille est en effet un atout majeur, car les seules activités permettant de devenir (très) riche sont celles que l’on désigne, dans le jargon de l’économie 2.0, comme « scalables », autrement dit qui ont une rentabilité fortement croissante : on peut beaucoup accroître son activité avant de devoir embaucher ou investir, ce qui procure une augmentation des recettes nettement plus rapide que celle des charges.
Pour faire émerger le Google ou l’Amazon français de demain, The Family, une société́ d’investissement créée en 2013, prend une part minoritaire au capital de « jeunes pousses » prometteuses et les accompagne dans leur développement. Elle a déjà plusieurs dizaines de start-up en portefeuille, et reçoit des centaines de propositions. Pour former ses petits entrepreneurs et faire découvrir la transition numérique à des cadres de grandes organisations qui n’y comprennent pas grand-chose, The Family organise des conférences décrivant l’impact de cette transition dans tous les domaines. Une trentaine de thèmes a déjà été traitée, dont l’agriculture, l’assurance, l’automobile, le consulting, l’édition, l’immobilier ou le tourisme. Le titre général de ces conférences est « Les barbares attaquent »2.
Les barbares ébranlent l’ordre économique ancien, incapable de s’adapter à leurs stratégies, leurs méthodes et même à leurs ambitions
Pourquoi « les barbares » ? « Parce qu’ils viennent de l’extérieur, parce qu’ils ne se soucient pas des conventions habituelles, parce qu’ils semblent s’exprimer dans une langue neuve ». Les barbares « ébranlent l’ordre économique ancien, incapable de s’adapter à leurs stratégies, à leurs méthodes et même à leurs ambitions ».3
Ce portrait des nouveaux barbares colle parfaitement avec la personnalité d’un Travis Kalanick, qui a semé la panique en France l’été dernier en s’attaquant frontalement aux taxis avec Uber, sa société de transport de personnes à la demande. On y reconnaît aussi facilement Jeff Bezos, le dérangeant patron d’Amazon, qui, moins de vingt ans après avoir créé son premier site, a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de 89 milliards de dollars et se permet des bras de fer épiques avec les éditeurs, les libraires, les gouvernements…
La partie est presque gagnée
L’un des barbares les plus en vue, Elon Musk, est entré en scène en 2006, au salon Satellite, à Washington. Il est monté sur le podium, en jean et tee-shirt, et s’est présenté : « Salut à tous, je m’appelle Elon Musk, je suis le fondateur de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes morts. » Même s’il se vantait quelque peu, sa compagnie, en 2014, a gagné 9 contrats sur 18 sur le marché commercial des satellites géostationnaires, face à Arianespace. Et Tesla, sa voiture électrique haut de gamme bourrée d’électronique et hyperconnectée, fait un tabac dans plusieurs pays. L’industrie automobile et l’aérospatial sont pourtant deux secteurs dans lesquels le ticket d’entrée est particulièrement coûteux.
Devant leur vitalité et leur intrépidité, Nicolas Colin, le créateur de The Family, pense que ces nouveaux entrepreneurs numériques qu’il a lui-même nommés « barbares » sont en train de gagner la partie, d’abattre les vieux empires, et il finit par se dire que « ces guerriers nomades ne sont pas des barbares, mais au contraire les véhicules d’un art de vivre, presque d’une civilisation, parallèle au vieux monde, mais dans lequel nous avons tous – certes à des degrés divers – basculé »4. Autrement dit, ce qui nous attend au-delà de la transition numérique.
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1. Amazon. Les secrets de la réussite de Jeff Bezos, par Richard L. Brandt, Télémaque, 2011, p. 62.
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2. Leur site web : http://barbares.thefamily.co
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3. L’âge de la multitude. Entreprendre et gouverner après la révolution numérique, par Nicolas Colin et Henri Verdier, Armand Colin, 2015 (2e édition), p. 29.
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4. Ibid., p. 34.
Le container et l’algorithme :
la logistique dans le capitalisme global
Moritz Altenried sur Periode
La mondialisation capitaliste est souvent envisagée comme une extension considérable des échanges à l’échelle mondiale, accompagnée par une importante dérégulation et liberté de circulation des capitaux et des marchandises.
Cette nouvelle séquence a un envers technologique aujourd’hui incontournable : le développement des industries logistiques.
