2/9 -France : la guerre de classe des gueules noires 1941- 1948.
Le mouvement des mineurs du 4 octobre au 29 novembre 1948 "est l'une des plus dures (sinon la plus dure), des plus longues (56 jours), des plus violentes des grèves soutenues par la corporation minière sous la République"1 .
Si en 1941 les mineurs ont fait face à la dictature conjointe du régime de Vichy et du nazisme, avec les conséquences dont nous donnerons qu'un rapide aperçu, à la libération ce fut une toute autre affaire, ce n' était plus les Boches qu'ils devaient affronter mais les Moches ( les CRS)2. Autrement dit après la répression du fascisme, celle de la république démocratique bourgeoise, représenté par le gouvernement Queuille et les socialistes Jules Moch comme ministre de l' intérieur, et Daniel Mayer ministre du travail.
La grève au départ est une grève revendicative , principalement axé sur la flambé des prix. Elle ne présentait pas le caractère insurrectionnel que le gouvernement voulait lui attribuer. Seulement cette grève intervient au moment ou commence à se manifester la politique des blocs, les uns sont pour les américains et le plan Marshall, les autres la CGT et le PCF suspectés de vouloir réédité le « coup de Prague ». Le 16 octobre 1948 J. Moch déclare:
"Les grèves se poursuivent dans les mines. Je ne veux pas rappeler (je l'ai déjà dit) que profitant des revendications fondées sur des raisons économiques, les dirigeants de la CGT communisée ont déclenché des grèves tournantes et prolongé celle des mines, non pas dans l'intérêt des travailleurs mais pour exécuter avec une aveugle obéissance les instructions du Kominform et de l'Europe orientale, tendant à transformer les travailleurs français en pions, sur un échiquier étranger, à lutter contre le plan Marshall, contre l'aide américaine baptisée conquête impérialiste ou militaire, bref à détourner les USA d'aider l'Europe en provoquant des désordres multipliés, la chute de notre économie".
La grève des mineurs est d' d'emblée placé dans la dichotomie EST-OUEST en formation, dont l' acceptation du plan Marshall est le nœud gordien. Le PS-SFIO,MRP, Radicaux et modérés de l' époque marchent pour le camp occidental. En fait les deux camps sont pour des raisons diverses en accord pour diminuer le pouvoir des mineurs. Le scénario de l' ennemi extérieur, nous le connaissons il fut utilisés pour mater les mineurs d' Amérique du nord (IWW), pour mater la grève des mineurs de 1926 en Grande Bretagne...
Quand Maurice Thorez, ancien mineur demande aux mineurs de « retrousser leur manches »3 pour redresser l' économie nationale exsangue du fait de la guerre, il ne vise pas à saboter l' économie nationale. Quant à la CGT elle ne déclenchera pas la grève générale face à la répression criminelle de l' Etat contre les mineurs, répression qui n' avait rien à envier au fascisme. A ce moment tous savaient déjà, que l' avenir économique des mineurs étaient derrière eux, comme ce fut déjà révélé lors de la grève des mineurs anglais en 1926. Mais en attendant l'usage massif du pétrole, le charbon avait encore sa place, mais une place qui allait diminuer avec le temps. La Vieille Europe devait passer sous les fourches-caudines du cartel pétrolier mad in US.
Ce que Robert Lacoste, ministre de l’Industrie, révèlera en 1950, : « De combien de millions de tonnes devra-t-on réduire notre extraction ? De combien faudra-t-il réduire les effectifs miniers ? Je ne veux pas avancer de chiffres. Je laisse le soin aux techniciens de le déterminer. En tout cas, nous en savons assez pour déclarer qu’il faut se résoudre à une réalisation progressive du Pool Charbon-Acier (appelé aussi plan Schuman) accompagné de mesures destinées à en amortir les incidences sociales dans les mines. Voici longtemps que j’ai prévenu les mineurs de l’éventualité du renversement de la situation dans nos mines, par suite de la concurrence du fuel et de l’abaissement des prix des charbons importés. »
Le pouvoir républicain pouvait donc déclarer la guerre aux mineurs et se faisant transformer leur grève en gréve insurrectionnelle, et profiter de la répression pour procéder à des licenciements sous couvert d'une chasse aux sorcières contre les communistes. Il y aura 6000 licenciements, et près de 3000 condamnations à de la prison et à des amendes.
Du mouvement revendicatif des mineurs à la grève insurrectionnelle
Après la libération du territoire national, Les revendications faites et payées au prix du sang et de la déportation par les mineurs, vont refaire surface. La nationalisation des mines, va dans un premier temps leurs donner toute une série d' avantages que les autres catégories de travailleurs n' ont pas . Mais aussi donné à l' Etat la possibilité d' un contrôle social , sur les mineurs, c' est à cela que les décrets du socialiste Lacoste vont s' attaquer par la remise en cause du statut des mineurs.