Ainsi, quand on parle de « capitalisme de l’information », il ne faut pas seulement se figurer la prégnance du « travail immatériel », mais aussi tout un réseau d’infrastructures, coordonnées de façon complexe, qui articulent production, circulation et consommation en temps réel.
Dans ce texte, Moritz Altenried présente ces nouveaux dispositifs, et livre une image du capitalisme aux antipodes du fantasme d’une production dématérialisée, d’un avenir sans travail et sans travailleurs.
Si la logistique moderne a été un puissant moyen d’écraser le monde du travail, elle est peut-être aussi un terrain crucial des luttes d’aujourd’hui et de demain.
J’entends commencer par une remarque intéressante de Thomas Reifer selon laquelle Marx débuterait Le Capital de nos jours en notant que la richesse des nations contemporaines apparaît de plus en plus comme une immense collection de conteneurs (Reifer, 2007). Même si l’on peut objecter qu’un conteneur et une marchandise appartiennent à des catégories conceptuelles différentes, cette déclaration provocatrice est très révélatrice car elle fait ressortir l’importance de la logistique non pas seulement en tant qu’industrie mais en tant que perspective pour comprendre le capitalisme contemporain.
En conséquence, je propose de différencier trois sens du terme « logistique ». Premièrement, la logistique est un secteur industriel ou marchand spécialisé dans le déplacement des choses ayant gagné en importance et qui constitue en tant que tel un objet de recherche fascinant. Deuxièmement, la logistique est devenue en quelque sorte une logique – ou un dispositif au sens foucaldien – qui a dépassé le secteur au sens étroit et fonde le capitalisme contemporain. Ce dernier peut alors être compris comme un capitalisme de « chaîne d’approvisionnement » pour reprendre l’expression d’Anna Tsing (Tsing, 2009). Si cela est avéré, alors la logistique, troisièmement, devient une perspective de recherche. Je souhaite défendre l’idée qu’elle peut servir comme une sorte de prisme qui nous aide à comprendre de manière critique la transformation en cours du capitalisme global. Cela sans pour autant affirmer qu’elle constitue – ou devrait être – la seule perspective possible.
Pour les besoins de cet article, je souhaite mobiliser cette perspective en me penchant sur deux technologies qui ont drastiquement changé à la fois la logistique et, comme je l’avance, le capitalisme global : le conteneur et l’algorithme.
Le conteneur ou la révolution logistique
Les développements de la logistique ou du transport depuis la seconde guerre mondiale ont souvent été qualifiés de « révolution logistique », « la révolution la plus sous-étudiée du XXe siècle » comme l’affirme Deborah Cowen (Cowen, 2014, p.33). L’expression « révolution logistique » entend décrire la manière dont le secteur a dramatiquement changé depuis la Seconde Guerre mondiale tout en devenant le centre d’un nouveau régime d’accumulation globalisé.
Il existe de nombreuses manières de raconter l’histoire de la révolution logistique – par exemple en se penchant sur la façon dont la pensée managériale d’abord centrée sur la production a évolué vers le management de l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement, incluant le design et les commandes, le transport et l’entreposage, les ventes, le re-design et les nouvelles commandes, ou en dépeignant la manière dont la logistique s’est en même temps muée en une discipline universitaire. Cependant, je souhaite ici me pencher sur un objet technologique qui incarne l’avènement de la logistique moderne peut-être mieux que tout autre : le conteneur.
Le système de conteneur actuel trouve ses origines aux États-Unis. En octobre 1957, le premier porte-conteneur navigua de Port Newark, New Jersey vers le sud de Miami chargé de boîtes en acier standardisées pour le transport intermodal et développées par les entrepreneurs logistiques Malcom Mc Lean et Roy Fruehauf.
Cela faisait plus de cent ans que des systèmes de conteneurs et des tentatives de standardisation existaient mais ce fut le système de Mc Lean et Fruehauf qui prit racine, ne serait-ce qu’en raison de son adoption par l’armée américaine afin de répondre aux nécessités logistiques de la guerre du Vietnam.
Leur modèle de conteneur se réduisait à une boîte en acier empilable pouvant être transférée par des grues spéciales des trains ou camions vers les bateaux.
Mais il généra un changement spectaculaire : il permit non seulement d’économiser beaucoup de temps et d’espace requis pour charger et décharger dans chaque port mais aussi de se passer d’un nombre immense de travailleurs portuaires.
Les syndicats à travers le monde tentèrent de combattre le processus ; en 1980 le Syndicat international des débardeurs défendait devant la cour suprême ce qu’il considérait comme son droit de décharger les cargaisons sur les docks. Bien sûr, il échoua.
Aujourd’hui, la circulation globale des marchandises repose sur le conteneur maritime standardisé. 90% des marchandises hors-vrac circulent en conteneurs.
L’unité de standard est l’EVP (Équivalent vingt pied).
Wal-Mart importe autour de 700 000 EVP chaque année, ou en d’autres termes, environ 30.000 tonnes par jour (Bonacich & Wilson, 2008 , p. 25).
Un grand port comme Hambourg ou Rotterdam gère plus de 25 000 de ces conteneurs chaque jour.
Cette industrie génère d’énormes profits, un port comme Hambourg par exemple a dégagé en 2014 une valeur ajoutée brute de 20 milliards d’euros. L’entreprise de conteneurs danoise Maersk compte à elle seule pour environ 20% du PNB du Danemark. Maersk exploitent plus de 600 navires soit une capacité totale de 2,6 millions d’EVP, dispose de bureaux dans plus de 100 pays et d’un nombre immense d’employés.
Malgré son statut d’entreprise transnationale gigantesque, elle reste méconnue comme beaucoup d’entreprises de logistique. Nonobstant leur couverture de nombreux espaces, les opérations et infrastructures logistiques sont ainsi rarement reconnues par la plupart des gens (une fois que l’on connait le nom Maersk cependant, on aperçoit ses conteneurs partout).
La logistique peut alors être envisagée comme une partie de « l’inconscient politique » du capitalisme global, pour reprendre un concept de Nigel Thrift (Thrift, 2005, p. 213).
Même si l’avènement de la logistique ne peut-être expliqué par le seul conteneur, celui-ci a joué un rôle immense. Le pouvoir combiné de la standardisation et de l’intermodalité a écrasé le travail sur les docks, et permis d’énormes économies de coût et de temps et une accélération massive de la circulation.
Ainsi, le conteneur et son infrastructure globale constituent des présupposés de la globalisation telle que nous la connaissons.
L’observation de la technologie et de l’infrastructure peut parfois nous aider à comprendre ce qui se joue dans le capitalisme global (dans les récits de la globalisation, l’accent tend à être mis plutôt sur les accords de libre échange et les programmes d’ajustement structurel).
Ou pour parler comme Marx : « tandis donc que le capital tend, d’une part, nécessairement à abattre toutes les barrières spatiales qui s’opposent au trafic, c’est-à-dire à l’échange, et à conquérir la terre entière comme son marché, il tend d’autre part, à anéantir l’espace par le temps, c’est-à-dire à réduire à un minimum le temps que coûte le mouvement d’un lieu à un autre. Plus le capital est développé – et donc plus le marché sur lequel il circule et qui constitue l’itinéraire spatial de sa circulation est étendu – plus il recherche en même temps une plus grande extension spatiale du marché et un plus grand anéantissement de l’espace par le temps » (Marx, 2011, p. 500).
Les conséquences de la révolution logistique sont spectaculaires et trop variées pour être discutées en profondeur ici. Il faut cependant mentionner deux dimensions.
La première est le transfert de pouvoir des producteurs aux vendeurs. La société Wal-Mart constitue l’exemple le plus frappant. Son pouvoir de marché provient en grande partie du fait qu’elle est non seulement un géant de la logistique mais aussi et peut-être même d’avantage de l’orientation logistique de sa stratégie. Sa planification spatiale organisée autour de ses centres de distribution, son contrôle étroit de l’intégralité de la chaîne de distribution, son management informatisé de l’inventaire innovant et l’agencement du tout afin d’accélérer le turnover des biens et de minimiser les coûts d’entreposage constituent des facteurs cruciaux qui font de Wal-Mart une des plus grandes sociétés du monde.
La deuxième dimension concerne l’évolution de la manière dont le capital envisage la logistique. Conçu initialement en terme de minimisation des coûts post-production, elle devient un secteur dans lequel d’énormes profits peuvent être générés.