Seulement la situation économique de la France se dégrade rapidement et l' inflation commence à ronger les salaires. De 12 francs en 1947,le kilo de pain est passé à 37 francs. Le kilo de bifteck a augmenté de 370 à 500 francs, et le paquet de Gauloises, qui coûtait 15 francs en 1945 et 48 francs en 1947, atteint maintenant les 65 francs.4
Le gouvernement est obsédé par la « décommunisation » de l' état et de ses industries stratégiques. Le général de Gaulle avait commencé le boulot en remplaçant les Groupes Mobiles de Réserve (GMR) du régime de Vichy par les Compagnies Républicaine de Sécurité (CRS) où la résistance communiste FTP aurait fait de l' entrisme.5
C'est dans ce cadre, que va se dérouler la grève de 1948. Celle ci contrairement aux habitudes des mineurs, ne sera pas votée à main levée, mais à bulletin secret. Le résultat du scrutin est sans appel : 218 616 voix pour la grève, 25 086 contre et 15 502 abstentions ou nuls. La CFTC et FO se voient contraintes à se rallier au mouvement et laissent leurs adhérents libre d' agir à leur guise.
Très rapidement le puissant mouvement de grève va se retrouver confronter à une véritable terrorisme d' état. Comme c' est généralement le cas, avant de passer aux actes répressifs la bourgeoisie met en place tout un arsenal répressif, qu'elle va abattre par vague successives sur les mineurs. C'est ce qui s' est passé contre le syndicalisme révolutionnaire des IWW et sa tête de pont la Western Fédération of Miners (WFM), contre les mineurs de la Ruhr en 1920 ,contre les mineurs anglais jusqu'à leur anéantissement total et c' est ce qui va se passer lors de la grève de 1948.
Jules Moch, s'était déjà fait les dents durant les mouvements de grève de 1947 dans le Nord-Pas-de-Calais. Il met en place vers mai 1948 des super-préfets6 en charge d' intervenir de manière civile et militaires dans leur circonscription. Ce qui va permettre, dés les 3-4 octobre, de faire occuper le bassin lorrain par l' armée, de procéder à la réquisition du personnel des cokeries, et dés le 18 octobre de mailler complètement l' ensemble des bassins par les CRS ; dans la foulée il procède au rappel de 80 000 réservistes.
Le 7 octobre, les CRS assassinent à coup de crosse , le mineur Jansek de Merlebach. La FNSS décide alors de suspendre pendant 24 heures les mesures de sécurité empêchant l'inondation des puits.
Dés le 8 octobre, les CRS puis l' armée investissent les puits et les corons en lorraine, Le 19 octobre, les mineurs nord-africains sont aux prises avec les CRS qui saccagent les baraquements et les conduisent de force à la mine. Les 25 et 29 octobre l' armée occupe avec violence les puits d' Alés et de saint Étienne dans le Nord . La riposte des mineurs à la présence des chars, des chenillettes, des CRS et de l' armée ne se fait pas attendre. Une véritable guerre de classe s' engage et ce d'autant que parmi les gueules noires nombreux sont ceux appartenant aux francs tireurs et partisans (FTP). La répression dans un premier temps va se concentrer dans la Loire et le Gard, mais le plan de jules Moch est mis en échec, les mineurs à plusieurs endroits réoccupent les puits, les CRS s' enfuient laissant sur le terrain camions et … Les mineurs vont jusqu'à faire prisonniers des gardes mobiles avec un colonel à leur tête. Une arrestation dans le nord provoque l' occupation de la sous préfecture de Bethune. La grève devient alors effectivement insurrectionnelle et les forces gouvernementales mises en échec ne vont plus hésiter à faire usage des armes. Trois mineurs trouveront la mort, et deux autres décéderont plus tard.
A partir de cette répression tout va monter en charge
Le préfet du Pas-de-Calais résume la situation le 5 décembre : "Au fur et à mesure de l'arrivée des renforts de CRS et d'escadrons de la garde, j'ai pu prendre pour certaines localités puis pour l'ensemble du bassin minier, des arrêtés d'interdiction que j'ai d'abord limités à tous les rassemblements sur la voie publique, puis étendus à toutes les réunions (...). Grâce à ces arrêtés, appuyés par des interventions incessantes des forces de l'ordre (...) toutes les réunions et manifestations subversives ont été pratiquement suspendues dès le début de novembre et les mineurs communistes ont été ainsi privés de tous moyens de remonter le moral de leurs troupes ou de leur passer des consignes en vue de contre-attaques vers les installations minières gardées militairement".
"Pour chaque fosse ou chaque établissement minier, un commissaire de police se présentait devant le piquet de grève et essayait d'abord de parlementer. A défaut il ceignait alors son écharpe et faisait les sommations d'usage. C'est seulement dans des cas exceptionnels où les grévistes s'obstinaient à ne pas prendre de leur plein gré le chemin de la sortie, qu'ils y étaient aidés, sans brutalité d'ailleurs, par des forces 10 ou 20 fois supérieures, préalablement massées à proximité".