Il ne s’agit pas là bien sûr d’une nouveauté dans la mesure où Marx savait déjà que le changement de localisation d’une marchandise donnée peut être une marchandise en soi. Toutefois, la re-conceptualisation capitaliste du transport, son évolution d’un processus post-production dont les frais doivent être réduits au maximum vers une intégration de la production, de la circulation et, de manière croissante, de la consommation s’avère centrale pour la révolution logistique.
Cela engendre un brouillage de la distinction entre production et circulation, manufacture et transport ou réalisation et circulation. Aujourd’hui, les marchandises sont de plus en plus « manufacturées sur toute l’étendue de l’espace logistique, plutôt que dans un seul lieu. » (Cowen 2014a ; p. 2). Cette tendance s’exprime dans des modèles comme celui de la production juste-à-temps, une philosophie de production qu’on peut décrire comme « logistique ». Ou, pour parler de nouveau avec Marx, la logistique devient de plus en plus une « présupposé englobant et un moment de la production » (Marx, 2011, p. 388)
L’algorithme ou la seconde révolution
Pour simplifier, on pourrait affirmer que l’informatisation de la logistique implique une seconde révolution logistique qui bouleverse une nouvelle fois l’industrie et avec elle le capitalisme globalisé de manière spectaculaire.
La numérisation de la logistique comprend une multitude de dimensions comme les logiciels d’expédition, les progiciels de gestion intégré (PGI), le GPS, le code barre, les technologie plus récentes de radio-identification (RFID) et les infrastructures associées.
Tous ces éléments constituent autant de technologies pour organiser, capturer et contrôler le mouvement des personnes, de la finance et des choses.
En voie d’intégration croissante, y compris dans les chaînes de distribution, elles affectent aussi la production.
Conçus pour surveiller, mesurer et optimiser la productivité du travail et les opérations des chaines de distribution, les médias logistiques « tentent de standardiser l’accumulation capitaliste du niveau micro des dispositifs algorithmiques au niveau macro des infrastructures globales » (Rossiter, 2014, p. 64).
Ces systèmes restent relativement fermés et opaques y compris pour les personnes qui les opèrent. Même si les architectures systèmes sont parfois incroyablement complexes, elles suivent une certaine logique qui tend à abstraire et standardiser.
Les protocoles, les paramètres, les standards, les normes et les références jouent un rôle clef dans l’organisation des marchandises et du travail vivant par des systèmes de management semi-automatisés. Ainsi, nous devons comprendre ces systèmes comme des « boîtes noires algorithmiques » ayant également une multitude d’implications pour l’organisation de la politique et du travail.
Les progiciels de gestion intégré (PGI) illustrent bien l’importance de la gouvernance algorithmique.
Il s’agit de plateformes numériques en temps réel qui intègrent en un programme toutes les fonctions d’une entreprise telles que le management financier, la logistique, les ventes et la distribution, les ressources humaines, le management des matériaux et le planning des flux de travail.
Ce type de software spécialisé pour la gestion de la chaine d’approvisionnement est généralement un logiciel propriétaire extrêmement cher produit par une poignée d’entreprises.
L’entreprise allemande SAP constitue un des joueurs les plus importants. Elle affirme fournir ses logiciels variés à 87 % des entreprises du classement Forbes Global 2000. D’après Martin Campbell-Kelly, si les PGI produits par SAP venaient à disparaitre, « l’économie industrielle du monde occidentale serait immobilisée, et il faudrait des années pour que des substituts puissent colmater la brèche dans l’économie en réseau. Si les produits de Microsoft se vaporisaient en une nuit, cela prendrait seulement quelques jours ou semaines pour trouver des substituts, et la disruption économique serait modeste » ( Campbell-Kelly 2003 : 197).
Nous pouvons observer ici une contradiction importante du secteur de la logistique, du logiciel, et, selon moi, du capitalisme numérique en général : tandis qu’un PGI ouvert et communicatif permettrait une communication ininterrompue sans conflits de protocoles entre entreprises et solutions logicielles, il mettrait aussi en danger le pouvoir de marché de SAP. D’où le choix par SAP de systèmes propriétaires fermés et ses ambitions monopolistiques.
Il s’agit là d’une stratégie dangereuse qui doit être constamment réévaluée et gérée de manière flexible afin de ne pas mettre en danger l’exploitabilité générale de l’ensemble des programmes SAP.
Se manifeste ici un problème général du software et dans le cas de la logistique nous voyons combien il s’agit là d’un enjeu matériel : les décisions portant sur les protocoles standardisés et les paramètres, que ce soit le code ou la taille du conteneur, peuvent générer des sentiers de dépendances qui concernent toute l’industrie. Nous observons ici une contradiction, qu’il convient de souligner, entre la coopération et la concurrence qui est profondément inscrite à la fois dans la logique de la logistique capitaliste et dans celle du software.
Elle constitue peut-être l’une des contradictions les plus importantes du capitalisme contemporain.
Des logiciels tels que les PGI incorporent une quantitaté massive de données portant à la fois sur des processus internes tel que le travail, les stocks, les finances, etc., ainsi que sur des facteurs externes tels que la météo, le coût du carburant ou les fluctuations de devises.
Le programme qui gère le « Worldport », un hub UPS à Louisville, Kentucky, coûte des centaines de millions de dollars et effectue deux fois plus de calculs en une heure que la bourse de New York en une journée d’échanges boursiers intense (Kasarda & Lindsay, 2011).
Les infrastructures en réseaux et les programmes tracent et pistent chaque mouvement de marchandise et de travail vivant. Aujourd’hui, chaque bien envoyé n’est pas seulement numériquement codé mais aussi rendu de plus en plus traçable, surtout grâce à la technologie RFID.
Les ordinateurs de Wal-Mart identifient plus de 20 millions de transactions chaque jour et ses centre de données tracent quotidiennement plus de 680 millions de produits distincts (Dyer-Witheford, 2015, p.84). Par ce biais, Wal-Mart exerce sur ses fournisseurs une pression afin d’équiper tous les produits de puces RFID permettant de tracer les produits du champ à la table du client.
Tandis que le code-barre standard autorise seulement le transfert d’informations relativement simples concernant des classes d’objets (Pasta, 1,95 €), la RFID rend possible l’identification de chaque objet. Inventé dans les années 1990, la RFID peut transférer de l’information portant sur l’histoire et les propriétés d’un objet donné (à distance dans la mesure où l’étiquette n’a pas besoin d’être dans la ligne de visée du lecteur).
Combinée à l’infrastructure informationnelle et aux centre de données, elle permet de suivre la trajectoire des objets à travers le temps et l’espace d’une manière inédite. La tendance au développement d’objets RFID intelligents laisse présager une intensification de la communication et de l’interaction objet-à-objet qui aura pour résultat un « un accroissement massif de la production de savoir inter-machines portant sur le statut et la position de millions d’objets physiques dans le temps et l’espace » (Kitchin & Dodge 2011 : 51).
Ce développement constitue le fondement d’une nouvelle génération de technologies logistiques automatisées qui ne fonctionnent plus seulement sur le mode du juste-à-temps mais deviennent aussi de plus en plus spéculatives.
La production et la logistique contrôlées par des infrastructures algorithmiques incorporant de grands ensembles de données et la mesure en temps réel de tous les mouvements de biens et de travail vivant génèrent une énorme accélération de la circulation. Ceci affecte bien sûr massivement les conditions de travail. Si vous parlez à de vieux travailleurs en logistique, quelque soit le secteur, tout le monde évoquera l’accélération ininterrompue de la vitesse de circulation qui a changé l’industrie de la logistique dans les trente dernières années et, en conséquence, les conditions du travail en logistique.
Le travail, mort et vivant
Il est très facile d’oublier le travail quand on traite de la logistique, en particulier si l’on devient fasciné par les infrastructures et technologies gigantesques de cette dernière. La quantité de travail mort incorporée dans le capital constant tel que les grues, les bateaux, les ports et les conteneurs semblent réduire le travail vivant à l’état de nain. Cependant, comme nous le savons tous, le capital ne peut pas vivre sans exploiter le travail vivant et le travail reste un facteur important en logistique.
UPS emploie par exemple 395 000 personnes soit presqu’autant que l’armée américaine.
En dernière instance, la logistique contemporaine incarne surement « le fantasme selon lequel le capital pourrait exister sans le travail » comme l’affirme Harney et Moten (Harney & Moten, 2013, p.90). Mais il ne le peut pas et ne le pourra jamais.