Le gouvernement est alors persuadé que les communistes du PCF préparent le coup de prague, En réalité c 'est la mise en place de la guerre froide qui s 'installe au travers de la grève des mineurs et contre eux. D'un coté Staline mais en place le Kominform en 1947 de l' autre le mot d' ordre est donné d' expulser tous les communistes des gouvernements ; ils sont exclus le 12 mars 1947 de Belgique, le 5 mai 1947 de France, le 30 mai du gouvernement italien et le 19 novembre de l' Autrichien.
Dés le début, le gouvernement va donner un caractére militaire à ses interventions, chaque jour un communiqué indique les kilomètres « de territoire libéré » gagné sur l' ennemi intérieur à savoir les mineurs Entre 25 000 et 35 000 hommes seront déployés pour mater «l' insurrection ».
l'écrasement de l' insurrection
En dépit de soutiens (collectes d'argent, accueil d'enfants de mineurs par des familles en région parisienne...), le mouvement échoue face à la détermination du gouvernement. C' est le moment où les mesures coercitives, voire punitives, commencent. Dans les semaines qui suivront la fin de la grève, près de 3 000 mineurs sont condamnés à des peines allant de l'amende à la prison ferme, notamment presque tous les délégués à la sécurité qui constituent l'armature du mouvement syndical dans les mines. Quelque 6 000 sont licenciés, dont des délégués-mineurs. De surcroît, les Comités d'entreprise sont supprimés dans les Houillères. Dans le même temps le gouvernement fait voter un crédit de 50 millions pour dédommager les victimes des actes de violence des grévistes.
Le coup est rude : les travailleurs du sous-sol ne se lanceront plus dans un tel mouvement jusqu'à la grève de 1963.
Depuis
La ministre socialiste de la justice, Christiane Taubira, a demandé à Bercy d'indemniser des mineurs grévistes du grand mouvement de l'automne 1948 ainsi que leurs ayants droit. En 1981, une loi d'amnistie avait été votée, permettant aux travailleurs licenciés pour des faits de grève et action syndicale d'obtenir réparation.
Puis, en mars 2011, la cour d'appel de Versailles avait reconnu le caractère discriminatoire et abusif du licenciement de 17 mineurs et employés de la société publique qui gérait les sites, Charbonnages de France, et annulé les licenciements. Elle avait condamné Charbonnages de France et l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) à leur verser 30 000 euros chacun. Mais la décision avait été cassée par la Cour de cassation, en octobre 2012.
« Parmi les 3 000 grévistes, 200 d'entre eux ont subi des atteintes à leurs droits fondamentaux » de la part des autorités, a rappelé la garde des sceaux dans un courrier adressé en mai au ministre des finances, Michel Sapin. « Injustement condamnés, les mineurs (...) n'ont été que partiellement indemnisés pour les dommages subis (licenciement abusif, expulsion du logement, discrimination à la réembauche...) par la loi de finances de 2004 », estime Mme Taubira.
Quelque 31 mineurs et ayants droit pourraient bénéficier de cette mesure d'indemnisation, selon la chancellerie. « Je pense qu'il serait à l'honneur de notre gouvernement de donner enfin satisfaction à des personnes qui ont conduit un combat politique de plus de soixante ans et ainsi de mettre fin à une injustice jamais réparée auparavant », a fait valoir la ministre.
Témoignages
Après deux mois de conflit, c’est la répression : le gouvernement envoie la troupe. 2 000 mineurs sont arrêtés, leurs logements perquisitionnés, 714 seront condamnés à de la prison. « L’armée est arrivée, mitraillette au poing. C’était terrible ! », se souvient Léone Amigo, 87 ans.
Son mari, 20 ans à l’époque, sera arrêté et emprisonné pendant trois mois. « C’est resté un traumatisme. Encore aujourd’hui, lorsqu’on remue ces souvenirs, il en fait des cauchemars. Toute notre vie, nous avons vécu avec un sentiment de honte. Nous n’avons jamais osé en parler à nos enfants. C’est trop douloureux. »
1Rolande Trempé, "La répression", Les Cahiers de l'Institut d'Histoire Sociale Minière, n° 15, septembre 1998, p. 30.
2De la grève de 1948, vient le fameux CRS-SS de Mai 68 et un autre spécialement dédié à J. Moch « Moche c' est boche ».
3Discours de M.Thorez le 21 juillet 1945 à Wazier, qui invite les mineurs à gagner la bataille du charbon, de son coté le leader charismatique des mineurs Auguste Lecoeur va dans le sens contraire, pas question pour lui de relever l' économie capitaliste.
4Extrait du livre « plus noir dans la nuit » Calman Lévy
5 A la suite d'une manifestation à Marseille (du 12 novembre 1947) à l'appel de la CGT et du PCF, non réprimée par certains gardiens de CRS proches des idées communistes dont le comportement avait été jugé "douteux", plusieurs compagnies sont dissoutes et les CRS réorganisés de sorte de faire disparaître l'influence communiste en leurs rangs.
6 Les Igames : Ils détenaient à la fois les pouvoirs civil et militaire. C’était une première ! Tout avait été donc préparé pour faciliter et organiser la répression.
SUITE-
GRANDE BRETAGNE-CAPITAL NATIONAL ET CAPITAL INTERNATIONAL LA GRÈVE DE 1984/1985
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