Le conteneur comme l’algorithme constituent des innovations technologiques qui soumettent le travail (et le travail organisé ) à une pression énorme. Les innovations technologiques au service des infrastructures logistiques du capital « ne produisent pas seulement une image matérielle d’un agencement contemporain de la lutte de classe. Ils sont aussi une expression des victoires passées du capital » (Williams, 2013).
Le conteneur en particulier a engendré une énorme perte d’emplois et a efficacement écrasé les syndicats les plus militants des États-Unis. Dans le cas de la numérisation, il est frappant de voir comment l’organisation algorithmique de la logistique intensifie le contrôle des travailleurs individuels afin d’augmenter la survaleur relative.
Les conducteurs UPS voient chacun de leurs déplacements tracés par une multitude de senseurs situés dans leur camion de livraison et sont mis en concurrence les uns avec les autres. Chaque mouvement, chaque pause peut-être scruté. Les travailleurs des entrepôts d’Amazon travaillent avec un appareil portatif qui les guident à travers l’entrepôt.
Ce dispositif trace chaque pas et peut déclencher une alarme chez le « leader d’équipe», au cas où un travailleur serait inactif pendant une période prolongée. Des objectifs journaliers et des standards à atteindre, tous contrôlés et organisés par un logiciel, sont fixés.
Il s’agit là seulement de deux exemples de technologies numériques utilisées pour accélérer la circulation et exploiter le travail vivant de manière plus efficace.
L’optimisation des processus de travail informatisée produit un système de surveillance en temps réel et l’organise à travers diverses formes de références, de procédures opérationnelles standardisées, d’objectifs et de mécanismes de remontée d’information instantanés. Brett Neilson affirme que ce processus en matière de logistique numérisée vise à l’élimination de la distinction entre travail concret et abstrait :
« La tension entre le travail vivant et abstrait, qui dérive du fait que la multiplicité et l’aspect concret du premier ne peuvent être totalement réduits au second, s’est intensifiée sous le capitalisme contemporain. La logistique met en avant le fantasme d’une élimination de cette distinction à travers des processus techniques de coordination et de mesure » (Neilson, 2014, p. 88).
Tout sauf ininterrompu
La circulation ininterrompue et transparente constitue peut-être le but de la logistique mais en réalité il s’agit là davantage d’un fantasme productif que d’une réalité.
Il existe une multitude de dysfonctionnements, d’obstacles et de nombreuses formes de différence qui font que la logistique globale est tout sauf une machine fonctionnant de façon ininterrompue.
L’activité de la logistique n’est pas tant la production d’un espace global lisse, « son objectif n’est pas d’éliminer les différences mais d’oeuvrer au travers celles-ci, de construire des passages et des connexions dans un monde toujours plus fragmenté.
Les fossés, les divergences, les conflits et les rencontres ainsi que les frontières sont comprises non comme des obstacles mais comme des paramètres à partir desquels des gains d’efficacité peuvent être générés » (Mezzadra & Neilson, 2013).
Par conséquent, la production de l’espace à travers la circulation logistique globale de marchandises évolue et se fragmente en permanence et est constamment traversée de contradictions, à la fois interne et externe au rapport capitaliste.
La plus importante de ces contradictions, celle du capital et du travail, a récemment regagné en visibilité. Le secteur logistique a été frappé par une vague de conflits ouvriers dans les dernières années. De la fermeture du port d’Oakland, – on peut argumenter qu’il s’agissait là du moment le plus puissant de tout le mouvement Occupy – à Hongkong ou Valparaiso.
En Europe on peut mentionner les luttes des travailleurs d’Amazon en Allemagne, Pologne ou France ou les luttes militantes et puissantes de travailleurs migrants dans les hauts lieux logistiques de l’Italie du Nord.
Si ma proposition s’avère exacte, à savoir que la circulation des marchandise n’a jamais été aussi importante et que la logistique constitue un secteur plus crucial que jamais pour l’accumulation globale du capital, c’est aussi une bonne nouvelle pour les travailleurs des docks, des navires, des entrepôts et des camions. En effet, parallèlement à l’importance croissante de leur travail pour le capital, leur pouvoir de négociation s’est accru de façon significative.
Traduit de l’anglais par Memphis Krickeberg.
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